CA Colmar, 1re ch. civ. A, 13 mars 2013, n° 11-05506
COLMAR
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Azaizia
Défendeur :
France Boissons Nord-Est (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vallens
Conseillers :
MM. Cuenot, Allard
Avocats :
Mes Laissue-Stravopodis, Frick
Par un acte sous seing privé enregistré le 24 juillet 2003, la société France Boissons Est (France Boissons) a conclu avec M. Azaizia, propriétaire exploitant d'un fonds de commerce à l'enseigne Le Mirage à Strasbourg une convention d'achat exclusif de bières et de boissons pour une durée de 5 ans en contrepartie d'avantages financiers. Se prévalant d'une inexécution des engagements de M. Azaizia, France Boissons l'a fait citer devant le Tribunal de grande instance de Strasbourg le 17 octobre 2007 aux fins de paiement de dommages et intérêts et de factures restées impayées.
Par un jugement du 26 août 2011, le tribunal a condamné M. Azaizia à payer à France Boissons les sommes de 49 577,20 euro en principal à titre de dommages et intérêts, 284,84 euro à titre d'indemnité contractuelle, 451,96 euro à titre d'indemnité contractuelle, 7 759 euro au titre de fournitures de matériels et 2 000 euro pour les frais irrépétibles.
M. Azaizia, se qualifiant de société Azaizia, a interjeté appel de ce jugement et demande à la cour de prononcer la nullité du contrat et de condamner France Boissons à lui payer une indemnité de procédure de 5 000 euro.
Il expose : les livraisons de boissons ont toujours été faites dans l'un des deux établissements qu'il gérait, rue Hautefort au Polygone à Strasbourg, puis transférées au second fonds de commerce Le Mirage, rue du Vieux Marché aux Vins à Strasbourg ; le contrat met à sa charge un engagement d'achat exclusif de boissons en contrepartie d'un engagement de caution à hauteur de 21 427 euro pour un prêt consenti par le Crédit mutuel ; la somme garantie ne représente que 12 ou 13 mensualités du prêt ; l'engagement prenait donc fin au bout d'une année ; cette contrepartie constitue une prestation dérisoire ; la convention est donc nulle pour absence de cause ; à titre subsidiaire, 2 factures de France Boissons pour 889,49 euro et 850,14 euro ont été payées ; en ce qui concerne le matériel, le tirage de bière et le rince verres lui appartenaient ; la machine à café fournie par France Boissons n'a pas fonctionné et a été reprise par France Boissons dès le début de l'exploitation.
France Boissons sollicite le rejet de l'appel et, par voie d'appel incident, le paiement des sommes de 51 886,40 euro à titre d'indemnité pour inexécution du contrat, 1 424,20 euro au titre de factures impayées, la restitution du matériel ou à défaut le paiement d'une somme de 8 938,31 euro à titre de dommages et intérêts, 2 259,78 euro pour des livraisons impayées au fonds de commerce de la Cafétéria du Polygone et 3 000 euro pour les frais irrépétibles.
Elle fait valoir : 2 comptes ont été ouverts pour les deux établissements exploités par M. Azaizia; elle a apporté sa caution à hauteur de 21 427 euro pour un prêt souscrit par M. Azaizia auprès de la banque ; cet engagement représente 50 % du prêt pour 5 ans ; la demande de nullité du contrat doit être écartée ; elle a également mis à sa disposition divers matériels ; il devait acquérir par an 70 HL de bière et environ 29 200 bouteilles d'autres boissons ; il n'a pas respecté cet engagement ; le contrat ne concernait que le fonds de commerce Le Mirage ; seul le chiffre d'affaires de ce fonds doit être pris en compte ; il aurait dû acquérir des boissons pour un prix total de 285 586 euro sur 5 ans ; il n'a acquis pour que pour un montant de 26 153 euro ; aux termes de l'article 7 du contrat, il doit une indemnité forfaitaire de 20 % des montants restant dus soit 51 886,40 euro; il a cédé le fonds sans respecter ses obligations ; il doit également des factures restées impayées de 889,49 euro et 850,14 euro sous déduction des ristournes soit un solde de 1 424,20 euro ; le tribunal a omis d'inclure ces montants dans son jugement ; l'appelant doit également acquitter une indemnité contractuelle de 20 % des sommes dues soit 284,84 euro ainsi que les intérêts au taux majoré de 1,5 fois l'intérêt légal et des factures de livraison de boissons au fonds de commerce du Polygone pour une somme de 2 259,79 euro également omise par les premiers juges.
Sur ce, LA COUR,
L'acte d'appel mentionne la société Azaizia. Il est cependant constant que le litige oppose la société France Boissons et M. Azaizia, exploitant individuel et propriétaire d'un fonds de commerce. L'erreur matérielle commise par l'appelant est donc sans incidence sur la qualité exacte des parties en cause.
Le contrat litigieux a été signé par les parties à une date non déterminée mais enregistré le 24 juillet 2003. Le contrat portant sur l'achat exclusif de boissons a été conclu par M. Azaizia en sa qualité de propriétaire d'un fonds de commerce de café, hôtel restaurant à l'enseigne Le Mirage, rue du Vieux Marché aux Vins. Il prévoit l'achat de 70 HL de bière en fût Heineken et 29 200 cols d'autres boissons non alcoolisées, 40 cubes de gaz et 500 kilos de café (art. 3 du contrat). En contrepartie, France Boissons lui accorde comme prestation une caution d'une valeur de 21 427 euro (art 1er du contrat). Il est constant que ce cautionnement a été promis pour un prêt de 122 439 euro souscrit par M. Azaizia auprès du Crédit mutuel sur 7 années. Le contrat de prêt, non daté, porte néanmoins comme première échéance de remboursement le 30 juin 2003.
La garantie représente ainsi 17 % du montant du prêt. Elle n'est pas limitée à une durée d'un an même si la somme correspondait à environ 12 échéances, la garantie étant accordée pour le paiement d'un montant déterminé sans limitation dans le temps.
Mais France Boissons s'est en outre garantie par un nantissement accordé par M. Azaizia sur le fonds de commerce pour la somme de 25 712 euro, offrant ainsi au fournisseur une contre garantie au montant de son propre engagement de caution.
Le risque financier assuré par France Boissons apparaît donc dérisoire, sinon nul, par rapport aux obligations d'achat mis à la charge de M. Azaizia.
En outre, France Boissons prétend avoir apporté un cautionnement à hauteur de 35 % du prêt sur 5 ans. Mais d'une part, elle ne justifie pas de ce taux. D'autre part, le seul engagement de cette nature émane d'un tiers la Brasserie Heineken, c'est-à-dire le propre fournisseur de France Boissons, de sorte que cet engagement ne peut être qualifié de réciproque.
Il en résulte que France Boissons n'a elle-même apporté aucune contrepartie au débitant sinon en lui procurant le cautionnement de son propre fournisseur.
Au surplus, le cautionnement a été donné par un acte séparé qui n'a pas été versé aux débats, de sorte qu'il ne peut être déduit des éléments communiqués que France Boissons aurait à un titre ou un autre souscrit un quelconque engagement personnel.
L'engagement de M. Azaizia représente des achats pour un chiffre d'affaire total de 205 085 euro en bières et 80 500 euro en autres boissons soit 285 585 euro selon le propre décompte de France Boissons.
La comparaison des engagements respectifs des deux parties démontre que la prestation de France Boissons, à supposer qu'elle ait une consistance, ne représente que 10 % des obligations de son client.
France Boissons se prévaut aussi de la "subvention commerciale" apportée, qu'elle chiffre à 12 783,03 euro selon le décompte de sa créance intitulé "inexécution contrat".
Il est constant que le fournisseur a apporté au débitant divers matériels à l'occasion de ce contrat, mais la valeur des biens procurés est trop minime pour être prise en considération dans la comparaison des prestations réciproques des parties.
Cette subvention est donc réelle, même si elle n'apparaît pas dans la convention d'achat, et ne correspond à aucune contrepartie effective de l'engagement souscrit.
Dans ces conditions, l'appelant est fondé à invoquer l'absence de cause véritable à son engagement d'approvisionnement exclusif.
La nullité du contrat est donc encoure.
Par ailleurs France Boissons réclame le paiement de ses prestations. France Boissons a procuré le remplacement d'une installation de tirage à bière d'une valeur de 3 191,85 euro HT et un rince verres d'une valeur de 540,27 euro HT 15 selon sa demande d'intervention. Elle a également fourni une machine à café pour 3 611,23 euro HT selon un devis de France Boissons. La défaillance technique de ce matériel ne résulte pas des pièces versées aux débats par l'appelant. Une enseigne a été également invoquée par France Boissons pour un montant de 1 334 euro HT selon une facture du fournisseur Kappeler, qui est justifiée (et non 1 595,46 euro, qui correspond au montant TTC).
Ces montants correspondent à des prestations dont l'amortissement était prévu sur la durée du contrat. Du fait de la rupture anticipée de celui-ci, les sommes sont dues à France Boissons indépendamment de la nullité du contrat d'approvisionnement.
En ce qui concerne les factures impayées, France Boissons met en compte d'une part des facture correspondant à des livraisons au fonds de commerce Le Mirage concerné par le contrat d'achat exclusif, pour 889,49 euro (facture du 19 décembre 2005) et 850,14 euro (facture du 2 février 2006) et dont elle déduit des ristournes de 16,43 euro et 119,60 euro. Le solde de 1424,20 euro est donc dû. Elle met en compte en second lieu une indemnité contractuelle de 20 % prévue par le contrat soit 284,84 euro. Celle-ci n'est pas due, ayant sa source dans le contrat d'approvisionnement et non dans les factures de vente.
France Boissons réclame d'autre part le paiement de factures correspondant à des livraisons au deuxième fonds exploité par l'appelant à la Cafétéria du Polygone pour 2 259,79 euro et une indemnité contractuelle de 20 % sur cette somme soit 451,96 euro.
La preuve du paiement de ces fournitures (qui ne sont pas discutées) n'est pas rapportée. Les montants sont dus, à l'exclusion de l'indemnité de 20 % pour les mêmes motifs que ci-dessus.
Les premiers juges ont admis le bien-fondé de ces réclamations sans toutefois répercuter les sommes allouées dans le dispositif du jugement.
La restitution des matériels est rendue impossible par la cession du fonds, de sorte que le montant correspondant aux matériels fournis sont dû en contrepartie.
Il y a lieu d'infirmer le jugement en conséquence.
Il est ainsi dû à France boissons les sommes de 1 424,20 euro et de 2 259,79 euro au titre des fournitures et 8 677,35 euro au titre des matériels.
Les intérêts sont dus au taux légal à compter de l'assignation ; l'intérêt au taux majoré n'apparaît pas justifié dans la mesure où il figure dans les conditions générales d'un contrat dont la cour prononce la nullité.
Il est justifié d'allouer à France Boissons une indemnité supplémentaire pour les frais irrépétibles engagés.
Par ces motifs : Infirme le jugement déféré, Et statuant à nouveau, Prononce la nullité du contrat d'achat exclusif, Condamne M. Azaizia à payer à la société France Boissons la somme de 12 361,34 euro augmentée des intérêts au taux légal à compter de l'assignation, Condamne en outre M. Azaizia à payer à la société France Boissons, en application de l'article 700 du Code de procédure civile, les sommes de 1 000 euro pour les frais irrépétibles de première instance, et 1 000 euro pour les frais irrépétibles d'appel, Déboute la société France Boissons du surplus, Condamne M. Azaizia aux entiers frais et dépens.