CA Colmar, 1re ch. civ. B, 9 novembre 2011, n° 10-03744
COLMAR
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Promes procédés et mesures (SARL)
Défendeur :
Fender
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Litique
Conseillers :
MM. Cuenot, Allard
Avocats :
Mes Harnist, Rollet, Harter, Koenig
Reprochant à M. Fender, un de ses associés fondateurs, d'avoir constitué une société concurrente au mépris de son obligation de loyauté et de se livrer à des actes de concurrence déloyale, la société Promes - Procédés et mesures (Promes) a, selon assignation du 11 décembre 2008, introduit une action en responsabilité à son encontre devant le tribunal de grande instance de Strasbourg.
M. Fender a soulevé l'incompétence de la juridiction commerciale saisie et a contesté l'intérêt à agir de son adversaire dès lors qu'il était salarié et n'accomplissait aucun acte de commerce. Il a nié avoir commis une quelconque faute et a, reconventionnellement, réclamé le paiement d'une indemnité de 15.000 euro pour procédure abusive.
Par jugement du 27 mai 2010, le tribunal de grande instance de Strasbourg a :
- débouté la société Promes de l'ensemble de ses demandes,
- débouté M. Fender de sa demande reconventionnelle en dommages et intérêts,
- condamné la société Promes à payer à M. Fender une somme de 2.500 euro sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la société Promes aux dépens.
Les premiers juges ont principalement retenu :
- que M. Fender aurait dû soumettre son exception d'incompétence au juge de la mise en état ;
- que la société Promes était recevable à agir contre celui qu'elle tenait pour le responsable des actes de concurrence déloyale ;
- qu'il n'était pas démontré que M. Fender avait détourné la clientèle de la société Promes ;
- que M. Fender n'avait commis aucune violation des statuts de la société Promes dès lors que ceux-ci ne contenaient aucune clause de non-concurrence.
Par déclaration reçue le 2 juillet 2010, la société Promes a interjeté appel de cette décision. M. Fender a formé un appel incident.
Aux termes de ses conclusions récapitulatives déposées le 6 mai 2011, la société Promes demande à la cour de :
- recevoir son appel ;
- réformer le jugement déféré en ce qu'il a débouté l'appelante de ses demandes ;
- condamner M. Fender à lui payer une somme 145.000 euro en réparation de son préjudice, outre intérêts au taux légal à compter de la demande de première instance ;
- débouter M. Fender de ses prétentions ;
- condamner M. Fender à lui payer une somme de 4.000 euro au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner M. Fender aux dépens des deux instances.
Au soutien de son appel, elle fait valoir en substance :
- qu'il y a lieu d'écarter l'exception soulevée par M. Fender dans la mesure où la cour d'appel a une plénitude de juridiction tant en matière civile qu'en matière commerciale ;
- qu'en créant une société nouvelle ayant une activité identique à celle de l'appelante, M. Fender a violé son obligation de loyauté et a utilisé de manière abusive les informations auxquelles il avait pu accéder en sa qualité d'associé ;
- qu'il s'est livré à des actes parasitaires en se nichant dans le sillage de la société Promes pour capter sa clientèle ;
- qu'il a systématiquement démarché les clients de l'appelante en la dénigrant ;
- que M. Fender a engagé ses responsabilités contractuelle et délictuelle.
Selon conclusions remises le 29 avril 2011, M. Fender rétorque :
- que le premier juge aurait dû se déclarer incompétent dès lors que le litige n'a aucun lien avec la qualité d'associé de M. Fender ;
- que la société Promes n'a pas intérêt à agir puisque les faits allégués n'ont pas été commis personnellement par le concluant mais par la société Ebel Process Technologies ;
- que le concluant ne se livre à aucun acte de commerce, ni a fortiori de concurrence ;
- que ni M. Fender, ni la société Ebel Process Technologies n'ont détourné le chiffre d'affaires prétendument perdu par l'appelante ;
- que M. Fender n'a entretenu aucune confusion entre la société Promes et la société qu'il a créée, ni eu un comportement illicite ou parasitaire ;
- que la société Promes ne justifie ni de son préjudice, ni d'un lien de causalité entre les prétendues fautes et le préjudice allégué.
En conséquence, il demande à la cour de :
sur appel principal,
- le déclarer irrecevable et en tout cas mal fondé ;
- débouter la société Promes de l'intégralité de ses prétentions ;
sur appel incident,
- le déclarer recevable ;
- infirmer le jugement entrepris ;
- dire que la chambre commerciale de Strasbourg était incompétente ;
- ordonner le renvoi devant la chambre civile compétente ;
- condamner la société Promes à lui payer une somme de 15.000 euro à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;
- confirmer le jugement pour le surplus ;
- condamner la société Promes à lui payer la somme de 5.000 euro sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
- condamner la société Promes aux dépens des deux instances.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 1er juillet 2011.
SUR CE, LA COUR :
Vu les pièces et les écrits des parties auxquels il est renvoyé pour l'exposé du détail de leur argumentation,
Attendu que tout en concluant dans le dispositif de ses conclusions à l'irrecevabilité de l'appel, M. Fender n'expose aucun moyen à l'appui de sa demande ; qu'aucun élément du dossier ne démontrant qu'il aurait été tardivement exercé, l'appel qui a été interjeté suivant les formalités légales sera déclaré recevable ;
Attendu que conformément à l'article 79 du code de procédure civile, cette cour serait compétente pour statuer sur le fond du litige, que celui soit de nature civile ou de nature commerciale ; qu'en aucun cas, l'affaire n'aurait à être renvoyée devant la chambre civile du tribunal de Strasbourg dans l'hypothèse où les premiers juges auraient retenu à tort leur compétence ; qu'il est vain d'examiner l'exception d'incompétence soulevée par M. Fender ;
Attendu que M. Fender, qui est un des associés fondateurs de la société Promes, dont il détient 40 % du capital, a démissionné de l'emploi de responsable du service technique (cadre) pour le 1er octobre 2007, selon courrier du 10 août 2007 ; que le 25 septembre 2007, il s'est associé avec un client de la société Promes, la société Ebel Industries, pour constituer une société à responsabilité limitée dénommée Ebel Process Technologies , dont il détient 40 % du capital ; que cette société a été immatriculée le 26 octobre 2007 et débuté son activité le 1er octobre 2007 ;
Attendu que le contrat de travail de M. Fender ne contenait aucune obligation de non-concurrence ;
Attendu que les statuts de la société Promes ne font également peser aucune obligation de non-concurrence sur ses associés ; que le principe de la liberté du commerce qui doit prévaloir impose de retenir que M. Fender est libre d'exercer une activité concurrente de celle de la société Promes, tant qu'il ne fait pas d'actes de concurrence déloyale ; que la responsabilité de M. Fender envers l'appelante n'est pas engagée du seul fait de sa qualité d'associé ;
Attendu que pour démontrer les actes déloyaux qu'elle impute à M. Fender, la société Promes s'appuie en réalité sur un nombre restreint de pièces :
- une attestation d'un cabinet de détective privé, le cabinet Nibel, de laquelle il ressort que 'courant 2009 et 2010, la société Ebel Process Technologies a effectué plusieurs interventions pour le compte de la société Millepore' (annexe n° 115),
- une attestation de Mme Blin, salariée de la société Promes, faisant état de deux appels reçus les 24 juillet 2008 et 27 novembre 2008 émanant de la société Millepore qui cherchait à joindre M. Fender (annexe n° 52),
- deux attestations de Mme Blin et de Mme Ehret, également salariée de l'appelante, visant à démontrer que cette dernière n'avait pas pu se rendre le 19 novembre 2007 sur le site du client Protires qui fait grief à cette salariée de n'avoir pu réaliser ce jour-là une intervention, faute de 'l'ensemble du matériel requis' (annexes n° 35 et 114)
- une attestation de Mme Hamm, salariée de l'appelante, déclarant que M. Fender avait pris contact avec la société Heineken dès le 4 octobre 2007 et que cette cliente de la société Promes l'avait informée le 12 octobre 2007 de ce que M. Fender 'était en concurrence ... avec (sa) société pour le compte de la société EBEL Industries' à propos d'une commande portant sur des rejets d'eaux usées (annexe n° 20) ;
Attendu que ces documents ne démontrent pas que M. Fender a entretenu une confusion entre les sociétés Ebel Process Technologies et Promes pour détourner la clientèle de cette dernière ; qu'au contraire, le témoignage de Mme Hamm établit que les interlocuteurs ont immédiatement su que M. Fender ne travaillait plus pour le compte de la société Promes mais pour une autre société ; que la société Promes ne rapporte pas davantage la preuve du démarchage déloyal de sa clientèle, notamment d'actes de dénigrement, qu'elle impute à M. Fender ;
Attendu, dans ces conditions, que l'action en concurrence déloyale ne peut pas aboutir;
Attendu que si l'appel s'est avéré mal fondé, il n'en résulte pas pour autant que la procédure ait été abusive ; que la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive sera rejetée ;
Attendu que la société Promes supportera les dépens d'appel ; qu'il est équitable d'allouer à l'intimé une indemnité complémentaire de 3.500 euro sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;
Par ces motifs, LA COUR, Déclare la société Promes recevable en son appel ; - Le rejetant quant au fond, confirme le jugement entrepris ;- Déboute M. Fender de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive; - Condamne la société Promes à payer à M. Fender une indemnité complémentaire de 3.500 euro (trois mille cinq cents euros) sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; - Condamne la société Promes aux dépens.