CA Versailles, 12e ch., 2 avril 2013, n° 11-08953
VERSAILLES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Jallet, Champin
Défendeur :
Hydratight (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Rosenthal
Conseillers :
Mmes Poinseaux, Orsini
Avocats :
Mes Pedroletti, Delpla, Jullien, Toucas
Vu l'appel interjeté le 14 décembre 2011 par M. Jallet à l'encontre d'un jugement rendu le 18 octobre 2011 par le Tribunal de grande instance de Pontoise qui a :
- reçu la société Hydratight France en son action,
- dit néanmoins que les demandes d'indemnisation d'éventuels préjudices liés à l'exécution du contrat de travail de MM. Champin et Jallet (remboursement de formations et remboursement des heures supplémentaires) étant de la compétence exclusive du conseil de prud'hommes, la demanderesse sera déboutée de ces chefs ;
- dit que MM. Champin et Jallet ont commis des actes de concurrence déloyale à l'égard de la société Hydratight France,
- condamné solidairement MM. Champin et Jallet à payer à la société Hydratight France la somme de 50 000 euro à titre de dommages et intérêts, avec intérêt au taux légal à compter de la signification de la présente décision,
- Interdit à MM. Champin et Jallet d'utiliser tous les plans, données informatiques et documentations techniques ainsi que commerciales se rapportant à la société Hydratight France ou Pivicat,
- ordonné, solidairement à charge de MM. Champin et Jallet, la publication de la décision judiciaire dans les journaux Le Monde, Les Echos et Le Figaro, à compter du 8ème jour de la signification du jugement, sous astreinte de 100 euro par jour de retard,
- dit recevable mais mal fondée l'action reconventionnelle de M. Jallet,
- débouté les parties de leurs demandes,
- laissé à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles qu'elle a engagés au titre de l'article 700 du Code de procédure civile
- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement dans sa partie non patrimoniale, soit la publication de la décision judiciaire et l'interdiction d'utiliser la documentation provenant de la société Hydratight France,
- condamné solidairement MM. Champin et Jallet aux dépens,
Vu la signification de la déclaration d'appel à M. Champin par acte délivré le 21 février 2012 à domicile,
Vu les dernières écritures signifiées le 9 mars 2012 par lesquelles M. Jallet demande à la cour de :
- infirmer le jugement et statuant à nouveau :
- déclarer irrecevable l'action de la société Hydratight à l'égard de M. Jallet pour défaut d'intérêt à agir conformément à l'article 31 du Code de procédure civile,
Subsidiairement,
- débouter la société Hydratight de toutes ses demandes infondées en fait et en droit ;
Reconventionnellement,
- condamner la société Hydratight à payer à M. Jallet,
* la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts sur le fondement de l'article 1382 du Code civil,
* la somme de 10 000 euros à titre de dommages-intérêts pour procédure abusive sur le fondement de l'article 32-1 du Code de procédure civile,
* la somme de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux dépens dont distraction ;
Vu la signification de ces conclusions à M. Champin par acte du 28 mars 2012 remis à l'étude de l'huissier de justice ;
Vu les dernières écritures signifiées le 27 avril 2012 aux termes desquelles la société Hydratight prie la cour de :
- dire et juger M. Jallet mal fondé en son appel et l'en débouter ;
- confirmer le jugement en ce qu'il a dit que MM. Champin et Jallet ont commis des actes de concurrence déloyale à l'égard de la société Hydratight France, débouté M. Jallet de l'ensemble de ses demandes, interdit à MM. Champin et Jallet d'utiliser tous les plans, données informatiques et documentations techniques ainsi que commerciales se rapportant à la société Hydratight France ou Pivicat, ordonné solidairement à charge de MM. Champin et Jallet, la publication de la décision judiciaire dans les journaux Le Monde, Les Echos et Le Figaro, à compter du 8eme jour de la signification du jugement, sous astreinte de 100 euro par jour de retard, et condamné solidairement MM. Champin et Jallet aux dépens ;
Y ajoutant,
- dire et juger que les dépens comprendront la somme de 10.078,45 euro, correspondant aux honoraires d'experts en informatique et frais d'huissiers nécessaires à l'établissement de la concurrence déloyale,
- condamner solidairement MM. Champin et Jallet à payer à la société Hydratight, à titre de dommages-intérêts, la somme de 65 246,97 euros en réparation de son préjudice financier, la somme de 530 778 euros en réparation de son préjudice lié à son manque à gagner sur la période du mois d'octobre 2008 au mois de mars 2009, la somme de 100 000 euros en réparation de son préjudice commercial, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation ;
- condamner solidairement MM. Champin et Jallet à payer à la société Hydratight la somme de 20 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction ;
Vu la signification de ces conclusions à M. Champin par acte d'huissier de justice délivré le 4 mai 2012 selon les dispositions de l'article 659 du Code de procédure civile ;
SUR CE, LA COUR,
Considérant que, pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions des parties, il est expressément renvoyé au jugement entrepris ainsi qu'aux écritures des parties ; qu'il sera seulement rappelé que :
- la société Hydratight, anciennement dénommée Pivicat, est spécialisée dans la fabrication et la vente d'équipements, d'outils et de toutes pièces mécaniques, hydrauliques, pneumatiques, électriques et électroniques ;
- M. Jallet, assistant commercial au sein de cette société et M. Champin, agent technique, ont démissionné de la société, respectivement les 16 mai et 31 juillet 2008 ;
- ils ont créé la société Firstens, ayant pour objet social - l'achat la vente d'équipements, appareillages, machines, outils et de toutes pièces mécaniques, hydrauliques, pneumatiques, électriques, électroniques notamment, société à responsabilité limitée immatriculée au registre du commerce et des sociétés le 22 septembre 2008 et ayant pour gérant M. Jallet ;
- la société Hydratight, disant découvrir par le biais d'un site internet que la société Firstens fabriquait à l'identique les mêmes appareils que ceux conçus et produits par elle, et sous des appellations identiques ou approchantes, a fait dresser deux constats d' huissier les 31 octobre et 2 décembre 2008, puis a été autorisée, par ordonnance sur requête du 9 janvier 2009, à saisir les pièces de nature à établir la preuve d'actes de concurrence déloyale, au siège de la société Firstens et aux domiciles de MM. Jallet et Champin ;
- soutenant que les documents saisis apportaient la preuve que MM. Jallet et Champin avaient quitté la société en s'emparant de tous ses plans, notes et documents techniques, feuilles de calcul, plaquettes et brochures, fichiers informatiques, etc., et avaient commis des actes de concurrence déloyale , la société Hydratight les a assignés, par actes des 2 et 16 juillet 2009, en réparation de son préjudice ;
- la société Firstens a été mise en liquidation judiciaire le 9 mars2009, sur déclaration de l'état de cessation des paiements ;
- c'est dans ces circonstances qu'a été rendu le jugement entrepris dont M. Jallet interjette appel ;
- M. Champin auquel la déclaration d'appel et les conclusions de M. Jallet et de la société Hydratight ont été signifiées n'a pas constitué avocat ;
Sur la recevabilité de l'action en concurrence déloyale
Considérant que M. Jallet soulève l'irrecevabilité de l'action de la société Hydratight, pour défaut d'intérêt à agir contre M. Jallet en soutenant que les actes de concurrence déloyale allégués ne peuvent qu'être l'œuvre de la société Firstens ;
Mais considérant que la société Hydratight a un intérêt légitime à agir à l'encontre de son ancien salarié auquel elle reproche d'avoir participé, à titre personnel, à des actes de concurrence déloyale ; que son action est recevable ;
Sur la concurrence déloyale
Considérant que M. Jallet soutient que la preuve de fautes constitutives de concurrence déloyale n'est pas rapportée, qu'il n'était pas lié à la société Hydratight par une clause de non concurrence et que les produits commercialisés par cette société ne sont pas, à une exception près, protégés par des marques ni par des brevets et pouvaient dès lors être commercialisés par la société Firstens ;
Considérant, toutefois, qu'il ressort des pièces produites et notamment des constats d'huissier des 31 octobre et 2 décembre 2008 et de ceux dressés le 10 février 2009 au domicile de Champin et au siège social de la société Firstens que MM. Jallet et Champin ont quitté la société Hydratight en emportant de nombreux plans, notes, documents techniques, feuilles de calcul, graphiques, tableaux chiffrés, plaquettes et brochures, courriers de clients ; qu'ils se sont également appropriés les fichiers de clientèle et les coordonnées des sous-traitants de la société Hydratight ; qu'ils ont créé, quelques mois après leur démission, la société Firstens, dont ils sont les seuls associés et dont l'activité est strictement identique à celle de la société Hydratight ;
Que les constats d'huissier réalisés établissent que la société Firstens a utilisé les travaux et le savoir-faire de la société Hydratight, ainsi apportés par MM. Jallet et Champin ; qu'elle a ainsi, notamment diffusé sur son site internet des plaquettes reproduisant des plans et représentations photographiques de produits fabriqués par la société Hydralight, les proposant à la vente sous les mêmes appellations, y compris s'agissant de produits faisant l'objet de brevets d'invention (matériel "FDN", "Outillage multi Goujon") ;
Que les agissements des deux anciens salariés de la société Hydratight, quoique non liés par une clause de non concurrence, excèdent le cadre de la libre concurrence et sont constitutifs d'actes de concurrence déloyale, dès lors qu'ils ont eu pour objet de s'approprier le savoir-faire et les travaux techniques de leur ancien employeur en utilisant en outre ses plaquettes et brochures de commercialisation ainsi que ses fichiers clients, et ce, afin de pouvoir rapidement proposer, via la société Firstens créée à cet effet, des produits identiques, sous les mêmes appellations, et profiter ainsi de ses investissements en créant en outre un risque de confusion quant au fabriquant des produits proposés ;
Que M. Jallet ne peut utilement opposer sa naïveté ou son jeune âge pour expliquer ses agissements ;
Que le jugement doit être confirmé en ce qu'il a dit que MM. Champin et Jallet ont commis des actes de concurrence déloyale à l'égard de la société Hydratight ;
Sur le préjudice
* Sur le préjudice financier
Considérant qu'une somme de 65 246,97 euros est sollicitée par la société Hydratight au titre de son préjudice financier ;
Que la société Hydratight est cependant mal fondée à solliciter le remboursement du coût des formations professionnelles dont ont bénéficié MM. Champin et Jallet et des frais engagés pour le recrutement de leurs remplaçants, ces dépenses étant sans lien avec les actes de concurrence déloyale qui leur sont reprochés ;
Qu'il n'y a pas lieu, pour les mêmes raisons, de faire droit à la demande au titre des heures supplémentaires qui leur ont été payées et dont il n'est pas établi qu'elles leur aient permis de copier les documents de la société Hydratight ainsi que cela est soutenu ;
Que la demande au titre des heures de travail générées par la recherche des preuves des agissements déloyaux n'est pas justifiée et sera également rejetée,
Que le jugement sera confirmé en ce qu'il a rejeté l'ensemble de ces demandes , mais infirmé en ce qu'il a dit que les demandes de remboursement des formations et des heures supplémentaires étaient de la compétence exclusive du conseil de prud'hommes ;
* Sur le manque à gagner
Considérant que la société Hydratight invoque un manque à gagner de 530 778 euros représentant la perte du chiffre d'affaires réalisé avec les sociétés Acergy et Technip démarchées par la société Firstens et avec lesquelles elle a été contrainte de traiter à des prix nettement inférieurs à ses prix habituels ;
Considérant cependant que s'il n'est pas contesté que ces sociétés ont passé commande à la société Firstens et si la société Hydratight est fondée à obtenir réparation du manque à gagner en résultant, elle n'établit pas que la perte du chiffre d'affaires qu'elle allègue soit, dans son intégralité, la conséquence des agissements déloyaux de MM. Jallet et Champin , étant rappelé que la société Firstens a été mise en liquidation judiciaire moins de 6 mois après sa création et qu'elle n'a enregistré qu'un très faible chiffre d'affaires ; qu'au vu des pièces produites, le premier juge a exactement chiffré à 50 000 euros le préjudice subi par la société Hydratight ;
* Sur le préjudice commercial
Considérant que la société Hydratight invoque, sans en justifier, l'atteinte à son nom commercial et à la valeur de son fonds de commerce et le préjudice commercial d'ordre moral qui en serait résulté ; que sa demande d'une somme de 100 000 euros de dommages-intérêts à ce titre ne peut qu'être rejetée ainsi que l'a justement décidé le premier juge ;
Considérant que la publication de la décision judiciaire dans les journaux Le Monde, Les Echos et Le Figaro, sous astreinte de 100 euro par jour de retard, n'est pas nécessaire, la société Firstens ayant cessé toute activité depuis 2009 ; que la demande à ce titre sera rejetée, le jugement étant infirmé de ce chef ;
Considérant en conséquence que le jugement sera confirmé en ce qu'il a fixé à 50 000 euros le montant des dommages-intérêts alloués à la société Hydratight en réparation de l'entier préjudice qu'elle a subi du fait des agissements déloyaux de M. Jallet et Champin ;
Sur les autres demandes
Considérant que le jugement sera confirmé en ce qu'il a fait interdiction à MM. Champin et Jallet d'utiliser tous les plans, données informatiques et documentations techniques ainsi que commerciales se rapportant à la société Hydratight ou Pivicat ; qu'il n' y a pas lieu de prononcer une astreinte ;
Considérant que M. Jallet sollicite la condamnation de la société Hydratight à lui payer une somme de 10 000 euros sur le fondement des articles 32-1 du Code de procédure civile et 1382 du Code civil en réparation de son préjudice tant matériel que moral ; qu'il soutient que la société Hydratight a eu pour seul objectif de s'approprier le nouveau procédé FDN que M. Champin et lui-même ont mis au point, qu'elle s'est accaparée leur invention et que ses agissements ont conduit la société Firstens à la faillite, lui-même étant l'objet de poursuites en tant que caution ;
Considérant cependant qu'il résulte du sens de la présente décision qu'aucun abus ni aucune faute de la société Hydratight dans l'exercice de son droit d'agir en justice pour faire constater et cesser les actes de concurrence déloyale dont elle était victime, n'est caractérisé ;
Que M. Jallet ne justifie ni de l'invention qu'il allègue ni de son appropriation par la société Hydratight ; que sa demande de dommages-intérêts ne peut qu'être rejetée ;
Considérant que le jugement sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens, lesquels comprennent les frais d'huissier liés à l'ordonnance sur requête du 9 janvier 2009 ;
Que l'équité ne commande pas qu'il soit fait application de l'article 700 du Code de procédure civile au titre de la procédure d'appel, les demandes à ce titre étant rejetées ;
Par ces motifs : Statuant publiquement par arrêt rendu par défaut, Déclare recevable l'action de la société Hydratight, Confirme le jugement , sauf en ce qu'il a ordonné la publication de la décision judiciaire dans les journaux Le Monde, Les Echos et Le Figaro, et en ce qu'il a dit que les demandes d'indemnisation d'éventuels préjudices liés à l'exécution du contrat de travail de MM. Champin et Jallet (remboursement de formations et remboursement des heures supplémentaires) étaient de la compétence exclusive du conseil de prud'hommes ; Statuant à nouveau et y ajoutant, Dit n'y avoir lieu à publication du jugement dans des journaux ; Fixe à 50 000 euros le montant des dommages-intérêts dus à la société Hydratight et déboute cette société du surplus de ses demandes ; Rejette la demande de dommages-intérêts formée par M. Jallet au titre des articles 32-1 du Code de procédure civile et 1382 du Code civil ; Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne M. Jallet aux dépens du présent appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile et précise que les dépens de première instance comprennent les frais d'huissier liés à l'ordonnance sur requête du 9 janvier 2009.