Livv
Décisions

Cass. crim., 13 mars 2013, n° 12-81.495

COUR DE CASSATION

Arrêt

Cassation

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Louvel

Rapporteur :

M. Soulard

Avocat général :

M. Gauthier

Avocats :

SCP Célice, Blancpain, Soltner, Me Ricard

Paris, prés., du 3 janv. 2012

3 janvier 2012

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par la société X, contre l'ordonnance du premier président de la Cour d'appel de Paris, en date du 3 janvier 2012, qui a prononcé sur la régularité des opérations de visite et saisie effectuées par l'Administration de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles ; - Vu le mémoire en demande, en défense, et les observations complémentaires produits ;

Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 450-4, L. 450-2 et R. 450-2 du Code de commerce, de l'article 6 de la CEDH, 6 de la loi du 31 décembre 1971 ainsi que de l'article 593 du Code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;

"en ce que l'ordonnance attaquée a débouté la société X de toutes ses demandes et l'a condamnée aux dépens ;

"aux motifs que sur la violation du droit à la présence d'un avocat pendant le déroulement des opérations de visite et saisies : que la société X prétend que le refus par l'Administration de l'autoriser à se faire assister par son avocat pendant les opérations de visites et saisies, droit fondamental dès le stade de l'enquête, à valeur constitutionnelle, expressément reconnu par la jurisprudence de l'Union européenne et par la Cour européenne des Droits de l'Homme notamment dans son arrêt Ravon précité constitue une violation manifeste de ses droits de la défense, entachant les opérations d'irrégularité ; qu'elle affirme que la protection des droits de la défense ne peut en aucun cas être assurée par les officiers de police judiciaire au cours des opérations, les faits de l'espèce démontrant que les OPJ n'assurent pas pleinement cette mission puisqu'ils n'ont pas informé le juge des libertés et de la détention des éventuelles violations des droits de la défense ; que la lettre du texte dans sa version en vigueur au moment des faits ne prévoyait pas l'assistance d'un avocat mais ne l'excluait pas non plus ; que ce droit était reconnu par l'Administration elle-même jusqu'à récemment, ainsi qu'en atteste un article d'André Marie, directeur départemental chargé des pratiques anticoncurrentielles à la DGCCRF qui indiquait que soucieuse du bon déroulement de la visite et pour permettre à l'entreprise de bénéficier du soutien de son avocat, la DGCCRF ne s'est jamais opposée à la présence de l'avocat ; mais que la version en vigueur au moment des opérations de l'article L. 450-4 du Code de commerce, dans son interprétation stricte, ne prévoyait pas la possibilité pour la société faisant l'objet d'une visite domiciliaire de faire appel à un conseil ; que les agents de la DGCCRF agissent dans le cadre d'une mesure d'instruction qui a pour objet la saisie de pièces et documents dont la régularité pourra être contestée devant un magistrat de l'ordre judiciaire, en présence de l'occupant des lieux ou de son représentant, et d'officiers de police judiciaire chargés de veiller au respect des droits de la défense, du secret professionnel, de prendre connaissance des documents avant leur saisie et d'informer le juge du déroulement des opérations ; que la version antérieure à l'ordonnance du 13 novembre 2008 de l'article L. 450-4 du Code de commerce ne méconnaît pas l'article 6 paragraphe 3 CEDH, lequel n'impose pas le droit de faire appel à un avocat et d'être assisté par celui-ci pendant le déroulement des opérations de visite et saisies ; que même en l'absence du conseil de la société X, ces opérations de visite se sont déroulées sous le contrôle effectif du juge des libertés et de la détention les ayant autorisées, qui, contacté par l'avocat d'X le jour des opérations, avait la faculté de se rendre dans les locaux de la société pendant l'intervention et de décider de l'arrêt de l'opération en cours ; qu'il n'est pas justifié de la réalité de l'atteinte invoquée aux droits de la défense ; qu'il en résulte que la société demanderesse doit être déboutée de sa demande tendant à voir constater l'annulation du procès-verbal de saisies pour violation des droits de la défense ; sur le refus de l'Administration de mentionner son opposition à la présence du conseil de la société X dans le procès-verbal de saisie : que la société X fait valoir que l'article R. 450-2 du Code de commerce prévoit que les procès-verbaux de saisie relatent le déroulement de la visite de la saisie ; qu'ils doivent donc rendre compte des opérations avec exactitude afin de mettre le juge en mesure de contrôler effectivement leur déroulement, peu important que la possibilité de formuler des observations soit ou non prévue par les textes ; que le refus des inspecteurs d'acter leur refus de la présence du conseil de la société X a porté atteinte aux droits de la défense et a ainsi entaché le procès-verbal d'irrégularité ; que néanmoins le conseil de la société X a pu contacter le juge des libertés et de la détention de Nanterre le jour des opérations, que l'absence de mention au procès-verbal du refus d'accès aux locaux du conseil de la société X ne fait pas obstacle à ce que le respect des droits de la défense soit examiné dans le cadre du présent recours ; qu'ainsi, ce défaut de mention ne fait pas grief ; que l'atteinte invoquée à l'exercice des droits de la défense n'est pas établie ; qu'il résulte de tout ce qui précède que la société X doit être déboutée de toutes ses demandes ;

"1°) alors que les principes et les dispositions de la CESDH sont d'application directe et que, dès lors, il importe peu que la version en vigueur à l'époque des faits de l'article L. 450-4 du Code de commerce " dans son interprétation stricte " n'ait pas expressément prévu la possibilité par la partie visitée de faire appel à un avocat au cours du déroulement des opérations de saisie ; qu'il incombait au premier président de faire application de la jurisprudence de la CEDH qui, au regard de l'article 6 de la Convention, estime que le contrôle de la régularité des visites domiciliaires tel qu'il était prévu n'était pas effectif faute pour la loi française d'avoir " prévu la possibilité de faire appel à un avocat " (arrêt Ravon - considérant 31) et que l'alinéa 12 de l'article L. 450-4 ancien ne permettait pas au Gouvernement français de prétendre que la procédure suivie pour vérifier la régularité des opérations aurait garanti un contrôle juridictionnel effectif (Considérant 30 de l'arrêt Primagaz et 46 de l'arrêt Canal Plus) ; qu'en estimant cependant que la version ancienne de l'article L. 450-4 du Code de commerce autorisait les enquêteurs à refuser la présence de l'avocat pendant le déroulement des opérations de visites, le premier président a ainsi violé les textes et les principes susrappelés ;

"2°) alors qu'en se bornant à faire état, pour justifier le double refus des enquêteurs d'admettre la présence de l'avocat, de la possibilité de contester le déroulement de l'opération devant un magistrat de l'ordre judiciaire, de la présence d'OPJ chargés de veiller au respect des droits de la défense de prendre connaissance des documents saisis et d'informer le juge, le premier président, qui se réfère à la jurisprudence européenne déduite des considérants 56 et suivants de l'arrêt Canal Plus, use de motifs entièrement inopérants, la position prise par la Cour européenne des Droits de l'Homme dans cette affaire ne concernant, dans le cadre de " l'espèce " (considérant 57), qu'une éventuelle disproportion, au regard de l'article 8 de la CESDH, entre l'ingérence de l'autorité publique et l'objectif poursuivi ; qu'en statuant de la sorte, le premier président a donc privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 6 de la CESDH qui n'est pas concerné par les considérants susvisés ;

"3°) alors qu'en s'abstenant de répondre aux chefs des conclusions de la société X qui faisaient valoir que, nonobstant le silence de l'ancien article L. 450-4 du Code de commerce sur la présence d'un avocat, celle-ci s'imposait, comme un principe fondamental reconnu par l'article 6 de la loi du 31 décembre 1971 relatif au pouvoir général de représentation par l'avocat de ses clients à l'égard de toute administration, par le Conseil constitutionnel, la CJUE et par la doctrine spécialisée, le premier président a entaché sa décision d'une insuffisance de motifs caractérisée au regard de l'article 593 du Code de procédure pénale ;

"4°) alors que, le contact téléphonique pris par l'avocat de la société avec le juge des libertés et de la détention au terme duquel Me Sersiron s'est vue opposer par les enquêteurs un nouveau refus d'accéder aux locaux visités a été de nul effet, de sorte que le premier président qui relève, de surcroît, que le juge avait la faculté de se rendre sur place (mais qu'il ne l'a pas fait), caractérise une absence de tout contrôle effectif du juge sur les enquêteurs, en méconnaissance des termes mêmes de l'article L. 450-4 ancien ;

"5°) alors qu'en vertu des articles L. 450-2 et R. 450-2 du Code de commerce les procès-verbaux relatent le déroulement de la visite et consignent les constatations effectuées ; qu'ils sont ensuite transmis à l'autorité compétente et remis en double à la partie intéressée ; qu'en écartant toute mention de leurs refus réitérés de laisser la société visitée bénéficier de l'assistance de son conseil, les inspecteurs ont soustrait à la connaissance de l'autorité compétente et du Juge chargé de contrôler les opérations une contestation essentielle au mépris du principe de loyauté et des dispositions susvisées ; qu'en s'abstenant de sanctionner de telles irrégularités de ces actes d'instruction, le premier président a violé les textes susvisés" ;

Vu l'article 593 du Code de procédure pénale, ensemble le principe des droits de la défense ; - Attendu que, selon la jurisprudence de la Cour de justice (CJCE 17 octobre 1989, Dow Chemical Ibérica, aff. 97, 98 et 99-87), le droit d'avoir une assistance juridique doit être respecté dès le stade de l'enquête préalable ;

Attendu que, le 22 janvier 2008, les enquêteurs de l'Administration de la concurrence, agissant en vertu d'une ordonnance du juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Paris, en date du 8 janvier 2008, ont effectué des opérations de visite et de saisie dans les locaux de la société X, à Courbevoie, dans le but de rechercher la preuve de pratiques contraires, notamment, aux dispositions de l'article 81 du traité CE ;

Attendu que, pour rejeter le recours de la société X tendant à obtenir l'annulation de ces opérations, l'ordonnance attaquée prononce par les motifs repris au moyen ;

Mais attendu qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions par lesquelles la demanderesse faisait valoir que le refus des enquêteurs de l'autoriser à se faire assister d'un avocat était contraire au principe des droits de la défense, tel que consacré par la jurisprudence de la Cour de justice, le juge a méconnu le sens et la portée du texte et du principe susvisés ; d'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner le premier moyen de cassation proposé : Casse et annule, en toutes ses dispositions, l'ordonnance susvisée du premier président de la Cour d'appel de Paris, en date du 3 janvier 2012, et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi ; renvoie la cause et les parties devant le premier président de la Cour d'appel de Versailles, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.