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Décisions

CA Colmar, 1re ch. civ. A, 13 mars 2013, n° 12-01256

COLMAR

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Le Rachid's Café (SARL)

Défendeur :

Brasseries Kronenbourg (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Vallens

Conseillers :

MM. Cuenot, Allard

Avocats :

Mes Boudet, Crovisier

TGI Strasbourg, du 23 janv. 2012

23 janvier 2012

Attendu que la brasserie Kronenbourg a poursuivi la SARL Le Rachid's Café en paiement d'indemnité de résiliation à la suite de la rupture d'un contrat de bière ;

Attendu que par jugement du 23 janvier 2012, le Tribunal de grande instance de Strasbourg a condamné la SARL Le Rachid's Café à payer à la société Kronenbourg une somme de 12 500 euros et ses intérêts au taux légal à compter du 16 décembre 2009, ainsi qu'une somme de 21 234,98 euros et ses intérêts au taux légal à compter du jugement ;

Qu'il a condamné également la SARL Le Rachid's Café à payer une compensation de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Attendu que la SARL Le Rachid's Café a relevé appel de ce jugement le 6 mars 2012, dans des conditions de recevabilité non contestées, en l'absence de justification de sa signification ;

Attendu qu'au soutien de son recours, la SARL Le Rachid's Café indique essentiellement qu'elle croyait être tenue pour la durée de trois ans correspondant au premier contrat, et qu'elle s'est trompée ou qu'elle a été trompée lors de la signature de l'avenant ;

Qu'elle conclut à l'annulation du contrat pour erreur ou pour dol ;

Qu'elle indique subsidiairement qu'en cas de non-réalisation des objectifs d'achat, la subvention ne doit être restituée qu'au prorata des quantités non acquises, et que la clause pénale de 20 % des quantités non acquises est manifestement excessive et doit être réduite ;

Qu'elle estime en particulier que le brasseur connaissait le caractère irréaliste des objectifs d'achat fixés, surtout dans le contexte de ralentissement de la fréquentation des débits de boissons ;

Qu'elle indique que la société Kronenbourg ne justifie pas d'une altération de la planification de sa production ainsi qu'elle le prétend, et que la clause pénale n'est qu'une mesure de rétorsion ;

Qu'elle conclut à l'infirmation du jugement entrepris et au rejet des demandes de la société Kronenbourg, et qu'elle propose subsidiairement de réduire à 1 euro les sommes dues à cette société ;

Qu'elle sollicite 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Attendu que la société Kronenbourg conclut à la confirmation du jugement entrepris, en indiquant notamment que la société Le Rachid's Café ne serait pas fondée à contester la validité d'une convention qu'elle a commencée d'exécuter ;

Qu'elle conteste subsidiairement la réalité d'un dol ou d'une erreur, et le caractère manifestement disproportionné des pénalités appliquées ;

Qu'elle demande une compensation de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Attendu que les pièces versées aux débats montrent que par contrat initial du 2 avril 2006, la SARL Le Rachid's Café s'est engagée à se fournir exclusivement en bière Kronenbourg pendant une durée de trois ans, et pour un objectif d'achat de 300 hectolitres ;

Qu'en contrepartie de cet engagement, la société Kronenbourg s'est engagée à régler une prestation financière de 12 500 euros ;

Attendu que par un avenant du 20 avril 2006, la durée du contrat a été prorogée de deux années jusqu'au 1er avril 2011, tandis que le volume à écouler a été porté à 500 hectolitres ;

Qu'en contrepartie, la brasserie s'est engagée à obtenir au bénéfice du débitant un prêt de 15 230 euros ;

Attendu que selon une attestation du distributeur convenu, la société Olivier Bertrand Distribution aux droits de la société Elidis, la SARL Le Rachid's Café a cessé de s'approvisionner en bière le 27 août 2009, et que le total des ventes était alors de 165 hectolitres ;

Attendu que malgré une sommation de la société Kronenbourg, la SARL Le Rachid's Café ne paraît pas avoir repris son approvisionnement ;

Que la société Kronenbourg lui a demandé alors la restitution de la subvention de 12 500 euros, et qu'elle a appliqué une pénalité égale à 20 % du montant de la bière non acquise ;

Attendu que le commencement d'exécution d'un contrat n'empêche naturellement pas d'en demander la nullité, et que la jurisprudence citée par la société Kronenbourg indique seulement que du point de vue de la prescription, le régime est celui de l'action prescriptible par cinq années au cas où le contrat a été exécuté ou a reçu un début d'exécution, et non celui de l'exception de nullité qui est perpétuelle ;

Qu'ainsi que l'a relevé le tribunal, la demande d'annulation présentée par la société Le Rachid's Café n'était pas prescrite ;

Attendu qu'au fond, cette succession de contrats et d'avenants à 20 jours d'intervalle paraît mal compréhensible, et qu'il est permis de se demander si elle n'avait pas pour fonction d'amener progressivement le débitant à une durée et à un objectif d'approvisionnement les plus élevés possibles ;

Attendu cependant que l'erreur, tout comme le dol, ne peuvent pas se présumer, et qu'il n'en existe pas de démonstration précise en l'espèce, alors que le libellé de l'avenant de prorogation est suffisamment clair ;

Que la cour confirme par conséquent le rejet de la demande d'annulation du contrat ;

Attendu que celui-ci ayant été rompu irrégulièrement par la société Le Rachid's Café, la société Kronenbourg est fondée en principe à en tirer les conséquences de droit ;

Attendu que le contrat prévoit la restitution des avantages perçus, mais qu'il prévoit également au cas où les objectifs d'achat ne sont pas atteints une restitution limitée au prorata des volumes non réalisés ;

Attendu que le surplus de restitution est donc constitutif d'une clause pénale à finalité dissuasive, et qu'elle est réductible dans les conditions de l'article 1152 du Code civil ;

Attendu que la convention prévoit par ailleurs une pénalité égale à 20 % du prix des quantités non acquises, et qu'il s'agit également d'une clause pénale réductible ;

Attendu que de telles clauses apparaissent en effet comme manifestement excessives au regard de deux considérations différentes ;

Attendu que d'une part, la société Kronenbourg ne s'explique pas sur la compatibilité des objectifs fixés avec les capacités d'écoulement du débit de boissons, lequel n'a pu réaliser que 165 hectolitres en trois ans sur les 300 initialement prévus ;

Que le contrat prévoyait cependant la faculté de vérifier par points annuels la bonne adéquation entre les volumes réalisés et les engagements (article 3 du contrat) ;

Attendu d'autre part qu'en l'absence de production de la bière non acquise pendant les années ultérieures, le préjudice du brasseur apparaît comme plus virtuel que réel pour ces années-là ;

Attendu qu'il justifie la réalité de son préjudice en invoquant un bouleversement de ses prévisions de production ;

Attendu cependant que la production de la société Kronenbourg étant de plusieurs millions d'hectolitres par an, le défaut d'acquisition de 335 hectolitres n'a pas d'incidence véritable au regard de prévisions globales, qui prennent naturellement en compte une moyenne statistique de contrats non exécutés ;

Que l'allégation d'un bouleversement des prévisions de production du fait du défaut d'acquisition de 335 hectolitres ne peut donc pas être sérieusement invoquée ;

Attendu qu'au regard des deux considérations précédentes, la pénalité de 20 % apparaît bien comme manifestement excessive, et que cette cour estime suffisant d'appliquer une pénalité de 5 %, et de limiter la restitution de la subvention au prorata de ce qui n'a pas été acquis ;

Attendu que ce prorata amène une restitution de 12 500 x 335/500 = 8 375 euros ;

Que les 5 % de la valeur de la bière non acquise représente 5 308,75 euros ;

Attendu que réformant par conséquent le jugement entrepris, la cour condamne la SARL Le Rachid's Café à payer les montants précédents à la société des Brasseries Kronenbourg ;

Attendu que compte tenu de l'infirmation partielle du jugement entrepris dans un sens favorable à l'appelant, la cour estime devoir limiter à 1 000 euros la compensation allouée à la société Kronenbourg sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile pour son obligation d'intenter la présente procédure ;

Que la cour met les dépens de première instance à la charge de la SARL Le Rachid's Café, mais compense les dépens d'appel ;

Par ces motifs : LA COUR, Reçoit l'appel de la SARL Le Rachid's Café contre le jugement du 23 janvier 2012 du Tribunal de grande instance de Strasbourg ; Au fond, Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a rejeté les demandes d'annulation du contrat d'approvisionnement présentées par la SARL Le Rachid's Café ; Reforme le jugement entrepris pour le surplus, et statuant à nouveau, Condamne la SARL Le Rachid's Café à payer à la société des Brasseries Kronenbourg une somme de 8 375 euros (huit mille trois cent soixante-quinze euros) et ses intérêts au taux légal à compter du 16 décembre 2009 ; La Condamne en outre à payer à la société Kronenbourg une pénalité ramenée à 5 308,75 euros (cinq mille trois cent huit euros soixante-quinze centimes) majorée de ses intérêts au taux légal à compter de l'arrêt de cette cour ; Condamne la SARL Le Rachid's Café à payer à la société des Brasseries Kronenbourg une compensation de 1 000 euros (mille euros) sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Rejette toutes autres demandes plus amples émises de part et d'autre ; Condamne la SARL Le Rachid's Café aux entiers dépens de première instance, et Laisse à chaque partie la charge de ses frais de procédure en cause d'appel.