CA Bordeaux, 1re ch. civ. B, 17 janvier 2013, n° 11-04889
BORDEAUX
Arrêt
Infirmation
PARTIES
Demandeur :
De Perramond (Gaec)
Défendeur :
De Lucca
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cheminade
Conseillers :
Mme Faure, M. Boinot
Avocats :
SCP Luc Boyreau, Mes Candelier, Laplagne
EXPOSE DU LITIGE
Le 11 décembre 2007, le Gaec de Perramond a acquis un bulldozer de marque Liebheer auprès de Monsieur Rémi de Lucca pour la somme de 10 500 euro TTC. À la suite d'anomalies de fonctionnement, un mécanicien a constaté que la plaque constructeur comportait une surcharge sur l'année.
Par acte du 20 novembre 2008, le Gaec de Perramond a assigné Monsieur Rémi de Lucca devant le Tribunal de grande instance de Bordeaux afin de voir prononcer la résolution de la vente.
Par jugement contradictoire avant dire droit du 13 avril 2010, le tribunal a ordonné une expertise.
À la suite du dépôt du rapport d'expertise, le Gaec de Perramond a fondé ses demandes à titre principal sur le dol et subsidiairement sur les vices cachés.
Monsieur de Lucca n'a pas reconclu après dépôt du rapport d'expertise.
Par jugement du 7 avril 2011, le Tribunal de grande instance de Bordeaux a :
- rejeté l'ensemble des demandes du Gaec de Perramond,
- condamné le Gaec aux dépens y compris les frais d'expertise judiciaire,
- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- rejeté toutes autres demandes.
Le tribunal n'a retenu ni l'existence d'un dol, ni celle d'un vice caché ou d'un défaut de conformité.
Le Gaec de Perramond a interjeté appel de la décision par déclaration du 22 juillet 2011.
Les conclusions du Gaec de Perramond 21 octobre 2011 tendent à :
- voir réformer le jugement déféré,
au principal :
- voir constater que Monsieur Rémi de Lucca a commis un dol au préjudice du Gaec de Perramond,
- voir annuler la vente intervenue le 13 décembre 2007 entre Monsieur Rémi de Lucca et le Gaec de Perramond,
subsidiairement :
- voir dire que le bulldozer est affecté de vices cachés,
- voir prononcer la résolution de la vente intervenue entre Monsieur Rémi de Lucca et le Gaec,
très subsidiairement :
- voir dire que le bulldozer est non conforme aux stipulations contractuelles,
- voir prononcer la résolution de la vente intervenue entre Monsieur de Lucca et le Gaec,
en tout état de cause :
- voir condamner Monsieur Rémi de Lucca à restituer au Gaec le prix de vente, soit la somme de 10 500 euro TTC en contrepartie de la restitution du bulldozer,
- voir condamner Monsieur Rémi de Lucca à payer au Gaec de Perramond les sommes suivantes :
- transport et réparations : 3 060,66 euro
- exploitation perdue à cause des travaux de remise en état des sols non effectués dans les temps : pour 2008 : 22 568 euro
pour 2009 : 22 568 euro
- dommages et intérêts : 5 000 euro
- voir condamner Monsieur Rémi de Lucca à payer au Gaec de Perramond la somme de 3 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par acte du 27 octobre 2011, le Gaec de Perramond a assigné Monsieur de Lucca pour lui dénoncer la déclaration d'appel et ses conclusions.
Monsieur de Lucca a constitué avocat le 20 janvier 2012.
Vu l'ordonnance de clôture du 29 octobre 2012.
Par ordonnance du 6 novembre 2012, le conseiller de la mise en état a prononcé, sur le fondement des articles 909 et 911-1 alinéa 2 du Code de procédure civile, l'irrecevabilité des conclusions de Monsieur de Lucca déposées le 9 octobre 2012.
MOTIFS
À titre principal, le Gaec de Perramond soulève la nullité de la vente en invoquant l'existence d'un dol.
L'article 1116 du Code civil dispose que le dol est une cause de nullité de la convention lorsque les manœuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manœuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté.
La vente du bulldozer a eu lieu le 13 décembre 2007 à la suite d'une annonce sur le site "bon coin" courant novembre 2007 pour un bulldozer de marque Liebheer, année 1987, type 731, reconditionné en 1999, moteur Mercedes V6, lame 3.50, 7 500 h, bon état général, prix à débattre. La facture du 13 décembre 2007 fait état d'un bulldozer Liebheer 731 année 1987.
En cause d'appel, le Gaec produit une annonce sur le site le "bon coin" antérieure, du 27 juillet 2007, faisant état d'un bulldozer de marque Liebheer, année 1977 modèle 731 de 7700 h bon état au prix de 17 500 euro localisé dans le département de la Gironde, lame 3,50 m TBE de marche moteur Mercedes V6.
Les caractéristiques du bulldozer à l'exception de l'année et du nombre d'heures d'utilisation permettent de considérer qu'il s'agit du même bulldozer qui a été finalement vendu le 13 décembre 2007 avec comme indication l'année 1987 et un prix à débattre.
La différence de dix années entre les deux dates de fabrication de l'engin, puis la modification de la plaque constructeur pour y inscrire la date de 1987 au lieu de 1977, caractérisent des manœuvres de la part du vendeur de nature à tromper l'acquéreur sur l'ancienneté de l'engin, voire même sur ses fonctionnalités dès lors qu'il est avéré, eu égard à la lettre du 18 janvier 2010 du constructeur, que les pièces de rechange ne sont plus fournies par celui-ci en raison de l'âge du matériel et qu'il y a lieu de recourir au marché de l'occasion plus aléatoire pour remplacer des pièces.
Le prétendu "reconditionnement" en 1999 n'est pas démontré comme l'a relevé l'expert judiciaire. Cette publicité mensongère, outre la modification de la plaque sont ainsi des manœuvres frauduleuses laissant croire au Gaec qu'il a été remédié à l'usure du temps. La réitération de manœuvres illicites traduit l'intention dolosive du vendeur.
Il ne peut être reproché à l'acquéreur de ne pas s'être aperçu de la modification grossière de la plaque constructeur alors qu'il s'agit d'une fraude qui peut être opposée par un acquéreur dont l'activité agricole n'est pas le commerce d'engins d'exploitation.
Malgré une demande en ce sens, Monsieur de Lucca n'a jamais justifié de la traçabilité du matériel litigieux, notamment par la production de sa propre facture d'achat de manière à confirmer la date de fabrication.
Le dol étant ainsi constitué, il y a lieu de prononcer la nullité de la vente intervenue. En conséquence, Monsieur de Lucca sera condamné à restituer le prix de vente soit la somme de 10 500 euro TTC, en contrepartie de la restitution du bulldozer. Le jugement sera donc réformé en toutes ses dispositions.
Le Gaec de Perramond est fondé à solliciter le remboursement des frais occasionnés à l'occasion de la vente soit les frais de transport de 837 euro et les frais accessoires de réparation, soit une somme totale de 3 060,66 euro les choses devant être remises en leur état antérieur.
Pour le surplus des sommes réclamées, celles-ci constituent des dommages et intérêts, portant sur les pertes de récoltes à hauteur de 45 136 euro.
Les pertes de récoltes, du fait de l'impossibilité d'utiliser l'engin, ne sont pas directement liées aux manœuvres dolosives mais à l'état de l'engin et il appartenait au Gaec de prendre toute mesure de substitution pour remédier à la défaillance du bulldozer dans le nivellement des terres cultivées de manière à éviter des pertes de récoltes sur deux années consécutives qui ne reposent que sur la seule affirmation du Gaec de la perte sur 8,50 HA de maïs destiné au pop-corn, le constat d'huissier du 6 décembre 2008 qui relève l'existence de parcelles engorgées d'eau n'étant pas suffisant à cet effet. Les pertes de récoltes sont donc essentiellement dues à l'inaction du Gaec pour éviter ou limiter son dommage.
La demande supplémentaire de 5 000 euro n'est justifiée par aucun élément de préjudice.
Le Gaec de Perramond sera donc débouté de ses demandes en dommages et intérêts.
L'équité commande d'allouer au Gaec de Perramond une indemnité sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : LA COUR, Statuant par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort, Infirme le jugement déféré, Statuant à nouveau : Prononce la nullité de la vente du bulldozer de marque Liebheer intervenue le 13 décembre 2007 entre Monsieur Rémi de Lucca et le Gaec de Perramond, En conséquence : Condamne Monsieur Rémi de Lucca à payer au Gaec de Perramond la somme de 10 500 euro TTC en contrepartie de la restitution du matériel, Condamne Monsieur Rémi de Lucca à payer au Gaec de Perramond la somme de 3 060,66 euro correspondant aux frais de transport et de réparation, Déboute le Gaec de Perramond du surplus de ses demandes, Condamne Monsieur Rémi de Lucca à payer au Gaec de Perramond la somme de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne Monsieur Rémi de Lucca aux dépens y compris les frais d'expertise judiciaire, dont distraction en application de l'article 699 du Code de procédure civile.