CA Angers, ch. com. A, 26 mars 2013, n° 11-02802
ANGERS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Béasse, Abaca (SARL), Leca (ès qual.)
Défendeur :
Daniel Moquet Signe vos allées (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Rauline
Conseillers :
Mmes Van Gampelaere, Monge
Avocats :
SCP Chatteleyn, George, Mes Langlois, Delmonte, Marin, Feschet
Exposé du litige
Le 16 juin 2006, Monsieur Jack Béasse a signé un contrat de franchise avec la société Daniel Moquet Signe vos allées qui développe un concept d'aménagement paysagé des allées des maisons individuelles. Le 12 septembre suivant, il a créé avec son épouse la société Abaca pour exploiter le contrat de franchise à Flayosc (Var).
Par un courrier du 25 février 2008, le conseil de la société Abaca a informé la société Daniel Moquet Signe vos allées de sa volonté de mettre fin au contrat de franchise pour non-respect de ses obligations contractuelles par cette dernière.
Par acte d'huissier en date du 3 juin 2009, la société Abaca et Monsieur Béasse ont fait assigner la société Daniel Moquet Signe vos allées devant le Tribunal de commerce de Toulon pour voir prononcer la nullité du contrat et l'entendre condamner à payer, à la société Abaca, 253 401,40 , à Monsieur Béasse, 100 000 à titre de dommages-intérêts, et une indemnité de procédure. Ils lui reprochaient une information pré-contractuelle insuffisante, notamment l'absence d'étude du marché local, une absence de savoir-faire et de distributeur dans le Var d'un enrobé rouge perméable qui est le produit-phare du franchiseur ainsi qu'une assistance et une animation insuffisantes du réseau.
Le 18 février 2010, le Tribunal de Toulon s'est déclaré territorialement incompétent au profit du Tribunal de commerce de Laval.
Devant cette juridiction, la société Daniel Moquet Signe vos allées a conclu au débouté et sollicité à titre reconventionnel la condamnation de la société Abaca à lui payer la somme de 81 933,28 au titre du solde du droit d'entrée et des redevances 2008 et 2009 et qu'il soit enjoint à cette dernière, sous astreinte, de communiquer son chiffre d'affaires mensuel certifié par un expert-comptable depuis le 1er janvier 2010.
Par un jugement du 19 octobre 2011 assorti de l'exécution provisoire, le tribunal a :
- débouté Monsieur Béasse et la société Abaca de l'ensemble de leurs demandes,
- condamné la société Abaca à payer à la société Daniel Moquet Signe vos allées la somme de 81 933,28 avec intérêts au taux légal à compter de la signification du jugement,
- débouté cette dernière de sa demande tendant à la communication du chiffre d'affaires mensuel de la société Abaca pour l'année 2010,
- condamné Monsieur Béasse et la société Abaca à payer 3 000 en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.
Monsieur Béasse et la société Abaca ont interjeté appel de cette décision le 16 novembre 2011.
Par une ordonnance du 25 janvier 2012, le premier président a rejeté la demande d'arrêt de l'exécution provisoire.
Les parties ont conclu. La société Abaca ayant été placée en redressement judiciaire le 7 mars 2012, maître Leca, mandataire judiciaire, est intervenu volontairement en cause d'appel.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 9 janvier 2013.
Prétentions et moyens des parties
Dans leurs dernières conclusions en date du 7 janvier 2013, Monsieur Jack Béasse et la société Abaca demandent à la cour de donner acte à maître Leca de son intervention volontaire en qualité de mandataire judiciaire de la société Abaca, d'infirmer le jugement, de prononcer la nullité du contrat de franchise, de condamner la société Daniel Moquet Signe vos allées à payer à la société Abaca 253 401,40 et à Monsieur Béasse, 100 000 à titre de dommages-intérêts, les deux sommes avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation et anatocisme, de la débouter de sa demande reconventionnelle, subsidiairement, d'opérer la compensation entre les créances réciproques des parties, en tout état de cause, de condamner la société Abaca à leur payer 15 000 en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens d'appel.
Dans ses dernières conclusions en date du 7 novembre 2012, la société Daniel Moquet Signe vos allées demande à la cour de débouter Monsieur Béasse et la société Abaca de leur appel, de confirmer le jugement déféré en son principe, de condamner la société Abaca, tout au moins, d'inscrire à son passif la somme de 122 773,90 au titre de l'exécution du contrat de franchise, et de les condamner solidairement à lui payer 3 500 en application de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens.
Motifs
Il sera donné acte à Maître Leca de son intervention volontaire en qualité de mandataire judiciaire au redressement judiciaire de la société Abaca.
Le 20 avril 2012, la société Daniel Moquet Signe vos allées a déclaré une créance de 130 118,54 au passif de la société Abaca. L'instance a donc été valablement reprise.
I. Sur les demandes des appelants
Les appelants sollicitent la nullité du contrat de franchise sur le fondement du dol et de l'absence de cause en invoquant les griefs suivants :
- des informations pré-contractuelles incomplètes et mensongères n'ayant pas permis à Monsieur Béasse de s'engager en connaissance de cause,
- une absence de savoir-faire secret, substantiel et identifié du franchiseur, celui qui a été transmis étant dénué d'originalité,
- un défaut de distribution dans le département du Var de l'enrobé rouge dont la pose était la seule spécificité du contrat de franchise,
- un non-respect de l'obligation d'assistance. Seuls les trois premiers griefs sont un motif d'annulation du contrat pour vice du consentement, le dernier constituant une inexécution du contrat justifiant, s'il était fondé, une résolution judiciaire sur le fondement de l'article 1184 du Code civil.
1°) Sur l'annulation du contrat de franchise
1.1. Sur le dol
Les appelants font valoir tout d'abord que Monsieur Béasse ne s'est pas engagé en connaissance de cause car le document d'information pré-contractuelle (DIP) ne contenait aucune étude du marché local et les documents comptables financiers fournis étaient ceux de l'entreprise Daniel Moquet et de la société Pauline Moquet, lesquels ne pouvaient lui servir de référence car il s'installait dans une autre partie de la France.
C'est à bon droit que le tribunal a écarté ce grief en rappelant que les articles L. 330-1 et R. 330-1 du Code de commerce n'imposent pas au franchiseur de mettre à la disposition du franchisé une étude du marché local et ne prévoient pas davantage l'établissement d'un budget prévisionnel, lequel est de la responsabilité du franchisé, sauf convention contraire.
Les comptes des deux sites pilotes n'étaient pas de nature à tromper Jack Béasse sur les perspectives d'exploitation de la franchise. Le tribunal a également pertinemment retenu que les annotations portées sur le projet de contrat de franchise annexé au DIP remis à Monsieur Béasse le 25 janvier 2006 montrent que ce dernier a bien négocié les conditions financières du contrat. Il n'était donc pas le novice qu'il prétend être en matière financière.
En conséquence, aucune information incomplète ou insincère n'est démontrée.
Les appelants invoquent également l'absence de distributeur de l'enrobé rouge perméable dans le Var. Ils reprochent à l'intimée d'avoir exigé l'exclusivité d'approvisionnement alors qu'il est apparu que le distributeur de l'enrobé rouge le plus proche était très éloigné (à Blois), ce qui a généré pour la société des surcoûts de 25 % pour se faire livrer et entravé son développement dans la mesure où il s'agissait d'un produit déterminant de sa croissance.
La spécificité de la franchise Daniel Moquet Signe vos allées est l'aménagement des allées dans l'habitat individuel et, notamment, la pose de revêtements de sol, dont un enrobé rouge perméable dénommé Stardraine. La comparaison entre le projet de contrat de franchise annoté et le contrat tel qu'il a été signé en juin 2006 fait apparaître que la question des fournisseurs ne lui avait pas échappé puisque ses propositions d'amendement ont été reprises aux articles 4.4 (intitulé "le mix produits") : "il n'existe pas de référencement au jour de la signature" et 6.2 (relatif aux exclusivités liées au contrat) : "au jour de la signature, aucuns produits n'étant référencés par Daniel Moquet, le franchisé doit, avec l'aide et le soutien du franchiseur, trouver une source d'approvisionnement".
C'est donc en toute connaissance de cause de l'absence de distributeur agréé à proximité du lieu d'exploitation de la franchise que Monsieur Béasse s'est engagé. Les appelants ne peuvent prétendre avoir découvert cette situation en cours de contrat et en inférer son annulation pour tromperie.
Le moyen pris du dol sera donc écarté.
1.2. Sur l'absence de cause
Après avoir rappelé que la franchise repose sur le savoir-faire du franchiseur, défini par le Code de déontologie européen comme "secret, substantiel et identifié", les appelants soutiennent que le savoir-faire de Daniel Moquet ne comporte aucune originalité, qu'aucune technique de vente n'a été fournie correspondant à une méthode non accessible facilement dans le public, que le contrat n'est qu'un traité de pratique commercial, que le franchiseur n'a pas éprouvé les techniques, produits et méthodes avec des filiales avant de créer la franchise, que l'enseigne n'aurait pas de renommée particulière et n'aurait conféré aucun avantage concurrentiel à la société Abaca, qu'aucun produit référencé n'existait au moment de la signature du contrat.
L'intimée expose dans la première partie du contrat de franchise comment son créateur, Daniel Moquet, a été conduit en 2004 à développer un réseau de franchise sous l'enseigne Daniel Moquet Signe vos allées après avoir expérimenté deux entreprises pilotes, la sienne depuis 1985 et celle de sa fille depuis 2003, de sorte que Monsieur Béasse savait lorsqu'il a contracté qu'il faisait partie des premiers franchisés. La faible notoriété du réseau ne saurait être prise en compte, sauf à empêcher tout développement de franchise.
Les conditions dans lesquelles Monsieur Béasse a fait insérer la stipulation contractuelle (l'article 6.2) que les appelants tournent en dérision viennent d'être examinées et n'ont aucun lien avec l'historique de la création de la franchise.
Monsieur Béasse a suivi une formation en 2007 (25 jours selon le contrat de franchise). L'intimée déclare sans être démentie lui avoir remis à cette occasion le manuel opératoire versé aux débats et qui porte sur les différents aspects du métier.
Selon les appelants, ce savoir-faire ne serait pas original. Cependant, dépourvu de toute formation et de toute expérience dans le secteur des allées paysagées, Monsieur Béasse a pu bénéficier dès le démarrage de son activité de la marque et des procédés développés par l'intimée, ce qui lui a épargné de tâtonner, comme c'est le cas pour toute personne qui se lance dans une nouvelle activité professionnelle. Comme le fait observer le tribunal, la société Abaca a réalisé dès le premier exercice un chiffre d'affaires de 500 000 , légèrement supérieur à celui de la société Janvier créée en Loire-Atlantique en octobre 2005, ce qui dénote l'efficience du concept. Elle ne peut dès lors soutenir que l'enseigne ne lui a apporté aucun avantage.
Comme le fait remarquer l'intimée, la valeur du concept est également confirmée par la progression très rapide du réseau qui compte plus de 70 franchisés à la date du présent arrêt, un seul, selon elle, ayant déposé le bilan, outre la société Abaca, ainsi que par l'attribution au franchiseur d'une récompense par la fédération française de la franchise en mai 2011 et de deux récompenses à ses franchisés dans le cadre du concours des "Meilleurs franchisés de France" organisé par un organisme européen, l'Iref, en 2009 et en 2012.
Le tribunal doit donc être approuvé pour avoir jugé que ce moyen n'était pas davantage fondé.
2°) Sur la résolution du contrat
Ainsi que cela a été dit plus haut, le non-respect par l'intimée de son obligation contractuelle d'assistance serait, sous réserve qu'il soit établi, de nature à emporter la résolution du contrat, non son annulation, la cour devant, en application de l'article 12 du Code de procédure civile, redonner aux prétentions des parties leur juste qualification. Il convient de rappeler que le manquement doit être d'une gravité suffisante pour justifier la remise des parties dans l'état où elles se trouvaient avant la signature du contrat.
Les appelants procèdent par affirmations péremptoires concernant le défaut d'assistance et d'animation du réseau.
Leurs allégations sont démenties par les pièces de l'intimée qui démontrent l'assistance au démarrage de l'activité en décembre 2006, janvier et février 2007, à savoir l'intervention d'un représentant de l'intimée pendant trois semaines, des visites régulières courant 2007 et jusqu'en juillet 2008, lesquelles étaient suivies de comptes-rendus dans lesquels Daniel Moquet évoquait les points forts et les points faibles de la société Abaca et lui donnait des conseils et par l'organisation de deux réunions des franchisés en avril et octobre 2007.
Les appelants font état d'une absence de mise à disposition d'un "logiciel spécifique" mais la seule référence à un logiciel dans le contrat concerne le logiciel de gestion et il est indiqué qu'il est de la responsabilité du franchisé, là encore sur amendement de Monsieur Béasse.
La seule critique fondée au regard de ces pièces est l'absence de mise en place de réunions nationales de concertation et de réflexion au plan national lorsque le réseau aurait dépassé 30 franchisés mais elle est minime par rapport aux autres obligations du franchiseur et ne peut en aucun cas justifier la résolution du contrat.
Aucune inexécution grave du franchiseur n'est donc établie.
Le jugement sera dès lors confirmé en ce qu'il a débouté les appelants de toutes leurs prétentions, ces derniers étant également déboutés de leur demande d'indemnité au titre de leurs frais irrépétibles en cause d'appel.
II. Sur les demandes reconventionnelles de l'intimée
La société Abaca ayant été placée en redressement judiciaire, le jugement qui l'a condamnée doit être infirmé.
Les appelants critiquent la disposition du jugement qui a dit que la société Abaca était redevable de la somme de 81 933,28 au titre du solde du droit d'entrée (31 795,76 ) et des redevances impayées 2008 (24 348,29 TTC) et 2009 (25 789,23 TTC) au motif que cette dernière ne démontrerait pas qu'elle a continué à exploiter le contrat.
Cependant, le contrat a été prévu pour une durée de sept ans expirant en juin 2013. Il n'a été ni annulé ni résolu judiciairement. Dès lors, à défaut de résiliation amiable, les redevances continuent d'être dues au franchiseur, étant précisé que la société Abaca a sollicité l'annulation du contrat mais n'a formulé aucune demande subsidiaire de résiliation. Dans ces conditions, elle doit payer les redevances.
L'intimée actualise sa demande à 122 773,90 , soit une somme complémentaire de 40 840,60 au titre des années 2010 et 2011 fondées sur des chiffres d'affaires de 434 800 et de 331 765 .
Cette somme, dont le détail est conforme au mode de calcul prévu par l'article 7.2 du contrat, soit 5 % du chiffres d'affaires HT s'il est inférieur à 500 000 , n'est pas critiquée et sera fixée au passif du redressement de la société Abaca.
Les dispositions du jugement qui ont alloué à la société Daniel Moquet Signe vos allées une indemnité de procédure de 3 000 et qui ont condamné la société Abaca aux dépens seront infirmées, ces sommes étant fixées au passif du redressement. Il sera accordé à l'intimée une indemnité complémentaire de 3 000 .
Succombant en ses prétentions, Monsieur Béasse et la société Abaca assistée de son mandataire seront condamnés aux dépens d'appel.
Par ces motifs : Statuant publiquement et contradictoirement : Donne acte à Maître Leca de son intervention volontaire à l'instance d'appel en qualité de mandataire judiciaire au redressement judiciaire de la société Abaca et Constate que l'instance a été valablement reprise, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté la société Abaca et Monsieur Béasse de toutes leurs demandes, L'infirme pour le surplus, Fixe au passif du redressement judiciaire de la société Abaca, à titre chirographaire, les créances suivantes : - 122 773,90 au titre du solde du droit d'entrée et des redevances impayées 2008 à 2011, - 3 000 au titre des frais irrépétibles de première instance et 3 000 au titre de ceux d'appel, - les dépens de première instance, Condamne Monsieur Jack Béasse et la société Abaca assistée de son mandataire aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.