CA Rouen, ch. civ. et com., 21 mars 2013, n° 12-01868
ROUEN
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
BDP International (SAS)
Défendeur :
Dufour PL (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Farina
Conseillers :
Mmes Prudhomme, Bertoux
Avocats :
Mes Bart, Thierache, Chaudesaigues, Leclerc
EXPOSE DU LITIGE
Par lettre recommandée datée du 25 janvier 2012 adressée à la société BDP, commissionnaire de transport, la société Dufour PL, qui exerce une activité de tractionnaire, a, par l'intermédiaire de son conseil, dénoncé la rupture brutale même partielle d'une relation commerciale établie, sans le respect d'un préavis suffisant, sollicitant, soit la reprise sous astreinte des commandes dont elle bénéficiait auparavant, soit l'indemnisation de son préjudice.
Autorisée par une ordonnance du 14 février 2012 du président du Tribunal de commerce du Havre, la société Dufour PL a fait assigner à jour fixe la société BDP International en réparation de son préjudice.
Par jugement du 23 mars 2012, le Tribunal de commerce du Havre a :
- condamné la société BDP International à payer à la société Dufour PL la somme de 19 500 euro à titre de dommages et intérêts,
- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement,
- débouté les parties de leurs autres ou plus amples demandes,
- condamné la société BDP International aux entiers dépens,
- condamné la société BDP International à payer à la société Dufour PL la somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Pour statuer comme il l'a fait, le tribunal a retenu la rupture brutale des relations commerciales entre la société Dufour PL et la société BDP International imputable à cette dernière, retenant qu'elle n'avait pas respecté les dispositions du contrat-type applicable aux transports publics routiers de marchandises, en l'absence de contrat entre elle et la société Dufour PL, à savoir le respect d'un préavis de 3 mois qu'imposait la durée desdites relations, et qu'elle ne fournissait aucun élément tangible permettant de contester le pourcentage de 13 % de marge brute réalisé sur la société BDP International par la société Dufour PL.
La SAS BDP International a interjeté appel de cette décision.
Dans ses dernières conclusions du 13 juillet 2012, auxquelles il est fait expressément référence pour l'exposé des faits, moyens et prétentions soulevés, la SAS BDP International conclut à l'infirmation du jugement, en conséquence au débouté de la société Dufour PL de ses demandes, à titre infiniment subsidiaire à la réduction de l'indemnisation accordée à la société Dufour PL dans son montant, en tout état de cause, à la condamnation de la société Dufour PL à lui payer une somme de 4 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, entiers dépens en sus.
A l'appui de son appel, la société BDP International soutient que l'article L. 442-6-I 5e du Code de commerce invoqué par la société Dufour PL à l'appui de ses demandes, n'est pas applicable en l'espèce, contestant le caractère établi de la relation commerciale entre ces deux sociétés au sens dudit article, et imputant sa rupture à la société Dufour qui a décidé de son propre chef d'y mettre un terme.
A titre subsidiaire, au soutien de sa demande en réduction du montant de l'indemnisation du préjudice, la société BDP International fait valoir l'absence de justification du montant du chiffre d'affaires mensuel moyen réalisé par la société Dufour PL à hauteur de 50 000 euro, le caractère excessif de durée du préavis de trois mois retenue au regard du caractère récent des relations contractuelles, le taux de marge brute d'exploitation des entreprises de transport routier qui, selon l'étude réalisée par la Banque de France sur la filière logistique en Haute Normandie, ne dépasse pas 4 %.
Par ordonnance en date du 10 janvier 2013, le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevables les conclusions notifiées les 18 septembre 2012 et 30 octobre 2012 par la société Dufour PL ainsi que les pièces communiquées selon bordereaux remis les 26 septembre 2012 et 30 octobre 2012.
La clôture des débats a été prononcée le 24 janvier 2013.
SUR CE
L'article L. 442-6 I 5e du Code de commerce dispose qu'' I.- Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers :
(...)
5° De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. (...) A défaut de tels accords, des arrêtés du ministre chargé de l'Economie peuvent, pour chaque catégorie de produits, fixer, en tenant compte des usages du commerce, un délai minimum de préavis et encadrer les conditions de rupture des relations commerciales, notamment en fonction de leur durée. Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. (...).
- Sur l'application de l'article L. 442-6 I 5e du Code de commerce à la relation commerciale
La société BDP Internationale explique que les commandes fermes qu'elle passait à la société Dufour PL ainsi qu'à d'autres tractionnaires, étaient fonction des commandes qu'elle-même recevait, qu'elle s'est toujours astreinte à respecter un certain équilibre entre ses sous-traitants dans la répartition des transports, qu'avant même le commencement de leur relation, elle avait avisé la société Dufour PL que sa proposition était sans exclusivité ou engagement de volume.
La société BDP International admet toutefois qu'elle a commencé à avoir recours à compter du mois de mars 2010 à la société Dufour PL, à qui elle confiait des tractions concernant une partie des trafics import traités pour le compte de ses clients Cray Valley et Lanxess ainsi qu'une part des trafics export gérés pour le compte de la branche lubrifiant de son client Exxon, et ne conteste pas sérieusement que cette activité représentait environ 25 % du chiffre d'affaires total de la société tractionnaire pour l'exercice 2011, ce qui est d'ailleurs établi par l'attestation de l'expert-comptable de la société Dufour PL, M. Journo, en date du 13 février 2012, de sorte qu'il est indéniable que, même en l'absence de garantie d'exclusivité et de chiffre d'affaires accordée à la société Dufour PL, des relations commerciales régulières se sont néanmoins instaurées entre ces deux sociétés pendant près de 22 mois qui permettaient à la société Dufour PL de réaliser environ un quart de son chiffre d'affaires, lorsqu'elles ont cessé en janvier 2012.
Dans ces conditions, la société Dufour PL est fondée à se prévaloir d'une relation commerciale établie au sens de l'article L. 442-6 I 5e du Code de commerce.
Pour la société BDP International, la rupture des relations est imputable à la société Dufour PL et en veut pour preuve l'échange de courriels entre elles au cours du mois de janvier 2012, qu'elle verse aux débats.
Selon cet échange, par courriers des 16 et 27 décembre 2011, la société BDP International (Caroline Podolec employée) a avisé les 16 décembre et 27 décembre 2011 la société Dufour PL de "prévisions import d'arrivées sur décembre et janvier (...) à confirmer", entre le 2 janvier et 22 janvier 2012; par courriel du 28 décembre 2011 à 11 h 09 elle l'a avisée d'un changement pour les 7 et 8 janvier 2012 et annoncé 40 conteneurs; par courriel du 3 janvier 2012 à 15 h 16, de BDP à Dufour, un planning est demandé pour 40 TC au total pour la semaine 2, puis à 15 h 57 pour finalement 24 conteneurs.
Si en décembre 2011, il n'était question que de prévision d'import d'arrivées sur décembre et janvier, et non de commandes fermes de transports, dans la mesure où le 3 janvier 2012 un planning est demandé par la société BDP International à la société Dufour PL, pour 40 conteneurs, il s'agit d'un préavis de commandes de l'agence BDP International du Havre comme l'indiquait justement M. Dufour dans son courriel du 10 janvier 2012 à Thierry Seutin.
Dans ce mail du 10 janvier 2012, M. Dufour évoquait par ailleurs l'information qui lui aurait été donnée par Caroline Podolec, le 3 janvier 2012, selon laquelle 16 tractions étaient annulées avant qu'on ne lui indique que les 21 conteneurs annoncés ne lui seraient pas confiés mais à un autre transporteur et que s'il devait avoir des explications, il devait contacter Marie-Laure (Marie-Laure Latter, responsable de l'agence BDP du Havre).
Dans un mail du lendemain, M. Dufour a informé M. Seutin que contact pris avec ses divers interlocuteurs au sein de cette agence, ces derniers ont reçu pour instructions de cette dernière de stopper toute coopération avec la société Dufour, à l'exception d'un seul trafic d'huile Exxon, que selon l'ensemble du personnel elle serait seule juge en la matière et pas M. Seutin, et qu'il souhaiterait connaître sa position sur cet arrêt brutal de collaboration.
Il s'agit certes d'une affirmation de sa part, sans que la preuve en soit rapportée par lui, comme le remarque la société BDP International ; force est toutefois de constater que M. Seutin, dans son mail en réponse du 12 janvier 2012 à 16 h 42 n'apporte aucun démenti et ne confirme pas à M. Dufour qu'il entend poursuivre la relation commerciale avec sa société, souhaitant simplement s'entretenir du dossier avec cette responsable, avant de reprendre contact.
Si dans leurs courriels du 17 janvier 2012 l'un à 15 h 45 de Mme Lemardeley, l'autre à 16 h 11 de M. Beaudouin, les employés de l'agence BDP du Havre prennent acte de ce que l'a société Dufour refuse les chargements Exxon pour son compte jusqu'à nouvel ordre, et toute nouvelle commande concernant les trafics Cray Valley et Lanxess jusqu'à nouvel ordre, dans son mail en réponse du même jour à 16 h 33 en copie cachée à Mme Latter, M. Dufour indique ne pas refuser de travailler avec la société BDP mais rappelle que les 2 semaines précédentes, la société BDP a annulé toutes ses réservations pour les trafics Lanxess et Cray Valley, ce qui est conforme à son mail du 11 janvier 2012 visé ci-dessus, et poursuit : "si nous devons continuer à travailler comme précédemment, aucun problème pour la société Dufour. Si par contre, vous nous faites un planning avec 40 containers, et que vous nous en annulez la moitié deux jours avant, comme nous l'avons déjà expliqué, nous ne pouvons continuer à accepter vos réservations, pour ensuite laisser nos camions à la cour (...)." Dans un dernier mail du même jour, à 18 h, il indique à M. Beaudouin (en copie cachée notamment à Marie Laure Latter et Thierry Seutin) : "Sans réponse de votre part, nous considérons donc que vous souhaitez mettre fin à toute collaboration avec notre société".
Or aucun mail, ou autre document émanant de la société BDP International (M. Seutin et/ou Mme Latter responsable de l'agence du havre) n'est versé aux débats qui viendrait contredire le contenu des mails de M. Dufour du 17 janvier 2012, notamment le fait qu'au cours des deux premières semaines de janvier, les réservations faites auprès de la société Dufour avaient en grande partie été annulées, seule restant le trafic d'huile pour Exxon, alors qu'un planning avait été sollicité (cf. mail de BDP du 3 janvier 2012), ou apporter une explication sur les raisons de cette annulation.
Il ressort de l'échange de ces courriers électroniques et de l'absence de réponse de la société BDP international aux mails du 17 janvier 2012 de M. Dufour que, contrairement à ce qu'elle soutient, ce n'est pas la société Dufour PL qui a décidé de son propre chef de mettre un terme à la relation commerciale, mais la société BDP International qui, a annulé, sans fournir aucune explication à la société Dufour PL deux des trois trafics réservés au cours des deux premières semaines de janvier 2012, ce antérieurement aux courriels de M. Dufour, procédant ainsi à la rupture partielle de la relation commerciale établie avec la société Dufour.
En l'absence de lettre de résiliation, du respect d'un délai de préavis, que le tribunal a justement estimé à trois mois, eu égard à la durée de la relation commerciale, et de la preuve d'une quelconque faute ou manquement de son co-contractant à ses obligations, il convient de considérer que la société BDP Internationale a rompu brutalement leur relation commerciale engageant ainsi sa responsabilité à l'égard de la société Dufour et de confirmer le jugement déféré sur ce point.
- Sur le préjudice
Au vu de l'attestation établie le 13 février 2012 par l'expert-comptable de la société Dufour PL figurant au dossier de la société BDP International, le chiffre d'affaires mensuel moyen réalisé par cette dernière avec la société BDP International pour l'exercice 2011-2012, s'élève à la somme de 44 818 euro ; si une baisse dans le chiffre d'affaires des six derniers mois d'un montant mensuel moyen de 39 903 euro est notée par rapport à l'exercice précédent, comme le souligne la société BDP International, il convient toutefois de retenir la moyenne mensuelle pour l'exercice 2011 de 44 818 euro.
Il sera par ailleurs fait application du taux de marge brute d'exploitation de 13 % indiqué par cet expert-comptable, dans la mesure où il en explique le calcul avec précision.
L'étude réalisée par la Banque de France sur la filière logistique en Haute Normandie, qui fait état d'un taux de 4 % à prendre considération selon la société BDP International, ne permet pas de contester le pourcentage donné par l'expert dans la mesure où ce document qui est daté du mois de juin 2007 mentionne un taux de marge brute d'exploitation de plus de 4 % en 2003, qui progresse l'année suivante pour atteindre un taux de près de 8 % en 2005, soit une augmentation de près du double en 2 ans, ce qui atteste d'une progression constante et rapide, et valide le taux de 13 % visé par l'expert en 2012.
Dans ces conditions, en tenant compte d'un chiffre d'affaires mensuel de 44 818 euro, de l'application du taux de marge brute d'exploitation de 13 %, sur une durée de 3 mois, le préjudice de la société Dufour PL s'élève à la somme de 17 479,02 euro au paiement de laquelle la société BDP International doit être condamnée.
Le jugement déféré sera réformé sur ce point.
- Sur les autres demandes
Le tribunal a également fait une juste évaluation de l'indemnité de procédure fixée en considération de l'équité. Le jugement sera confirmé de ce chef.
La société BDP International qui succombe partiellement en appel sera déboutée de sa demande sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : Statuant publiquement, par arrêt contradictoire, Confirme le jugement entrepris sauf en ce qui concerne le montant de l'indemnité allouée à la société Dufour PL, Et statuant à nouveau sur le chef infirmé, Condamne la société BDP International à payer à la société Dufour PL la somme de 17 479,02 euro à titre de dommages et intérêts, Déboute la société BDP International de sa demande d'indemnité de procédure, Condamne la société BDP International aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément à l'article 699 du Code de procédure civile.