Cass. soc., 10 avril 2013, n° 11-27.384
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
PARTIES
Demandeur :
Le Verdier immobilier (SARL)
Défendeur :
Luquet-Lucas
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Gosselin
Rapporteur :
Mme Ducloz
Avocat général :
M. Foerst
Avocats :
SCP Lyon-Caen, Thiriez, SCP Masse-Dessen, Thouvenin, Coudray
LA COUR : - Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme Luquet-Lucas qui travaillait pour le compte de la société Le Verdier immobilier dans le cadre d'un contrat de "mandat de négociateur immobilier libre" conclu le 5 juillet 1995, lui a notifié par lettre recommandée du 2 mai 2005 la rupture de leur relation contractuelle pour absence de proposition de régularisation et refus de requalification de son contrat d'agent commercial en contrat de travail ; qu'elle a saisi la juridiction prud'homale de diverses demandes ; que statuant sur contredit, la Cour d'appel de Rouen a, par arrêt du 15 mai 2007, requalifié le contrat de "mandat de négociateur immobilier libre" en contrat de travail et jugé que la juridiction prud'homale était seule compétente pour statuer au fond sur le litige opposant les parties ; que le pourvoi formé à l'encontre de cette décision par la société Le Verdier immobilier a été rejeté par la Cour de cassation (Soc. 10 décembre 2008, pourvoi n° 07-43.117) ;
Sur les deuxième et troisième moyens : - Attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer sur ces moyens qui ne sont pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;
Et sur le premier moyen : - Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de dire que la prise d'acte produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse et de le condamner à payer diverses sommes à ce titre, alors, selon le moyen : 1°) que l'inapplicabilité du statut des agents commerciaux aux négociateurs immobiliers, telle que posée par la Cour de cassation dans un arrêt du 7 juillet 2004 et depuis remise en cause par la loi 2006-872 du 13 juillet 2006, n'imposait pas nécessairement la signature d'un contrat de travail entre l'agent immobilier et le négociateur immobilier, ces derniers pouvant être liés également par un contrat de mandat d'intérêt commun ; qu'en se fondant sur l'absence de proposition faite à Mme Luquet-Lucas d'un contrat conforme aux dispositions du Code du travail pour affirmer que la société Le Verdier immobilier aurait commis un manquement justifiant la rupture, à ses torts exclusifs, du contrat d'agent commercial requalifié en contrat de travail, quand la société avait légalement proposé à Mme Luquet-Lucas un contrat de mandat d'intérêt commun à la suite du refus de la préfecture de viser son attestation d'emploi d'agent commercial, la cour d'appel a violé les articles 1 et suivants de la loi du 2 janvier 1970, ensemble les articles 1134 et 1984 du Code civil ; 2°) qu'en affirmant que la société Le Verdier immobilier aurait privé Mme Luquet-Lucas de la capacité d'exercer sa fonction de négociatrice postérieurement au refus de la préfecture de viser son attestation d'emploi d'agent commercial et qu'un tel manquement lui rendait nécessairement imputable la rupture du contrat de travail de la salariée, quand elle avait constaté la signature, par Mme Luquet-Lucas, de compromis de vente postérieurement au refus de la préfecture, ce dont il résultait que la salariée n'avait jamais interrompu son activité de négociateur immobilier, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 1231-1, L. 1237-2 et L. 1235-1 du Code du travail ; 3°) que seul le manquement suffisamment grave de l'employeur est de nature à faire produire à la prise d'acte, par le salarié, de la rupture de son contrat de travail les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse ; qu'en se bornant à affirmer "qu'en ne proposant aucun contrat conforme aux exigences de la préfecture et aux dispositions du Code du travail, la société ne lui avait pas permis d'avoir la capacité juridique d'exercer ses fonctions de négociatrice et que compte tenu de ce manquement, la prise d'acte de la rupture s'analysait en un licenciement sans cause réelle et sérieuse", la cour d'appel, qui a refusé d'apprécier la gravité du manquement reproché à la société Le Verdier immobilier et justifié ainsi sa décision par le seul caractère fautif dudit manquement, a violé les articles L. 1231-1, L. 1237-2 et L. 1235-1 du Code du travail ;
Mais attendu que la relation contractuelle entre Mme Luquet-Lucas et la société Le Verdier immobilier ayant été définitivement requalifiée, dès l'origine, en contrat de travail, la cour d'appel, qui a retenu que l'employeur avait manqué à ses obligations en ne proposant pas à la salariée un contrat de travail conforme aux dispositions du Code du travail, et estimé que la prise d'acte de la rupture produisait, du fait de ce manquement, les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, ayant ainsi nécessairement considéré que ledit manquement était suffisamment grave, a, par ces seuls motifs, légalement justifié sa décision ;
Mais sur le quatrième moyen : - Vu l'article 455 du Code de procédure civile ; - Attendu que pour condamner l'employeur au paiement d'une somme au titre de la commission pour l'affaire Mulot, l'arrêt retient, par motifs adoptés, que la salariée pouvait prétendre en application de son contrat à 40 % de la commission de 15 000 euros versée au mandant, soit une somme de 6 000 euros ;
Qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de l'employeur reprises oralement à l'audience, lequel faisait valoir que la commission aurait dû, compte tenu de la qualité de salarié de Mme Luquet-Lucas, être calculée non pas sur le montant toutes taxes comprises, mais sur le montant hors taxe de la facture, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;
Et sur le cinquième moyen, qui est recevable : - Vu l'article 1351 du Code civil, ensemble les articles 480 et 482 du Code de procédure civile ; - Attendu que l'autorité de la chose jugée n'a lieu qu'à l'égard de ce qui fait l'objet d'un jugement et a été tranché dans son dispositif ;
Attendu que pour débouter la société Le Verdier immobilier de sa demande en dommages-intérêts pour actes de concurrence déloyale, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que, par jugement du 1er décembre 2006, le Tribunal de grande instance de Rouen a dit ne pas être convaincu de l'existence d'agissements concurrentiels déloyaux, que cette décision a autorité de la chose jugée, et que la société invoquant les mêmes éléments et arguments que devant le tribunal de grande instance, c'est à bon droit que le conseil de prud'hommes a refusé de se prononcer sur cette demande identique ;
Qu'en statuant ainsi, alors que le jugement du Tribunal de grande instance de Rouen a été infirmé par la Cour d'appel de Rouen suivant arrêt du 6 décembre 2007, qui a, s'agissant de la demande en dommages-intérêts pour actes de concurrence déloyale, sursis à statuer jusqu'à la décision définitive afférente au litige de nature prud'homale opposant Mme Luquet-Lucas à la société Le Verdier immobilier, ce dont elle aurait dû déduire l'absence d'autorité de la chose jugée attachée au jugement du Tribunal de grande instance de Rouen, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
Par ces motifs : Casse et annule, mais seulement en ce qu'il condamne la société Le Verdier immobilier à payer à Mme Luquet-Lucas la somme de 6 000 euros au titre de commission pour l'affaire Mulot, et déboute la société Le Verdier immobilier de sa demande en dommages-intérêts pour actes de concurrence déloyale, l'arrêt rendu le 8 novembre 2011, entre les parties, par la Cour d'appel de Rouen ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la Cour d'appel de Caen.