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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 28 mars 2013, n° 11-19559

PARIS

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Auctionart-Remy Le Fur & Associes (SAS)

Défendeur :

Artcurial (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mmes Pomonti, Michel-Amsellem

Avocats :

Mes Flauraud, Reliquet, Bremond

T. com. Paris, du 11 oct. 2011

11 octobre 2011

Faits constants et procédure

Par différentes conventions conclues les 30 avril et 15 mai 2002, Me Rémy Le Fur et Me Hervé Poulain, commissaires-priseurs, et les sociétés dont ils détenaient le capital, ont cédé à la société Artcurial le droit de présentation de la clientèle de ventes volontaires de biens meubles aux enchères publiques et les titres composant le capital social de la société Poulain Le Fur, moyennant un prix de 6 093 000 euros.

Messieurs Poulain et Le Fur ont souscrit, par convention en date du 15 mai 2002 un " engagement d'exclusivité et de non-concurrence " par lequel ils se sont engagés à apporter aux sociétés précitées " leur collaboration exclusive dans le cadre des mandats et fonctions qui leur seront confiés " et ont souscrit un engagement de non-concurrence pendant cette collaboration, ainsi que pendant huit ans à la cessation de celle-ci, cet engagement étant assorti d'une clause pénale.

M. Le Fur bénéficiait d'un contrat de travail lui confiant des fonctions de direction générale de la société Artcurial, ce contrat ayant été conclu le 1er juillet 2002.

Le 15 mai 2007, M. Le Fur a quitté la société Artcurial, puis a constitué en 2008 la société Pierre Cardin Auction Art-Rémy Le Fur et associés (actuellement dénommée Auctionart Rémy Le Fur et associés), dont il est actionnaire majoritaire. Il en a établi le siège à proximité de celui d'Artcurial.

La société Artcurial lui a réclamé le paiement du montant de la clause pénale contractuellement fixé à 685 000 euros.

Par acte en date du 8 avril 2009, la société Artcurial a assigné M. Le Fur et la société Pierre Cardin Auction Art-Rémy Le Fur et associés devant le Tribunal de commerce de Paris aux fins de voir constater la violation par M. Le Fur de son engagement de non-concurrence, le manquement de ce dernier à l'obligation de garantie légale d'éviction du fait personnel du vendeur qui s'est rendu coupable d'agissements de concurrence déloyale et dont la société Pierre Cardin Auction Art-Rémy Le Fur et associés se serait rendue complice.

Par un jugement en date du 11 octobre 2011, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de commerce de Paris a :

- dit l'exception recevable mais mal fondée, en conséquence, s'est dit compétent,

- condamné in solidum M. Le Fur et la société Pierre Cardin Auctionart Rémy Le Fur et associés à verser à la société Artcurial la somme de 100 000 euros avec intérêts au taux légal majoré à compter du 7 mai 2008,

- condamné in solidum M. Le Fur et la société Pierre cardin Auctionart Rémy Le Fur et associés à verser à la société Artcurial la somme de 8 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,

- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires.

Vu l'appel interjeté le 2 novembre 2011 par M. Le Fur et la société Auctionart-Rémy Le Fur & Associés contre ce jugement.

Vu les dernières conclusions, signifiées le 16 janvier 2013, par lesquelles M. Le Fur et la société Auctionart-Rémy Le Fur & associés ont demandé à la Cour de :

- dire et juger que le différend s'élève à l'occasion du contrat de travail conclu entre M. Le Fur et la société Poulain Le Fur contrôlée par la société Artcurial,

en conséquence,

- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il retient la compétence du tribunal de commerce,

- statuer sur le fond du droit en application de l'article 79 du Code de procédure civile,

- dire et juger l'engagement de non-concurrence en date du 15 mai 2002 nul et de nul effet, en tous cas en ce qui concerne sa seconde partie, c'est-à-dire pour la période postérieure à la cessation du contrat de travail,

- à titre extrêmement subsidiaire et pour le cas où par impossible, il ne serait pas fait droit à la demande d'annulation de l'engagement de non concurrence, en tous cas en sa seconde partie c'est-à-dire pour la période postérieure à la cessation du contrat de travail, dire et juger les pénalités prévues manifestement excessives et faire application des dispositions de l'article 1152 alinéa 2 du Code civil,

- débouter la société Artcurial en toutes ses demandes, fins et conclusions,

- condamner la société Artcurial à payer les sommes de 20 000 euros à M. Le Fur et 20 000 euros à la société Auction Art-Rémy Le Fur et associés conformément aux dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

M. Le Fur et la société Auctionart-Rémy Le Fur & Associés soutiennent que la juridiction commerciale n'était pas compétente pour connaître de l'engagement de non-concurrence formalisé dans le contrat de travail, en ce que les différends qui s'élèvent à l'occasion du contrat de travail entre employeurs et salariés que ce soit au cours de son exécution ou postérieurement à sa cessation sont de la compétence exclusive du Conseil de prud'hommes. Ils admettent que la cour d'appel sera néanmoins conduite à statuer au fond en application de l'article 79 du Code de procédure civile.

Ils considèrent également que les conditions de validité de la clause de non concurrence litigieuse ne sont pas réunies et, qu'en conséquence, celle-ci est nulle et ne peut produire aucun effet. Ils ajoutent que le montant de la clause pénale est particulièrement disproportionné au regard de l'opération convenue et que la société Artcurial ne justifie d'aucun préjudice qui aurait pour cause le non-respect de l'obligation de non concurrence litigieuse.

Ils prétendent, concernant la garantie d'éviction du fait personnel du vendeur, invoquée à tort par la société Artcurial et écartée par le tribunal, que la cour devra nécessairement confirmer le jugement entrepris sur ce point, la société Artcurial ne rapportant la preuve d'aucune manœuvre frauduleuse de M. Le Fur ni d'un détournement de clientèle, ni même d'une perte de son chiffre d'affaire et encore moins d'avoir été empêchée de poursuivre son activité.

Vu les dernières conclusions, signifiées le 18 décembre 2012, par lesquelles la société Artcurial a demandé à la Cour de :

- constater la violation par M. Le Fur de son engagement de non-concurrence du 15 mai 2002 et ce, depuis le mois de mars 2008,

- subsidiairement, constater que M. Le Fur a manqué à son obligation de la garantie légale d'éviction du fait personnel du vendeur,

- plus subsidiairement, constater que M. Le Fur, en s'établissant, depuis 2008, à quelques centaines de mètres du siège de la demanderesse sous la dénomination " Auction Art Pierre Cardin Rémy Le Fur " (devenue " Auctionart-Rémy Le Fur "), s'est rendue coupable d'agissements de concurrence déloyale,

- constater que la société Auctionart-Rémy Le Fur & Associés, constituée en mars 2008, s'est rendue et se rend toujours complice de la violation de l'interdiction souscrite par M. Le Fur,

En conséquence,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a retenu la compétence du Tribunal de commerce de Paris,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré valable l'engagement de non-concurrence souscrit par M. Le Fur,

- l'infirmant sur le quantum,

- condamner in solidum M. Le Fur et la société Auction Art Rémy Le Fur & Associés à verser au titre de la clause pénale, laquelle n'est pas excessive, à la société Artcurial la somme en principal de 685 000 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 7 mai 2008,

- ordonner la capitalisation des intérêts dus depuis plus d'une année à la date des présentes conclusions,

- subsidiairement, infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a décidé que la société Artcurial n'établissait pas une violation de la garantie légale de non-concurrence souscrite en tout état de cause par M. Le Fur, et retenir de surcroit que celui-ci et la société appelante ont violé l'article 1382 du Code civil,

- en conséquence, les condamner en toute hypothèse sur ces fondements, in solidum, à verser à la société Artcurial la somme de 685 000 euros, à titre de dommages et intérêts, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 7 mai 2008,

- ordonner la capitalisation des intérêts dus depuis plus d'une année à la date des présentes conclusions,

- les condamner à verser à la société Artcurial la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Artcurial soutient que l'engagement de non concurrence qui est destiné à garantir la valeur de ce qui a été cédé est non seulement limité dans le temps et dans l'espace, mais aussi proportionné à la protection des intérêts en présence.

Elle considère également que c'est en vain que M. Le Fur persiste à se prévaloir de l'incompétence rationae materiae de la juridiction commerciale en scindant " l'engagement d'exclusivité et de non concurrence " conclu entre les parties le 15 mai 2002 en deux conventions distinctes alors que cette dissociation ne répond ni aux accords conclus, ni à la commune volonté des parties, ni à la moindre logique juridique.

Ensuite, la société Artcurial prétend que la violation de l'engagement de non concurrence est particulièrement caractérisée et engage la responsabilité contractuelle de M. Le Fur et quasi-délictuelle de la société Auctionart ' Rémy Le Fur & Associés, dont il est l'actionnaire majoritaire. Elle ajoute, qu'elle a subi un préjudice du fait du départ de M. Le Fur, qui l'a privée du bénéfice escompté de la renommée, du savoir-faire et de l'intuitu personae de ce dernier pour lequel la société Artcurial a versé un prix très important.

Elle soutient que le montant de la clause pénale est mesuré, puisqu'il ne représente qu'environ 10 % de l'investissement réalisé par la société Artcurial auprès de M. Le Fur et Poulain. De plus, concernant l'obligation de non concurrence, elle considère que la garantie du fait personnel est d'ordre public, de sorte que le vendeur doit en répondre nonobstant convention contraire et ce, sans limitation de durée, cette garantie survivant à l'expiration de la clause de non-concurrence.

La Cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions initiales des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

Motifs

Sur la compétence de la juridiction commerciale :

M. Le Fur et la société Auctionart-Remy Le Fur & Associés n'ont présenté en appel sur ce point aucun moyen nouveau de droit ou de fait qui justifie de remettre en cause le jugement attaqué, lequel repose sur des motifs pertinents, résultant d'une analyse correcte des éléments de la procédure, notamment des pièces contractuelles et de la juste application de la loi et des principes régissant la matière.

La société Artcurial a en effet agi sur le fondement du non-respect par M. Le Fur de son engagement d'exclusivité et de non concurrence signé le 15 mai 2002 et qui dispose :

Messieurs Poulain et Le Fur, chacun en ce qui le concerne, s'engagent expressément à apporter à Poulain Le Fur SAS et à sa société-mère Artcurial et ses filiales, leur collaboration exclusive dans le cadre des mandats et fonctions qui leur seront confiés tant en leur sein qu'au sein de structures liées et ce, pendant une durée de 5 années à compter du jour des présentes.

En conséquence de l'engagement qui précède, Messieurs Poulain et Le Fur s'interdisent expressément, de créer, acquérir, tenir, gérer, exploiter ou participer, directement ou indirectement ou par personne interposée, pour leur compte ou pour le compte d'un tiers, à quelque titre que ce soit y compris en qualité de salarié, à une entreprise exerçant son activité dans les domaines de la vente volontaire de meubles aux enchères publiques et de la commercialisation d'œuvres et d'objets d'art, ainsi que de proposer, négocier ou traiter, à quelque titre que ce soit, quelque affaire que ce soit portant sur les produits susvisés avec l'un quelconque des clients composant la clientèle de la société Artcurial si ce n'est dans le cadre de leur activité au sein de celle-ci ou de ses filiales ou dans le cadre de leur activité de commissaires-priseurs judiciaires.

La présente interdiction trouvera application dès lors que Messieurs Poulain et Le Fur auront cessé, pour quelque cause que ce soit, d'exercer les fonctions susvisées au sein de Poulain Le Fur SAS et/ou des sociétés Francis Briest Maison de Ventes-FBMV et Artcurial.

Elle portera effet pendant la durée au cours de laquelle Messieurs Poulain et Le Fur apporteront leur collaboration aux sociétés Poulain Le Fur SAS et/ou Artcurial ou autres structures liées, que ce soit dans le cadre des mandats visés à l'article 1 ou dans d'autres fonctions ou mandats, ainsi que pendant une durée de 8 années à compter de la date à laquelle ils auront cessé toute forme de collaboration tant au sein de Poulain Le Fur SAS qu'auprès de la société Artcurial ou de ses filiales. Cette durée sera toutefois réduite s'agissant de Monsieur Le Fur à une durée de 2 années dans l'hypothèse où cette cessation de collaboration de Monsieur Le Fur sera à l'initiative de la société Artcurial ou de ses filiales.

Elle est limitée exclusivement au territoire de la France métropolitaine.'

Par ailleurs le contrat de travail signé entre la société Poulain Le Fur et Monsieur Le Fur le 1er juillet 2002, mentionne que, 'dans le cadre de divers accords' (faisant référence à la convention d'acquisition du 30 avril 2002, à la convention de successeur du 15 mai 2002 et à l'engagement d'exclusivité et de non concurrence du 15 mai 2002), Monsieur Le Fur a consenti un engagement d'exclusivité et de non-concurrence et précise à l'article IX que "les dispositions du présent contrat et, en particulier, des articles II et VIII, n'apportent aucune novation aux dispositions de l'engagement d'exclusivité et de non concurrence signé entre Monsieur Le Fur, conjointement avec Monsieur Poulain, et les sociétés Artcurial et Poulain Le Fur SAS par acte S.S.P. en date du 15 mai 2002 qui, convenues à un autre titre et dans un autre cadre que celui du présent contrat, conserveront tous leurs effets".

En conséquence, M. Le Fur et la société Auctionart-Remy Le Fur & Associés ne peuvent soutenir que l'engagement de non concurrence "relevait à l'évidence de la relation de travail" alors que M. Le Fur a manifestement entendu souscrire cet engagement, à la fois dans le cadre de la cession de son droit de présentation de sa clientèle, dans le cadre de la relation de travail et dans tout autre cadre de collaboration entre les parties. Il est univoque et ne saurait être soumis à un régime différent selon la période à laquelle se situe la violation alléguée de l'engagement.

Le jugement dont appel doit donc être confirmé en ce qu'il a retenu la compétence de la juridiction commerciale.

En tout état de cause, la cour de céans étant également juridiction d'appel du Conseil des prud'hommes de Paris, il lui appartient de statuer sur le présent litige.

Sur la validité de la clause de non concurrence :

La clause énoncée ci-dessus fait interdiction à M. Le Fur de s'intéresser directement ou indirectement aux deux activités suivantes :

-la vente volontaire de meubles aux enchères publiques,

-la commercialisation d'œuvres et d'objets d'art.

Cette interdiction s'étend à l'ensemble du territoire de la France métropolitaine et doit être respectée :

-pendant toute la durée de la collaboration de M. Le Fur au sein de la société Poulain Le Fur, de la société Artcurial ou de ses filiales, à compter du 15 mai 2002 et pour une durée minimale de 5 années,

-puis, pendant une durée de huit années à compter de la cessation de cette collaboration, réduite à deux années en cas de licenciement émanant de la société groupe Artcurial liée par un contrat de travail avec M. Le Fur.

La validité d'une clause de non concurrence est subordonnée à la justification par le créancier de l'obligation de non-concurrence d'un intérêt légitime à protéger, à condition que cet intérêt légitime reste proportionné à la contrainte reposant sur le débiteur de ladite obligation et doit s'apprécier in concreto.

La société Artcurial affirme que l'opération à laquelle était lié l'engagement de non concurrence litigieux portait, notamment, sur la cession du droit de présentation de la clientèle de ventes volontaires de biens meubles aux enchères publiques de la SCP Poulain le Fur et sur le droit d'utiliser le nom commercial "Poulain Le Fur" moyennant un prix de 6 093 000 euro et l'attribution à chacun des deux commissaires-priseurs de 4 268 actions de la société Artcurial. Elle estime que, compte tenu de l'envergure de l'opération conclue et du caractère exceptionnel du prix fixé, son intérêt évident et légitime était que Me Le Fur ne se rétablisse pas avant l'expiration de son engagement.

Cependant, il y a lieu d'observer que le droit d'utiliser le nom commercial "Poulain le Fur" n'implique pas pour autant le droit d'user du patronyme de M. Le Fur à "usage de marque" ou la cession de sa notoriété.

Par ailleurs, la clause de non concurrence s'inscrit en regard de la collaboration de M. Le Fur qui s'est notamment concrétisée par la conclusion d'un contrat de travail. Les appelants font valoir à juste titre que la durée de protection de 8 années est déconnectée de la cession elle-même, qui est protégée pendant la première période de non concurrence de 5 ans liée à l'exécution du contrat de travail. La durée de 8 ans supplémentaire ne commence à courir qu'à compter de la rupture de la collaboration. Pendant les 5 années au cours desquelles M. Le Fur s'est engagé à collaborer exclusivement avec le cessionnaire, se sont opérés la consolidation et le rattachement au sein de la société cédée de la clientèle de "vente volontaire de meubles aux enchères publiques". La nouvelle période de non concurrence de 8 ans démarrant au jour de la rupture de la collaboration, elle ne garantit plus la valeur de l'entreprise au jour de l'apport des titres mais celle au jour de la rupture de la collaboration.

Ainsi l'intérêt légitime allégué ne vaut que pour la première partie de l'exécution de la clause de non concurrence.

S'agissant de la contrainte reposant sur le débiteur de l'obligation de non concurrence, la clause avait pour effet de contraindre M. Le Fur à rester pendant 8 ans sans travail, alors même qu'il ne pouvait obtenir le rachat de ses actions avant l'expiration de 8 ans. Il avait 49 ans lorsqu'il a cessé ses fonctions au sein de la société Artcurial au printemps 2007 et il n'avait jamais exercé d'autre activité que celle de commissaire-priseur. En outre, compte tenu des spécificités de cette activité dans laquelle la notoriété est essentielle, le fait de ne plus être présent sur le marché pendant une durée de 8 ans revenait pour lui à être dans l'impossibilité de reprendre cette activité.

La clause faisait également interdiction à M. Le Fur d'exercer son activité non seulement dans le domaine de la vente volontaire de meubles aux enchères publiques mais également, plus globalement, en matière de commercialisation d'œuvres et d'objets d'art, en contradiction avec la cession qui ne portait que sur l'activité de vente volontaire de meubles aux enchères publiques. Elle excédait donc le périmètre du contrat, démontrant ainsi une disproportion entre la clause et l'objet du contrat.

La clause avait également une durée anormalement longue puisqu'elle était prévue pour un minimum de treize années consécutives, si la décision de quitter sa collaboration émanait de M. Le Fur.

Elle était de surcroît étendue à tout le territoire français, qui correspond au lieu de valorisation de son activité professionnelle. La société Artcurial ne peut se prévaloir du rayonnement international de l'activité de ventes aux enchères et de la clientèle de M. Le Fur alors qu'elle ne le démontre pas.

Il faut encore relever que, pour être valable, une clause de non concurrence souscrite par un salarié actionnaire ou associé de la société qui l'emploie doit non seulement être proportionnée à la protection des intérêts légitimes de l'entreprise, limitée dans le temps et dans l'espace mais aussi comporter une contrepartie financière, ces conditions étant cumulatives. Or, en l'espèce, l'engagement de non concurrence souscrit le 15 mai 2002 par M. Le Fur ne comporte aucune contrepartie financière.

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que l'engagement de non concurrence du 15 mai 2002 est nul et de nul effet, du moins en ce qui concerne sa seconde partie, à compter du 15 mai 2007, c'est à dire pour la période postérieure à la cessation de la collaboration de M. Le Fur. En conséquence, le jugement dont appel doit être infirmé en ce qu'il a condamné M. Le Fur et la société Auctionart-Remy Le Fur & Associés à payer à la société Artcurial une indemnité de 100 000 euro au titre du non-respect de cette clause.

Dès lors, il n'y a pas lieu d'examiner la disproportion de la clause pénale accompagnant la clause de non-concurrence et l'absence de préjudice ayant pour cause le non-respect de l'obligation de non concurrence en cause qui sont allégués par M. Le Fur et la société Auctionart-Remy Le Fur & Associés.

Sur la garantie d'éviction :

A titre subsidiaire, la société Artcurial a sollicité la condamnation de M. Le Fur et la société Auctionart-Remy Le Fur & Associés sur le fondement de la garantie d'éviction du fait personnel du vendeur prévue à l'article 1626 du Code civil qui dispose : "quoique lors de la vente il n'ait été fait aucune stipulation sur la garantie, le vendeur est obligé de droit à garantir l'acquéreur de l'éviction qu'il souffre dans la totalité ou partie de l'objet vendu, ou des charges prétendues de cet objet, et non déclarées lors de la vente".

L'article 1628 ajoute que 'quoiqu'il soit dit que le vendeur ne sera soumis à aucune garantie, il demeure cependant tenu de celle qui résulte d'un fait qui lui est personnel : toute convention contraire est nulle.'

Après l'expiration de la clause de non concurrence, le cessionnaire des parts ou actions d'une société demeure fondé à se prévaloir de la garantie légale d'éviction, qui interdit au cédant tout agissement ayant pour effet de l'empêcher de poursuivre l'activité économique de la société et d'en réaliser l'objet social, étant précisé que la charge de la preuve en incombe au cessionnaire. La mise en œuvre de la garantie n'est pas subordonnée à la démonstration du caractère fautif ou déloyal des moyens utilisés par le vendeur.

En l'espèce, M. Le Fur et M. Poulain ont cédé l'intégralité des titres de la SAS Poulain Le Fur à la société Artcurial, notamment l'ensemble des éléments corporels et incorporels attachés à l'activité de vente volontaire de meubles aux enchères publiques, dont le nom commercial. La question se pose de savoir si la réinstallation de M. Le Fur, dans le cadre de la société dénommée initialement "Pierre Cardin Auction Art-Rémy Le Fur & Associés" constituée courant mars 2008, avec un siège social [...], soit à 800 mètres du siège de la société Artcurial, pour exercer la même activité sous une dénomination sociale reprenant partiellement le nom commercial cédé, entraîne l'éviction de cette dernière, dans la mesure où la garantie d'éviction n'entraîne pas pour le vendeur l'interdiction de se rétablir sauf si ce rétablissement a pour effet d'empêcher le cessionnaire de poursuivre l'activité économique de la société et d'en réaliser l'objet social.

Il est évident que l'éviction alléguée n'empêche pas la société Artcurial de poursuivre son activité économique, ou de réaliser son objet social puisque la société préexistait à l'opération de cession et que sa filiale, la société Artcurial Briest Poulain F. Tajan continue à réaliser des ventes aux enchères publiques. Cependant, celle-ci fait valoir que le détournement de clientèle est établi par le fait que la clientèle de M. Le Fur, qui lui avait été cédée, a inévitablement été conduite à se tourner vers la nouvelle société de ventes volontaires créée par M. Le Fur, la société Auctionart-Remy Le Fur & Associés, puisqu'elle porte son nom et est localisée à proximité.

Pourtant, la société Artcurial ne saurait reprocher à M. Le Fur d'avoir implanté sa société dans le même quartier qu'elle alors que l'ensemble des commissaires-priseurs de Paris exercent à proximité les uns des autres, ce choix étant de surcroît motivé par l'association de M. Le Fur avec M. Cardin dont les locaux se situent précisément à cet endroit. Au surplus la clientèle des salles de vente choisissent celles-ci, non en raison de leur localisation mais en raison de leur réputation.

Elle ne peut pas plus se prévaloir des articles de presse qui ont relaté le départ de M. Le Fur de la société Artcurial et l'ouverture d'une nouvelle maison des ventes en association avec M. Pierre Cardin, alors que ce n'est manifestement pas M. Le Fur qui est à l'origine de cette publicité indirecte.

Par contre, il est établi par le procès-verbal de constat du 14 janvier 2010 et par l'extrait de l'annuaire des professionnels "Pages jaunes" que, bien qu'ayant pris acte de la démission de M. Le Fur et de son départ effectif au 16 mai 2007, la société Artcurial continuait encore près de trois ans plus tard à communiquer auprès de sa clientèle et de ses prospects sous le nom "Le Fur" et cette situation perdure comme en atteste le procès-verbal de constat établi le 21 décembre 2012.

Par ailleurs, il n'est pas démontré que la clientèle cédée soit particulièrement attachée au nom des commissaires-priseurs Poulain et Le Fur. Force est également de constater que la société intimée met en avant, non pas le nom des commissaires-priseurs associés, mais sa propre dénomination qu'elle présente comme une "marque", à l'instar d'autres grandes sociétés de vente aux enchères publiques comme Sotheby's ou Christie's auxquelles elle n'hésite pas à se comparer. Cela est notamment démontré par le procès-verbal de constat du 13 décembre 2012 qui mentionne que la signalétique extérieure implantée par la société Artcurial à son adresse principale 7 Rond-Point des Champs Elysées à 75008 Paris est constituée par "un bandeau vertical souple fixe sur toute la hauteur de la façade de l'hôtel particulier" avec le mot 'en gros caractères "Artcurial"

Il n'est pas démontré que la clientèle de M. Rémy Le Fur qui a été cédée à la société Artcurial et qui a suivi celui-ci lorsqu'il a collaboré avec cette dernière pendant 5 ans, ait été conduite à se tourner à nouveau vers la nouvelle société de ventes volontaires Auctionart-Remy Le Fur & Associés qui intègre son nom. La transformation en novembre 2010 de la dénomination de la nouvelle société de M. Le Fur de "Pierre Cardin Auction Art-Rémy Le Fur & Associés" en "Auctionart-Remy Le Fur & Associés" n'est pas significative d'une volonté de mettre en exergue le nom 'Le Fur', celui-ci apparaissant dans les deux cas.

Enfin, il ne résulte pas des pièces produites par la société Artcurial, et notamment de ses pièces n° 40, 41, 42 et 43, que le départ de M. Le Fur ait eu une incidence majeure sur ses ventes et qu'il en soit résulté pour elle une perte de chiffre d'affaires. D'une part, les bilans et comptes de résultats produits ne sont pas les propres comptes de la société Artcurial mais ceux de la société "Artcurial Briest Poulain Tajan SAS", de sorte qu'ils ne permettent pas de justifier du préjudice propre de la société Artcurial. D'autre part, la pièce n° 40, dont le caractère probatoire est au demeurant discutable puisqu'elle comporte un simple tableau des chiffres des "ventes marteau" de 2005 à 2009 (dont on ignore s'il s'agit d'euros)avec la simple mention manuscrite "chiffres conformes aux ventes marteau" avec une signature non identifiable et la date du "8.06.2010", si elle établit une chute très importante de ces ventes entre 2007 (9 820 175) et 2008 (2 976 930), ne permet pas pour autant d'établir un lien avec la constitution de la société appelante. Celle-ci n'a été constituée qu'en mars 2008 et il n'est pas possible que l'effet de l'éviction qui en résulterait ait été aussi immédiat. Or, le chiffre des "ventes marteau" était déjà auparavant en chute régulière et spectaculaire puisqu'il était de 18 729 435 en 2005 puis de 10 312 610 en 2006 et de 9 820 175 en 2007 et, qu'après la chute de 2008, il est reparti à la hausse en 2009 où il a été de 4 996 458.

Par ailleurs, M. Le Fur et la société Auctionart-Remy Le Fur & Associés observent, sans être contredits, que les chiffres résultant de cette pièce n'ont aucun sens dans la mesure où le périmètre d'activité du département "Mobilier et Objets d'art" a été modifié à partir de 2008. Jusqu'en décembre 2007, il incluait de manière indifférenciée les activités de ventes de meubles, objets d'art, tableaux et dessins anciens alors, qu'à compter de cette date, l'activité de ventes de tableaux et dessins anciens est sortie du périmètre du département "Mobilier et Objets d'art" pour devenir un département à part entière. Ainsi, pour qu'une comparaison entre les différentes années soit sérieuse, il conviendrait d'ajouter, à partir de 2008, aux ventes "Mobilier et Objets d'art" l'ensemble des ventes relatives aux tableaux et dessins anciens.

En tout état de cause, la société Artcurial reconnaît elle-même que c'est la situation économique globale, ayant un impact sur le secteur d'activité en cause, qui est à l'origine des résultats en baisse en 2008 et non la création la société Auctionart-Remy Le Fur & Associés par M. Le Fur.

Sa plaquette de présentation 2008 mentionne : "Le dernier trimestre 2008 a été marqué par les conséquences sur le marché de l'art de la violente crise internationale qui a particulièrement touché l'art moderne et contemporain qui sont depuis sa création au cœur de la croissance d'Artcurial Briest Poulain F. Tajan. Malgré ce fléchissement, la maison de vente parvient à limiter les effets de la crise grâce au développement de départements moins sensibles à la conjoncture". Celle de 2009 indique : "La première maison française maintient sa place pour la sixième année consécutive dans le trio de tête des maisons de vente aux enchères et parvient à limiter la baisse généralement constatée sur le marché. Néanmoins, comme le constatent Francis Briest et François Tajan, co-présidents de la maison de vente, "le marché de l'art tire son épingle du jeu par rapport aux autres valeurs patrimoniales telles que l'immobilier ou la finance". Ce retour à un exercice "normal" après quelques années d'euphorie, consacre la collection comme principal vecteur de séduction et de conviction auprès d'acheteurs de plus en plus sélectifs".

Enfin, le rapport du collège de présidence à l'assemblée générale extraordinaire du 25 juin 2009 de la société Artcurial Briest Poulain Tajan SAS est éloquent quant aux causes des difficultés rencontrées en 2008 par la société, qui n'ont aucun rapport avec M. Le Fur : "Le marché de l'art et en particulier les départements liés aux œuvres d'art du 20ème siècle a été particulièrement touché par la conjoncture internationale. La société a subi au deuxième semestre 2008 une baisse importante de son activité. Cette contre-performance, spécialement durant les ventes de fin octobre 2008, a provoqué une baisse significative du résultat d'exploitation, les charges n'ayant pu être ajustées dans les mêmes délais".

Il résulte de l'ensemble de ces éléments que la société Artcurial ne démontre pas l'existence d'un préjudice résultant pour elle de la réinstallation de M. Le Fur à proximité pour exercer la même activité et ne rapporte donc pas la preuve de l'éviction dont elle se prévaut.

En conclusion, il y a lieu d'infirmer le jugement dont appel sauf en ce que le tribunal s'est déclaré compétent et en ce qu'il a débouté la société Artcurial de sa demande au titre de la garantie d'éviction, et statuant à nouveau, de dire que l'engagement de non concurrence du 15 mai 2002 est nul et de nul effet, du moins en ce qui concerne sa seconde partie, à compter du 15 mai 2007, c'est à dire pour la période postérieure à la cessation de la collaboration de M. Le Fur et de débouter la société Artcurial de l'ensemble de ses demandes.

L'équité commande d'allouer à M. Le Fur et à la société Auctionart-Remy Le Fur & Associés, chacun une indemnité de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : Et, adoptant ceux non contraires des premiers juges, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Infirme le jugement déféré, sauf en ce qu'il s'est déclaré compétent et en ce qu'il a débouté la société Artcurial de sa demande au titre de la garantie d'éviction, Statuant à nouveau, Dit que l'engagement de non concurrence du 15 mai 2002 est nul et de nul effet, du moins en ce qui concerne sa seconde partie, à compter du 15 mai 2007, c'est à dire pour la période postérieure à la cessation de la collaboration de M. Rémy Le Fur, Deboute la société Artcurial de l'ensemble de ses demandes, Condamne la société Artcurial à payer à M. Rémy Le Fur et à la société Auctionart-Remy Le Fur & Associés, chacun, la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Artcurial aux dépens de première instance et d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.