CA Paris, 18e ch. B, 5 juillet 2007, n° 04-43853
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Urssaf 75
Défendeur :
CPAM des Alpes Maritimes ; Fédération Française de Football et autres
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Faure
Conseillers :
M. Seltensperger, Mme Van Ruymbeke
Avocats :
Mes Derue, Sol
Exposé des faits
A l'occasion de vérifications effectuées au sein de la Fédération Française de Football, au cours des années 1996 et 1997, portant sur la période du 1er décembre 1994 au 31 décembre 1995, et celle du 1er janvier 1995 au 31 décembre 1996, l'Urssaf de Paris a réintégré dans l'assiette des cotisations, les sommes versées aux membres de l'équipe de France de football pour des prestations qualifiées d'actions commerciales ou de sponsoring, ainsi que les primes de match versées aux arbitres, et adressé à la Fédération deux redressements pour un montant total de 1 551 804,84 euros en principal et majorations de retard. Contestant les mises en demeure réceptionnées les 30 juin 1997 et 9 janvier 1998, la Fédération Française de Football a successivement saisi la Commission de Recours Amiable et après rejet de son recours, le Tribunal des affaires de la sécurité sociale de Paris. Dans un jugement en date du 21 janvier 2004, cette juridiction a fait droit à ses recours et annulé l'intégralité des redressements aux motifs :- d'une part, s'agissant des membres de l'équipe de France, que les activités en cause entraient dans le cadre juridique du contrat de sponsoring dont les revenus étaient exclus de l'assiette des cotisations,- d'autre part, s'agissant des arbitres, que ceux-ci n'exerçaient pas dans un lien de subordination avec la Fédération Française de Football.
Moyens des parties
Appelante, l'Urssaf de Paris estime que le tribunal des affaires de la sécurité sociale à tort, invalidé les redressements ; en effet, faisant valoir que la sélection des joueurs de l'équipe de France s'inscrivait dans un véritable service organisé en fonction des critères retenus par la seule Fédération Française de Football, et que les arbitres, compte tenu des conditions de leur activité, exerçaient sous la même subordination, elle fait valoir que les sommes litigieuses constituent un complément de rémunération.
Elle conclut en conséquence à l'infirmation du jugement et à la condamnation de la Fédération Française de Football au paiement du redressements soit la somme globale de 1 551 804,84 euros représentant 1 409 127,20 euros en principal et 142 677,64 euros en majorations de retard .
Intimée, la Fédération Française de Football conclut à la confirmation du jugement, estimant que ni les membres de l'équipe de France de Football, ni les arbitres, ne doivent être assujettis au régime général de la sécurité sociale ; et demande qu'il soit constaté :
- qu'il n'existe aucun lien de subordination juridique caractéristique d'un contrat de travail tant avec les arbitres d'une part, qu'avec les membres de l'équipe de France de football, au regard de la mission de service public qui lui est attribuée par l'Etat,
- qu'en vertu de la convention qu'elle a souscrite avec les joueurs internationaux, les sommes litigieuses constituent des recettes de sponsoring exclues de l'assiette des cotisations. Elle demande en conséquence, que les redressements opérés au titre des années 1994 1995 et 1996 soient annulés.
Le ministère public, conclut à l'infirmation du jugement, aux motifs d'une part, que les conditions dans lesquelles les joueurs participent aux manifestations organisées par la Fédération Française de Football démontrent l'existence d'un lien de subordination entre les parties, et, d'autre part, que les sommes litigieuses versées aux joueurs au titre de contrats dits de 'sponsoring', le sont selon des modalités unilatéralement décidées par la Fédération Française de Football à l'occasion et en considération des prestations qu'ils effectuent à sa demande et sous son contrôle.
Les Urssaf et les caisses primaires d'assurance maladie représentées, s'en rapportent.
Messieurs Lizarazu, Dugarry, Thuram et Petit concluent à la confirmation du jugement.
Pour un plus ample exposé de faits, de la procédure et de moyens des parties, il convient de se référer aux conclusions prises par chacune d'elles et développées oralement.
Discussion
1) sur l'assujettissement des membres de l'équipe de France de Football
Considérant que la Fédération Française de Football, association agréée par le Ministère des Sports et chargée de l'exécution d'une mission de service public, organise les matchs de l'Equipe de France de football ; Que pour mener ses activités, elle emploie d'une part, un certain nombre de salariés qui constituent l'effectif permanent de l'équipe de France (sélectionneur, entraîneur, personnel technique ...) et fait appel, d'autre part, à des joueurs qui sont mis à la disposition de l'Equipe de France pour les stages de préparation et les rencontres sportives ; Considérant que l'inspecteur du recouvrement a relevé qu'en contrepartie de leur prestation, les joueurs sélectionnés et les membres de l'équipe de France, recevaient des sommes provenant de recettes publicitaires versées à la fédération par différents sponsors dans le cadre d'opérations commerciales réalisées par l'entremise de la société Football France Promotion ; Qu'estimant que ces sommes constituaient des rémunérations et non des contreparties de contrats de sponsoring, il a procédé aux redressements contestés sur le fondement de l'article L. 242-1 du Code de la sécurité sociale ;
Considérant que la Fédération Française de Football conteste l'applicabilité de ces dispositions aux motifs qu'elle exerce des prérogatives de puissance publique et que les relations qu'elle entretient avec les membres de l'équipe de France relèvent du droit administratif ;
Considérant toutefois que si les décisions qu'elle prend dans le cadre de l'exercice de sa délégation de service public, constituent des actes administratifs, il n'en demeure pas moins qu'association de droit privé, elle se comporte comme une personne de droit privé lorsqu'elle conclut comme en l'espèce, avec des personnes privées, des contrats relatifs à l'exploitation du droit à l'image collective de l'équipe de France ; que dans le cadre de ces relations purement commerciales et publicitaires, elle ne met en œuvre aucune prérogative de puissance publique ;
Considérant en conséquence qu'elle ne peut, pour ce seul motif, échapper aux dispositions du code de la sécurité sociale ;
Et considérant que l'article L. 242-1 du Code de la sécurité sociale stipulant que, pour le calcul des cotisations de sécurité sociale, des accidents du travail et des allocations familiales, sont considérées comme rémunération toutes sommes versées aux travailleurs en contrepartie ou à l'occasion d'un travail effectué dans un lien de subordination, la réintégration des sommes litigieuses dans l'assiette des cotisations et l'assujettissement consécutif des membres de l'équipe de France au régime général pose le problème d'une part de l'existence de leur lien de subordination avec la Fédération Française de Football, d'autre part, de la qualification donnée aux sommes ainsi versées ;
A) sur le lien de subordination
Considérant que le lien de subordination est caractérisé par l'exécution d'un travail sous l'autorité d'un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et sanctionner les manquements de son subordonné; que le travail au sein d'un service organisé peut à cet égard, constituer un indice du lien de subordination lorsque l'employeur détermine unilatéralement des conditions d'exécution du travail ;
Considérant, en premier lieu, qu'il n'est pas contesté que l'existence d'un lien de subordination est établie pour les membres permanents de l'équipe de France constituant l'encadrement de cette équipe, qui sont liés à la Fédération Française de Football par un contrat de travail ;
Considérant, en second lieu, que les joueurs de l'équipe de France perçoivent de la Fédération Française de Football, soit directement, soit indirectement par l'entremise des clubs employeurs qui en font l'avance, des primes de match soumises à cotisations sociales, la Fédération Française de Football reconnaissant en conséquence à ces sommes spécifiques la qualification de salaires versés en contrepartie ou à l'occasion d'un travail ;
Considérant que la discussion ne porte dès lors que sur le lien qui unit les joueurs et la Fédération Française de Football lorsque celle-ci leur distribue des sommes provenant de recettes publicitaires versées par les sponsors, lors des matchs de l'équipe de France, la Fédération Française de Football contestant le lien de subordination invoqué par l'Urssaf ;
Et considérant que l'examen des conditions dans lesquelles les joueurs participent à ces manifestations, démontre que la Fédération Française de Football organise unilatéralement le service au sein desquels ils évoluent ;
Qu'il est en effet établi et non contesté par la Fédération Française de Football :
- qu'elle définit seule les critères de désignation des joueurs auxquels elle fait appel, ces derniers, obligatoirement libérés par leur club, étant tenus de se mettre à la disposition de l'Equipe de France pour les stages de préparation et les rencontres sportives ;
- qu'elle fournit à l'Equipe de France, les moyens nécessaires à la réalisation de ces prestations, prenant en charge l'équipement, les frais d'hébergement, de nourriture et de déplacement, les joueurs pouvant être astreints à suivre une certaine discipline tant sur le plan sportif que personnel (hygiène de vie...) ;
- qu'elle fixe les lieux et heures des matchs, ceux des séances d'entraînement, des repas, des soins, des réunions techniques et des points de presse auxquels ces joueurs doivent obligatoirement participer, ceux-ci ne pouvant s'exprimer dans un média sans son accord ; qu'elle impose son accord préalable, à toute participation du joueur sélectionné à une autre manifestation initiée par son club d'origine ;
Considérant que dirigeant et contrôlant l'activité des joueurs pendant le temps de leur mise à disposition, la Fédération Française de Football exerce sur eux un pouvoir disciplinaire, tout manquement à leurs obligations exposant ces joueurs à des sanctions pouvant notamment les conduire à se voir écartés d'une prochaine sélection ou relégués dans un poste de remplaçant ;
Considérant, en conséquence, que l'existence d'un lien de subordination au sens de l'article L. 242-1 du Code de la sécurité sociale est, eu égard à ces éléments, parfaitement établie ;
B) sur la nature des sommes allouées
Considérant que les sommes litigieuses versées "au titre de l'utilisation collective de l'image de l'Equipe de France" proviennent du montant des recettes publicitaires perçues à l'occasion du déroulement des matchs où se trouve engagée l'Equipe de France ;
Que la Fédération Française de Football qui dispose de la maîtrise de ces opérations de promotion, ne traite pas directement avec les sociétés sponsors du montant des recettes à percevoir mais confie cette négociation à une société commerciale, la SARL Football France Promotion, spécialement mandatée à cet effet pour négocier et signer les contrats de parrainage ;
Que cette dernière reverse à la Fédération Française de Football les recettes tirées de ces contrats après déduction de la part qui lui revient (28%) ;
Que les 72 % restant sont répartis à part égale entre la Fédération Française de Football et les membres de l'Equipe de France, à savoir les membres permanents salariés, les membres du staff et les joueurs sélectionnés ;
Que la part leur revenant est identique d'un match à l'autre, cette part étant en tout état de cause garantie par la Fédération Française de Football même en cas de défaillance du sponsor ;
Considérant que les sommes versées de ce chef au staff de l'équipe de France, sont soumis à cotisations depuis 1995 ;
Considérant que la Fédération Française de Football se prévaut d'une convention qui aurait été passée entre "la Fédération Française de Football et les joueurs internationaux" ayant pour objet "le principe de l'utilisation collective de l'image de l'équipe de France dans le cadre d'opérations publicitaires ainsi que le mode de répartition entre les membres de l'équipe ainsi récoltées" ; qu'elle en déduit que les sommes versées aux joueurs constituent des recettes de sponsoring exclues de l'assiette des cotisations ;
Considérant que le contrat de sponsoring rémunère l'exploitation de l'image des sportifs professionnels de renom dans le cadre de contrats publicitaires conclus à titre individuel et personnel ; qu'il exige donc de la part des joueurs concernés qu'ils contractent, auprès du sponsor, personnellement, ou par l'intermédiaire d'un agent, l'engagement de mettre leur image à disposition de ce dernier ; Que force est de constater, en l'espèce, que la convention arguée n'a pas été conclu entre la Fédération Française de Football et les "joueurs internationaux", mais "établie" en présence de six joueurs non mandatés par les autres membres de la Fédération Française de Football ; que par ailleurs, la société France Football Promotion, chargée de négocier avec les sponsors n'est pas partie à cette convention de sorte qu'elle ne peut être "expressément mandatée pour signer avec des sponsors",
Que les membres de l'équipe de France ne sont ni directement ni indirectement parties aux contrats publicitaires passés avec le sponsor, n'étant ni présents ni représentés au sein de la commission chargée d'accepter et d'avaliser les contrats publicitaires proposés ;
Qu'ils ne sont pas même partie aux conventions ayant pour objet leur participation personnelle à des "animations individuelles", la rémunération spécifique leur revenant à ce titre et mise à la charge du sponsor étant expressément et unilatéralement fixée par cette commission ;
Considérant que le versement de ces sommes n'est conditionné ni à leur consentement ni à leur adhésion à la convention mais résulte du seul fait d'avoir été sélectionnés ou, pour les salariés de l'équipe de France, d'être employés au sein de celle-ci ;
Considérant, en conséquence, que les membres de l'équipe de France n'étant ni collectivement ni individuellement co-contractants de la Fédération Française de Football, celle-ci ne saurait prétendre avoir été mandatée en leur nom et pour leur compte ;
Considérant qu'elle est en réalité, par l'intermédiaire de la commission créée en son sein et dont les joueurs sont exclus, le seul contractant des sponsors ;
Considérant que les sommes ainsi distribuées aux membres de l'Equipe de France, au titre de l'exploitation publicitaire de son image collective, ne leur sont pas versées en vertu d'engagements qu'ils auraient personnellement ou collectivement contractés auprès de la Fédération Française de Football, ou auprès de sponsors, et ayant pour objet la réalisation de prestations purement commerciales indépendantes de leur participation aux matchs de l'Equipe de France ;
Qu'elles leur sont, au contraire, versées dans les conditions et selon des modalités décidées unilatéralement par la Fédération Française de Football, à l'occasion et en considération de prestations qu'ils effectuent à sa demande et sous son contrôle au sein de l'Equipe de France,
Que dès lors, constituant des rémunérations complémentaires en contrepartie ou à l'occasion d'un travail effectué dans un lien de subordination, elles doivent être incluses dans l'assiette des cotisations dues par la Fédération Française de Football ;
Que le jugement qui a tort, estimé que les activités en cause entraient dans le cadre d'un contrat de sponsoring doit être infirmé ;
Que sur la base des mises en demeure notifiées par l'Urssaf, des éléments issus du contrôle repris par la Commission de Recours Amiable, le redressement doit être validé de ce chef pour les sommes suivantes :
- 193 506 euros (1 269 321 francs) : au titre de la période 94-1995- 495 086 euros (3 974 893 francs) au titre de la période 1996 soit 688 592 euros somme à laquelle s'ajoute celle de 69 721 euros au titre des majorations de retard ;
2) sur l'assujettissement des arbitres
Considérant que l'inspecteur du recouvrement a également réintégré dans l'assiette des cotisations, les primes de match versées aux arbitres désignés pour arbitrer un match organisé par la Fédération Française de Football ;
Mais Considérant d'une part que le contrôle qui incombe aux arbitres au cours d'un match de football implique une totale indépendance de leur part vis à vis de l'association ou la fédération dont l'équipe participe à la rencontre ;
Que d'autre part, l'Urssaf n'établit pas que l'activité de ces professionnels s'exécute dans le cadre d'un service organisé décidé unilatéralement par la Fédération Française de Football ;
Qu'il résulte en effet de ses échanges avec la Fédération Française de Football et notamment un courrier du 20 mai 1997 ainsi que de ses écritures reprises à la barre, que la Fédération Française de Football, dans le cadre de la mission de service public qui lui est dévolue, nomme, par l'intermédiaire de son conseil fédéral, la Commission Centrale des arbitres ;
que c'est cette dernière qui est chargée d'organiser et de diriger l'arbitrage sur le plan national et d'orienter cette organisation sur le plan régional ;
Que c'est encore elle qui a mission de veiller, conformément aux dispositions du statut de l'arbitrage, au respect par les arbitres des obligations auxquels ils sont soumis, (obligation de suivre un stage annuel, respect d'un protocole administratif lors de l'arbitrage des rencontres, disponibilité pour constituer la réserve des arbitres remplaçants...) et de prendre des sanctions en cas de manquements ;
Que le seul fait que ces arbitres soient désignés par le journal de la Fédération Française de Football qui fixe les dates et horaires des rencontres à arbitrer ne caractérise pas à lui seul l'existence du lien de subordination arguée ;Considérant que l'Urssaf qui ne démontre pas l'exercice par la Fédération Française de Football d'un pouvoir de direction, de contrôle et de discipline du corps arbitral, ne conteste pas que la loi du 31 août 1993 relatif au "sport de haut niveau" confère au seul ministre chargé des Sports et non à une fédération, le pouvoir d'attribuer et de retirer la qualité d'arbitre de haut niveau, tels que ceux participant aux manifestations de l'Equipe de France ;
Considérant, dès lors que c'est par une bonne appréciation des éléments de la cause que les premiers juges ont conclu à l'inexistence du lien de subordination arguée entre la Fédération Française de Football et les arbitres et décidé que ceux-ci, exerçant leur mission en toute indépendance, ne pouvaient être assujettis au régime général ;
Qu'à cet égard, la Fédération Française de Football évoque avec pertinence la loi du 23 octobre 2006, qui, certes non applicable aux faits de l'espèce, indique désormais clairement que "les arbitres ne peuvent être regardés dans l'accomplissement de leur mission comme liés à la fédération par un lien de subordination caractéristique du contrat de travail au sens de l'article L. 121-1 du Code du Travail" ;
Considérant que le jugement sera donc sur ce seul point confirmé et le redressement afférent annulé ;
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement par arrêt réputé contradictoire, Confirme le jugement en ce qu'il a annulé le redressement relatif à la réintégration dans l'assiette des cotisations des primes de match versés aux arbitres et annulé l'assujettissement au régime général de la sécurité sociale de ces derniers, Le Confirme également en ce qu'il a annulé le redressement et concernant Monsieur XK, arbitre et l'assujettissement de ce dernier, L'infirme toutefois en ce qu'il a annulé les redressements sur les sommes versées par la Fédération Française de Football aux membres de l'Equipe de France, Statuant à nouveau de ce chef, Dit que les sommes versées aux membres de l'Equipe de France en contrepartie de l'activité "qualifiée d'actions commerciales ou de sponsoring" doivent être réintégrées dans l'assiette des cotisations, Condamne en conséquence la Fédération Française de Football à régler à l'Urssaf la somme de 688.592 euros à laquelle s'ajoute celle de 69 721 euros au titre des majorations de retard soit au total 758 313 euros Déboute les parties de toutes autres demandes.