CA Nancy, 1re ch. civ., 14 janvier 2008, n° 05-01354
NANCY
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Vautrin
Défendeur :
Sofinco (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Dory
Conseillers :
M. Schamber, Mme Tomasini- Krier
Avoués :
SCP Leinster, Wisniewski & Mouton, Me Grétéré
Avocats :
SCP Mery-Dubois-Maire, SCP Bouvier-Jaquet-Royer
Faits et procédure :
Suivant offre acceptée le 16 février 2001, la société Finalion a consenti à Mme Brigitte Vautrin un contrat de location avec promesse de vente portant sur un véhicule de tourisme que la locataire a fait assurer par la Cie Generali. L'article 9 de la convention est ainsi rédigé :
" en cas de sinistre total, si le matériel n'est pas réparable. le locataire règle la différence entre la valeur du bien au moment du sinistre évaluée au montant de l'option d'achat à cette date et le montant de l'indemnité que la Cie d'assurance a versée au bailleur ; si le sinistre est dû à la faute ou à la négligence ou en cas de défaut ou d'insuffisance d'assurance du locataire, celui-ci règle au bailleur l'indemnité fixée à l'article 5 a) des conditions légales et réglementaire".
Le véhicule loué a été dérobé dans la nuit du 16 au 17 juillet 2003 et retrouvé détruit par incendie le 22 juillet suivant. L'assureur a refusé toute indemnisation aux motifs que les conditions de la garantie n'étaient pas réunies, l'état du véhicule n'ayant pas permis constater que le vol a été commis par effraction. En dépit des demandes réitérées de Mme Vautrin, la société Finalion a refusé de considérer le contrat comme étant résilié et a poursuivi le prélèvement des loyers jusqu'au mois de juin 2004.
Faisant valoir d'une part, que l'article 1722 du Code civil met les risques de perte de la chose louée à la charge du propriétaire, et d'autre part, qu'à supposer même que ce texte ne soit pas d'ordre public, l'article 9 du contrat constitue une clause abusive, au sens de l'article L 132-1 du Code de la consommation, Mme Vautrin, par acte du 17 juin 2004, a fait assigner la société Finalion devant le Tribunal de grande instance de Nancy, auquel elle a demandé de dire que le contrat de location avec promesse de vente s'est trouvé résilié de plein droit le 17 juillet 2003, et de condamner la défenderesse à lui rembourser la somme de 5.499,36 correspondant au montant total des loyers payés après la résiliation.
Reconventionnellement, la société Finalion a conclu à la condamnation de Mme Vautrin au paiement de l'indemnité de résiliation et d'une somme de 923,32 en remboursement des frais de gardiennage.
Par jugement du 12 janvier 2005, le tribunal, après avoir constaté la résiliation du contrat à la date de la destruction du véhicule loué, a condamné Mme Vautrin au paiement d'une indemnité de résiliation d'un montant de 7 533,15 , outre une somme de 600 au titre des frais de défense non compris dans les dépens. Pour se prononcer ainsi, le tribunal, estimant que la convention a essentiellement la nature d'un contrat de louage, a retenu que doit lui être appliqué l'article 1722 du Code civil, dont il résulte que la destruction de la chose louée entraîne de plein droit la résiliation du contrat. Il a par contre considéré que l'article 9 des conditions générales de la convention n'est pas contraire à l'article 1722 susvisé, et ne constitue pas une clause abusive, dès lors que le locataire ne saurait être exonéré des conséquences d'une absence d'indemnisation du créditbailleur, lorsqu'elle résulte de son fait.
Il a énoncé qu'en l'espèce, l'absence d'indemnisation de la société Finalion par l'assureur du véhicule est bien la conséquence d'un choix opéré par Mme Vautrin lors de la souscription de la police d'assurance, alors que le risque de vol est courant, que l'insuffisance d'assurance est donc caractérisée, et que contrairement à ses obligations contractuelles, Mme Vautrin s'est abstenue d'informer l'établissement financier des caractéristiques de la police qu'elle avait souscrite. Par conséquent, le tribunal a fait droit à la demande reconventionnelle en paiement de l'indemnité de résiliation, en relevant que le contrat ne prévoit pas d'y inclure les frais de gardiennage.
Mme Brigitte Vautrin a interjeté appel par déclaration du 6 mai 2005.
Prétentions et moyens des parties :
Par ses dernières conclusions, notifiées et déposées le 4 août 2006, Mme Vautrin demande à la cour, par voie de réformation du jugement déféré, de faire droit à ses demandes initiales, de débouter la société Finalion de sa demande reconventionnelle et de la condamner à lui payer une somme de 2 000 en remboursement de ses frais irrépétibles de défense tant de première instance que d'appel.
L'appelante fait observer, à titre liminaire, que la société Finalion a été indemnisée, à hauteur de 12 457,49 , par son propre assureur, sur le fondement d'une police "protection du capital auto". Elle en déduit que l'insuffisance d'assurance invoquée n'est nullement caractérisée, l'intimée ne démontrant d'aucune manière qu'elle aurait pu obtenir une indemnité supérieure de l'assureur du véhicule, si les conditions de la garantie avaient été réunies. Elle fait valoir que le crédit bailleur, qui lors de la conclusion du contrat s'est abstenu de préciser la nature des garanties qui devaient être souscrites par le locataire, ne saurait opposer l'article 9 du contrat, en ce qu'il sanctionne le locataire en cas d'insuffisance d'assurance.
Elle maintient que cette clause, doit être réputée non écrite en raison de son caractère abusif résultant du fait qu'elle a pour effet de faire supporter au consommateur, par dérogation au principe posé par l'article 1722 du Code civil, les risques de perte de la chose louée, conférant ainsi au bailleur un avantage excessif. Elle considère que la clause litigieuse correspond bien à la catégorie de celles dénoncées par la Commission des clauses abusives dans sa recommandation du 17 janvier 1986. Elle en déduit que seule la faute du locataire dont résulte la perte de la chose louée est susceptible d'être sanctionnée, ce qui n'est pas le cas de la prétendue insuffisance d'assurance invoquée par la société Finalion.
Par ses écritures dernières, notifiées le 30 novembre 2006 et déposées le 1 décembre 2006, la société Sofinco, venant aux droits de la société Finalion, conclut à la confirmation du jugement, et à la condamnation de Mme Vautrin au paiement d'une somme supplémentaire de 1 000 en remboursement de ses frais irrépétibles de défense exposés pour la procédure d'appel.
La société intimée réplique que l'article 1722 du Code civil, propre au louage, n'est pas applicable au crédit-bail, tel que défini par l'article L. 313-7 du Code monétaire et financier, ajoutant qu'en tout état de cause les règles relatives au contrat de louage sont supplétives et dénuées de caractère d'ordre public. Elle en déduit qu'en matière de crédit-bail, en cas de perte de la chose louée, même par cas fortuit, le contrat peut imposer la poursuite du paiement des loyers. Elle conteste tout caractère abusif à cette clause en faisant d'abord observer que la recommandation de la Commission des clauses abusives en date du 14 juin 1996 concerne la location simple des véhicules. Elle ajoute que la clause incriminée ne tombe pas non plus sous le coup de la recommandation du 17 janvier 1986, qui incrimine celles qui ont pour effet de faire supporter au locataire la perte de la chose pour cas fortuit. Elle estime que tel n'est pas l'objet de l'article 9 de la convention en cause, qui vise à sanctionner soit la perte par la faute du locataire, soit une non indemnisation du bailleur en raison d'une insuffisance d'assurance. Elle réitère que cette insuffisance n'a pas été portée à sa connaissance, faute par Mme Vautrin de l'avoir informée, comme elle s'y était pourtant engagée par le contrat, des caractéristiques de la police d'assurance qu'elle a souscrite.
L'instruction a été déclarée close le 10 mai 2007.
Motifs de la décision :
Dans les points B 5 et 6 de sa recommandation CCA n° 86-01 du 17 janvier 1986, relative aux contrats de location avec promesse de vente de biens de consommation la Commission des clauses abusives préconise que soient éliminés de ces contrats, les clauses abusives ayant pour objet ou pour effet :
- d'assimiler le sinistre total ou le vol de la chose à la défaillance du locataire et de mettre à sa charge l'indemnité de résiliation,
- en cas de perte ou de destruction de la chose due à un cas de force majeure ou sans qu'il y ait eu faute du locataire, de mettre à la charge de ce dernier une quelconque somme de ce fait.
Par des motifs que la cour reprend à son compte, la Commission indique qu'il est abusif de ne pas distinguer suivant les causes de perte ou de destruction de la chose ; que si la perte ou la destruction de la chose est due à un cas de force majeure le contrat est résilié et le bailleur doit en supporter les risques, conformément à l'article 1722 du Code civil, que si la perte ou la destruction de la chose se produit sans qu'une faute puisse être imputée au locataire, aucune somme de ce fait ne peut lui être réclamée ; que c'est seulement si la disparition de la chose est due à la faute du locataire qu'une clause pénale peut être admise.
Dans le cas d'espèce, l'article 9 de la convention a pour effet d'assimiler l'insuffisance d'assurance à la faute du locataire pour lui faire supporter l'indemnité de résiliation en cas de sinistre total. Or cette assimilation a pour effet de créer, au détriment du non-professionnel un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties, dès lors que le risque de perte est transféré sur le consommateur, auquel le contrat ne donne pourtant aucune précision sur la notion d'insuffisance d'assurance.
Or Mme Vautrin avait bien souscrit une police qui comportait, outre les garanties obligatoires, le risque vol, incendie et explosion. Force est de constater que l'information donnée à Mme Vautrin ne lui permettait pas de savoir qu'un refus de garantie de son assureur, au motif que les conditions de la garantie vol ne sont pas réunies en l'absence d'effraction, sera considéré par le bailleur comme une faute autorisant de lui transférer le risque de destruction de la chose Jouée en lui faisant supporter l'indemnité de résiliation. Le fait que Mme Vautrin se soit abstenue de retourner au bailleur l'imprimé destiné à constater l'attestation de la souscription d'une police d'assurance s'avère indifférent à l'appréciation à porter sur le caractère abusif de la clause en litige, dès lors que cet imprimé ne demandait pas à l'assureur de donner des informations sur la définition contractuelle des risques garantis.
Aussi, par application de l'article L 132-1 du Code de la consommation, il y a lieu de déclarer non écrite la clause du contrat qui, en cas de sinistre total de la chose Jouée, met à la charge du preneur l'indemnité de résiliation prévue par l'article L 311-31 du Code de la consommation, en cas d'insuffisance d'assurance.
C'est donc à juste titre que Mme Vautrin réclame le remboursement les loyers prélevés postérieurement à la résiliation du contrat. Et par voie de réformation du jugement, la société Sofinco sera déboutée de sa demande reconventionnelle.
La société Sofinco, tenue aux entiers dépens, sera condamnée, par application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, à indemniser Mme Vautrin par une somme globale de 1 500 de ses frais irrépétibles de défense exposés tant en première instance qu'en appel.
Par ces motifs : LA COUR, statuant en audience publique, contradictoirement, Confirme le jugement en ce qu'il a constaté la résiliation de plein droit du contrat de location avec promesse de vente à la date du 22 juillet 2003 ; Infirme le jugement en ses autres dispositions ; Et statuant à nouveau : Condamne la société Sofinco à rembourser à Mme Vautrin la somme de cinq mille quatre cent quatre-vingt-dix-neuf euros et trente-six centimes (5 499,36 ) ; Déclare abusive et non écrite la clause du contrat de location avec promesse de vente qui, en assimilant l'insuffisance d'assurance à une faute du locataire, met à sa charge l'indemnité de résiliation en cas de sinistre total ; Déboute la société Sofinco de sa demande reconventionnelle ; La condanme à payer à Mme Vautrin une somme de mille cinq cents euros (1 500 ) au titre des frais de défense non inclus dans les dépens ; La condamne aux dépens de première instance et d'appel, et accorde à l'avoué de l'appelante un droit de recouvrement direct dans les conditions prévues par l'article 699 du nouveau Code de procédure civile.