CA Toulouse, 2e ch. sect. 1, 20 mars 2013, n° 11-05979
TOULOUSE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
CSF (SAS)
Défendeur :
Distribution Casino France (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cousteaux
Conseillers :
M. Delmotte, Mme Pellarin
Avocats :
SCP Boyer & Gorrias, SCP Baron Cosse & Gruau, Mes de Lamy, Trombetta
FAITS ET PROCÉDURE
Le 15 mai 1996, la SARL Maison Saint-Arroman propriétaire d'un fonds de commerce d'alimentation a conclu avec la société Prodim Grand Sud un contrat de franchise pour une durée de 5 années. En cas de vente par la franchisée du fonds de commerce en cours d'exécution de la convention le franchiseur avait la faculté de se substituer à l'acquéreur.
Le même jour, la SARL Maison Saint-Arroman a conclu avec la société Prodim Grand Sud un contrat d'approvisionnement d'une même durée, s'engageant à s'approvisionner de façon prioritaire auprès d'elle.
Les parties stipulaient la reconduction tacite des conventions sauf dénonciation intervenue 6 mois avant l'échéance, la première d'une durée de trois ans et les suivantes d'un an.
Par courrier du 6 octobre 2000, la SARL Maison Saint-Arroman dénonçait le contrat de franchise. Le 4 avril 2001, la société Prodim Grand Sud formulait une proposition d'acquisition à hauteur de 75 000 euros.
La SARL Maison Saint-Arroman a attendu l'expiration des liens contractuels avec la société Prodim Grand Sud pour céder le fonds à la SAS Distribution Casino au prix de 147 876 euros par acte du 17 mai 2001.
La Cour d'appel de Toulouse, par arrêt du 17 juin 2004, a ramené à 35 000 euros le préjudice de la société Prodim Grand Sud analysé en une perte de chance d'acquérir le fonds de commerce, considérant comme la juridiction de première instance qu'il existait un accord de principe sur la cession avant le terme du contrat.
La société Prodim Grand Sud considérant pour sa part que le contrat d'approvisionnement était en cours d'exécution au moment de la vente du fonds de commerce et que cette cession avait provoqué une rupture avant terme imputable à la SARL Maison Saint-Arroman, elle demandait réparation devant un tribunal arbitral.
Par sentence du 4 mars 2004, le tribunal arbitral a estimé que la SARL Maison Saint-Arroman n'avait pas dénoncé le contrat d'approvisionnement et l'a condamnée à régler à la SAS CSF la somme de 12 000 euros.
Le 28 septembre 2004, la SAS CSF, déclarant venir aux droits de la société Prodim Grand Sud, a fait assigner la SAS Distribution Casino devant le Tribunal de commerce de Montauban sur le fondement de l'article 1382 du Code civil et elle demandait une indemnité de 51 985,11 euros correspondant à la perte de bénéfices pour une année entière d'approvisionnement.
Par arrêt du 4 décembre 2007, la cour d'appel a déclaré la SAS CSF irrecevable dans son action faute d'établir sa qualité pour agir.
Par acte du 13 décembre 2010, la SAS CSF a fait assigner la SAS Distribution Casino devant le Tribunal de commerce de Montauban afin de voir :
- constater que la SAS CSF vient aux droits de la société Prodim Grand Sud,
- juger que la SAS Distribution Casino a commis un acte de concurrence déloyale à l'égard de la société Prodim Grand Sud consistant à désorganiser son réseau,
- condamner la SAS Distribution Casino à lui payer la somme de 363 895 euros en réparation de son préjudice,
- subsidiairement, fixer son préjudice à la somme de 180 000 euros,
- condamner la SAS Distribution Casino à lui payer la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- ordonner l'exécution provisoire.
Par jugement du 23 novembre 2011, le Tribunal de commerce de Montauban a :
- déclaré irrecevable la SAS CSF, la demande ayant été tranchée par la Cour d'appel de Toulouse dans son arrêt du 4 décembre 2007,
- condamné La SAS CSF à payer à la SAS Distribution Casino les sommes suivantes :
* 25 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
* 7 500 euros sur le fondement de l' article 700 du Code de procédure civile,
- ordonné l'exécution provisoire.
La SAS CSF a interjeté appel le 15 décembre 2011.
La SAS CSF a déposé ses dernières écritures le 31 octobre 2012.
La SAS Distribution Casino a déposé des écritures le 4 mai 2012.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 15 janvier 2013.
MOYENS ET PRÉTENTIONS DES PARTIES
Dans ses dernières écritures, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'énoncé du détail de l'argumentation, la SAS CSF demande à la cour de :
- juger recevable son appel,
- infirmer la décision de première instance,
- juger que la SAS Distribution Casino a commis un acte de concurrence déloyale à l'égard de la société Prodim Grand Sud aux droits de laquelle vient la SAS CSF, consistant à désorganiser son réseau,
- condamner à titre principal la SAS Distribution Casino à lui payer la somme de 363 895 euros,
- condamner à titre subsidiaire la SAS Distribution Casino à lui payer la somme de 180 000 euros,
- condamner en toute hypothèse la SAS Distribution Casino à lui payer la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'appelante développe les moyens suivants :
- elle justifie venir aux droits de la société Logidis venue aux droits de la société Prodim Grand Sud,
- l'irrecevabilité prononcée par la cour d'appel dans son arrêt du 4 décembre 2007 ne concerne que l'action dont elle était saisie,
- la présente action a un objet distinct et elle vise un préjudice distinct, dénonçant la manœuvre de la SAS Distribution Casino consistant à avoir désorganisé son réseau alors que dans l'autre instance elle reprochait à la SAS Distribution Casino une complicité dans la rupture anticipée du contrat d'approvisionnement par la SARL Maison Saint-Arroman,
- il n'est nul besoin dans le cadre de la présente instance de procéder à une régularisation,
- le rôle de la SAS Distribution Casino a excédé celui d'un simple acquéreur d'un fonds de commerce, s'immisçant dans les affaires de la SARL Maison Saint-Arroman, ce qui constitue un acte de concurrence déloyale,
- la perte pour son réseau du point de vente situé à Verdun sur Garonne ne peut pas représenter mois de 7 ans de marge dans la mesure où la SAS CSF consent à ses partenaires des contrats d'une telle durée,
- subsidiairement, la cour constatera que la SAS CSF a pour le moins perdu une chance en raison du comportement déloyal de la SAS Distribution Casino de conserver ce point de vente dans son réseau.
Dans ses écritures, auxquelles il est expressément renvoyé pour l'énoncé du détail de l'argumentation, au visa des articles 480 du Code de procédure civile ainsi que 1165, 1351 et 1382 du Code civil, la SAS Distribution Casino demande à la cour d'appel de :
- confirmer le jugement entrepris, sauf à porter à 75 000 euros la somme à lui payer à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- condamner la SAS CSF à lui payer la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'intimée développe les moyens suivants :
- la SAS CSF fonde expressément ses prétentions sur le contrat d'approvisionnement en date du 15 mai 1996, le fournisseur y étant désigné comme "société Prodim Grand Sud",
- par arrêt définitif du 4 décembre 2007 saisie du recours de la SAS CSF contre le jugement l'ayant débouté de toutes ses demandes, la Cour d'appel de Toulouse l'a déclaré irrecevable dans son action faute d'établir sa qualité pour agir du chef du contrat d'approvisionnement,
- la SAS CSF habille sa nouvelle action contre la SAS Distribution Casino qui a en réalité la même cause et le même objet,
- subsidiairement, sur le fond, la SAS CSF ne saurait revendiquer un quelconque droit de réseau du chef du contrat d'approvisionnement alors que ce dernier d'une durée déterminée d'un an est librement dénonçable sans contrepartie,
- quand la SAS Distribution Casino a réalisé l'acquisition du fonds de commerce, le contrat d'approvisionnement était éteint,
- la cession de fonds de commerce n'emporte pas cession des contrats conclus par le cédant, particulièrement des contrats de distribution conclus en considération de la personne du cocontractant,
- au regard de la faiblesse des moyens de la SAS CSF, de la déloyauté de son attitude, de l'extravagance du montant de ses demandes, de la persistance de sa démarche en dépit des multiples condamnations judiciaires intervenues à ce titre et de la mobilisation des ressources humaines de la SAS Distribution Casino qu'induit ce harcèlement procédural, elle est bien fondée à solliciter la somme de 75 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Dans ses dernières écritures, la SAS CSF soutient, en page 5, que dans le cadre de la présente instance, elle dénonce la manœuvre de la SAS Distribution Casino consistant à avoir désorganisé son réseau et elle invoque un préjudice qui résulte de cette désorganisation. En page 8, l'appelante fait valoir que la SAS Distribution Casino s'est immiscée dans les affaires de sa venderesse de fonds de commerce, c'est-à-dire la SARL Maison Saint-Arroman, que cette immixtion est intervenue au détriment des cocontractants de la SARL Maison Saint-Arroman et principalement au préjudice de la SAS CSF, qu'un tel comportement est constitutif d'un acte de concurrence déloyale, que cette immixtion constitue une manœuvre qui a conduit à la désorganisation et à la perturbation du réseau de distribution de la société Prodim Grand Sud aux droits de laquelle se trouve la SAS CSF. En page 9, la SAS CSF expose que la SAS Distribution Casino ne s'explique pas sur les faits qui démontrent son rôle qui a consisté à désorganiser le réseau de ses concurrentes.
La Cour d'appel de Toulouse a rendu deux arrêts, l'un le 17 juin 2004 et l'autre le 4 décembre 2007.
Dans le premier arrêt, la cour d'appel a notamment confirmé le jugement déféré sauf à préciser que la SARL Maison Saint-Arroman et la SAS Distribution Casino sont condamnées in solidum à payer à la société Prodim Grand Sud la somme de 35 000 euros à titre de dommages et intérêts après avoir jugé que la SAS Distribution Casino avait engagé sa responsabilité sur le fondement de l'article 1382 du Code civil pour avoir participé à la violation du pacte de préférence en contractant avec la SARL Maison Saint-Arroman.
Dans le second arrêt, la cour d'appel a déclaré la SAS CSF irrecevable faute d'établir sa qualité pour agir en indemnisation du préjudice subi du fait d'une éventuellement complicité de la SAS Distribution Casino dans la rupture du contrat d'approvisionnement ayant existé avec la SARL Maison Saint-Arroman.
La SAS Distribution Casino n'invoque l'autorité de la chose jugée que de la seconde décision. Mais, il est manifeste que l'identité des parties ne justifie pas, à elle seule, que ce moyen soit retenu dans la mesure où l'action avait pour fondement le contrat d'approvisionnement et non un acte allégué de concurrence déloyale.
Le fait pour la SAS CSF d'avoir perdu une chance, perte de chance indemnisée par la cour d'appel dans son premier arrêt, d'acquérir un fonds de commerce, avec la complicité reconnue judiciairement de la SAS Distribution Casino constitue-t-il un acte de concurrence déloyale par la désorganisation du réseau de distribution de la SAS CSF, comme elle le soutient, telle est la question à laquelle la cour d'appel doit répondre.
La SAS Distribution Casino fait valoir que la SAS CSF ne saurait sérieusement revendiquer un quelconque "droit au réseau" du chef du contrat d'approvisionnement alors que ce dernier a une durée déterminée d'un an seulement, librement dénonçable chaque année sans contrepartie et ne stipule à son profit aucun droit d'acquisition préférentiel sur le fonds de son cocontractant.
D'une part, pour sanctionner la désorganisation d'un réseau, encore faut-il que ce réseau existe.
Or, si le fonds de commerce vendu par la SARL Maison Saint-Arroman à la SAS Distribution Casino fait partie d'un réseau de franchise, la SARL Maison Saint-Arroman était libre d'en sortir à la condition de mettre en œuvre le pacte de préférence que contenait ce contrat. Le non-respect de cette clause, sanctionné par la cour d'appel dans son arrêt de 2004, n'a pas eu pour effet de maintenir la SARL Maison Saint-Arroman dans le réseau de franchise.
D'autre part, le contrat d'approvisionnement, indépendant du contrat de franchise, pouvait être dénoncé tous les ans, alors au surplus qu'il ne prévoit pas un approvisionnement exclusif mais prioritaire.
Dès lors, la SAS CSF ne justifie d'aucune désorganisation de son réseau de distribution tant au travers de la franchise que de l'approvisionnement. En conséquence, la SAS CSF ne rapporte la preuve d'aucun acte de concurrence déloyale imputable à la SAS Distribution Casino.
Par ailleurs, l'exercice d'une action en justice ne dégénère en faute pouvant donner lieu à des dommages-intérêts que si le demandeur a agi par malice ou de mauvaise foi ou avec une légèreté blâmable. Comme l'a relevé le tribunal de commerce, la multiplication des procédures diligentées par la SAS CSF, qui plus est dans un ordre dispersé et étalé dans le temps, caractérise sa mauvaise foi justifiant l'allocation d'une indemnité à hauteur de 25 000 euros.
En conséquence, le jugement de la juridiction consulaire montalbanaise sera confirmé.
En revanche, le simple fait que l'appel soit rejeté ne le rend pas abusif, alors même que la cour d'appel n'a pas adopté les motifs de la juridiction de première instance. La SAS Distribution Casino sera en conséquence déboutée de sa nouvelle demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.
Enfin, la SAS CSF qui succombe sera condamnée aux dépens d'appel.
Par ces motifs : Confirme le jugement du tribunal de commerce de Montauban, Y ajoutant, Déboute la SAS Distribution Casino de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive devant la cour d'appel, Vu l'article 700 du Code de procédure civile, Déboute la SAS CSF de sa demande de ce chef, Condamne la SAS CSF à payer à la SAS Distribution Casino la somme de 5 000 euros, Condamne la SAS CSF aux dépens d'appel dont distraction par application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.