CA Rouen, ch. soc., 2 avril 2013, n° 11-06034
ROUEN
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Pompes funèbres marbrerie Berthelot (Sté)
Défendeur :
Mondiere
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dupray
Conseillers :
Mme Delahaye, M. Samuel
Avocats :
Mes Canonne, Alves da Costa
EXPOSÉ DES FAITS, DE LA PROCÉDURE ET DES PRÉTENTIONS DES PARTIES
Monsieur Stéphane Mondiere a été recruté par la société PFM Berthelot par contrat à durée indéterminée en date du 1er octobre 2007 en qualité d'assistant funéraire multi-sites, coefficient 4.1, statut agent de maîtrise.
La convention collective applicable est celle des pompes funèbres du 1er mars 1974 (IDCC 759).
Le contrat a prévu une rémunération de 1 700 euro brut mensuel, outre 12 jours de RTT, une prime forfaitaire d'astreinte et de permanence de 175 euro, et une prime forfaitaire brute mensuelle d'intervention de 113,33 euro, outre une prime de 13e mois équivalant à un mois de salaire versée pour moitié en juin et pour moitié en novembre de chaque année.
La rémunération moyenne brute des 12 derniers mois est égale à 2 294,78 euro (salaire brut perçu du 1er avril 2008 au 30 mars 2009 (27 537,40 euro : 12).
Le travail de Monsieur Mondiere en sa qualité d'assistant funéraire, a consisté à préparer des obsèques (démarches auprès de la mairie et de la police), d'accueillir les familles, de transporter les corps après la mise en bière (soit à partir des hôpitaux ou des domiciles des défunts), et également à faire office de porteur du cercueil.
Le contrat de travail de M. Mondiere a comporté une clause de non-concurrence libellée comme suit :
" Article 8 - Clause de non-concurrence
Compte tenu de la nature des fonctions de M. Stéphane Mondiere, celui-ci s'engage, En cas de rupture du contrat de travail pour quelque motif que ce soit et survenant après la période d'essai :
- à ne pas entrer au service d'une société concurrente et ne pas s'intéresser directement ou indirectement à toute fabrication, tout commerce ou autre activité pouvant concurrencer l'activité de la société,
- cette interdiction de concurrence est applicable pendant une durée de trois ans et limitée aux lieux de travail où sont situés les bureaux et installations de la société et leurs environs, dans un rayon de 50 kilomètres,
- elle s'appliquera à compter du jour de départ de Monsieur Stéphane Mondiere de la société.
1 - contrepartie financière
En contrepartie de cette obligation de non-concurrence. Monsieur Stéphane Mondiere percevra une indemnité spéciale forfaitaire.
Cette indemnité lui sera versée à compter de la cessation effective de son activité calculée selon les dispositions de la convention collective.
2 - Clause pénale
En cas de non-respect de la clause de non-concurrence par Monsieur Stéphane Mondiere, la société sera pour sa part libérée de son engagement de versement de la contrepartie financière.
En outre, Monsieur Stéphane Mondiere sera de manière réciproque automatiquement redevable d'une somme correspondant au montant de l'indemnité spéciale forfaitaire citée ci-dessus. Cette somme devra être versée à la société pour chaque infraction constatée. Le paiement de cette somme n'est pas exclusif du droit que la société se réserve de poursuivre Monsieur Stéphane Mondiere en remboursement du préjudice effectivement subi et faire ordonner sous astreinte la cessation d'activité concurrentielle.
3 - renonciation
La société se réserve toutefois la faculté de libérer Monsieur Stéphane Mondiere de l'interdiction de concurrence. Dans ce cas, la société s'engage à prévenir Monsieur Stéphane Mondiere par écrit dans les 30 jours qui suivent la notification de la rupture du contrat de travail.
Le 28 février 2009, Monsieur Mondiere a donné sa démission à la suite d'un différend avec son employeur sur la rémunération de périodes d'astreinte et prise de jours de congés. Cette démission était également motivée pour une raison personnelle, Monsieur Mondiere souhaitant se rapprocher de Rouen.
Le 10 mars 2009, il a saisi le Conseil des prud'hommes de Louviers d'une demande tendant à l'annulation de sa clause de non-concurrence.
Il a effectué son préavis du 1er au 30 mars 2009, à l'issue duquel ses documents de fin de contrat lui ont été remis.
La Société PFM Berthelot n'a pas libéré Monsieur Mondiere de la clause de non-concurrence et lui a versé en contrepartie, l'indemnité prévue dans le contrat de travail par référence aux dispositions de la convention collective.
Une indemnité a ainsi été versée pour les mois d'avril et de mai 2009, pour un total de 518, 71 euro. (pièce n° 2).
Monsieur Mondiere a été engagé à compter du 6 avril 2009 par la société pompes funèbres de Normandie située à Rouen et à Petit Quevilly également en qualité d'assistant funéraire, statut employé.
Par jugement en date du 16 mars 2010, le Conseil des prud'hommes de Louviers a :
- condamné la société pompes funèbres et marbrerie Berthelot à payer à Monsieur Stéphane Mondiere les sommes de :
3 481,29 euro au titre de dommages et intérêts pour nullité de la clause de non-concurrence ;
1 250 euro au titre de dommages et intérêts pour non-respect du repos hebdomadaire ;
900 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- le conseil a ramené la clause de non-concurrence de la société pompes funèbres et marbrerie Berthelot à un an et 50 kilomètres autour du siège de la société à Gournay en Bray ;
- débouté la Société pompes funèbres et marbrerie Berthelot de ses demandes reconventionnelles sur l'article 700 du Code de Procédure Civile et au titre de la clause pénale ;
- condamné la Société pompes funèbres et marbrerie Berthelot aux entiers dépens et frais d'exécution du présent jugement.
Par arrêt en date du 23 novembre 2011, la cour de cassation a déclaré irrecevable le pourvoi formé par la société pompes funèbres et marbrerie Berthelot contre ce jugement.
Par déclaration au greffe en date du 13 décembre 2011, la société pompes funèbres et marbrerie Berthelot a formé appel contre cette décision.
Par conclusions écrites déposées au greffe de la cour, le 13 février 2013, soutenues oralement à l'audience du 26 février 2013 et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, la société pompes funèbres et marbrerie Berthelot demande à la cour de :
- dire l'appel de la société pompes funèbres et marbrerie Berthelot recevable ;
- annuler le jugement au visa de l'article 458 du Code de procédure civile ;
- et statuant à nouveau,
- dire que la clause de non-concurrence contenue à l'article 8 du contrat de travail de M. Mondiere conclu avec la société PFM Berthelot le 1er octobre 2007 est licite et indispensable à la protection légitime des intérêts de cette dernière ;
- dire que M. Mondiere a contrevenu aux dispositions de ladite clause de non-concurrence ;
- le débouter de l'intégralité de ses demandes, fins et conclusions ;
- condamner M. Mondiere à rembourser à la société PFM Berthelot les sommes de :
3 481,29 euro perçue à titre de dommages-intérêts pour nullité de la clause de non-concurrence, assortie des intérêts au taux légal à compter de la date du 22 avril 2010 ;
518,71 euro brut, correspondant aux contreparties financières qui lui ont été indûment versées pour les mois d'avril et mai 2009 ;
900 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- dire que les intérêts seront capitalisés ;
- condamner M. Mondiere à verser à la société PFM Berthelot :
1 729,30 euro brut sur le fondement de la clause pénale insérée dans son contrat de travail ;
- dire que cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 1er avril 2009 ;
- dire que la société PFM Berthelot n'a pas contrevenu au respect repos hebdomadaire ;
- condamner M. Mondiere à lui rembourser la somme de 1 250 euro au titre des dommages-intérêts qui lui ont été versés pour non-respect dudit repos hebdomadaire ;
- dire que cette somme portera intérêts au taux légal à compter de la date du 22 avril 2010 ;
- enjoindre M. Mondiere d'avoir à s'exécuter entre les mains de la société PFM Berthelot dans les 15 jours de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euro par jour de retard ;
- en tout état de cause,
- condamner M. Mondiere à verser à la société PFM Berthelot la somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner M. Mondiere aux entiers dépens.
Par conclusions écrites déposées au greffe de la cour, le 14 janvier 2013, soutenues oralement à l'audience du 26 février 2013 et auxquelles il convient de se référer pour plus ample exposé, Monsieur Stéphane Mondiere demande à la cour de :
- dire que la clause de non-concurrence contenue à l'article 8 du contrat de travail de M. Mondiere avec la société PFMB du 1er octobre 2007 est nulle ;
- condamner la société PFMB à payer à M. Mondiere à titre de dommages-intérêts la somme de 9 000 euro ;
- subsidiairement,
- condamner la société PFMB à payer à M. Mondiere à titre de contrepartie financière à l'interdiction de concurrence : 9 486,45 euro (351,35 euro x 27 mois),
- en tout état de cause,
- condamner la société PFMB à payer à M. Mondiere à titre de dommages-intérêts pour non-respect du repos hebdomadaire, la somme de 2 500 euro,
- condamner la société PFMB à payer à M. Mondiere la somme de 1 500 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- condamner la société PFMB aux entiers dépens et aux éventuels frais et honoraires d'exécution de la décision à intervenir.
MOTIFS DE LA DÉCISION
- sur la validité de la clause de non-concurrence
Si la clause de non-concurrence interdit au salarié après la rupture du contrat de travail, l'exercice d'une activité qui porterait préjudice à son ancien employeur, cette clause doit cependant permettre au salarié d'exercer une activité conforme à sa formation et à son expérience professionnelle.
En l'espèce Monsieur Stéphane Mondiere a accepté aux termes de son contrat de travail une clause de non-concurrence stipulée en ces termes :
"Compte tenu de la nature des fonctions de M. Stéphane Mondiere, celui-ci s'engage, en cas de rupture du contrat de travail pour quelque motif que ce soit et survenant après la période d'essai :
- à ne pas entrer au service d'une société concurrente et ne pas s'intéresser directement ou indirectement à toute fabrication, tout commerce ou autre activité pouvant concurrencer l'activité de la société,
- cette interdiction de concurrence est applicable pendant une durée de trois ans et limitée aux lieux de travail où sont situés les bureaux et installations de la société et leurs environs, dans un rayon de 50 kilomètres,
- elle s'appliquera à compter du jour de départ de Monsieur Stéphane Mondiere de la société".
Monsieur Stéphane Mondiere en sa qualité d'assistant funéraire, avec le statut d'agent de maîtrise, gérait l'organisation des obsèques, participait à la vente des prestations, d'articles funéraires, de caveaux, de monuments, accueillait les familles, transportait les corps après la mise en bière.
Il n'avait cependant aucun contact avec les fournisseurs de l'entreprise PFMB ou avec tout autre partenaire commercial et notamment avec les granitiers, son ancienneté restreinte au sein de cette société limitant son éventuelle influence commerciale de nature à préjudicier à son ancien employeur.
Monsieur Stéphane Mondiere verse aux débats une liste des établissements de la société pompes funèbres et marbrerie Berthelot de laquelle il ressort qu'il ne pouvait exercer une activité similaire dans un rayon de 50 kilomètres de ces agences situées dans l'Eure, la Seine-Maritime, l'Oise (Chaumont en Vexin), l'Essonne (Longjumeau), les Yvelines (Mantes la Jolie, Poissy), le privant ainsi de recherche d'emploi notamment dans un secteur important de la région parisienne pour une durée excessivement longue de trois ans.
Cette clause de non-concurrence, par son étendue géographique et sa durée, porte ainsi à la liberté du travail de Monsieur Stéphane Mondiere, une atteinte qui n'est pas justifiée par les intérêts légitimes de son ancien employeur, eu égard à la spécificité de ses fonctions.
Il convient, infirmant le jugement entrepris en ce qu'il a dit "souhaiter" ramener la clause litigieuse à un an et 50 kilomètre autour du siège de la société à Gournay en Bray, de déclarer illicite, la clause de non-concurrence stipulée à l'article 8 du contrat de travail conclu entre Monsieur Stéphane Mondiere et la société PFMB, le 1er octobre 2007.
Monsieur Stéphane Mondiere a nécessairement subi un préjudice du fait de l'atteinte à la liberté de travail portée par la nullité de cette clause de non-concurrence alors qu'après avoir retrouvé un emploi à Rouen dans le même secteur d'activité, il a été licencié par la société pompes funèbre de Normandie pour, au vu de l'attestation de cet employeur en date du 22 juin 2009, "parer à une éventuelle action en concurrence déloyale de la part de son ancien employeur".
La société PFMB sera en conséquence condamnée à lui payer la somme de 6 500 euro à titre de dommages et intérêts.
Dès lors que la clause de non-concurrence est annulée, Monsieur Stéphane Mondiere devra restituer à la société PFMB la somme de 518,71 euro brut qui lui a été versée au titre des contreparties financières pour les mois d'avril et mai 2009.
- sur le repos hebdomadaire
En application des dispositions de l'article L. 3132-1 du Code du travail, il est interdit de faire travailler un même salarié plus de six jours par semaine.
Selon l'article L. 3132-3, dans l'intérêt des salariés, le repos hebdomadaire est donné le dimanche.
Monsieur Stéphane Mondiere soutient par la production de ses plannings et l'attestation de Monsieur Picard, responsable de l'agence de Gournay en Bray, qu'il lui arrivait de travailler 12 ou 14 jours de suite.
Ainsi selon ce responsable, Monsieur Stéphane Mondiere était astreint de nuit un week-end sur deux, 24 heures sur 24, pour intervention en hôpital, maison de retraite, réquisition de police, gestion de l'agence pendant son absence, soit trois semaine de suite.
Monsieur Stéphane Mondiere produit en outre un planning de présence le concernant, du lundi 1er décembre 2008 au vendredi 121 décembre 2008 et du lundi 15 décembre 2008 au dimanche 28 décembre 2008, du mardi 1er juillet 2008 au vendredi 11 juillet 2008, du vendredi 1er août 2008 au jeudi 14 août 2008.
Le jugement entrepris sera en conséquence confirmé en ce qu'il a condamné la société PFMB à lui payer la somme de 1 250 euro à titre de dommages et intérêts pour non-respect du repos hebdomadaire.
La société PFMB succombant dans ses prétentions, doit être déboutée de toutes ses demandes.
Il convient d'allouer à Monsieur Stéphane Mondiere, la somme précisée au dispositif sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile en cause d'appel.
Par ces motifs : LA COUR, Infirme partiellement le jugement entrepris, Statuant à nouveau, Déclare illicite, la clause de non-concurrence stipulée à l'article 8 du contrat de travail conclu entre Monsieur Stéphane Mondiere et la société PFMB, le 1er octobre 2007, Condamne en conséquence la société PFMB à payer à Monsieur Stéphane Mondiere, la somme de 6 500 euro à titre de dommages et intérêts, Confirme le jugement entrepris en ses dispositions relatives au non-respect du repos hebdomadaire et à la restitution par Monsieur Stéphane Mondiere à la société PFMB, de la somme de 518,71 euro brut, Déboute la société PFMB de ses demandes, Ajoutant, Condamne la société PFMB à payer à Monsieur Stéphane Mondiere, la somme de 1 500 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société PFMB aux dépens de première instance et d'appel.