CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 4 avril 2013, n° 10-02735
PARIS
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
Etablissements Darty & Fils (SAS)
Défendeur :
MBCO (SARL), Ancel (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
Mmes Pomonti, Michel-Amsellem
Avocats :
Mes Bernabe, Meyrier, Andrez
Faits constants et procédure
La société MBCO a signé le 5 septembre 2007 un contrat avec la société Darty & fils, (ci-après dénommée Darty) ayant pour objet la livraison de marchandises aux clients de la société Darty.
A compter du mois d'avril 2009, suite à une baisse d'activité sur le site de Montigny-le-Bretonneux, la société Darty a rencontré le dirigeant de la société MBCO en lui demandant d'élargir sa zone de livraison à la plateforme de Sucy et d'envisager ensemble la possible réaffectation des zones de livraison lors d'un prochain entretien.
La société MBCO, reprochant à la société Darty d'avoir mis fin brutalement et sans préavis à ses tournées le 18 mai 2009, lui a adressé le 27 mai 2009 une mise en demeure.
Puis, par acte du 3 juin 2009, la société MBCO a assigné devant le Tribunal de commerce de Bobigny, la société Darty aux fins de la voir condamnée au paiement de la somme de 27 000 euros ainsi que les intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure.
Par jugement en date du 26 janvier 2010, le Tribunal de commerce de Bobigny a :
- reçu la société MBCO en sa demande principale, l'a partiellement dit fondée, y fait partiellement droit,
- condamné la société Darty à payer à la société MBCO la somme de 1 558,87 euros majorée des intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure en date du 26 mai 2009,
- condamné la société Darty à payer à la société MBCO la somme de 1 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Vu l'appel interjeté le 11 février 2010 par la société Darty contre ce jugement.
Par conclusions signifiées le 22 avril 2010, la SCP Coudray Ancel en la personne de Me Christophe Ancel est intervenue volontairement dans la cause à la suite du jugement rendu le 8 mars 2010 par le Tribunal de commerce d'Evry qui a prononcé la liquidation judiciaire de la société MBCO et nommé la SCP Coudray Ancel représentée par Me Ancel en qualité de liquidateur.
Vu les dernières conclusions, signifiées le 27 novembre 2012, par lesquelles la société Darty a demandé à la cour de :
- infirmer la décision entreprise,
- débouter la SCP Coudray Ancel, prise en la personne de Maître Christophe Ancel, ès-qualités de liquidateur de la société MBCO, de l'intégralité de leurs demandes, fins et moyens,
- condamner la SCP Coudray Ancel, prise en la personne de Maître Christophe Ancel, ès-qualité de liquidateur judiciaire de la société MBCO, à verser à la société Darty la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Darty soutient qu'au regard des pièces communiquées par la société MBCO, la brève diminution des commandes, à raison de la crise économique ambiante ne s'est certainement pas avérée aussi catastrophique qu'elle se complait à le décrire afin de tenter de justifier une prétendue rupture des relations commerciales établies.
Elle retient également que Me Ancel, ès-qualités de liquidateur de la société MBCO, n'apporte pas la preuve, ni de l'existence de relations commerciales établies entre la société Darty et elle-même, ni d'une rupture abusive de sa part, ni de la réalité du préjudice qui en aurait résulté à son détriment justifiant de l'allocation de dommages et intérêts. Elle ajoute que la société MBCO, au lieu de consentir à la proposition de la société Darty quant à la livraison à partir d'une plateforme distincte, laquelle ne connaissait pas la même baisse d'activité que celle sur laquelle elle était précédemment affectée, a préféré la délivrance immédiate d'une mise en demeure et a eu un comportement économiquement irrationnel et juridiquement dénué de tout fondement.
Elle considère que les premiers juges n'ont pas explicité en quoi et de quelle manière la société Darty aurait résilié le contrat l'ayant uni à la société MBCO mais plus encore, se sont trouvés confrontés à une contradiction manifeste entre la constatation de la reconnaissance par la société MBCO des commandes ayant vocation à lui être passées à partir du nouveau site de livraison et la rupture du contrat par la société Darty.
Vu les dernières conclusions, signifiées le 24 septembre 2010, par lesquelles Me Ancel, ès-qualités de liquidateur de la société MBCO a demandé à la cour de:
- confirmer le jugement du Tribunal de commerce de Bobigny en ce qu'il a dit fondée en son principe la demande de la société MBCO,
- l'infirmer en ce qu'il a limité le montant dû à la société MBCO à 1 558,87 euros correspondant à une hypothétique marge brute,
- condamner la société Darty à payer à Me Ancel, ès-qualités, la somme de 27 000 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 27 mai 2009, date de la mise en demeure,
- condamner la société Darty à payer à Me Ancel, ès-qualités, la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Me Ancel, ès-qualités, soutient que la société Darty a mis fin brutalement et sans préavis aux tournées de la société MBCO le 18 mai 2009, alors que celle-ci était son unique cliente.
Il ajoute que l'article 9 du contrat prévoit le respect d'un préavis de 3 mois pour toute rupture notifiée plus d'un an à compter de la prise d'effet du contrat et que l'arrêt brutal de passation de commandes par la société Darty doit d'être qualifié de rupture de contrat.
Il retient enfin que le préjudice subi par la société MBCO ne peut être calculé en fonction d'une quelconque marge brute, notion inappropriée pour une activité de transport.
LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions initiales des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
Motifs
Il convient de rappeler, qu'aux termes du contrat d'entreprise qui a été signé entre les parties le 5 septembre 2007, la société Darty a confié à la société MBCO, à compter du 1er septembre 2007 pour une durée indéterminée, le transport, la livraison et l'installation de certaines marchandises.
Cette convention ne prévoyait ni engagement d'exclusivité, ni un nombre minimal de commandes de la part de la société Darty et son application territoriale n'était pas limitée à une zone de livraison déterminée.
Il était prévu que chaque partie pouvait mettre fin à tout moment à la convention, sans indemnité de part ni d'autre par lettre recommandée avec accusé de réception en respectant un préavis d'une durée variable selon la durée des relations contractuelles.
La société MBCO estime qu'il y a eu rupture brutale de la relation commerciale dès lors qu'à partir du 18 mai 2009, la société Darty a mis fin brutalement et sans préavis à ses tournées et demande l'indemnisation de son préjudice en application de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce qui dispose "qu'engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels".
Si la société Darty reconnaît, qu'en raison de la crise économique, son activité sur le site de Montigny-le-Bretonneux (plate-forme de Mitry) au départ duquel la société MBCO réalisait une partie de ses activités, a connu une baisse très sensible, elle observe justement que la diminution des commandes qui s'en est suivie n'a pas eu des conséquences aussi importantes que l'intimée le soutient, puisque le nombre de livraisons effectuées pour son compte variait déjà dans le passé, soit en moyenne 282 livraisons par mois pour l'exercice 2007, 335 livraisons par mois pour l'exercice 2008 et 242 livraisons par mois pour l'exercice en cause. Ainsi au mois d'avril 2009, soit juste avant la prétendue rupture brutale, la société MBCO avait encore réalisé 244 livraisons pour la société Darty.
La société MBCO a encore réalisé 100 livraisons dans la première quinzaine du mois de mai 2009 et ce n'est qu'à compter du 15 mai 2009 que la baisse a été marquée, soit moins de deux semaines avant la prise d'acte par celle-ci de la rupture brutale de la relation commerciale établie.
Il est acquis au débat que le responsable de la plate-forme en cause, M. Bouvier, a rencontré, dans les jours qui ont suivi cette baisse d'activité, le dirigeant de la société MBCO qui s'en inquiétait. Il résulte de l'attestation de ce dernier que, lors de cet entretien, s'il avait confirmé le ralentissement de l'activité commerciale, il avait en revanche indiqué au dirigeant de la société MBCO que la zone de livraison de la plate-forme de Sucy allait être élargie et qu'il pourrait lui confier des livraisons à partir de ce site. Il précise que celui-ci a paru intéressé et qu'un rendez-vous a été convenu à Mitry le 27 mai à 15 heures mais que l'intéressé n'a pas honoré ce rendez-vous sans l'en informer, ni avant, ni après. Il ajoute qu'il ne lui a jamais signifié la fin des relations commerciales.
C'est dans ces conditions que le même jour, le conseil de la société MBCO a pris acte de la rupture brutale des relations commerciales établies mettant en réalité la société Darty devant le fait accompli.
Cette dernière s'est trouvée contrainte d'avoir recours en urgence à d'autres prestataires de livraison, précisément au départ de Sucy, site à partir duquel la société MBCO avait vocation à bénéficier de nouvelles commandes. Les dirigeants des sociétés Kab Transports et Bouajila Transports ont d'ailleurs attesté qu'après avoir, à l'instar de la société MBCO, exercé leur activité au départ de la plate-forme de Mitry, elles avaient été réaffectées au départ de la plate-forme de Sucy-en-Brie à compter du 1er juin 2009.
Il résulte des éléments ci-dessus énoncés que la société Darty n'avait pas l'intention de rompre sa relation commerciale avec la société MBCO mais s'est simplement trouvée contrainte par des raisons économiques, à savoir une baisse des commandes de ses clients, d'envisager un déploiement des livraisons sur une autre zone sur laquelle l'activité était maintenue. C'est la raison pour laquelle une rencontre était prévue entre les parties afin d'envisager conjointement cette réaffectation, pour permettre à la société MBCO de continuer à bénéficier de commandes de la société Darty.
En tout état de cause, une baisse d'activité pendant une durée d'une dizaine de jours ne permet pas de caractériser une rupture brutale des relations commerciales imputables à la société Darty. C'est la société MBCO qui a elle-même mis brutalement un terme à la relation commerciale entre les parties en la plaçant délibérément sur le plan contentieux alors que les dispositions de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce ne font pas obstacle à ce que les parties, dans le cadre d'une exécution loyale et de bonne foi, réaménagent leurs relations commerciales, dès lors qu'il n'en résulte pas des conséquences excessives, qui ne sont pas démontrées, ni même alléguées, en l'espèce.
Le jugement dont appel doit donc être infirmé en toutes ses dispositions.
L'équité commande d'allouer à la société Darty une indemnité de 1 500 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : Et, adoptant ceux non contraires des premiers juges, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Infirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, Déboute la SCP Coudray Ancel, prise en la personne de Me Ancel, ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société MBCO, de l'intégralité de ses demandes, Condamne la SCP Coudray Ancel, prise en la personne de Me Ancel, ès qualités de liquidateur judiciaire de la société MBCO, à payer à la société Darty la somme de 1 500 au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la SCP Coudray Ancel, prise en la personne de Me Ancel, ès-qualités de liquidateur judiciaire de la société MBCO, aux dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.