CA Grenoble, ch. com., 14 mars 2013, n° 12-04827
GRENOBLE
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Deyermendjian (Consorts), Citerpack Environment (SAS)
Défendeur :
Labaronne-Citaf (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Rolin
Conseillers :
M. Bernaud, Mme Pages
Avocats :
SCP Grimaud, Mes Dumoulin, Boulloud
Les parts sociales de la SAS Labaronne-Citaf qui conçoit et industrialise des citernes souples autoportantes en tissu polyester haute résistance avec enduction PVC pour le stockage et le transport de liquides, sont détenues par la SAS Ficil dont Messieurs Christophe et Joffret-Serge Deyermendjian sont associés ;
Ces derniers ont constitué le 17 novembre 2011 la SAS Citerpack Environment qui a pour activité la conception, la fabrication, la commercialisation de tout conteneur en tissu de synthèse et de tous ensembles ou sous-ensembles en matière plastique pour la construction ;
Se prévalant d'actes de concurrence déloyale, la société Labaronne-Citaf a, par acte en date du 18 juillet 2012, saisi le juge des référés du Tribunal de commerce de Vienne pour qu'il soit mis fin à ces actes constitutifs d'un trouble manifestement illicite ;
Par ordonnance en date du 12 octobre 2012, le juge des référés a :
- fait défense à la société Citerpack Environment et Messieurs Christophe et Joffret-Serge Deyermendjian, dans un délai de huit jours à compter de la signification de l'ordonnance, de faire usage de toutes références techniques et/ou textuelles, de tous dessins, de toutes illustrations, de toutes photographies, présents sur catalogue et /ou sur le site Internet de la société Labaronne-Citaf ayant fait l'objet du constat dressé le 5 mai 2012 sous peine d'une astreinte définitive de 1 000 euro par infraction constatée,
- ordonné la suppression par la société Citerpack Environment et Messieurs Christophe et Joffret-Serge Deyermendjian desdites informations sur le site Internet dans un délai de huit jours à compter de la signification de l'ordonnance sous peine d'une astreinte définitive de 1 000 euro par jour de retard,
- ordonné la suppression par la société Citerpack Environment et Messieurs Christophe et Joffret-Serge Deyermendjian des mentions relatives à l'existence de fausses garanties, d'une équipe de technico-commerciaux, de partenariats de distribution, de l'existence de stocks, d'un service d'étude et d'un service après-vente, d'une fabrication et d'un développement sur son propre site de production, des mentions relatives à l'obtention de certifications, des mentions concernant la composition de leur citerne souple en eau potable, de la photographie donnant une fausse image de leur local et d'une manière générale, de toute mention mensongère figurant sur leur catalogue et le site Internet dans un délai de huit jours à compter de la signification de l'ordonnance sous peine d'une astreinte définitive de 1 000 euro par jour de retard,
- rejeté la demande de publication de l'ordonnance,
- rejeté la demande de condamnation provisionnelle ;
La société Citerpack Environment et Messieurs Christophe et Joffret-Serge Deyermendjian ont relevé appel de cette décision le 23 octobre 2012 ;
Autorisés par ordonnance en date du 2 novembre 2012 du premier président, les appelants ont, par acte en date du 7 novembre 2012, fait assigner à jour fixe la société Labaronne-Citaf ;
La société Citerpack Environment et Messieurs Christophe et Joffret-Serge Deyermendjian concluent à l'annulation de l'ordonnance déférée, à sa réformation, à l'irrecevabilité des moyens de procédure de la société Labaronne-Citaf et demandent à la cour de constater qu'il n'est établi aucun trouble manifestement illicite et acte de concurrence déloyale, en conséquence de débouter la société Labaronne-Citaf de ses demandes, de confirmer l'ordonnance en ce qu'elle a rejeté la demande en paiement d'une provision et de la condamner à lui payer la somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile aux motifs :
- que le juge des référés appartenait au même club rotarien que le dirigeant de l'intimée et devait se déporter ;
- que la demande de radiation est irrecevable, seul le premier président ou le conseiller de la mise en état pouvant statuer sur une telle demande qui doit en tout état être rejetée ;
- que la demande de renvoi à la mise en état est irrecevable, la société Labaronne-Citaf n'ayant pas agi en rétractation de l'ordonnance devant le premier président ;
- que la copie servile ne peut constituer un acte de concurrence déloyale si aucun risque majeur de confusion n'existe ;
- que les photographies de son catalogue ne sont pas des copies serviles de celles du catalogue de l'intimé et la preuve que les citernes photographiées sont celles de cette dernière n'est pas rapportée ;
- que les intitulés des catégories et gammes découlent du produit lui-même et sont communément utilisés tout comme les codes couleurs ;
- que les termes utilisés pour le mémo technique sont génériques et descriptifs et non spécifiques à la société Labaronne-Citaf qui n'a pas le monopole du système de captage des eaux de pluie par impluvium ;
- qu'il en est de même des dimensions, volumes et poids des produits ;
- que leur qualité d'associés de la société Ficil ne suffit pas à caractériser la faute qui leur est reprochée ;
- que la photo illustrant le catalogue est celle correspondant au projet d'extension, ce qui ne revêt pas un caractère mensonger ;
- qu'elle justifiait d'une activité et du recrutement en cours d'une équipe de technico-commerciaux au jour où le premier juge a statué ;
- qu'elle n'affirme pas avoir obtenu une certification, ni avoir participé aux salons figurant sur son site ;
- que les tissus viennent de fournisseurs garantissant le respect des normes dont il est fait état ;
- que le trouble manifestement illicite n'est pas démontré à défaut de preuve de la concurrence déloyale et de la publicité mensongère alléguées ;
- que la demande de provision se heurte à une contestation sérieuse alors même que la preuve d'un manque à gagner n'est pas rapportée ;
La société Labaronne-Citaf conclut au renvoi de la cause à la mise en état, au rejet de l'exception de nullité, à la confirmation de l'ordonnance déférée et à la condamnation solidaire des appelants à lui payer la somme de 5 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile aux motifs :
- qu'il n'existait aucun péril justifiant la tenue d'une audience à jour fixe ;
- que la cause de nullité invoquée qui repose sur une appartenance au Rotary club dans les années 2005 et 2006 n'est pas fondée et ce d'autant qu'elle n'a jamais bénéficié d'une partialité de la part du juge des référés ;
- que la copie servile ou quasi servile du catalogue d'un concurrent constitue un acte illicite de parasitisme ;
- que la société Citerpack Environment a servilement copié son catalogue et son site Internet utilisant des photographies lui appartenant,se limitant à inverser les prises de vues ce qui crée inévitablement une confusion à la fois sur les produits et sur leur provenance et participe des manœuvres déloyales ;
- qu'elle a également repris les intitulés des catégories et des gammes ainsi que les couleurs suivant lesquelles elles sont répertoriées, peu important qu'elle ne détienne aucun droit spécifique sur ces déclinaisons ;
- que l'appelant a repris son mémo technique, ses dessins techniques et ses illustrations ainsi que son concept exclusif de l'impluvium ;
- qu'enfin les caractéristiques des citernes sont les mêmes tant en nombre de produits par gamme, qu'en dimensions volumes et poids ;
- que le fait de recourir à une publicité fausse ou de nature à induire en erreur constitue un cas de désorganisation par détournement de clientèle et une campagne de publicité peut ainsi causer à un concurrent un trouble manifestement illicite ;
- que le catalogue et le site Internet de la société Citerpack Environment font mention de fausses informations relevées dans un PV de constat du 5 mai 2012 ;
- qu'ainsi, la photographie de l'immeuble figurant sur le catalogue et le site Internet ne correspond pas aux locaux de la société Citerpack Environment qui ne dispose pas d'une équipe de technico-commerciaux, de partenariat avec des distributeurs, de stocks et ne participe pas aux salons mentionnés sur son site ;
- qu'aucune fabrication ni développement ne sont faits dans les locaux de la société Citerpack Environment qui ne dispose d'aucune certification ni de service d'études ;
- que les garanties dont il est fait état sont inexistantes et le consommateur est également trompé sur la nature et la composition des produits mis en vente, les tissus utilisés, qui sont en provenance de Chine, ne répondant pas aux exigences des normes d'attestation de conformité sanitaire ;
- qu'ainsi, le consommateur est trompé sur l'existence, la disponibilité des produits, sur les labels de qualité, les tests et contrôles effectués, sur les qualités substantielles des produits et leur composition ;
Motifs de l'arret
Sur la procédure et la nullité de l'ordonnance déférée
Attendu que l'ordonnance du premier président autorisant à assigner à jour fixe est une mesure d'administration judiciaire insusceptible de recours ;
Que la demande de renvoi à la mise en état n'est pas justifiée alors que l'intimée a bénéficié d'un délai suffisant pour conclure après renvoi à une audience ultérieure pour lui permettre de conclure sur le moyen de procédure soulevé par les appelants la veille de l'audience ;
Attendu que l'appartenance au Rotary club du juge des référés et du président de la société Labaronne-Citaf durant l'année 2005 2006, ne permet pas de douter objectivement de l'impartialité du président du tribunal de commerce au sens de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'Homme ;
Que par conséquent il n'y a pas lieu de prononce la nullité de l'ordonnance déférée ;
Sur la reproduction servile
Attendu que les photos utilisées par la société Citerpack Environment pour illustrer les gammes eaux usées et effluents agricoles tant dans son catalogue que sur son site Internet sont, hormis leur orientation, identiques à celles qui illustrent les mêmes gammes sur le site de la société Labaronne-Citaf ;
Que les citernes sont implantées dans le même environnement et pour l'une des photos, la tache blanche au niveau des arbres est même reproduite ;
Attendu que les caractéristiques des produits et principalement leurs dimensions et volumes ne sont pas spécifiques à la société Labaronne-Citaf et pour nombre des citernes sont identiques chez tous les fabricants ;
Que les intitulés des gammes par la société Citerpack Environment sont identiques à ceux utilisés par la société Labaronne-Citaf ainsi que les codes couleurs qui n'ont toutefois aucune originalité et sont communément admis ;
Que le mémo technique de pose figurant au catalogue de la société Citerpack Environment est une copie servile de celui de la société Labaronne-Citaf, soit quatre étapes décrites avec les mêmes mots et principalement l'étape finale en forme de slogan " c'est posé " ;
Que les schémas techniques sont également des copies de ceux utilisés par l'intimée ;
Attendu que par l'ordre des présentations des gammes des produits, l'utilisation des photos de la société Labaronne-Citaf, les similitudes relevées qui bien que portant sur des éléments peu spécifiques présentent un caractère systématique, le rythme et le visuel, le site Internet et le catalogue 2012 de la société Citerpack Environment sont une copie servile du site et du catalogue de la société Labaronne-Citaf édité en octobre 2011 dont les éléments essentiels sont repris ;
Que cette appropriation du travail réalisé par la société Labaronne-Citaf constitue un acte de parasitisme de la société Citerpack Environment et caractérise ainsi un trouble manifestement illicite ;
Que l'ordonnance déférée sera confirmée sur ce point sauf à dire que l'astreinte sera provisoire et d'un montant de 500 euro par infraction constatée ;
Sur la publicité mensongère
Attendu que la société Citerpack Environment verse aux débats des factures de travaux, d'achat de machines et de tissus et un procès-verbal de constat dressé le 23 juillet 2012 qui démontrent, qu'à la date de l'ordonnance déférée, elle disposait de locaux et de matériels nécessaires à la fabrication ;
Que si ses locaux ne sont pas exactement conformes à la photographie de son site Internet, cette différence, sans lien direct avec le produit vendu, n'est pas de nature à altérer de manière substantielle le comportement économique du consommateur ;
Qu'il en est de même de l'indication d'une équipe de technico-commerciaux sur toute la France et à l'étranger (...) alors que la société Citerpack Environment produit 2 contrats de travail et allègue, sans démonstration contraire par la société Labaronne-Citaf de l'existence de conventions de partenariat ;
Que la liste des salons sur le site Internet de la société Citerpack Environment qui n'affirme pas y avoir participé ne peut pas plus être qualifiée de publicité mensongère ;
Attendu que la société Citerpack Environment indique sur son catalogue être en cours pour la certification ISO 9001:2008 et disposer d'un service d'études et de conseil ;
Que l'intimée, qui est en charge de la preuve, ne démontre pas le caractère mensonger de ces affirmations alors que l'appelante n'a pas prétendu détenir une certification et qu'un consommateur moyen est en aptitude de faire la nuance ;
Qu'elle ne démontre pas plus que les tissus des citernes souples eau potable proviennent de Chine ainsi qu'elle le soutient sans produire aucun document en ce sens et n'est pas homologué ACS ;
Attendu que les affirmations et indications de la société Citerpack Environment sur son catalogue et sur son site Internet ne sont pas de nature à altérer de manière substantielle le comportement d'un consommateur moyen par rapport au produit et compromettre son aptitude à prendre une décision en connaissance de cause et ne peuvent dès lors être qualifiées de pratiques commerciales trompeuses ;
Que l'ordonnance déférée sera infirmée et la société Labaronne-Citaf déboutée de sa demande de ce chef ;
Attendu que l'équité ne commande pas qu'il soit fait application de l'article 700 du Code de procédure civile en faveur des parties ;
Par ces motifs : LA COUR, Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile et après en avoir délibéré conformément à la loi, Déboute la société Labaronne-Citaf de sa demande de renvoi à la mise en état, Dire n'y avoir lieu à nullité de l'ordonnance déférée, Confirme l'ordonnance déférée en ce qu'elle a fait défense à la société Citerpack Environment et Messieurs Christophe et Joffret-Serge Deyermendjian d'utiliser toutes références techniques (...) sur son catalogue et site internet et ordonner la suppression des dites mentions sauf en ce qui concerne l'astreinte qui sera provisoire et de 500 euro par infraction supprimée, L'infirme pour le surplus et statuant à nouveau, Déboute la société Labaronne-Citaf de sa demande relative à la publicité mensongère, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Citerpack Environment et Messieurs Christophe et Joffret-Serge Deyermendjian aux dépens.