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Décisions

CA Amiens, 1re ch. sect. 1, 29 mai 2008, n° 07-02383

AMIENS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Cofinoga (SA)

Défendeur :

Dufour, Hotte

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Grandpierre

Conseillers :

Mme Corbel, M. Damulot

Avoué :

SCP Le Roy

Avocats :

SCP Braut Antonini Hourdin Hanser, Me Carpentier

TI Vervins, du 18 avr. 2007

18 avril 2007

Vu les conclusions déposées pour la SA Cofinoga le 27 septembre 2007 ;

Attendu que, selon l'offre préalable acceptée le 26 janvier 2001, la Banque du groupe Casino a consenti à M. Roland Dufour et à Mme Lucile Hotte, son épouse, une ouverture de crédit par découvert en compte ; qu'il est stipulé que " le montant maximum du découvert global pouvant être autorisé est de 140 000 FF. Le montant du découvert autorisé à l'ouverture du compte est fixé à 40 000. Ce montant est révisable par la Banque du groupe Casino. Ce montant peut être augmenté sur simple demande de votre part après acceptation par la Banque du groupe Casino. " ; que l'article 4 des conditions générales précise que " sauf accord du préteur, le montant du financement ne devra, en aucun cas, conduire à un dépassement du montant maximum autorisé, ou tel qu'il aura été révisé après que vous en ayez été avisé par le prêteur. L'accord du prêteur pour une augmentation, à votre demande, du plafond du découvert autorisé au terme de la présente offre, résultera de la mise à disposition effective du montant représentatif de l'augmentation sollicitée et/ou de l'inscription effective de l'opération de débit domiciliée " ;

Attendu que, par les avenants acceptés les 3 mai 2004 et 12 avril 2005, la fraction disponible choisie dans la limite du montant maximum du découvert autorisé de 15 000 euros puis de 21 500 euros a été fixée à 7 500 euros puis à 13 590 euros ; que l'article 4 des conditions générales stipule que la fraction disponible peut évoluer sur demande spécifique de l'emprunteur dans la limite du montant maximum du découvert autorisé ; que ce crédit est remboursable par mensualités et au taux d'intérêt dont le montant varie en fonction de l'encours du compte selon un tableau figurant au contrat ;

Attendu que par lettre recommandée avec avis de réception du 15 septembre 2006, la SA Cofinoga a mis en demeure M. Dufour de lui payer la somme de 19 647,86 euros, en se prévalant de la déchéance du terme ;

Attendu que par assignation du 9 novembre 2006, la SA Cofinoga a saisi le Tribunal d'instance de Vervins d'une demande en paiement du solde du crédit à l'encontre des époux Dufour ; que par jugement réputé contradictoire rendu le 18 avril 2007, le tribunal a constaté l'irrecevabilité de l'action de la SA Cofinoga pour cause de forclusion, a rejeté en conséquence ses demandes et l'a condamnée aux dépens ;

Attendu que la SA Cofinoga conclut à l'infirmation de ce jugement, à la recevabilité de ses demandes, à la condamnation solidaire des époux Dufour au paiement de la somme de 19 775,70 euros, outre les intérêts de retard au taux de 16,71 % l'an sur la somme de 18 743,87 euros à compter du 13 septembre 2006 ;

Attendu que les époux Dufour, bien qu'assignés par actes du 15 octobre 2007 remis à l'étude de l'huissier, n'ont pas constitué avoué ; que l'arrêt sera rendu par défaut en application de l'article 474 du Code de procédure civile ;

Attendu que la SA Cofinoga soutient que le premier juge a excédé ses pouvoirs en retenant d'office comme abusive la clause permettant l'augmentation du montant maximum du crédit initialement autorisé dans la limite du montant maximum du découvert global successivement fixé à 140 000 FF (21 342,86 euros) puis à 15 000 euros et enfin à 21 500 euros, sans nouvelle offre de crédit, ce qui revient selon elle à relever d'office le non-respect des articles L. 311-1 et suivants du Code de la consommation , notamment l'article L. 311-19 de ce code, dispositions d'ordre de public de protection, alors que les emprunteurs, qui n'ont pas comparu, n'ont invoqué aucune violation par le prêteur des règles applicables en la matière ;

Qu'elle considère que le premier juge ne pouvait d'autant moins se fonder sur la nouvelle rédaction de l'article L. 311-9 du Code de la consommation résultant de la loi du 28 janvier 2005 qui impose une offre préalable non seulement pour le contrat initial mais également pour toute augmentation du crédit consenti, que celle-ci n'est pas conforme aux directives réglementaires en matière de crédit à la consommation, affirmation qu'elle déduit d'un arrêt du 4 mars 2004 de la Cour de justice de la communauté européenne qui a considéré que la directive du 22 décembre 1986 telle que modifiée par la directive n° 90/88/CE du Conseil du 22 février 1990 n'imposait pas au prêteur, en cas d'évolution de la fraction disponible dans la limite du montant maximum du découvert autorisé, d'avoir à proposer à l'emprunteur la régularisation d'une nouvelle offre ;

Qu'elle fait valoir que la clause litigieuse n'est pas abusive dès lors que si la fraction disponible initiale pouvait certes évoluer, cela ne se faisait que dans un cadre strictement défini protégeant beaucoup plus les intérêts de l'emprunteur que dans le cas d'espèce examiné par la Commission des clauses abusives en sa séance plénière du 27 mai 2004 qui concernait une clause contractuelle permettant l'augmentation du découvert sans offrir de faculté de rétractation ; qu'elle rappelle que le contrat signé par les époux Dufour leur offre la faculté de s'opposer à sa reconduction trois mois avant la date anniversaire de ce contrat, après être informés des conditions de la reconduction ; qu'elle ajoute que la clause litigieuse est " classique " dans ce type de contrat, qu'elle est conforme au modèle type de l'époque et qu'elle ne permet pas une augmentation du montant du découvert autorisé sans aucune limite comme le prévoyait " telle qu'interprétée par le juge du fond " la clause à propos de laquelle la Cour de cassation a rendu un avis le 10 juillet 2006 sur le caractère abusif d'une telle clause, mais prévoit simplement une fraction disponible qui peut évoluer dans des conditions strictement définies ;

Qu'enfin, elle considère que pour le cas où la clause dont s'agit serait considérée comme abusive, les conséquences à en tirer ne sauraient être celles retenues par le premier juge, à savoir la forclusion alors que la sanction de l'octroi d'un crédit dans des conditions irrégulières n'est que la déchéance du droit aux intérêts prévue à l'article L. 311-33 du Code de la consommation ;

Attendu que l'article L. 311-9 du Code de la consommation dans sa nouvelle rédaction impose la présentation d'une offre préalable pour toute augmentation du crédit consenti ; que pour soutenir que la clause litigieuse qui autorise l'augmentation du crédit initialement consenti sans nouvelle offre est néanmoins légale, la SA Cofinoga soutient à tort que la nouvelle disposition prévue à l'article précité serait contraire à la directive communautaire n° 87/102/CE du Conseil du 22 décembre 1986 relative au rapprochement des dispositions législatives, réglementaires et administrative des Etats membres en matière de crédit à la consommation alors que si ladite directive n'impose pas aux états membres une telle réglementation, elle ne l'interdit pas dès lors qu'elle permet au contraire aux Etats membres d'édicter une réglementation assurant une protection plus forte des emprunteurs ;

Attendu que la faculté prévue au modèle type n° 5 figurant en annexe à l'article R. 311-6 du Code de la consommation et dont les indications doivent figurer sur les offres préalables de crédit utilisables par fractions conformément aux prescriptions de l'article précité, d'inscrire la mention des fractions périodiquement disponibles, ne saurait être la preuve que la clause litigieuse est conforme aux dispositions réglementaires ; qu'en effet, comme l'article L. 311-9 du Code de la consommation qui vise " l'ouverture de crédit qui, assortie ou non de l'usage d'une carte de crédit, offre à son bénéficiaire la possibilité de disposer de façon fractionnée, aux dates de son choix, du montant du montant du crédit consenti ", ces dispositions ne font que se référer à la définition d'un crédit utilisable par fractions, autrement appelé crédit permanent ou revolving, c'est-à-dire une réserve d'argent que l'emprunteur peut utiliser soit en une fois ou en plusieurs fois ou fractions et qui, par ailleurs, se reconstitue au fur et à mesure du remboursement du capital emprunté, sans prévoir la possibilité d'un dépassement du montant du crédit initialement convenu, les fractions dont il est question correspondent à l'utilisation du crédit à l'intérieur de l'enveloppe de crédit consenti; qu'ainsi, il ne peut en être déduit qu'elles prévoient l'hypothèse d'un contrat qui, comme en l'espèce, accorde un crédit d'un montant qui pourrait être dépassé tout en restant dans une limite, en assimilant la fraction disponible au découvert utile initialement autorisé alors qu'elle ne constitue que la part du crédit que l'emprunteur utilise sur le montant global du crédit consenti ;

Attendu que l'insertion dans l'offre préalable de crédit d'une clause permettant l'augmentation, dans des proportions considérables, du montant du découvert initialement convenu sans acceptation par l'emprunteur d'une nouvelle offre de crédit, fait obstacle, d'une part, à l'information que ce dernier doit recevoir, préalablement à tout nouvel engagement, sur l'ensemble des caractéristiques du crédit projeté, notamment sur les charges de remboursement à venir, qu'une nouvelle offre de crédit, si elle lui avait été proposée à chaque dépassement du crédit précédemment autorisé, aurait permis d'assurer ainsi que, d'autre part, à la faculté de rétractation imposée par l'article L. 311-15 du Code de la consommation à l'occasion de chaque nouvelle offre de crédit ; que la SA Cofinoga ne peut utilement invoquer à cet égard la faculté reconnue à l'emprunteur de refuser la reconduction du contrat à sa date anniversaire, qui emporte pour lui l'obligation de rembourser le crédit déjà octroyé, et ce qui est différent du bénéfice d'un délai de réflexion dont dispose l'emprunteur avant tout engagement ferme ;

Attendu que la clause litigieuse qui permet au prêteur d'augmenter le montant du crédit initialement consenti sans soumettre à l'emprunteur une nouvelle offre préalable lors de chaque dépassement du crédit autorisé est de nature à créer au détriment de l'emprunteur un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat par rapport aux dispositions protectrices prévues par la loi en sa faveur ; que la loi encadre très strictement les conditions dans lesquelles le consentement de l'emprunteur doit être donné de manière à le protéger contre des engagements dont il n'aurait pas pu évaluer toute la portée au moment où il les prend ; que tel est précisément le cas en l'espèce ;

Qu'il s'ensuit que la clause litigieuse est abusive et par suite doit être réputée non écrite en application de l'article L. 132-1 du Code de la consommation ;

Attendu que le premier juge n'a pas excédé ses pouvoirs en soulevant d'office le caractère abusif de la clause litigieuse ; qu'il résulte en effet de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 concernant les clauses abusives dans les contrats conclus avec les consommateurs, que la protection qu'elles assurent implique que le juge national puisse apprécier d'office le caractère abusif d'une clause du contrat qui lui est soumis ; qu'il n'a statué qu'au regard du caractère abusif de la clause litigieuse et non pas de la conformité du contrat aux dispositions de l'article L. 311-9 du Code de la consommation , de sorte que le reproche que lui fait la SA Cofinoga d'avoir soulevé d'office la violation de ces dispositions qui ne peut être invoquée que par les emprunteurs, n'est pas fondée ;

Attendu que dès lors que la clause permettant l'augmentation du montant du découvert est non écrite conformément à l'article L. 132-1 du Code de la consommation , le montant du découvert reste fixé à 6 097,96 euros (40 000 francs) par le contrat initial puis à 7 500 euros et à 13 590 euros par ses avenants ; qu'il n'est pas contesté que le montant du découvert ainsi autorisé a été dépassé dès le mois d'octobre 2001, sans être régularisé depuis ;

Attendu qu'en application des dispositions de l'article L. 311-37 du Code de la consommation, les actions en paiement doivent être engagées, à peine de forclusion, dans les deux ans de l'événement qui leur a donné naissance ; que dans le cas d'une ouverture de crédit d'un montant déterminé et reconstituable, assortie d'une obligation de remboursement à échéances convenues, le dépassement du découvert convenu constitue, en l'absence de régularisation, un incident qui manifeste la défaillance de l'emprunteur, contrairement à ce que soutient la SA Cofinoga, et constitue le point de départ du délai biennal de forclusion édicté par l'article précité ; que la SA Cofinoga n'ayant introduit son action que par assignation du 9 novembre 2006, soit plus de deux ans après le point de départ du délai de forclusion, sa demande est irrecevable ;

Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, par défaut en dernier ressort, Confirme le jugement rendu le 18 avril 2007 par le Tribunal d'instance de Vervins ; Condamne la SA Cofinoga aux dépens d'appel.