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Décisions

CA Reims, ch. civ. sect. 1, 12 mars 2013, n° 10-02890

REIMS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Pierre Richard (SCEA)

Défendeur :

AMV Diffusion (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Hascher

Conseillers :

Mme Dias Da Silva Jarry, M. Ciret

Avocats :

Mes Guillaume, Balay, SCP Delvincourt Caulier-Richard, Selarl Guyot & de Campos

TGI Reims, du 26 oct. 2010

26 octobre 2010

FAITS ET PROCEDURE

Depuis 1997, la société à responsabilité limitée (SARL) AMV Diffusion était l'agent commercial de la société civile d'exploitation agricole (SCEA) Pierre Richard, exploitant un domaine viticole et commercialisant les produits de cette exploitation sous l'appellation "Château Bel Evêque".

Par lettre recommandée avec demande d'avis de réception datée du 26 juin 2007, la SCEA Pierre Richard a notifié à la SARL AMV Diffusion son intention de résilier le contrat d'agent commercial la liant à cette dernière société, en raison de "différents manquements", constituant, selon elle, "une faute grave rendant impossible la poursuite de (leur) collaboration et justifiant l'absence d'indemnité de rupture".

Invoquant les articles L. 134-1 et L.134-12 du Code de commerce, la SARL AMV Diffusion a, par acte du 18 mars 2009 , assigné la SCEA Pierre Richard devant le tribunal de grande instance de REIMS en paiement, avec exécution provisoire, de la somme de 19 140 euro hors taxes (HT), soit 22.891,44 euro toutes taxes comprises (TTC), en réparation du préjudice qu'elle estimait avoir subi du fait de la résiliation du contrat d'agent commercial qu'elle considérait comme abusive, de celle de 2 500 euro en dommages-intérêts pour résistance injustifiée et de celle de 2 500 euro pour frais non répétibles.

La SCEA Pierre Richard s'est opposée à ces demandes, reprochant à la SARL AMV Diffusion une absence de fidélisation des clients existants et de prospection d'une nouvelle clientèle, la perte d'un gros client, Cactus/Resuma, et une baisse corrélative de son chiffre d'affaires "export", ainsi qu'une inobservation des instructions données et une atteinte à son image. Subsidiairement, faisant valoir la faible durée des relations contractuelles, le caractère intuitu personae des relations entre le mandant et son agent et l'absence de rupture brutale et de tout comportement fautif de sa part, la SCEA Pierre Richard a sollicité la limitation de l'indemnité de rupture sollicitée. Elle a réclamé l'allocation d'une indemnité de 5 000 euro pour frais non taxables.

Par jugement rendu le 26 octobre 2010, le Tribunal de grande instance de Reims, a :

- condamné la SCEA Pierre Richard à payer à la SARL AMV Diffusion la somme de 19 140 euro HT, soit 22 891,44 euro TTC,

- ordonné l'exécution provisoire de la présente décision,

- condamné la SCEA Pierre Richard à payer à la SARL AMV Diffusion la somma de 2 000 euro au titre des frais irrépétibles de l'instance,

- débouté la SCEA Pierre Richard de sa demande de ce chef,

- condamné la SCEA Pierre Richard aux dépens.

La SCEA Pierre Richard a régulièrement interjeté appel de cette décision le 16 novembre 2010.

MOYENS DES PARTIES

Par conclusions notifiées le 16 mars 2011, priant la cour de reconnaître l'existence d'une faute grave de la SARL AMV Diffusion justifiant la résiliation du contrat d'agent commercial sans indemnité, la SCEA Pierre Richard sollicite l'infirmation du jugement déféré et le rejet des prétentions de la société intimée. Subsidiairement, elle conclut à la limitation de l'indemnité au réel préjudice subi par cette dernière. Elle réclame, enfin, l'allocation d'une indemnité de 5 000 euro pour frais non recouvrables. L'appelante fait valoir que la SARL AMV Diffusion "n'a pas fidélisé la clientèle puisqu'elle a perdu un des trois clients principaux de l'époque, elle n'a pas démarché de nouveaux clients puisqu'aucun nouveau client n'a acheté (ses) produits (...) et le chiffre d'affaires a connu une baisse considérable puisqu'il a été divisé par 2,4 entre 2005 et 2006". Elle souligne, en outre, la "gestion commerciale calamiteuse" de la SARL AMV Diffusion et "les diverses plaintes des clients", qui ont "gravement porté atteinte" à son image. A titre subsidiaire, faisant observer que "c'est le 30 août 2005 que M. Boris Politi a acquis cette société auprès de M. Vergnaud" et qu'il "s'est donc écoulé une période de 22 mois entre la reprise de M. Boris Politi et la cessation effective des relations contractuelles", elle prétend qu'attribuer "24 mois d'indemnités pour 22 mois de relations n'ayant rien apporté à la société Pierre Richard n'est pas soutenable". Elle stigmatise un abus, selon elle, "manifeste lorsque M. Politi, par le biais de la société AMV, exige 24 mois de commissions en se basant sur la durée des relations contractuelles antérieures entre AMV et la société Pierre Richard, alors que ce dernier a acquis la société 22 mois avant la résiliation et que l'accord du mandant, la société Pierre Richard, n'a jamais été ni demandé ni obtenu dans le cadre de la cession de la société agent commercial". Elle ajoute que sa "lettre de rupture, loin d'être brutale, a accordé, au contraire, trois mois de préavis à la société AMV" et que "l'apport en clientèle ne s'est pas contenté d'être faible", mais "a été négatif, puisqu'un des trois clients gérés par la société AMV avait décidé de ne plus commander".

Par écritures notifiées le 20 septembre 2011, la SARL AMV Diffusion conclut à la confirmation du jugement déféré et réclame l'allocation de la somme de 2 500 euro à titre de dommages-intérêts pour résistance abusive et d'une indemnité de 2 500 euro pour frais irrépétibles d'appel. Elle soutient que "la baisse du chiffre d'affaires ne peut être considérée comme constitutive d'une faute grave". Elle souligne que le contrat d'agent commercial impose au mandataire "des obligations de moyens et non de résultat" et que "les fautes invoquées à l'encontre de l'agent commercial doivent être appréciées au regard du propre comportement du mandant". Or, elle "a dû faire un procès devant le juge des référés pour obtenir paiement des commissions qui lui étaient dues, et ce pour certaines depuis août 2006". Selon elle, en l'espèce, il existait un contexte particulier où l'agent était "livré à lui-même et non rémunéré". Elle indique produire "des courriers émanant de prospects justifiant du travail de commercialisation", mais "restés malheureusement sans suite en 2005/2006/2007 et notamment compte tenu des prix pratiqués au regard de la concurrence". Elle ajoute que l'appelante "prenait volontiers les commandes directement et, qui plus est, à des prix plus intéressants". Elle fait observer que celle-ci n'établit à son encontre "ni instructions précises données mais non respectées, ni lettre de rappel' et 'encore moins une mise en demeure". Par ailleurs, "les faits invoqués par l'appelante datent de 2005". Quant à l'indemnité de rupture, elle estime qu'il est "de mauvaise foi de la part du mandant de ne vouloir retenir que les 28 mois courant depuis la reprise d'AMV par M. Politi", alors que les relations contractuelles entre les parties remontent "à plus de 10 années avant la rupture".

L'ordonnance de clôture de l'instruction a été rendue le 23 octobre 2012.

SUR CE,

Attendu qu'il échet de rappeler que la loi n° 91-593 du 25 juin 1991 a modifié le statut des agents commerciaux prévu par le décret n° 58-1345 du 23 décembre 1958 et que son article 20 édictait que ses dispositions s'appliquaient "aux contrats conclus après son entrée en vigueur et, à compter du 1er janvier 1994, à l'ensemble des contrats en cours à cette date" ;

Que cette loi a été codifiée à droit constant par l'ordonnance n° 2000-912 du 18 septembre 2000 (articles L. 134-1 à L. 134-17 du Code de commerce), à l'exception de son article 20, à caractère transitoire, et de son article 21 relatif à l'outre-mer ;

Attendu que le premier alinéa de l'article L. 134-1 du Code de commerce dispose : "L'agent commercial est un mandataire qui, à titre de profession indépendante, sans être lié par un contrat de louage de services, est chargé, de façon permanente, de négocier et, éventuellement, de conclure des contrats de vente, d'achat, de location ou de prestation de services, au nom et pour le compte de producteurs, d'industriels, de commerçants ou d'autres agents commerciaux. Il peut être une personne physique ou une personne morale" ;

Attendu que, contrairement au régime ancien, qui soumettait l'application du statut d'agent commercial à deux conditions de forme, à savoir, que le contrat qui liait l'agent à ses mandants devait être écrit et que ce dernier devait être immatriculé au registre spécial des agents commerciaux, dans le régime actuel, ni l'écrit ni l'immatriculation de l'agent commercial au registre spécial ne sont des conditions d'application du statut d'agent commercial ;

Qu'en l'espèce, l'appelante expose, sans être contestée par l'intimée, qu'afin 'de développer la clientèle de l'exploitation à l'étranger, elle a confié, à compter de 1997", à la SARL AMV Diffusion, "dont M. André Vergnaud était le gérant, un mandat, non écrit, d'agent commercial", qu'il "était convenu que M. Vergnaud aurait pour mission de vendre à l'export les vins produits par la société Pierre Richard" et qu'il "percevrait une commission de 10 % sur chaque commande" ;

Attendu que le premier alinéa de l'article L. 134-12 du Code de commerce dispose : "En cas de cessation de ses relations avec le mandant, l'agent commercial a droit à une indemnité compensatrice en réparation du préjudice subi" ;

Qu'aux termes des dispositions de l'article L. 134-13 du même Code, la réparation prévue à l'article L. 134-12 n'est pas due dans le cas où la cessation du contrat est provoquée par la faute grave de l'agent commercial ;

Attendu que seule la faute grave, c'est-à-dire celle qui porte atteinte à la finalité commune du mandat d'intérêt commun et rend impossible le maintien du lien contractuel, est privatrice de l'indemnité compensatrice du préjudice subi en cas de cessation du contrat d'agence commerciale et qu'il appartient au mandant de rapporter la preuve d'une telle faute ;

Que la SCEA Pierre Richard soutient que la SARL AMV Diffusion doit être privée d'une indemnité de rupture de son contrat d'agent commercial aux motifs que "l'absence de démarchage effectif, les plaintes, la perte de clientèle, la baisse très importante du chiffre d'affaires, et le non respect des instructions sont révélateurs d'une absence d'exécution du contrat d'agent commercial en bon professionnel" ;

Attendu qu'indiquant que M. André Vergnaud, ancien gérant de la SARL AMV Diffusion, avait, le 30 août 2005, cédé ses parts à M. Boris Politi et que, "lors de sa reprise par M. Boris Politi, la société AMV avait en charge entre cinq et six clients, parmi lesquels trois clients, les sociétés Avec, Chais du Nord et Cactus, composaient l'immense majorité du chiffre d'affaires", l'appelante fait valoir qu'aucun de ceux-ci n'a "été démarché par M. Politi" ;

Qu'elle n'avait cependant pas contracté avec celui-ci, mais avec la SARL AMV Diffusion et qu'elle reconnaît que "la société Avec pour la Suisse" avait été démarchée par M. Vergnaud,

Attendu que, tout en reconnaissant que l'intimée lui a, sous la gérance de M. Politi, apporté "un client israélien, Swissco", la SCEA Pierre Richard prétend qu'alors "qu'elle s'était engagée à démarcher à l'export, la société AMV n'a manifestement pas prospecté comme cela avait été convenu dans les nombreux pays européens" ;

Mais attendu que, d'une part, l'appelante ne verse aux débats aucun objectif négocié avec son agent ;

Que, d'autre part, l'intimée produit six pièces (10 à 15), prouvant qu'elle a, au cours de quatre "conventions-export en 2006 et 2007", "rencontré plusieurs dizaines d'importateurs de vins issus du monde entier et présenté les vins du Château Bel Evêque", outre sa participation au Salon Vinexpo à Bordeaux du 17 au 21 juin 2007, et qu'elle a aussi proposé vainement à ses contacts commerciaux (notamment, une société californienne et deux sociétés londoniennes) la diffusion du vin de Corbières produit par la SCEA Pierre Richard, les refus à elle opposés étant tous motivés par un rapport qualité-prix défavorable au produit qu'elle était chargée de promouvoir ;

Attendu que l'appelante ne saurait sérieusement prétendre que "l'absence de l''exécution du contrat en bon professionnel est clairement révélée par la perte de l'un des trois clients principaux par la société AMV, la société luxembourgeoise Cactus/Resuma" ;

Qu'en effet, d'une part, dès le 28 juillet 2006, M. Politi écrivait au dirigeant de cette dernière, M. Bourtembourg, pour se plaindre de ce que, depuis, sa "prise de fonction à la tête d'AMV diffusion", celui-ci avait "plusieurs fois refusé de (le) rencontrer (...) malgré le partenariat ancien qui liait les deux sociétés" et de ce qu'il avait fait "pression sur (ses) mandants afin qu'ils travaillent directement avec (lui)" ;

Que, d'autre part, ce client n'a pas été perdu et sa volonté de se passer d'intermédiaire est établie, car, par courriel du 25 janvier 2008, M. Bourtembourg s'adressait ainsi à la SCEA Pierre Richard: "C'est avec beaucoup de plaisir que je prends connaissance de votre décision de stopper vos relations commerciales avec M. Politi. Dans ce cas, nous reprenons de suite nos relations avec votre société (...)" ;

Attendu que l'intimée fait, en outre, observer que la SCEA Pierre Richard encourageait elle-même certains clients à passer commande directement auprès d'elle ;

Que ceci est, en effet, corroboré par l'échange de courriels entre la gérante de ladite société, Mme Véronique Gillet, et la société Chais du Nord en dates des 20, 22 et 25 juin 2007 ainsi que par un courriel de Mme Gillet adressé à Chais du Nord le 28 février 2006 (respectivement pièces n° 15 et n° 10 de l'appelante) ;

Que l'appelante est donc malvenue à reprocher à l'intimée "l'absence de commandes des clients auprès d'AMV" ;

Attendu que la baisse du "chiffre d'affaires "export", qui est invoquée par la SCEA Pierre Richard, ne peut être considérée comme constitutive d'une faute grave, étant, par ailleurs, rappelé que l'appelante n'avait fixé aucun objectif à son agent commercial ;

Qu'en revanche, la SARL AMV Diffusion a dû attraire la SCEA Pierre Richard devant le juge des référés du Tribunal de grande instance de Reims pour obtenir, par ordonnance du 4 juin 2008 , la condamnation provisionnelle de sa mandante à lui payer la somme de 8 344,05 euro au titre de commissions restées impayées ;

Attendu, enfin, que, par des motifs pertinents que la cour adopte, après avoir exactement constaté, que les reproches concernant la gestion de stocks adressés, suivant lettre du 6 juin 2005, par la société suisse Avec (Agence Vinicole Expertises & Conseils) à la SCEA Pierre Richard caractérisaient un manque d'organisation, dont il n'était pas établi qu'il fût imputable à la SARL AMV Diffusion, les premiers juges ont décidé que la demande d'indemnité de rupture formée par l'agent commercial était fondée en l'absence de preuve d'une faute grave de ce dernier ;

Et attendu que l'indemnité prévue par l'article L. 134-12 du Code de commerce a pour fonction de réparer le préjudice subi par l'agent commercial du fait de la rupture du contrat et qu'il doit être tenu compte à cet égard de tous les éléments de la rémunération de l'agent pendant l'exécution du contrat, sans qu'il y ait lieu de distinguer si elle provient de clients préexistant à celui-ci ou au contraire apportés par l'agent ;

Qu'après avoir relevé que les relations commerciales entre la SCEA Pierre Richard et la SARL AMV Diffusion avaient duré plus de dix ans, le tribunal a justement évalué ladite indemnité à deux ans de commissions sur la base de la moyenne des trois dernières années, selon le calcul suivant: 15 145 euro HT + 5 470 euro HT + 8 095 euro HT divisé par trois et multiplié par deux, donnant 19 140 euro HT, soit 22 891,44 euro TTC ;

Que le jugement déféré est confirmé en ce qu'il a condamné la SCEA Pierre Richard à payer cette somme à AMV Diffusion ;

Attendu que cette dernière ne démontrant pas que la SCEA Pierre Richard a résisté à sa demande principale de mauvaise foi ou dans l'intention de nuire, il convient, réparant l'omission de statuer de ce chef par le tribunal, de débouter la SARL AMV Diffusion de sa demande en dommages-intérêts pour résistance abusive ;

Attendu que le tribunal a, à bon droit, condamné la SCEA Pierre Richard aux dépens et décidé de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de la SARL AMV Diffusion ;

Que, succombant à titre principal, la SCEA Pierre Richard sera condamnée aux dépens d'appel et ne saurait donc voir prospérer sa demande pour frais irrépétibles d'appel ;

Et attendu que, par son appel en définitive infondé, la SCEA Pierre Richard a contraint la SARL AMV Diffusion à exposer, pour faire défendre ses intérêts, des frais non taxables ;

Que ceux-ci ne sauraient rester à la charge de l'intimée ;

Que l'indemnité qui doit être supportée par la SCEA Pierre Richard au titre des frais non répétibles exposés par la SARL AMV Diffusion peut être équitablement fixée à la somme de 1 500 euro ;

PAR CES MOTIFS : Confirme le jugement rendu le 26 octobre 2010 par le Tribunal de grande instance de Reims en toutes ses dispositions, Y ajoutant, Déboute la SARL AMV Diffusion de sa demande en dommages-intérêts pour résistance abusive, Condamne la SCEA Pierre Richard à payer à la SARL AMV Diffusion la somme de mille cinq cents euros (1 500 euro) sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute la SCEA Pierre Richard de sa demande pour frais irrépétibles d'appel, Condamne la SCEA Pierre Richard aux dépens d'appel, avec droit de recouvrement direct en application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.