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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 20 mars 2013, n° 11-14737

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Be Aware Tivi (SAS)

Défendeur :

Banijay Productions (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Cocchiello

Conseillers :

Mmes Luc, Pomonti

Avocats :

Mes Vignes, Ennochi, Fisselier, Hasbanian

T. com. Paris, 16e ch., du 1er juill. 20…

1 juillet 2011

FAITS ET PROCÉDURE

La société Be Aware Tivi est une filiale du groupe Be Aware Group, société créée par Sébastien Cauet qui exerce notamment une activité d'auteur, d'animateur et de producteur d'émissions de télévision.

Dans le cadre de ses activités, la société Be Aware Tivi développe des projets de programmes audiovisuels qu'elle présente aux divers responsables des chaînes de télévision en vue de leur production et de leur diffusion.

Le société Jes Pro, qui était filiale de la société Banijay Productions est une société de production spécialisée dans les émissions de télévision de divertissement.

En 2008, la société Banijay Productions s'est rapprochée de la société Be Aware Tivi en vue de son acquisition. La société Banijay Productions a délégué son président Jean-Baptiste Jouy, qui occupera un bureau au sein de la société Banijay Productions.

Les discussions entre les deux sociétés cessent au cours du printemps 2009.

Au début du mois de juillet 2009, la société Be Aware Tivi apprend que la société Jes Prod va produire à partir du mois de septembre 2009 un programme télévisé appelé "mes parents vont adorer" dont le concept s'articulerait sur un prétendu mariage d'anonymes avec une célébrité. Elle estime que c'est un des scenarii exacts du programme "le plus gros mensonge de ma vie" présenté au cours du premier trimestre 2009 à l'ensemble des participants aux réunions de programmes de Be Aware Tivi dont faisait partie Monsieur Jouy.

Estimant avoir été victime d'actes de concurrence déloyale et parasitisme, la société la société Be Aware Tivi (BAT) a, par acte du 23 février 2010 , assigné devant le Tribunal de commerce de Paris en réparation de son préjudice la société Jes Prod.

Par jugement du premier juillet 2011, le Tribunal de commerce de Paris a :

- débouté la société BAT de l'ensemble de ses demandes, l'a condamnée à payer à la société Banijay Productions la somme de 15 000 Euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et au dépens.

La société BAT a interjeté appel de cette décision le 3 août 2011.

Par conclusions du 29 février 2012 auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé plus ample des moyens, elle demande à la cour de :

- infirmer le jugement,

- condamner la société Banijay Productions à lui payer la somme de 300 000 Euros à titre de dommages-intérêts pour agissements parasitaires et de concurrence déloyale,

- prononcer l'interdiction de continuer la production de l'émission "mes parents vont t'adorer" tant en France qu'à l'étranger,

- ordonner la publication d'un communiqué judiciaire dans trois hebdomadaires de télévision,

- débouter la société Banijay Productions de sa demande reconventionnelle,

- condamner la société Banijay Productions à lui payer la somme de 15 000 Euros pour indemnité de frais irrépétibles et supporter les dépens qui seront recouvrés avec le bénéfice de l'article 699 du Code de procédure civile.

Par conclusions du 2 mai 2012 auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé plus ample des moyens, la société Banijay Productions qui vient aux droits de la société Jes Prod demande à la cour de :

- confirmer le jugement qui a débouté la société BAT de toutes ses demandes,

- infirmer le jugement qui l'a déboutée de sa demande reconventionnelle,

- condamner la société BAT à lui payer la somme de 30 000 Euros à titre de dommages-intérêts en réparation du dénigrement dont elle a été victime,

-condamner la société BAT à lui payer la somme de 20 000 Euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles et à supporter les dépens qui seront recouvrés avec le bénéfice de l'article 699 du Code de procédure civile.

SUR CE

1) Sur la demande de dommages-intérêts pour concurrence déloyale et parasitisme formée par la société Be Aware Tivi :

Considérant que la société BAT reproche à Banijay Productions des actes de parasitisme et de concurrence déloyale, dans la mesure ou l'émission "le plus gros mensonge de ma vie" qu'elle a bâtie grâce à son travail et son savoir-faire et qui repose sur un canular, a été intégralement reprise par Jes Prod dans l'émission "je suis amoureux d'une célébrité" ce qui constitue un acte de parasitisme, qu'elle explique que le projet "le plus gros mensonge de ma vie" à travers le scénario "je suis amoureux d'une célébrité" est doté de caractéristiques propres et individualisées et souligne le fait que JB Jouy qui avait connaissance de chaque étape de l'élaboration du projet et de ses différents scenarii, qui a participé à la présentation du programme "le plus gros mensonge de ma vie" aux diffuseurs n'a pas révélé que dans le même temps la société Jes Prod mettait au point un projet concurrent basé sur les mêmes principes, alors qu'un tel conflit d'intérêt impliquait qu'il n' y prenne pas part,

Considérant que la société Banijay Productions réplique en exposant que le manuscrit "le plus gros mensonge de ma vie" s'inspire largement de nombreux formats antérieurs similaires relevant du genre canular, qu'au surplus, l'émission "mes parents vont t'adorer" s'articule autour d'une mécanique, d'un genre et d'un axe différent sans que la confusion soit possible, qu'elle n'a pas eu connaissance du projet "le plus gros mensonge de ma vie", et qu'elle n'a commis aucune acte de concurrence déloyale ou parasitisme,

Considérant que l'action en concurrence déloyale qui repose sur les article 1382 et 1383 du Code civil, suppose l'établissement d'acte positifs constitutifs d'une faute dont la preuve incombe à celui qui se prétend être victime ; que le parasitisme se définit comme l'ensemble des comportements par lequel un agent économique s'immisce dans le sillage d'un autre afin de tirer profit de ses efforts et de son savoir-faire et s'approprie ainsi une valeur économique individualisée procurant un avantage concurrentiel, fruit d'une recherche et d'un travail de conception spécifique ; que la concurrence déloyale par parasitisme suppose que celui en excipant puisse démontrer d'une part que son concurrent a procédé de façon illicite à la reproduction de données qui caractérisent son entreprise par la notoriété et l'originalité s'y attachant, elles-mêmes résultant d'un travail intellectuel et d'un investissement propre, d'autre part, qu'un risque de confusion puisse en résulter dans l'esprit de la clientèle potentielle, en l'occurrence, les téléspectateurs, des émissions considérées ;

Considérant en l'espèce, que dans la présentation du projet "le plus gros mensonge de ma vie", l'émission est ainsi définie :

"Cauet propose à un anonyme de piéger ses proches pendants quarante-huit heures dans un incroyable canular. S'il y parvient et que personne ne détecte la supercherie, il remporte 15 000 Euros !", que le candidat doit alors franchir quatre étapes, c'est-à-dire tenir quatre mensonges différents et "faire durer la supercherie à travers ces quatre mensonges devant sa famille et ses proches" en provoquant en crescendo les réactions des membres de la famille, qu'il s'agit d'un jeu,

Que l'émission "mes parents vont t'adorer" est une émission de caméra cachée qui se déroule dans un temps d'un repas au cours duquel un anonyme a décidé de piéger ses parents avec la complicité d'une personnalité au travers d'une situation dans le seul but de connaître leur réaction, sans possibilité de gain,

Considérant que ces deux émissions ont, comme le relève la société BAT, des points communs, 1) le candidat anonyme va devoir présenter à ses parents son ou sa fiancée qui est une célébrité, 2 ) cette célébrité est complice et va participer à la supercherie, 3) la présentation se fait autour d'un repas filmé en caméra cachée , 4) durant le repas, la célébrité va jouer un rôle de provocateur et se révéler en décalage avec l'image que l'on peut avoir d'elle afin de choquer/déstabiliser la famille du candidat, et pour partie des caractéristiques identiques ; que le principe de l'émission : "des enfants, des parents, une star et un canular" s'y retrouve,

Considérant qu'il a été soutenu que la société Jes Prod a tiré profit de la participation de JB Jouy aux réunions au cours desquelles a été élaboré le projet du "le plus gros mensonge de ma vie" ; qu'il a été en possession des documents relatifs à chacune des étapes du projet, qu'en ne signalant pas l'existence d'un conflit manifeste d'intérêts et en laissant son dirigeant participer au projet, elle a agi fautivement,

que dans le cadre de l'aide qu'il apportait à la société BAT lorsque le projet d'achat de BAT par Banijay Productions avait cours, JB Jouy avait transmis en novembre 2008 la copie de l'émission "million pound hoax" à BAT ; qu'il a participé à plusieurs réunions de BAT dans le courant du premier trimestre 2009 au cours desquelles le projet d'émission "le plus gros mensonge de ma vie" a été élaboré, présenté aux diffuseurs, qu'il a été destinataire du document de présentation du programme contenant le scenario ; que ses courriers rapportent qu'il n' ignorait pas que la société Jes Prod travaillait sur une idée de Benjamin Castaldi ; que certes, la prudence, plus que la loyauté, aurait du l'inviter à s'abstenir de participer aux réunions de BAT; que toutefois, la probabilité que la société Jes Prod ait eu connaissance du projet et en ait tiré profit ne peut suffire alors qu'il incombe à BAT de rapporter la preuve des agissements déloyaux de Jes Prod que la seule participation de JB Jouy aux réunions ne peut traduire et qu'en l'espèce, rien, dans le dossier de la société BAT ne permet de dire que l'équipe de Jes Prod a connu le projet de BAT, a été destinataire des documents remis à Monsieur Jouy,

que l'agissement déloyal de la société Jes Prod n'est pas établi,

Considérant par ailleurs que pour être protégée du parasitisme, l'idée doit avoir certaines qualités, notamment, être extériorisée et émaner du fruit de l'imagination et d'un travail créatif de son auteur, ne pas être tombée dans le domaine public par sa vulgarisation ou sa banalité, qu'elle doit avoir une valeur économique,

qu'il est constant que plusieurs formats de ce genre avaient déjà été élaborés et ensuite diffusés, tels que "indovine chie viene a cena" en Italie en 2002, "million pound hoax" en Angleterre en 2004, et "mon incroyable fiancé" en France en 2005,

que dans l'émission italienne "indovine chie viene a cena", "un jeune homme invite ses parents à dîner chez son nouveau fiancé qui est en fait une star du show-biz" , que cette dernière est présentée sous un jour plutôt négatif et que la réaction des parents est filmée par plusieurs caméras cachées dans la maison ; que dans "million pound hoax" dont le slogan est "it's the biggest lie you ever told" (soit : c'est le plus gros mensonge que vous ayez jamais fait), le candidat joue la comédie à ses proches pendant cinq jours, les soumettant à des mensonges invraisemblables avec la complicité de comédiens, tout en étant suivi par des caméras et en gagnant pour les membres de la famille qu'il aura convaincus des vacances luxueuses ; que dans l'émission "mon incroyable fiancé", la "fiancée annonce à sa famille et à ses amis ses projets de mariage surprise en leur présentant son fiancé qui est interprété par un comédien qui va se révéler répugnant et insupportable",

qu'il apparaît que l'émission "le plus gros mensonge de ma vie" dont le titre est manifestement directement inspiré de la traduction française du slogan de l'émission anglaise "million pound hoax", présente des ressemblances importantes avec ces projets diffusés par le passé ; qu'il n' y a pas de scenario véritablement nouveau ; que le canular consistant à faire croire à la famille d'un candidat lors d'un repas organisé que ce candidat entretient une relation sentimentale avec une célébrité complice présentée sous un jour défavorable et contraire à l'image qui est donnée de lui habituellement, avait déjà été écrit ; que si, comme le soutient la société BAT, les similitudes dans les projets ne sont pas fortuites, il apparaît cependant que faute d'effort créatif et d'investissement particulier, la copie de la prestation de la société BAT n'est nullement fautive,

Considérant qu'il convient de constater que les fautes reprochées à la société Banijay Productions ne sont pas établies de sorte que la demande de la société BAT ne peut être que rejetée,

2) Sur la demande reconventionnelle de la société BNP :

Considérant que la société Banijay Productions fait état du dénigrement dont elle aurait été victime de la part de la société BAT auprès de la société NRJ 12, que toutefois, la société Banijay Productions ne fait qu'alléguer ce dénigrement,

Considérant que la société Banijay Productions fait état de ce que cette procédure serait diligentée dans le but d'essayer de l'évincer auprès des chaînes de diffusion de la TNT alors que BAT sait parfaitement que sa procédure n'a pas de chance de prospérer, que toutefois, ces éléments restent simplement allégués,

Considérant que la société Banijay Productions sera déboutée de sa demande sur ce point,

Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement, Condamne la société Be Aware Tivi à payer à la société Banijay Productions la somme de 10 000 Euros au titre de l'indemnité pour frais irrépétibles d'appel, Condamne la société Be Aware Tivi aux dépens qui seront recouvrés avec le bénéfice de l'article 699 du Code de procédure civile.