CA Lyon, 8e ch., 12 mars 2013, n° 10-05733
LYON
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Chanel (Epoux)
Défendeur :
3 Baies (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Vencent
Conseillers :
Mme Zagala, M. Defrasne
Avocats :
SCP Baufume-Sourbe, SCP Belin de Chantemele, Andres & Laneyrie, SCP Verne Bordet Orsi Tetreau
EXPOSE DU LITIGE
Dans le cadre de la rénovation d'un bâtiment destiné à un gîte rural, Monsieur et madame Chanel ont commandé à la société 3 Baies la fourniture et la pose de fenêtres, baies, portes et volets, suivant devis du 26 juillet 2005 d'un montant de 34 321 euro.
Il était notamment prévu au devis la fourniture de vitrage 4 x 16 x 4 norme Acotherm, performance phonique 30 dB.
Se plaignant de malfaçons et de non-conformités au devis, les époux Chanel ont interrompu les travaux et obtenu auprès du juge des référés la désignation d'un expert en la personne de Monsieur Baret.
L'expert a déposé son rapport le 18 mai 2007.
Les époux Chanel devaient par la suite faire déposer et remplacer les fenêtres par une autre entreprise.
Par acte d'huissier du 12 mars 2008, les époux Chanel ont fait assigner la société 3 Baies devant le Tribunal de grande instance de Lyon pour voir prononcer la résolution judiciaire de leur contrat et pour avoir paiement de la somme de 37 069 euro au titre du surcoût des travaux, de celle de 15 000 euro à titre de manque à gagner et préjudice moral, ainsi que le remboursement de frais.
Par jugement du 18 mai 2010, le tribunal de grande instance les a déboutés de toutes leurs demandes et les a condamnés à payer à la société 3 Baies la somme de 9 000 euro au titre de ses travaux, outre celle de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile avec exécution provisoire de la décision.
Le 26 juillet 2010, les époux Chanel ont interjeté appel de cette décision.
Les appelants demandent à la cour :
- d'infirmer le jugement querellé,
- à titre principal de prononcer la résolution judiciaire du contrat conclu avec la société 3 Baies en raison du défaut de conformité des fenêtres livrées,
- à titre subsidiaire, de prononcer la résolution judiciaire du contrat conclu avec la société 3 Baies en raison d'une erreur sur la qualité substantielle des fenêtres livrées,
- à titre plus subsidiaire, de condamner la société 3 Baies à remettre les choses dans le même état que celui antérieur au contrat et à enlever les fenêtres livrées,
- de condamner la société 3 Baies à leur payer :
* 37 069 euro à titre de dommages et intérêts correspondant au surcoût des travaux, outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation,
* 15 000 euro à titre de préjudice de manque à gagner et du préjudice moral,
* 4 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile,
- de condamner la société 3 Baies aux entiers dépens y compris le coût du constat d'huissier de Maître Laurent et les frais d'expertise.
À l'appui de leur action à titre principal fondée sur l'article 1604 du Code civil et des textes du Code de la consommation, ils font valoir qu'au lieu des fenêtres type 4 x 16 x 4 épaisseur 24 mm, avec le label Acotherm ils leur a été fourni des fenêtres 4 x 12 x 4 d'une épaisseur de 20 mm sans label Acotherm et que ce simple constat suffit à justifier la résolution judiciaire du contrat à la demande de l'acheteur pour non-conformités des fenêtres.
À titre subsidiaire, ils font valoir qu'ils sont victimes d'une erreur sur les qualités substantielles de la chose vendue au sens de l'article 1110 du Code civil en expliquant que la nécessité de la norme Acotherm constituait une condition essentielle de la commande dans le but d'obtenir une subvention de l'ANAH, subordonnée à cette norme avec un coefficient TH (performance thermique) supérieur ou égal à 5 et qu'en l'absence de ce label ils n'ont pas pu déposer de dossier auprès de l'ANAH.
Ils font valoir également en visant les article L. 121-21, L. 121-23, L. 111-1 du Code de la consommation que la société 3 Baies a manqué à son obligation de conseil en s'abstenant de leur faire connaître que les fenêtres livrées n'avaient pas le label Acotherm.
Ils font valoir enfin qu'ils ont subi un préjudice important en raison du coût du nouveau marché de remplacement des fenêtres, de la perte de la subvention de l'ANAH et de la perte financière due au retard dans l'ouverture du gîte rural.
La société 3 Baies demande de son côté à la cour :
- de confirmer le jugement en ce qu'il a rejeté les prétentions des époux Chanel,
- de réformer le jugement en ce qu'il a limité le montant du prix de ses travaux,
- de condamner les époux Chanel à lui payer de ce chef la somme de 11 621,25 euro en règlement de sa situation de travaux n° 1 ou subsidiairement 10 566,32 euro correspondant à 30 % du devis,
- de condamner les époux Chanel aux dépens ainsi qu'au paiement de 2 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle soutient que le défaut de conformité incriminé ne peut justifier la résolution du contrat ni sa nullité.
Elle indique que les indications sur les vitrages portées au devis résultent d'une erreur car il s'agit d'indications applicables à des menuiseries PVC et non pas aux menuiseries bois alu commandées par les époux Chanel, qu'en tout cas l'expert judiciaire a relevé que les vitrages posés grâce à leur faible émissivité avaient une performance thermique meilleure que les vitrages initialement commandés et une performance acoustique équivalente, que les époux Chanel ne démontrent pas qu'ils ont déposé une demande de subvention auprès de l'ANAH avant le démarrage des travaux et qu'il n'est pas non plus démontré qu'ils auraient été éligibles pour cette subvention.
Elle conteste les préjudices invoqués par les époux Chanel en faisant valoir que les nouveaux travaux confiés par eux à la société France Fenêtre ne correspondent pas aux prestations convenues entre les parties puisqu'elle concerne des fenêtres en PVC et non en menuiseries bois et leur montant est deux fois supérieur, que le retard prétendu dans l'ouverture du gîte n'est pas démontré ni son imputabilité au menuisier et qu'il en va de même du préjudice moral.
À l'appui de sa demande reconventionnelle, elle indique qu'aucun désordre n'est constaté par l'expert, que les griefs allégués ne pouvaient justifier l'arrêt des travaux et que sa demande est d'autant plus fondée qu'elle a payé au fabriquant l'ensemble des menuiseries sur mesure réalisées pour le chantier des époux Chanel.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Attendu que l'expert judiciaire confirme qu'au lieu des vitrages 4 x 16 x 4 d'une épaisseur de 24 mm prévus au devis il a été posé des vitrage 4 x 12 x 4 d'une épaisseur de 20 mm ;
Que la même constatation avait été faite antérieurement le 27 février 2006 par Maître Laurent, huissier de justice, et le 3 août 2006 par le cabinet Erea, expert mandaté par la Macif, assureur des époux Chanel ;
Que la société 3 Baies en se référant à la commande passée à son propre fournisseur fait valoir qu'il s'agit d'une erreur de désignation dans le devis du 26 juillet 2005 mais qu'il y a lieu de constater que cette erreur n'est invoquée que dans le cadre de la procédure judiciaire ;
Que par ailleurs, l'explication selon laquelle les indications figurant au devis ne pouvaient concerner que des menuiseries PVC est contredite par les documents contractuels qui révèlent qu'une première proposition de l'entreprise en date du 7 avril 2005 visant des fenêtres PVC équipées d'un vitrage 4 x 16 x 4 d'une épaisseur a été remplacée au devis du 26 juillet 2005 par des fenêtres bois avec les mêmes vitrages, manifestement à la demande des époux Chanel ;
Que la vente a été conclue en considération de ces caractéristiques figurant au devis et que les vitrages effectivement posés par la société 3 Baies ne sont pas conformes à la commande des époux Chanel même si l'expert indique aussi dans son rapport que leurs performances acoustiques sont identiques et que leurs performances thermiques, meilleures que ceux commandés ;
Attendu que le vendeur est tenu en application de l'article 1604 du Code civil de délivrer un bien conforme au contrat, notamment au regard des caractéristiques définies par les parties et que la société 3 Baies en l'espèce n'a pas respecté cette obligation ;
Qu'au vu des circonstances de la cause, la cour estime pouvoir prononcer la résolution du contrat liant les parties aux torts du vendeur avec toutes conséquences de droit ;
Qu'ainsi des fenêtres aujourd'hui déposées seront restituées au vendeur sans que ce dernier ne puisse prétendre au paiement du prix ;
Attendu que les époux Chanel qui ont confié à la société France Fenêtre l'installation d'autres fenêtres et d'autres volets dont les caractéristiques sont manifestement différentes de ceux initialement confiées à la société 3 Baies ne peuvent valablement se prévaloir d'un surcoût et en réclamer le paiement à cette dernière ;
Que les époux Chanel ne rapportent pas la preuve qu'ils ont déposé un dossier de demande de subvention auprès de l'ANAH, le courrier produit de la SAS Urbanisme en date du 27 novembre 2006 étant insuffisant à cet égard et qu'il ressort de l'instruction n° 1.2002-01 versée aux débats par les intéressés que la subvention de la part de l'ANAH est subordonnée à l'exigence d'une norme Acotherm niveau TH6 pour les fenêtres simples et TH8 pour les blocs avec fermeture intégrée, soit une performance thermique supérieure au niveau TH5 prévue dans le devis ;
Que le gain manqué invoqué à ce titre n'est donc pas établi ;
Qu'en revanche, le premier litige imputable au manquement du vendeur a nécessairement retardé l'exécution des travaux et contraint les époux Chanel à engager des frais auprès d'un huissier de justice ;
Que le préjudice en résultant doit être évalué à une somme forfaitaire de 3 000 euro et qu'il y a lieu de condamner la société 3 Baies au paiement de ladite somme à titre de dommages et intérêts ;
Attendu que la société 3 Baies supportera les entiers dépens y compris les frais de l'expertise judiciaire ;
Qu'il convient d'allouer aux époux Chanel la somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Par ces motifs : Dit l'appel recevable. Infirme le jugement querellé et statuant à nouveau. Prononce la résolution judiciaire du contrat conclu entre les parties aux torts de la SAS 3 Baies pour défaut de conformité des vitrages livrés par cette société. Dit que Monsieur Olivier Chanel et madame Fatima Bendjedia devront mettre à disposition de la SAS 3 Baies les fenêtres qu'elle leur a fournies à charge pour elle de venir les retirer. Déboute la SAS 3 Baies de sa demande en paiement du prix. Condamne la SAS 3 Baies à payer à Monsieur Olivier Chanel et madame Fatima Bendjedia la somme de 3 000 euro à titre de dommages et intérêts en réparation de leur préjudice. Condamne la SAS 3 Baies à payer à Monsieur Olivier Chanel et madame Fatima Bendjedia, son épouse, la somme de 1 500 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile. Condamne la SAS 3 Baies aux dépens de première instance et d'appel y compris les frais de l'expertise judiciaire qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, par ceux des mandataires des parties qui en ont fait la demande.