CA Caen, 1re ch. civ., 26 mars 2013, n° 11-03883
CAEN
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Carrefour Hypermarchés (SAS), Carrefour France (SAS)
Défendeur :
Président de l'Autorité de la concurrence, Ministère de l'Economie et des Finances
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Maussion
Conseillers :
Mme Serrin, M. Jaillet
Avocats :
SCP Parrot-Lechevallier-Rousseau, SCP Terrade, Dartois, Me de Lammerville
Vu le jugement rendu le 18 novembre 2011 par le Tribunal de commerce de Lisieux dans le litige opposant le président de l'Autorité de la concurrence à la société Carrefour Hypermarchés France et Carrefour France, en présence de Madame la ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi, intervenante volontaire,
Vu l'appel interjeté le 13 décembre 2011 par l'Autorité de la concurrence à l'encontre de cette décision,
Vu les conclusions d'incident en date du 10 mai 2012, aux termes desquelles les sociétés Carrefour Hypermarchés et Carrefour France ont saisi le conseiller de la mise en état aux fins de voir déclarer nulle et irrecevable la déclaration d'appel effectuée le 13.12.2011 par l'Autorité de la concurrence et subsidiairement de voir déclarer irrecevable le président de l'Autorité de la concurrence en son appel.
Vu l'ordonnance rendue le 17 octobre 2012 aux termes de laquelle le conseiller de la mise en état :
- Déboute les sociétés Carrefour France et Carrefour Hypermarchés de leurs demandes.
Vu les conclusions des société Carrefour Hypermarchés et Carrefour France déférant à la cour l'ordonnance susvisée et demandant à la cour :
- D'infirmer l'ordonnance rendue le 17 octobre 2012,
En conséquence,
A titre principal,
- De dire que le président de l'Autorité de la concurrence dispose seul du droit de saisir les juridictions civiles ou commerciales sur le fondement de l'article L. 442-6 III du Code de commerce,
- De constater que l'instance a été initiée par le président de l'Autorité de la concurrence,
- De constater que l'Autorité de la concurrence n'a pas participé à la procédure de première instance,
- De constater que la déclaration d'appel a été régularisée par l'Autorité de la concurrence,
- De dire que l'Autorité de la concurrence ne dispose pas de la capacité pour interjeter appel et qu'elle ne justifie pas d'un intérêt pour interjeter appel,
- De déclarer irrecevable la déclaration d'appel en date du 13 décembre 2011,
A titre subsidiaire,
- De constater que la mission attribuée au président de l'Autorité de la concurrence par l'article L. 442-6 III du Code de commerce est strictement limitée à la saisine des juridictions et que le président de l'Autorité de la concurrence ne peut émettre de prétentions dans le cadre d'une instance initiée sur le fondement de l'article L. 442-6 III du Code de commerce,
- De constater que l'intervention du ministre de l'Economie à l'instance est fondée sur l'article L. 442-6 III du Code de commerce,
- De constater que seul le ministre de l'Economie et le ministère public peuvent émettre des prétentions dans le cadre d'une instance initiée par le président de l'Autorité de la concurrence sur le fondement de l'article L. 442-6 III du Code de commerce,
- De dire que le président de l'Autorité de la concurrence ne dispose pas de la qualité pour interjeter appel dans le cadre d'une instance initiée sur le fondement de l'article L. 442-6 III du Code de commerce,
- De dire que le président de l'Autorité de la concurrence ne dispose pas d'un intérêt pour interjeter appel d'un jugement rendu dans le cadre d'une instance initiée sur le fondement de l'article L. 442-6 III du Code de commerce,
- De déclarer le président de l'Autorité de la concurrence irrecevable en son appel,
En tout état de cause,
- De condamner solidairement l'Autorité de la concurrence et le ministre de l'Economie à leur verser à chacune 20 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- De les condamner aux dépens, dont distraction.
Le président de l'Autorité de la concurrence, par conclusions en date du 29 janvier 2013, demande à la cour :
- De rejeter l'ensemble des demandes formulées par les sociétés Carrefour Hypermarchés et Carrefour France, dans leurs conclusions de déféré,
- De confirmer l'ordonnance de mise en état en date du 17 octobre 2012,
- De débouter les sociétés Carrefour Hypermarchés et Carrefour France de l'intégralité de leurs demandes, fins et prétentions,
- De les condamner in solidum à lui payer 20 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile et aux dépens, dont distraction.
Le ministre de l'Economie et des Finances, par conclusions en date du 4 février 2013, demande à la cour :
- De déclarer irrecevable le déféré par Carrefour de l'ordonnance du conseiller de la mise en état,
- De confirmer l'ordonnance rendue le 17 octobre 2012 en ce qu'elle a débouté les sociétés Carrefour Hypermarchés et Carrefour France de leurs demandes,
- De déclarer recevable son intervention sur le fondement des articles L. 442-6 III et L. 450-5 du Code de commerce,
- De débouter les sociétés Carrefour Hypermarchés et Carrefour France de l'ensemble de leurs demandes,
- De les condamner à lui verser 3 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Sur quoi LA COUR
Sur l'irrecevabilité du déféré par les sociétés Carrefour de l'ordonnance du conseiller de la mise en état
Le ministre de l'Economie et des Finances conclut à titre principal à l'irrecevabilité du déféré motif pris de ce que l'ordonnance du conseiller de la mise en état ne met pas fin à l'instance et n'est donc pas susceptible de déféré.
Le ministre de l'Economie et des Finances s'appuie en cela sur un avis rendu par la Cour de cassation le 2 avril 2007 selon lequel l'ordonnance du conseiller de la mise en état qui déclare l'appel recevable n'est pas susceptible d'être déférée à la cour dès lors qu'elle ne met pas fin à l'instance.
Toutefois, cet avis a été rendu sur la base des dispositions de l'article 914 ancien du Code de procédure civile aux termes duquel "les ordonnances du conseiller de la mise en état peuvent être déférées à la cour lorsqu'elles ont pour effet de mettre fin à l'instance, lorsqu'elles constatent son extinction (...) ou lorsqu'elles statuent sur une exception de procédure ou un incident mettant fin à l'instance".
Cet article s'est trouvé modifié par le décret du 28 décembre 2010, l'article 916 prévoyant désormais que "les ordonnances du conseiller de la mise en état peuvent être déférées lorsqu'elles ont pour effet de mettre fin à l'instance, lorsqu'elles constatent son extinction, lorsqu'elles ont trait à des mesures provisoires en matière de divorce ou de séparation de corps ou lorsqu'elles statuent sur une exception de procédure, un incident mettant fin à l'instance, la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'appel ou de la caducité de celui-ci ou lorsqu'elles prononcent l'irrecevabilité des conclusions en application des articles 909 et 910".
Le ministère de l'Economie et des Finances ajoute au texte en soutenant que seule la décision du conseiller de la mise en état qui déclarerait l'appel irrecevable et mettrait ainsi fin à l'instance serait susceptible d'être déférée à la cour.
Il résulte de la réforme opérée par le décret du 28 décembre 2010 et notamment des nouvelles dispositions de l'article 914 du Code de procédure civile que les ordonnances du conseiller de la mise en état statuant sur la fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'appel ont autorité de la chose jugée au principal.
Elles ne pourront plus être remises en cause devant la cour lorsque l'affaire viendra au fond.
C'est en conséquence pour que tous les incidents de procédure soient purgés avant que la formation collégiale ne statue au fond que les nouvelles dispositions de l'article 916 ont prévu la possibilité de déférer à la cour toutes les ordonnances du conseiller de la mise en état en ce y compris celles ne mettant pas fin à l'instance.
Il convient en conséquence de déclarer le déféré recevable.
SUR LE FOND
Sur l'irrecevabilité de l'appel interjeté par l'Autorité de la concurrence et la nullité de la déclaration d'appel
Aux termes des dispositions de l'article L. 442-6 III du Code de commerce l'action est engagée par le président de l'Autorité de la concurrence lorsque ce dernier constate une pratique mentionnée au présent article.
C'est d'ailleurs le président de l'Autorité de la concurrence qui a saisi le tribunal de commerce.
La déclaration d'appel a toutefois été régularisée par l'Autorité de la concurrence prise en la personne de son président.
Toutefois, force est de constater, comme l'a fait le conseiller de la mise en état que l'Autorité de la concurrence est dépourvue de la personnalité morale et est, aux termes de l'article 1er du décret du 10 février 2009, représentée en justice et dans tous les actes de la vie civile par son président, lequel a qualité pour agir en justice au nom de l'Autorité de la concurrence.
Il en résulte que le président de l'Autorité de la concurrence n'a pas de pouvoir propre qui serait dissociable de celui de l'Autorité de la concurrence.
L'ordonnance du conseiller de la mise en état doit en conséquence être approuvée en ce qu'elle a considéré que c'est au prix d'une dénaturation de la situation de fait et de droit dans laquelle a été introduite la procédure que les sociétés Carrefour France et Carrefour Hypermarchés soutiennent que l'appel régularisé au nom de l'établissement l'Autorité de la concurrence, autorité administrative indépendante prise en la personne de son président, alors que l'action avait été introduite par le président de l'Autorité de la concurrence, constituerait une irrégularité de fond pour défaut de capacité de son auteur ou se heurterait à la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité d'un appelant.
C'est également par une exacte appréciation des éléments de la cause et aux termes d'une motivation que la cour approuve, que le conseiller de la mise en état a considéré que la déclaration d'appel relevait d'une désignation effectivement maladroite de la personne relevant appel, mais que cette désignation s'analysait en un simple vice de forme portant sur les éléments d'identification de l'auteur du recours et qu'il n'était ni prétendu, ni établi que cette irrégularité de forme aurait porté grief aux sociétés Carrefour, cette irrégularité n'étant pas de nature à semer la confusion sur le véritable auteur de l'appel.
L'appel interjeté par l'Autorité de la concurrence prise en la personne de son président ne pouvait prêter à confusion, l'Autorité de la concurrence n'ayant pas la personnalité morale et n'agissant que par la voie de son président, la formulation maladroite ne pouvant en conséquence causer grief aux intimées.
Les sociétés Carrefour ne sauraient pas davantage soutenir que le comportement du président de l'Autorité de la concurrence est contraire au principe de loyauté procédurale autrement appelé "estoppel" dans la mesure où il a tantôt reconnu avoir agi dans le cadre de sa compétence propre et tantôt en tant que représentant de l'Autorité de la concurrence, alors même que le président de l'Autorité de la concurrence s'est toujours prévalu des dispositions de l'article L. 442-6 III du Code de commerce qui lui donnent compétence pour agir en sa qualité de président de l'Autorité de la concurrence.
Il ne saurait en conséquence être considéré que son comportement est contraire au principe de loyauté procédurale.
Sur les fins de non-recevoir
Les sociétés Carrefour France et Carrefour Hypermarchés soutiennent, à titre subsidiaire, que le président de l'Autorité de la concurrence ne serait pas recevable à interjeter appel du jugement du 18.11.2011, n'ayant ni intérêt ni qualité pour ce faire, dès lors que les dispositions de l'article L. 442-6 III du Code de commerce ne lui donneraient que le pouvoir de dénoncer des pratiques restrictives de concurrence et qu'il reviendrait au seul ministre de l'Economie et des Finances de faire cesser ces pratiques.
Toutefois, comme l'a pertinemment relevé le conseiller de la mise en état, le fait que les dispositions de l'article L. 442-6 III du Code de commerce permettent au président de l'Autorité de la concurrence d'introduire une action devant la juridiction civile ou commerciale compétente lui confère la qualité de partie à la procédure et par voie de conséquence lui permet d'interjeter appel en application des dispositions de l'article 546 du Code de procédure civile.
De plus, l'article R. 442-1 du Code de commerce dispose que "lorsque le ministre chargé de l'Economie ou le président de l'Autorité de la concurrence exerce l'action prévue par l'article L. 442-6 III et les voies de recours y afférentes, il est dispensé de représentation par un avocat".
Il ne saurait en conséquence, au vu des dispositions susvisées qui reconnaissent expressément au président de l'Autorité de la concurrence l'exercice de voies de recours, être prétendu qu'il n'aurait pas la possibilité d'interjeter appel.
Le président de l'Autorité de la concurrence a en outre un intérêt à exercer cette voie de recours, dans la mesure où il a pour mission de préserver l'ordre public économique.
Il convient en conséquence de confirmer l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Les sociétés Carrefour France et Carrefour Hypermarchés qui succombent seront condamnées aux dépens et à payer 3 000 euro au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au ministre de l'Economie et des Finances et 3 000 euro au président de l'Autorité de la concurrence.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement, - Déclare recevable le déféré formé par les sociétés Carrefour France et Carrefour Hypermarchés à l'encontre de l'ordonnance du conseiller de la mise en état en date du 17 octobre 2012, - Confirme en toutes ses dispositions l'ordonnance déférée, Y ajoutant, - Condamne in solidum les sociétés Carrefour France et Carrefour Hypermarchés à payer la somme de 3 000 euro au président de l'Autorité de la concurrence et la somme de 3 000 euro au ministre de l'Economie et des Finances, au titre des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile, Les condamne, sous la même solidarité aux dépens, dont distraction.