CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 3 avril 2013, n° 10-05583
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Sort, Soinne (ès qual.), Ducastel (SARL)
Défendeur :
Du Pareil Au Même (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Cocchiello
Conseillers :
Mmes Luc, Pomonti
Avocats :
Mes Fisselier, Bellet, Ingold, Zafrani
La société Banc a développé un réseau de franchise, d'affiliation et de succursales sous l'enseigne "Petits Petons". Sont ainsi commercialisées sous cette enseigne des chaussures pour enfants.
Après avoir signé le 15 juillet 2008 un contrat de commission-affiliation pour une durée de six ans, la société à responsabilité limitée Ducastel dont la gérante est Madame Ducastel épouse Sort, a ouvert le 16 octobre 2008 un magasin à Armentières (Nord). Elle avait l'exclusivité de la distribution sur cette ville.
En contrepartie de l'assistance de la société Banc, la société Ducastel versait un droit d'entrée de 15 000 euros HT définitivement acquis à la société Banc même en cas de résiliation anticipée ; une somme de 3 049 euros HT au titre de garantie du respect des engagements devait être restituée en fin de contrat ainsi qu'une garantie bancaire de 30 000 euros en garantie du stock. L'affiliée recevait une commission de 40 % du chiffre d'affaires hors taxe.
Par acte du 13 octobre 2009, la société Ducastel et Madame Ducastel ont assigné la société Banc devant le Tribunal de commerce de Paris pour obtenir principalement la nullité du contrat et subsidiairement, sa résiliation, et en tout état de cause, la nullité de la garantie bancaire, de la clause de non-concurrence post-contractuelle, la restitution des sommes et le paiement de dommages-intérêts.
Par jugement du 4 mars 2010, le Tribunal de commerce de Paris a :
- résilié le contrat d'affiliation en raison des manquements de la société Banc,
- condamné la société Banc à payer à la société Ducastel la somme de 3 049 euros HT au titre de la garantie,
- annulé la clause de non-concurrence post-contractuelle,
- débouté la société Ducastel et Madame Ducastel de leurs autres demandes,
- dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,
- débouté les parties du surplus de leurs demandes,
- condamné la société Banc aux dépens.
La société Ducastel et Madame Ducastel épouse Sort ont fait appel du jugement.
Par conclusions du 23 octobre 2012 auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé plus ample des moyens, la société civile professionnelle Bernard et Nicolas Soinne mandataire liquidateur de la société Ducastel demande à la cour de :
principalement :
- infirmer le jugement,
- prononcer la nullité du contrat de commission-affiliation,
- prononcer la nullité de la garantie bancaire de 30 000 euros,
- remettre les parties dans l'état antérieur à la signature du contrat et ordonner la restitution des sommes versées à la société DPAM,
- condamner la société DPAM à lui payer :
* la somme de 15 000 euros HT en remboursement du droit d'entrée,
* la somme de 3 049 euros au titre du remboursement de la garantie prévue à l'article 13,
* la somme de 41 447,11 euros correspondant au passif de la liquidation,
- condamner la société DPAM à payer à Madame Sort,
* la somme de 25 000 euros à titre de dommages-intérêts,
* la somme de 8 500 euros correspondant au remboursement du montant de son compte courant,
subsidiairement,
- prononcer la résiliation du contrat aux torts de la société Banc (DPAM),
- condamner la société DPAM à lui payer :
* la somme de 15 000 euros HT en remboursement du droit d'entrée,
* la somme de 3 049 euros au titre du remboursement de la garantie prévue à l'article 13,
* la somme de 41 447,11 euros correspondant au passif de la liquidation,
- condamner la société DPAM à payer à Madame Sort,
* la somme de 25 000 euros à titre de dommages-intérêts,
* la somme de 8 500 euros correspondant au remboursement du montant de son compte courant,
- dire que les condamnations porteront intérêts au taux légal à compter de l'assignation,
- dire que les intérêts seront capitalisés,
- condamner la société DPAM à payer la somme de 10 000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles et à supporter les dépens qui seront recouvrés avec le bénéfice de l'article 699 du Code de procédure civile.
Par conclusions du 23 octobre 2012 auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé plus ample des moyens, la société Du Pareil Au Même qui vient aux droits de la société Banc demande à la cour de :
- déclarer Madame Sort irrecevable en ses demandes d'indemnisation,
- confirmer le jugement exception faite de ce qu'il a prononcé la résiliation du contrat aux torts de la société Banc,
statuant à nouveau,
- résilier le contrat aux torts de la société Ducastel,
- débouter la Selas Bernard et Nicolas Soinne en qualité de mandataire liquidateur de la société Ducastel et Madame Sort de toutes leurs demandes,
- condamner solidairement les mêmes à lui payer la somme de 10 000 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles et à supporter les dépens qui seront recouvrés avec le bénéfice de l'article 699 du Code de procédure civile.
SUR CE
Considérant que la société Banc et la société Ducastel représentée par sa gérante, Madame Sort épouse Ducastel ont signé le 15 juillet 2008 un contrat : "de vente en dépôt-consignation",
1) Demandes du mandataire liquidateur de la société Ducastel :
Sur la nullité du contrat :
Considérant qu'au soutien de sa prétention, la société Ducastel expose qu'en application des dispositions de l'article L. 330-3 et R. 330-1 et suivants du Code de commerce, la société Banc devait lui donner des informations loyales, exactes et prudentes, s'assurer de la faisabilité économique du projet ; qu'en réalité la société Banc lui a remis des documents d'information précontractuelle qui ne font pas état d'informations sérieuses et prudentes, que la société Banc a occulté l'évolution négative du réseau d'exploitants, lui a communiqué des chiffres d'affaires qui ne sont pas le reflet de la moyenne du réseau, a validé un compte d'exploitation irréaliste, qu'elle a omis de déterminer les perspectives de développement du marché sur toute la durée du contrat, invité à ouvrir un magasin sous son enseigne dans une ville dont elle savait par expérience qu'elle n'offrait pas le potentiel nécessaire pour être rentable ; qu'elle-même s'est ainsi engagée sur la foi d'informations inexactes et trompeuses qui lui ont été communiquées dans la croyance de résultats qui ne seraient jamais atteints pour des raisons qui ne dépendent pas d'elle, qu'elle a commis une erreur substantielle sur la rentabilité de l'entreprise,
Que la société Banc conteste tous ces moyens, estimant que c'est essentiellement l'exploitation qui en a été faite par Madame Sort qui est à l'origine de ses difficultés,
Considérant que la société Banc a mis à la disposition de la société à responsabilité limitée Ducastel les documents d'information pré-contractuelle (DIP) prévus par les articles L. 330-3 et R. 330-1 et suivants du Code de commerce,
Considérant qu'elle a donné des informations sur l'évolution de l'entreprise, expliqué dans la partie "étapes de la croissance" quelle avait été l'évolution de la société Banc depuis 1992, précisant qu'entre 2001 et 2005, des boutiques ne voient pas leur contrats renouvelés ou résiliés pour non-respect des engagements contractuels ; qu'elle a donné des renseignements à partir de 2006, sur les dates et lieux d'ouverture et fermeture de magasins, soit succursales, soit sous le régime de l'affiliation ou de la franchise,
que la société Banc a donné les perspectives générales de développement du marché des produits proposés dans le DIP en pages 9 à 12,
que la société Banc a donné une étude du marché local à la société Ducastel, qu'elle a donné les éléments chiffrés relatifs à la clientèle sur la période 1990-1999, a indiqué que 7 magasins vendent des chaussures pour enfants à Armentières et plus particulièrement quatre dans la même rue que la société Ducastel, qu'elle a recommandé au candidat affilié "d'établir une étude précise du marché local lui permettant d'apprécier le potentiel du commerce qu'il envisage de gérer",
Considérant qu'il apparaît au regard des documents versés par les parties aux débats que les éléments d'information donnés par la société Banc n'ont pas été toujours complets et sérieux :
que selon un article de presse spécialisée "Franchise Magazine", la société Banc avait perdu en 2005 la moitié de ses partenaires placés dans des villes de taille trop modeste, que l'information qu'elle a donnée sur le réseau entre 2001 et 2005 était vague, taisante de la véritable évolution du réseau, que si la société Banc soutient qu'elle "n'a pas gardé secret le fait que des boutiques aient fermé", elle n'a cependant pas donné des informations complètes ;
que par ailleurs, dans l'étude du marché local, les éléments donnés doivent être d'actualité qui n'est pas vérifiée pour ce qui concerne l'analyse de la population,
Considérant que, dès lors que la société Ducastel se dit victime d'un dol et qui aurait commis une "erreur substantielle sur la rentabilité de l'activité entreprise", il importe toutefois de savoir si l'information précontractuelle dont certains éléments n'étaient pas sérieux ou complets a eu une influence sur sa volonté de s'engager,
Considérant encore que la société Ducastel se plaint de ce que le prévisionnel qu'elle a elle-même établi s'est avéré totalement irréaliste pour avoir été dressé à partir de données sélectionnées par la société Banc qui ne reflètent que la situation de succursales et non celles de magasins affiliés,
Considérant que la loi n'impose pas à la société Banc de réaliser un véritable "travail de recherche" et une véritable "étude du marché local et de ses perspectives de développement sur toute la durée du contrat" comme le soutient la société Ducastel,
Considérant par ailleurs que, comme l'a relevé le tribunal de commerce, la sélection flatteuse opérée par Banc n'est pas pour autant inexacte, qu'outre le fait que la société Banc justifie que des magasins ouverts dans des villes de moins de cinquante mille habitants prospèrent et ont réalisé des chiffres d'affaires atteignant ces mêmes prévisionnels, peu important d'ailleurs à cet égard le fonctionnement d'un magasin Petits Petons, la cour constate que la société Ducastel a réalisé un chiffre d'affaires inférieur de 10 % au prévisionnel dont l'irréalisme ne peut par conséquent être sérieusement invoqué et qu'ainsi le projet de la société Ducastel était viable et l'espérance de gain essentielle pour la détermination de son consentement n'était pas vaine,
Considérant que se trouve exclue la possibilité pour la société Ducastel qui pouvait prendre des renseignements auprès des autres affiliés et franchisés dont les coordonnées lui étaient données et qui devait apprécier le risque d'entreprise et le potentiel de son commerce, d'avoir été victime d'un dol ou d'une réticence dolosive de la part de la société Banc et d'avoir commis une erreur substantielle sur la rentabilité de l'activité qu'elle entreprenait ; qu'il n' y a pas lieu d'annuler le contrat,
Sur la résiliation du contrat pour inexécution par Banc de ses obligations contractuelles :
Considérant que la société Ducastel expose que la société Banc a manqué à son obligation qualitative et quantitative d'approvisionnement et manqué à son obligation d'assistance,
Obligation d'approvisionnement :
Considérant que s'agissant d'un contrat de "vente en dépôt-consignation", les obligations de la société Banc étaient précisées dans l'article 7 qui mettait à sa charge "dans la mesure de ses possibilités" de proposer des collections conformes à l'image de marque du réseau, d'approvisionner l'affilié dans l'intégralité des articles de la collection, dans l'article 10 selon lequel la société Banc confiait un stock de produits de la marque, renouvelé au fur et à mesure des ventes et des saisons et compte tenu de la capacité de marchandisage et du chiffre d'affaires du magasin, que la société Banc fait remarquer que seules doivent être prises en compte les pièces versées par la société Ducastel qui la concernent et non celles qui peuvent concerner les autres magasins affiliés ou franchisés et que les courriels dont la société Ducastel fait état doivent être examinés dans leur intégralité, qu'elle a toujours cherché à satisfaire ses affiliés,
Considérant en ce qui concerne l'approvisionnement que la société Ducastel verse aux débats des courriels dans lesquels elle se plaint d'avoir été "dévalisée", sollicite un ravitaillement dans un produit particulier, d'autres dans lesquels elle se plaint de défauts dans les chaussures, qu'elle verse également aux débats deux constats d'huissier qui ont été dressés peu avant la procédure et traduisent les critiques de Madame Sort; qu'il apparaît toutefois que comme le souligne la société Banc, la société Ducastel ne justifie pas que les difficultés rencontrées de réassortiment, de défauts dans certains modèles dépassent pas ce qui est normalement admis dans un tel réseau de sorte que la preuve de la mauvaise exécution par la société Banc de ses obligations n'est pas faite,
Obligation d'assistance :
Considérant que l'article 5 du contrat précise les obligations de la société Banc, que, pendant la durée du contrat, la société Banc s'engage à mettre à disposition son savoir-faire, à fournir une "assistance technique pour l'agencement des produits et la gestion commerciale",
Considérant que la société Ducastel expose que la société Banc devait lui fournir une assistance technique et commerciale permanente et qu'en l'espèce, la société Banc ne lui a pas apporté son aide et n'a pas préconisé les mesures de nature à lui permettre de régler ses difficultés et de réaliser les prévisions en terme de chiffre d'affaire, qu'elle se réfère aux doléances de plusieurs autres affiliés,
Considérant que les résultats financiers de la société Ducastel qui ne traduisaient aucune insuffisance flagrante et croissante de son chiffre d'affaires ne justifiaient nullement que la société Banc l'aide à se redresser, et il convient de constater sur ce point que la société Banc se borne à faire référence aux plaintes d'autres affiliés adressées à la société Banc,
Considérant ainsi que la violation par la société Banc de son obligation d'assistance à l'égard de la société Ducastel n'est nullement rapportée,
Sur la résiliation du contrat sollicitée par la société Banc (DPAM)
Considérant que cette société demande à la cour de prononcer la résiliation du contrat aux torts de la société Ducastel, que toutefois, cette demande doit être justifiée par des fautes contractuelles de l'autre alors que la société Banc reconnaît ne jamais avoir reproché une violation d'une quelconque de ses obligations à la société Ducastel ; qu'ainsi, la demande de résiliation ne peut être accueillie,
2) Demande de Madame Ducastel-Sort :
Considérant que celle-ci demande à titre personnel le dédommagement du préjudice qu'elle subit en raison du manque à gagner à titre de rémunération ; que, comme le remarque la société Banc, cette demande est faite pour la première fois en cause d'appel et se trouve irrecevable en application de l'article 564 du Code de procédure civile ; que Madame Ducastel ne répond pas sur cette fin de non-recevoir ;
Considérant que la demande est présentée par Madame Sort à titre personnel, que cette demande faite pour la première fois en cause d'appel est irrecevable,
Par ces motifs : LA COUR, Infirme le jugement en ce qu'il a prononcé la résiliation du contrat aux torts de la société Banc aux droits de laquelle se trouve la société Du Pareil Au Même, Statuant à nouveau, Dit n'y avoir lieu à prononcer la résiliation du contrat, Confirme le jugement pour le surplus, Déclare irrecevable la demande d'indemnisation faite par Madame Ducastel épouse Sort, Condamne solidairement la société Ducastel représentée par son mandataire liquidateur la Selas Bernard & Nicolas Soinne et Madame Sort à payer à la société Du Pareil Au Même la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne solidairement la société Ducastel représentée par son mandataire liquidateur la Selas Bernard & Nicolas Soinne et Madame Sort aux dépens.