CA Aix-en-Provence, 2e ch., 14 mars 2013, n° 11-11175
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Phocéenne du Froid (SARL)
Défendeur :
Distribution Euroland Boissons (SARL), de Carrière (ès qual)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Aubry-Camoin
Conseillers :
MM. Fohlen, Prieur
Avocats :
Selarl Boulan Cherfils Imperatore, SCP Cohen, Guedj, SCP Tollinchi Perret Vigneron, Me Noto
EXPOSE DU LITIGE
La société Distribution Euroland Boissons SARL (DEB) qui a pour activité l'achat et la vente en gros et demi-gros de boissons, commercialise des boissons notamment des bières pression, auprès d'une clientèle de café, hôtels, restaurants avec installation d'un matériel de tirage qu'elle fournit.
Le 27 octobre 2005, la société Distribution Euroland Boissons SARL et la société Phocéenne du Froid SARL qui exploite un établissement de restauration rapide à La Ciotat ont signé une convention par laquelle la première mettait en dépôt du matériel de tirage de bières pression pour une valeur de 4 286,54 euros HT correspondant à 50 % de sa valeur totale en contrepartie de quoi la seconde s'engageait "à ne vendre et à ne débiter dans son établissement et ses dépendances pendant toute la durée du prêt du matériel que des bières, vins, limonades, sodas, jus de fruit et boissons divers vendus par la société DEB".
Le contrat prévoit en outre que la société Phocéenne du Froid avertira la société Distribution Euroland Boissons par écrit si elle cesse la vente exclusive et continue des bières et autres produits de cette dernière, et lui restituera le matériel.
A partir du 14 septembre 2006, la société Phocéenne du Froid a cessé de s'approvisionner auprès de la société Distribution Euroland Boissons.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 9 juillet 2007, la société Distribution Euroland Boissons a mis la société Phocéenne du Froid de demeure de respecter ses engagements.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 17 décembre 2009, la société Distribution Euroland Boissons a mis en demeure la société Phocéenne du Froid de lui régler la somme de 5 126,70 euros correspondant à la valeur initiale du matériel prêté non restitué ou de reprendre ses approvisionnements auprès d'elle à défaut de quoi elle saisirait le tribunal de commerce.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 7 janvier 2010, la société Phocéenne du Froid a sollicité la résiliation du contrat en précisant que le matériel de tirage de bière était à la disposition de la société Distribution Euroland Boissons.
Par acte du 9 avril 2010, la société Distribution Euroland Boissons SARL a fait assigner la société Phocéenne du Froid SARL devant le Tribunal de commerce de Marseille aux fins de voir :
prononcer la résolution judiciaire à la date du 7 janvier 2010, de la convention de mise en dépôt de matériel signée le 27 octobre 2005 ce aux torts de la société Phocéenne du Froid,
condamner la société Phocéenne du Froid à payer à la société Distribution Euroland Boissons :
la somme de 1 240 euros à titre de dommages et intérêts,
la somme de 5 126,70 euros au titre de la facture n° 241527 du 17 décembre 2009 avec intérêts au taux égal à trois fois le taux d'intérêt légal et ce à compter de la mise en demeure du 17 décembre 2009,
ordonner la capitalisation des intérêts par années entières par application de l'article 1154 du Code civil,
condamner la société Phocéenne du Froid au paiement de la somme de 1 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile,
ordonner l'exécution provisoire du jugement à intervenir,
condamner la société Phocéenne du Froid aux dépens.
Par jugement contradictoire du 9 mai 2011, le Tribunal de commerce a :
rejeté l'exception de connexité
retenu sa compétence territoriale,
déclaré valable la clause d'exclusivité figurant dans la convention de mise en dépôt de matériel du 27 octobre 2005,
fait droit à l'intégralité des demandes de la société Distribution Euroland Boissons,
rejeté toutes autres demandes, fins et conclusions,
ordonné l'exécution provisoire de la décision.
Par déclaration au greffe de la cour du 24 juin 2011, la société Phocéenne du Froid SARL a régulièrement relevé appel de la décision.
Par conclusions du 23 septembre 2011, la société Phocéenne du Froid SARL demande à la Cour au visa des articles 1134 et suivants et 1875 du Code civil, L. 330-1 et L. 330-2 du Code de commerce, et du règlement communautaire n° 2790-1999 du 29 décembre 1999, de :
A titre principal
réformer la décision entreprise en toutes ses dispositions
dire que la clause d'exclusivité mentionnée à la convention de mise en dépôt du matériel du 27 octobre 2005, est nulle,
dire que la société concluante n'a manqué à aucune des obligations contractuellement mises à sa charge,
débouter la société Distribution Euroland Boissons de toutes ses demandes, fins et conclusions,
A titre subsidiaire
réformer partiellement la décision entreprise,
débouter la société Distribution Euroland Boissons de sa demande de dommages et intérêts,
ramener à la somme de 2 143,27 euros le montant de la condamnation de la concluante au titre du paiement de sa participation à la valeur du matériel mis à sa disposition,
débouter la société Distribution Euroland Boissons de ses plus amples demandes,
En tout état de cause
condamner la société Distribution Euroland Boissons au paiement de la somme de 2 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile,
la condamner aux entiers dépens, ceux d'appel avec distraction.
La procédure de sauvegarde dont bénéficiait la société Distribution Euroland Boissons suivant jugement du 21 avril 2011 a été convertie en procédure de redressement judiciaire par jugement du 7 février 2012.
Par conclusions d'intervention volontaire du 7 décembre 2012, Maître de Carrière ès qualités de mandataire judiciaire à la liquidation judiciaire de la société Distribution Euroland Boissons demande à la cour au visa des articles 1134, 1146 et suivants, 1184, 1153 et suivants du Code civil, de :
lui donner acte de son intervention volontaire et de ce qu'il reprend au nom de la liquidation les demandes et moyens de la société Distribution Euroland Boissons,
confirmer le jugement déféré en toutes ses dispositions,
condamner la société Phocéenne du Froid au paiement entre les mains de la somme de 1 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile,
la condamner aux entiers dépens, ceux d'appel avec distraction.
MOTIFS DE LA DECISION
1 - Sur la clause d'exclusivité figurant à la convention du 27 octobre 2005
La société Phocéenne du Froid expose que la clause d'exclusivité figurant à la convention du 27 octobre 2005 ne comporte ni durée déterminée ni terme précis, qu'elle est soumise aux dispositions des articles L. 330-1 et L. 330-2 du Code de commerce qui sont d'ordre public et qu'elle doit en conséquence être réputée comme une clause non écrite.
Elle fait valoir par ailleurs que la convention liant les parties méconnaît les règles prescrites par le droit communautaire en ce qu'elle a pour effet de mettre en place une obligation exclusive d'approvisionnement à durée indéterminée et portant sur l'ensemble des boissons susceptibles d'être vendus par la concluante.
Maître de Carrière ès qualités de liquidateur de la société Distribution Euroland Boissons conclut à l'irrecevabilité de la demande tendant à voir prononcer la nullité de la clause d'exclusivité en ce qu'elle ne peut être soulevée que si le contrat n'a pas encore été exécuté.
Il fait observer qu'en tout état de cause, une clause ne fixant pas de durée est valide dans un contrat à durée indéterminée résiliable par principe à tout moment, sous réserve de respecter un délai de préavis.
Il ajoute que le droit communautaire n'est pas applicable dès lors que la société Phocéenne du Froid ne démontre pas que la convention du 27 octobre 2005 aurait pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence entre Etats membres et affecterait de manière sensible le commerce entre ces derniers.
Aux termes de la convention du 27 octobre 2005, la société Phocéenne du Froid a pris l'engagement suivant :
"En contrepartie d'avantage consenti, je m'engage à ne vendre et à ne débiter dans mon établissement et ses dépendances, pendant toute la durée du prêt du matériel, que des bières, vins, limonades, sodas, jus de fruit et boissons diverses vendues par la SARL DEB.
Cette condition est de rigueur. Elle est la condition implicite et déterminante sans laquelle les avantages ci-dessus n'auraient pas été consentis."
En matière de contrat synallagmatique, la cause de l'obligation de l'un est l'objet de l'obligation de l'autre de sorte que l'obligation perd sa cause lorsque la contrepartie fait défaut.
La clause d'exclusivité qui a pour contrepartie la mise à disposition du matériel de tirage de bière est la cause du contrat pour la société Distribution Euroland Boissons et l'objet de l'obligation pour la société Phocéenne du Froid de sorte que sa demande de nullité s'analyse en une demande de nullité du contrat.
Selon une jurisprudence constante, l'exception de nullité du contrat ne peut être admise que pour faire échec à la demande d'exécution d'un acte juridique qui n'a pas encore été exécuté.
La convention entre les parties ayant été exécutée, la société Phocéenne du Froid n'est pas fondée à en soulever la nullité.
En tout état de cause, un concédant peut à tout moment mettre fin à un contrat de distribution exclusive à durée indéterminée sous réserve de respecter un préavis conventionnel ou d'usage.
En l'absence de préavis conventionnel, la société Phocéenne du Froid pouvait à tout moment mettre fin au contrat en respectant un préavis d'usage.
Par ailleurs, la société Phocéenne du Froid qui sollicite l'application du droit communautaire en la matière, ne démontre pas que la convention signée entre les parties aurait pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun.
Le jugement entrepris, en ce qu'il a débouté la société Phocéenne du Froid de sa demande tendant à voir annuler la clause d'exclusivité sera confirmé.
2 - Sur la demande de résolution judiciaire de la convention du 27 octobre 2005 formée par Maître de Carrière ès qualités
La société Phocéenne du Froid conclut au rejet de la demande de dommages et intérêts en ce que la société Distribution Euroland Boissons ne justifie d'aucun préjudice particulier et à la réduction de la condamnation prononcée par le Tribunal de commerce en application du contrat.
Maître de Carrière demande la confirmation de la décision déférée.
Aux termes de l'article 1184 du Code civil :
"La condition résolutoire est toujours sous entendue dans les contrats synallagmatiques, pour le cas où l'une des deux parties ne satisfera point à ses engagements.
Dans ce cas, le contrat n'est point résolu de plein droit. La partie envers laquelle l'engagement n'a point été exécuté, a le choix ou de forcer l'autre à l'exécution de la convention lorsqu'elle est possible, ou d'en demander la résolution avec dommages et intérêts.
La résolution doit être demandée en justice, et il peut être accordé au défendeur un délai selon les circonstances."
Il est constant en l'espèce que la société Phocéenne du Froid, nonobstant les clauses du contrat, a cessé de s'approvisionner auprès de la société Distribution Euroland Boissons à partir de septembre 2006 tout en conservant le matériel de tirage de bière qui avait été mis à sa disposition, et que par deux courriers recommandé avec accusé de réception des 9 juillet 2007 et 17 décembre 2009, la société Distribution Euroland Boissons a vainement mis en demeure son co-contractant d'exécuter la convention signée entre les parties.
Maître de Carrière est en conséquence bien fondé en sa demande de résolution judiciaire du contrat et la décision sera confirmée de ce chef.
Aux termes de l'article 1134 alinéa 1 du Code civil, les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites.
Selon la convention conclue entre les parties, la société Phocéenne du Froid s'est engagée à restituer le matériel mis à sa disposition au cas où elle cesserait la vente exclusive et continue des bières et autres produits de son co-contractant.
La convention précise encore qu'à défaut de restitution du matériel en bon état, la société Distribution Euroland Boissons se réserve le droit de facturer ce matériel à sa valeur initiale.
Au soutien de sa demande, Maître de Carrière produit une facture du 17 décembre 2009 d'un montant de 4 286,54 euros HT soit 5 126,70 euros TTC se référant à la mise à disposition le 27 octobre 2005 du matériel pour cette même valeur correspondant à la participation à concurrence de 50 % de la valeur totale.
La société Phocéenne du Froid ne justifie pas de la restitution en bon état du matériel nonobstant son courrier du 7 janvier 2010.
Il convient en conséquence de confirmer la décision entreprise de ce chef.
La somme de 1 240 euros allouée par la décision entreprise à titre de dommages et intérêts correspond à la perte de marge brute sur deux années par suite de l'inexécution du contrat du fait de la société Phocéenne du Froid.
La décision bien appréciée sera confirmée de ce chef.
3 - Sur l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens
La société Phocéenne du Froid, qui succombe en appel, n'est pas fondée en sa demande au titre de l' article 700 du Code de procédure civile et supportera les entiers dépens de première instance et d'appel.
Il convient en équité de condamner la société Phocéenne du Froid à payer à Maître de Carrière ès qualités la somme de 1 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile pour les frais irrépétibles engagés en cause d'appel.
Par ces motifs : LA COUR, statuant contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions en ce compris les dépens, Ajoutant, Déboute la société Phocéenne du Froid de toutes ses demandes, fins et conclusion, Condamne la société Phocéenne du Froid à payer Maître de Carrière ès qualités de liquidateur de la société Distribution Euroland Boissons la somme de 1 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Phocéenne du Froid aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.