CA Aix-en-Provence, 2e ch., 28 mars 2013, n° 11-13236
AIX-EN-PROVENCE
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Ouvier & Lefaucheux espaces verts (SARL)
Défendeur :
Concept environnement management (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Aubry-Camoin
Conseillers :
MM. Fohlen, Prieur
Avocats :
SCP Latil Penarroya-Latil Alligier, Selarl Boulan Cherfils Imperatore, Mes Vancraeyenest, Roubaud
Faits - procédure - demandes :
Par acte du 15 février 2007 Monsieur Daniel Ouvier a cédé son fonds de commerce situé à Mazan (84) et dénommé "Création Parcs et Jardins" pour le prix de 365 000 euro à la SARL Solev (société Ouvier & Lefaucheux Espaces Verts) ayant pour gérant Monsieur Quentin Lefaucheux. Le vendeur, pour accompagner l'acquéreur, est devenu d'abord son salarié du 15 février au 15 juillet 2007 puis, par l'intermédiaire de la société Concept Environnement Management (la société Cem) dont il est l'unique associé, son agent commercial par contrat du 1er décembre 2007 stipulant une commission de 10 % sur le prix HT des ventes et prestations.
Après lettres de reproches des 24 février et 8 mars la société Ouvier & Lefaucheux a résilié le contrat d'agent commercial par lettre du 19 mars 2010 invoquant une faute grave de la société Cem consistant en la confusion volontaire de ces 2 entreprises auprès des clients, au détriment de la première et au profit de la seconde.
Le 31 mai 2010 la société Concept Environnement Management a assigné la société Ouvier & Lefaucheux devant le Tribunal de commerce d'Aix-en-Provence, qui par jugement du 4 avril 2011 a :
* condamné la seconde à payer à la première les sommes de :
- 16 945 euro 80 au titre des commissions dues et non payées ;
- 73 771 euro 81 au titre des commissions dues sur les devis et marchés en cours ;
* confirmé la rupture du contrat d'agent commercial au vu des relations conflictuelles entre les parties pour fautes partagées entre Monsieur Ouvier et Monsieur Lefaucheux ;
* condamné la société Ouvier & Lefaucheux à payer à la société Concept Environnement Management une somme de 1 500 euro sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
* ordonné l'exécution provisoire du chef de l'ensemble de ces condamnations.
La SARL Ouvier & Lefaucheux Espaces Verts a régulièrement interjeté le 25 juillet 2011 un appel cantonné aux 2 dispositions du jugement l'ayant condamnée. Par conclusions du 7 février 2013 elle demande à la cour, vu les articles 1134, 1147, 1291, 1315 et 1991 à 1993 du Code civil, L. 134-1, L. 134-4 et L. 134-13 du Code de commerce, d'infirmer le jugement pour l'avoir condamnée 2 fois et de :
- débouter la société Cem au titre du paiement des commissions réclamées ;
- dire et juger qu'elle apporte la preuve de ce qu'aucune commission ne reste due à cette société sur les devis et marchés en cours ;
- dire et juger que la société Cem a commis une faute grave dans l'exécution de son mandat d'agent commercial la privant de tout droit à commission sur les chantiers réalisés à perte ;
- condamner la même à lui payer la somme de 62 960 euro à titre de réparation du préjudice économique et financier subi ;
- dire et juger que sa créance indemnitaire se compensera avec la créance que prétend détenir la société Cem au titre des commissions qui lui seraient dues ;
- dire et juger que cette société a commis une faute grave dans l'exécution de son mandat d'agent commercial la privant de tout droit à indemnisation ;
- débouter la société Cem ;
- condamner la même à lui payer les sommes de :
. 121 950 euro à titre de réparation du préjudice économique et financier subi par suite du manque à gagner sur les chantiers déficitaires ;
. 100 000 euro à titre de réparation du préjudice économique et financier subi du fait de l'atteinte à l'image d'elle-même ;
. 250 000 euro à titre de réparation du préjudice économique et financier subi du fait des actes de concurrence déloyale commis ;
- condamner la société Cem à lui payer la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Concluant le 24 janvier 2013 la SARL Concept Environnement Management, qui a formé appel incident contre la totalité du jugement, demande à la cour, vu les articles L. 134-1 et suivants du Code de commerce, 1134 et 1147 du Code civil, d'infirmer le jugement et de :
- dire et juger que la résiliation pour faute grave du contrat d'agent commercial est abusive ;
- condamner la société Ouvier & Lefaucheux à lui payer les sommes de :
. 330 514 euro 88 au titre de l'indemnité contractuellement due ;
. 55 000 euro au titre de la privation des commissions durant les 6 mois de préavis prévus contractuellement ;
. 50 000 euro au titre de la rupture abusive du contrat ;
. 10 000 euro à titre de dommages et intérêts pour mauvaise foi et résistance abusive en refusant spontanément de communiquer les pièces comptables ;
. 68 074 euro 40 au titre des commissions dues et non payées, au titre des devis en cours de consultations et marchés en cours ;
- condamner la même à lui payer la somme de 6 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
L'ordonnance de clôture a été rendue à l'audience le 18 février 2013.
Motifs de l'arrêt :
Sur les commissions :
Les différentes pièces de chaque partie justifient la demande en appel de la société Cem afin d'être payée de la somme de 68 074 euro 40 correspondant aux commissions dues et non payées, y compris sur les devis et marchés en cours, et ce quelle que soit la réalité ou non de la faute grave reprochée par la société Ouvier & Lefaucheux. La condamnation par le Tribunal de commerce à hauteur de la somme de 90 717 euro 61 est donc excessive.
Sur la rupture du contrat d'agent commercial :
La cour n'est pas en mesure de déterminer, faute d'éléments comptables déterminants, s'il est ou non exact que la société Cem a évalué des chantiers de la société Ouvier & Lefaucheux bien en deçà de leur coût de revient réel, ce qui aurait engendré des pertes importantes (121 950 euro de déficit) pour celle-ci ; pour autant la société Ouvier & Lefaucheux n'a pas fait usage de son droit (article 11 du contrat d'agent commercial) de refuser une commande dans le délai de 15 jours.
En décembre 2009 la société Cem a demandé à un client de la société Ouvier & Lefaucheux un devis pour des travaux qui ne devaient pas être mentionnés à celle-ci, ce qui caractérise un démarchage pour elle-même alors qu'en qualité d'agent commercial de cette société elle ne doit démarcher que pour celle-ci. Le 9 du même mois la société Cem a établi un devis pour la société Lafarge sur un papier à en-tête de la société Ouvier & Lefaucheux alors que celui-ci ne correspond nullement à la réalité. Le rendez-vous demandé pour le 25 février 2010 par la société Mica à la société Ouvier & Lefaucheux a abouti à une réponse positive de la société Cem alors que celle-ci n'était pas concernée ni même mandatée. Par lettre du 8 mars 2010 la société Ouvier & Lefaucheux a reproché à la société Cem de s'être substituée à son fournisseur habituel Zygene sans consultation ni information préalables. La société Cem a critiqué la société Ouvier & Lefaucheux lors de la réunion du 18 mars 2010 avec le client Coved.
Ces divers faits caractérisent la faute grave de l'agent commercial justifiant que son mandant résilie le contrat sans avoir à lui verser d'indemnités, car ces comportements portent atteinte à la finalité commune de ce mandat et rendent impossible le maintien du lien contractuel (article L. 134-13-1° du Code de commerce). C'est donc à juste titre bien que pour un motif erroné que le tribunal de commerce a refusé ces indemnités à la société Cem.
Si la résistance de la société Ouvier & Lefaucheux à communiquer des pièces comptables était injustifiée, son caractère abusif n'est pas démontré, non plus que le préjudice spécifique qu'en aurait subi la société Cem ; par suite la cour déboutera cette dernière de sa demande de dommages et intérêts.
Le fait que chaque partie succombe partiellement conduit la cour à exclure toute condamnation au titre des frais irrépétibles, et à partager tous les dépens par moitié.
Par ces motifs : LA COUR, statuant en dernier ressort et par arrêt contradictoire. Infirme le jugement du 4 avril 2011. Condamne la SARL Ouvier & Lefaucheux Espaces Verts à payer la somme de 68 074 euro 40 à la SARL Concept Environnement Management au titre des commissions dues. Rejette toutes autres demandes. Fait masse des dépens de première instance et d'appel et les partage par moitié entre chaque partie, avec application de l'article 699 du Code de procédure civile.