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Décisions

ADLC, 17 avril 2013, n° 13-D-09

AUTORITÉ DE LA CONCURRENCE

Décision

Relative à des pratiques mises en œuvre sur le marché de la reconstruction des miradors du centre pénitentiaire de Perpignan

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Délibéré sur le rapport oral de Mme Sonia Sbaa, rapporteure, , l'intervention de M. Eric Cuziat, rapporteur général adjoint, par M. Patrick Spilliaert, vice-président, président de séance, , Mmes Reine-Claude Mader-Saussaye, Pierrette Pinot, membres.

ADLC n° 13-D-09

17 avril 2013

L'Autorité de la concurrence (section V),

Vu la décision n° 09-SOI-05 en date du 7 décembre 2009 enregistrée sous le numéro 09-0134 F par laquelle l'Autorité de la concurrence s'est saisie d'office de pratiques mises en œuvre à l'occasion des travaux de reconstruction des miradors du centre pénitentiaire de Perpignan sur proposition de la rapporteure générale faite à la suite de la lettre adressée par le ministre de l'économie, des finances et de l'emploi au titre de l'article L. 450-5 du Code de commerce ; Vu le livre IV du Code de commerce et notamment son article L. 420-1 ; Vu la décision de secret des affaires n° 12-DSA-61 du 7 février 2012 ; Vu les décisions de déclassement n° 12-DECR-06 du 20 mars 2012 et n° 12-DECR-25 du 21 septembre 2012 ; Vu les autres pièces du dossier ; Vu les observations présentées par les sociétés SAS Eiffage Construction Languedoc Roussillon, SAS Fougerolle, SAS Eiffage Construction et Eiffage SA, d'une part, et l'EURL Vilmor Construction, d'autre part ; La rapporteure, le rapporteur général adjoint, le commissaire du Gouvernement, ainsi que les représentants des sociétés Eiffage Construction Languedoc Roussillon SAS, Fougerolle SAS, Eiffage Construction SAS et Eiffage SA, d'une part, et le représentant de la société EURL Vilmor Construction, d'autre part, entendus lors de la séance du 30 janvier 2013 ;

Adopte la décision suivante :

I. Constatations

A. LA PROCÉDURE

1. Par décision n° 09-SOI-05 en date du 7 décembre 2009, l'Autorité de la concurrence s'est saisie d'office de pratiques mises en œuvre à l'occasion de travaux de reconstruction des miradors du centre pénitentiaire de Perpignan.

2. Le 30 mars 2012, une notification de griefs a été adressée aux sociétés SAS Eiffage Construction Languedoc Roussillon, SAS Fougerolle, SAS Eiffage Construction, Eiffage SA, d'une part, et à l'EURL Vilmor Construction, d'autre part.

3. A la différence des sociétés SAS Eiffage Construction Languedoc Roussillon, SAS Fougerolle, SAS Eiffage Construction et Eiffage SA, l'EURL Vilmor Construction n'a fait valoir aucune observation sur cette notification de griefs.

4. Le 18 septembre 2012, un rapport a été adressé à l'ensemble des parties.

5. A la différence des sociétés SAS Eiffage Construction Languedoc Roussillon, SAS Fougerolle, SAS Eiffage Construction et Eiffage SA, l'EURL Vilmor Construction n'a fait valoir aucune observation sur ce rapport.

6. Le 14 décembre 2012, une convocation à séance de l'Autorité de la concurrence pour le 15 janvier 2013 a été adressée aux sociétés SAS Eiffage Construction Languedoc Roussillon, SAS Fougerolle, SAS Eiffage Construction et Eiffage SA, d'une part, et à l'EURL Vilmor Construction (cotes 2396 et 2397), d'autre part.

7. La société Vilmor Construction a accusé réception de cette convocation le 17 décembre 2012 (cote 2405).

8. Par courrier en date du 14 janvier 2013, l'administrateur judiciaire de Vilmor Construction a indiqué ne pouvoir intervenir à la séance du 15 janvier 2013, qui a été reportée au 30 janvier 2013.

9. Le 21 janvier 2013, le représentant de l'EURL Vilmor Construction a déposé des observations pour le compte de Me André Samson ès qualité d'administrateur judiciaire de Vilmor Construction.

10. Une séance s'est tenue le 30 janvier 2013 devant l'Autorité.

B. LES ENTREPRISES CONCERNÉES

1. LA SOCIÉTÉ EURL VILMOR CONSTRUCTION

11. La société EURL Vilmor Construction (ci-après " Vilmor Construction ") a été créée en septembre 1991. Son siège social est situé à Perpignan dans le département des Pyrénées-Orientales. Son activité est une activité de gros œuvre dont une partie (environ 35 % du chiffre d'affaires) est orientée vers la restauration de bâtiments anciens. Concernant les bâtiments neufs, cette entreprise intervient dans le secteur industriel, la grande distribution et les marchés publics, qui représentent environ 50 % de son activité.

2. LA SOCIÉTÉ EIFFAGE CONSTRUCTION LANGUEDOC ROUSSILLON

12. La société Eiffage Construction SAS détient 100 % du capital de la société Fougerolle SAS qui elle-même détient 99,99 % du capital social de SAS Eiffage Construction Languedoc Roussillon, constituée en 1978 et ayant son siège social à Montpellier dans le département de l'Hérault.

13. La société Eiffage Construction Languedoc Roussillon est active dans le secteur du bâtiment. Elle dispose d'un établissement principal à Montpellier (Eiffage Construction Languedoc) et de deux établissements secondaires implantés à Nîmes (Eiffage Construction Gard) et à Perpignan (Eiffage Construction Roussillon).

C. LE MARCHÉ PUBLIC CONCERNÉ

1. LE DÉROULEMENT DE LA PROCÉDURE D'APPEL D'OFFRES POUR LA RECONSTRUCTION DES DEUX MIRADORS DU CENTRE PÉNITENTIAIRE DE PERPIGNAN

14. Le 6 mars 2008, la direction régionale des services pénitentiaires de Toulouse (ci-après la " DRSP ") a émis un avis d'appel public à la concurrence concernant la reconstruction des deux miradors du centre pénitentiaire de Perpignan. Cet avis a été publié au Bulletin officiel des annonces des marchés publics (BOAMP) du 11 mars 2008 sous le numéro d'annonce 08-53146 (cotes 52 à 56). La procédure retenue a été celle de l'appel d'offres restreint avec une date limite de réception des candidatures fixée au 3 avril 2008. Ce type de procédure a notamment été choisi eu égard aux contraintes liées aux travaux à réaliser au sein du centre pénitentiaire (1).

15. L'opération était composée de 6 lots correspondant à des corps d'état distincts, chaque lot faisant l'objet d'un marché séparé. Le lot n° 1, seul visé dans la présente décision, concernait des travaux de gros œuvre, voirie et réseaux divers (VRD), à savoir la démolition des ouvrages existants, des travaux de VRD, la création de zones de préfabrication puis la préfabrication, et l'ensemble du gros œuvre ainsi que des travaux d'étanchéité. Ce lot a été estimé par le maître d'ouvrage à 660 000 euros HT, les travaux du lot concerné devant être rémunérés par application d'un prix global et forfaitaire. Le maître d'ouvrage a précisé que cette estimation n'avait pas été portée à la connaissance des candidats.

16. Trois entreprises ont candidaté pour le lot n° 1 et ont été retenues par le maître d'ouvrage. Il s'agit des sociétés Vilmor Construction, de la SAS Eiffage Construction Languedoc Roussillon via son établissement Eiffage Construction Roussillon basé à Perpignan et de la SAS société d'entreprise du Sud-ouest (SESO). Cette dernière société, située à Toulouse, est détenue à 100 % par Eiffage Travaux Publics depuis le 1er janvier 2007.

17. Ces trois entreprises ont été destinataires d'une lettre de consultation adressée le 25 avril 2008 par la direction des services pénitentiaires (cotes 331 à 342). Un CD-Rom regroupant les pièces du dossier de consultation des entreprises (ci-après le " DCE ") a été transmis à chaque entreprise avec la lettre de consultation, la version électronique du DCE devant permettre aux entreprises candidates de préparer et déposer leur offre. Une version papier du DCE a également été adressée par l'intermédiaire d'une entreprise de reprographie.

18. Ce DCE contient, entre autres, les pièces suivantes :

- le règlement de la consultation (cotes 79 à 88) ;

- un modèle de cadre de décomposition du prix global et forfaitaire (ci-après le " CDPGF) : CDPGF 01 Gros œuvre, VRD (cotes 89 à 93) ;

- un cahier des clauses techniques particulières : " CCTP 00 : généralités " (cotes 94 à 127) ;

- un cahier des clauses techniques particulières du lot 1, " CCTP 01 : gros œuvre, VRD " (cotes 128 à 194).

19. Le CDPGF est un document se présentant sous la forme d'un tableau dans lequel apparaît la décomposition du prix par prestations à titre indicatif, dans la mesure où l'offre remise repose sur un prix global et forfaitaire. Il permet au donneur d'ordre de s'informer des prix proposés poste par poste par les soumissionnaires. Ce cadre vient à l'appui de l'acte d'engagement qui, pour sa part, mentionne le montant total du prix du marché.

20. Lors de la remise des offres, les entreprises fournissent l'ensemble des pièces dûment complétées et signées. Compte-tenu du caractère confidentiel de certaines parties du dossier de consultation, le règlement de consultation exige la restitution de l'ensemble des documents papier et du DCE par les entreprises dont les offres ne sont pas retenues (cote 88). Conformément au règlement de consultation, les trois candidats ont pu effectuer la visite du centre pénitentiaire de Perpignan pour leur permettre de mieux appréhender le chantier à venir. La date limite de remise des offres était fixée au 11 juin 2008 à 11 heures 30.

21. Par courrier en date du 11 juin 2008, la société SESO a fait savoir au maître d'ouvrage qu'en raison de la candidature de l'établissement Eiffage Construction Roussillon, elle ne présenterait finalement pas d'offre, laissant ainsi la primauté à l'établissement du groupe Eiffage le plus proche géographiquement du lieu du chantier conformément à la règle en vigueur au sein du groupe (cote 208).

22. La commission d'appel d'offres, réunie le 11 juin 2008, a enregistré pour le lot n° 1 deux offres : celle d'Eiffage Construction Roussillon pour un montant de 628 407 euros HT (pour la solution de base) et celle de la société Vilmor Construction pour un montant de 660 000,12 euros HT (pour la solution de base).

23. Le marché a été attribué à Eiffage Construction Roussillon, qui offrait un prix inférieur de 31 593 euros (soit 4,84 %) à l'estimation du maître d'ouvrage et à celui de Vilmor Construction dont l'offre était parfaitement identique à l'estimation administrative.

2. SPÉCIFICITÉS DES TRAVAUX

24. En raison de la particularité des chantiers sur des établissements pénitentiaires évoquée ci-dessus, la maîtrise d'ouvrage s'est interrogée sur l'accès au chantier avant le lancement de l'appel d'offres. Il est apparu nécessaire d'empêcher toute possibilité d'évasion à l'occasion des travaux, par la présence de grues dans l'enceinte du bâtiment. Le maître d'ouvrage a donc étudié une solution alternative afin d'installer une partie du chantier hors les murs.

25. Le directeur technique adjoint au chef du département patrimoine et équipement de la DRSP de Toulouse, en charge du marché public en cause, a précisé, lors de son audition le 25 juillet 2008, que " pour des raisons de sécurité pénitentiaire et des facilités d'organisation, nous avons été amenés à nous intéresser à des surfaces inoccupées à proximité immédiate de l'établissement. Nous avons pris contact avec le propriétaire du terrain, avant le lancement de toute la procédure, afin de connaître d'une part s'il était disposé à louer ce terrain pendant la durée du chantier, et d'autre part à quelles conditions financières. Il s'est avéré que le propriétaire du terrain était la société Vilmor qui a déclaré à cette occasion qu'elle s'intéresserait à ce marché. Il convient d'ajouter sur ce point que le cahier des charges proposait deux solutions aux entreprises, qui n'étaient pas de ce fait obligées de passer par la location (...) " (cotes 48 à 51).

26. Ce terrain appartient en réalité à la Société Civile Immobilière BCV, qui a pour unique patrimoine immobilier le terrain jouxtant le centre pénitentiaire de Perpignan. Le capital de cette SCI est intégralement détenu par trois associés, dont le directeur financier et le gérant de Vilmor Construction.

27. Le 1er avril 2008, le gérant de Vilmor Construction a confirmé à la DRSP de Toulouse la possibilité de location du terrain en cause : " (...), je vous confirme les points suivants : l'accès au chantier par notre parcelle a été fixé à 5 500 euros HT au cas où une autre entreprise ferait les travaux de gros œuvre et ceci pour la durée du chantier (...). Au cas où il faudrait un document plus officiel, je suis à votre disposition pour vous l'établir à votre convenance (...) " (cote 374). Il a ainsi indiqué au maître d'ouvrage, avant le dépôt formel des offres, que dans l'hypothèse où sa société n'emporterait pas le marché, elle louerait le terrain nécessaire aux travaux au titulaire du marché au prix forfaitaire de 5 500 euros HT.

28. Le cahier des clauses techniques particulières du DCE, à savoir le " CCTP 01 ", a proposé deux solutions possibles aux installations du chantier dans la zone Nord : " la solution A, LOCATION DU TERRAIN VOISIN, implique une location d'une partie du terrain voisin (proposition du propriétaire de 5500 euros HT de prêt de terrain à intégrer à la charge de l'entreprise) ; la solution B, SUR EMPRISE ETABLISSEMENT, permet de s'affranchir de cette contrainte mais rend la solution plus complexe. L'entreprise aura libre choix de la solution à employer (la maîtrise d'ouvrage, sans l'imposer, préférant la solution A) " (cote 175).

29. L'entreprise Eiffage Construction Roussillon a mentionné dans son CDPGF, au poste 1.9.2.5.1 : " solution retenue : solution location du terrain voisin au prix de 5 500 euros " (cote 219). Pour sa part, la société Vilmor Construction a précisé dans son CDPGF " Solutions location du terrain voisin " sans toutefois en préciser le montant (cote 265).

D. LES PRATIQUES RELEVÉES

1. LES SIMILITUDES ENTRE LES CDPGF DE VILMOR CONSTRUCTION ET D'EIFFAGE CONSTRUCTION ROUSSILLON

30. Dans le DCE sous format CD-Rom adressé à chacune des entreprises candidates, figurait le CDPGF-type à partir duquel elles pouvaient formuler leur offre en complétant les seules parties concernant les quantités et les prix. Les candidates étaient également libres d'en modifier plus substantiellement la structure, aussi bien en ce qui concerne la mise en page que la typographie grâce à cette version numérique. Enfin, elles pouvaient également le personnaliser en faisant apparaître sur le document le nom de leur société.

31. Une comparaison entre le CDPGF fourni par le maître d'ouvrage et ceux joints aux actes d'engagement d'Eiffage Construction Roussillon et de Vilmor Construction montre que ces deux entreprises ont utilisé un cadre comportant des similitudes que l'on ne retrouve pas dans le cadre fourni par le maître d'ouvrage, se différenciant de manière identique sur certains points du format de tableau présenté dans le DCE.

32. Ci-après sont reproduites certaines parties du CDPGF fourni aux entreprises par le maître d'ouvrage, et les versions remises par Eiffage Construction Roussillon et Vilmor Construction au maître d'ouvrage, pour lesquelles des articles ou lignes présentent des similitudes entre les deux CDPGF des entreprises en se différenciant du cadre fourni par le maître d'ouvrage. Les points pertinents ont été entourés dans les documents suivants :

<Emplacement tableau 1>

<Emplacement tableau 2>

<Emplacement tableau 3>

33. Le tableau ci-dessous reprend les points de similitude entre les CDPGF des deux entreprises, lorsque ces similitudes se différencient du cadre fourni par le maître d'ouvrage :

<Emplacement tableau 4>

34. Au-delà des similitudes caractérisant les CDPGF de Vilmor Construction et d'Eiffage Construction Roussillon, il convient de relever que le CDPGF en version CD-Rom joint à l'acte d'engagement en date du 11 juin 2008, tel qu'adressé par la société Vilmor Construction au maître d'ouvrage, comportait au bas de chacune de ses trois pages la mention " Eiffage Construction Roussillon ", alors que la page de garde portait l'en-tête de Vilmor Construction avec la mention " devis estimatif et quantitatif de travaux ", ainsi que le montant du prix global et forfaitaire de 660 000,12 euros HT (cotes 264 à 267). Un extrait de ce devis avec la mention " Eiffage Construction Roussillon " est reproduit ci-après :

<Emplacement tableau 5>

35. Une copie du CDPGF de Vilmor Construction a ultérieurement été remise à la DGCCRF le 4 décembre 2008 (cotes 875 à 878). A cette occasion, le directeur financier de Vilmor Construction a imprimé le devis depuis son ordinateur professionnel. Cette version papier laisse également apparaître, au bas du CDPGF de Vilmor Construction, la mention " Eiffage Construction Roussillon ". Ce document est effectivement identique à celui adressé au maître d'ouvrage le 11 juin 2008.

36. Interrogé par la DGCCRF, le 4 décembre 2008, sur la mention " Eiffage Construction Roussillon " en bas de page du CDPGF de sa société, le gérant de Vilmor Construction a répondu ce qui suit : " [l]orsque j'ai répondu, j'ai répondu sur le cadre fourni sans remarquer la présence de l'indication en bas de page de l'annotation "Eiffage Construction" (...) je ne suis donc pas en mesure de vous donner une explication sur la présence de cette annotation en bas de page du cadre de prix " (cotes 846 et 847).

37. La mention " Eiffage Construction Roussillon " aurait pu éventuellement, à la suite d'une erreur informatique du maître d'ouvrage, figurer dans le cadre transmis par ce dernier. Dès lors, une vérification a été réalisée le 8 décembre 2008. A cet égard, le directeur technique adjoint au chef du département patrimoine et équipement de la DRSP de Toulouse a indiqué à la DGCCRF que " [c]omme vous avez pu le constater sur les trois CD mis à votre disposition et retournés par les entreprises, le fichier au format Excel dénommé "CDPGF lot n°1GO.xls", situé dans un sous-dossier "Pces techniques écrites", lui-même dans le dossier "Compil DCE" ne comporte en pied de page aucune mention du nom d'entreprise et est identique au support papier transmis aux entreprises dont un exemplaire vous est remis " (cotes 377 et 378).

38. Le directeur de l'établissement Eiffage Construction Roussillon a, au cours de son audition par la DGCCRF, le 10 décembre 2008, expliqué les circonstances dans lesquelles cette pièce, qu'il reconnaît issue de son entreprise, a pu parvenir à Vilmor Construction. Il a fourni une explication en ces termes : " Vous me présentez le cadre de décomposition du prix global et forfaitaire concernant le lot n°1 remis par la société Vilmor Construction dans sa réponse à l'appel d'offres. Je constate que la mention "Eiffage Construction Roussillon" figure en bas de page sur les pages 2 et 3 du document. La seule explication que je peux donner à cette mention, c'est que l'entreprise Vilmor a dû utiliser le fichier qu'on a dû lui envoyer pour la consulter sur le prix de la démolition. Il aurait donc réutilisé le document. Je n'ai appris le fait que Vilmor Construction avait été mon concurrent sur cette affaire de reconstruction des miradors que lorsque nous avons été amenés à rediscuter du montant du loyer. Cette nouvelle discussion a eu lieu à la fin du mois de juin 2008 ou au début du mois de juillet 2008 (...)" (soulignements ajoutés, cotes 788 à 790).

39. Selon lui, Vilmor Construction aurait utilisé le document dans le cadre d'une négociation en vue d'une sous-traitance (démolition) du marché public concerné. Cependant, des vérifications ont été faites auprès de l'établissement Eiffage Construction Roussillon concernant le CDPGF fourni par le maître d'ouvrage sous forme de CD-Rom que cette entreprise a pu conserver en qualité de titulaire du marché. Le directeur de l'établissement entre août 2008 et mars 2011 a déclaré, le 16 décembre 2008, que : " sur votre demande, nous avons ressorti le CD-R qui nous a été transmis par le maître d'ouvrage et avons procédé (...) à l'ouverture du dossier "Compli DCE", du sous-dossier "pces techniques écrites" et du fichier au format Excel dénommé "CDPGF lot n°1GO.xls" et imprimé le document que je vous remets avec la copie de la face du disque CD-R portant la mention manuscrite "Miradors Perpignan". Ce document ne comporte pas la mention "Eiffage Construction Roussillon" " (cotes 555 à 558).

40. Les documents techniques remis par le maître d'ouvrage aux candidats et donc à Eiffage Construction Roussillon ne comportaient aucune mention en pied de page. Par conséquent, le CDPGF comportant la mention " Eiffage Construction Roussillon " résulte nécessairement d'une modification du document original du maître d'ouvrage effectuée par Eiffage Construction Roussillon afin de présenter son offre, modification à l'occasion de laquelle l'entreprise a apposé en pied de page la mention " Eiffage Construction Roussillon ", afin d'attester l'origine du document.

41. Par ailleurs, une technicienne étude de prix chez Eiffage Construction Roussillon, interrogée sur la consultation d'éventuels sous-traitants, lors de son audition par la DGCCRF, le 16 décembre 2008, a déclaré que, " lorsque nous sommes dans le cadre d'un marché à prix global et forfaitaire, nous faisons refaire les métrés par des métreurs extérieurs ; pour la reconstruction des miradors de la prison de Perpignan (...) [c]ette demande s'est faite au cas présent par courrier en date du 26 mai 2008. Les consultations des fournisseurs et éventuels sous-traitants se font durant la période préparatoire de la phase d'études avant la remise des offres, pour l'établissement d'un budget prévisionnel ; à partir de ce budget, nous réalisons le bouclage et définissons le niveau de prix auquel nous répondons. Pour le marché des miradors, ce travail de consultation des entreprises a été réalisé par mes soins et a abouti au document de transfert remis au service Travaux le 19 juillet 2008 ; concernant la démolition, j'ai consulté deux entreprises : Camars de St-Hippolyte (66) et Caminal de Perpignan (66) ; (...) En plus de ces deux entreprises, la société Hugon (M. V.) et la société Mediaco (M. R.) pour le grutage et le levage ont visité le chantier (visite extérieure). (...) J'ai communiqué à ces deux entreprises le CDPGF remis par le maître d'ouvrage et j'ai pu ensuite leur donner des précisions complémentaires, notamment sur les quantitatifs, dès l'instant où j'ai eu connaissance des résultats du métreur. (...) en ce qui concerne le CDPGF, j'ai adressé aux entreprises celui qui nous a été remis par le maître d'ouvrage " (cote 556).

42. Egalement interrogé par la DGCCRF le 16 décembre 2008, le directeur des travaux au sein d'Eiffage Construction Roussillon a déclaré : " sur ce dossier des miradors de la prison de Perpignan, [avoir] reçu le dossier de transfert début juillet 2008 ; concernant la démolition, le budget dont je dispose est de l'ordre de 30 000 euros HT ; j'ai regardé les entreprises déjà consultées (Caminal et Camar) et j'ai ensuite élargi la consultation à Sud Démolition et à la société Vilmor. J'ai contacté ces deux entreprises au cours de la deuxième quinzaine de juillet 2008 ainsi que celles qui figuraient déjà dans le dossier de transfert. (...) J'ai élargi en appelant Vilmor et Sud Démolition. J'ai appelé plusieurs fois Vilmor (M. V.) qui m'a indiqué que le prix serait de l'ordre de 30 000 euros HT ; je ne lui ai pas envoyé de dossier car il m'a dit qu'il le connaissait et devait me faire parvenir une offre. Je n'ai jamais reçu sa proposition écrite. Cette entreprise n'était pas mon objectif, j'avais ciblé Sud Démolition qui était l'entreprise la plus à même de faire les travaux. J'ai appelé Sud Démolition qui m'a indiqué que ces travaux l'intéressaient ; je ne lui ai pas adressé de dossier car il m'a précisé qu'il le connaissait " (soulignements ajoutés, cotes 555 à 558).

43. Le directeur des travaux au sein d'Eiffage Construction Roussillon confirme ainsi qu'il n'y a pas eu de négociation formelle entre Eiffage Construction Roussillon et Vilmor Construction relative à une sous-traitance pour une prestation de démolition, qui aurait pu expliquer la transmission d'un document entre les deux entreprises. En revanche, il ressort de sa déclaration que Vilmor Construction a bien été consultée au sujet de la prestation de démolition par Eiffage Construction Roussillon, mais uniquement par téléphone.

44. Les offres reçues par Eiffage Construction Roussillon de la part de sous-traitants potentiels sont élaborées sur des documents propres à chaque sous-traitant, à l'exception de l'entreprise Camar, qui a adapté la partie du CDPGF relative à la viabilisation des installations de chantier et de la démolition, et de l'entreprise Caminal, qui a repris le cadre du maître d'ouvrage qui lui a été adressé par Eiffage Construction Roussillon, document qui correspond au CDPGF tel qu'envoyé par le maître d'ouvrage dans le DCE, et non pas sous le format commun présent à la fois dans l'offre d'Eiffage Construction Roussillon et dans celle de Vilmor Construction.

45. Au bas des CDPGF remplis par la société Camar d'une part, et par la société Caminal d'autre part, ne figure pas la mention " Eiffage Construction Roussillon ". Le CDPGF envoyé par Eiffage Construction Roussillon correspond en tous points à celui servant de base de travail et établi par le maître d'ouvrage, et ne comporte aucune mention " Eiffage Construction Roussillon " en pied de page (cotes 662 et 664).

46. Interrogé par les services de l'Autorité le 7 décembre 2011 sur la mention " Eiffage Construction Roussillon ", le gérant de Vilmor Construction a déclaré : " Une fois la DGCCRF partie, j'ai interrogé ma secrétaire qui avait la charge de mettre en place toute la trame de devis. Il se trouve qu'on travaillait à cette époque-là avec Eiffage concernant le parking Clémenceau, et Eiffage m'avait envoyé des cadres de décomposition de prix pour répondre au lot Démolition. Je pense que ma secrétaire a dû se tromper en utilisant ce cadre au lieu de celui envoyé par le maître d'ouvrage, à savoir les services pénitentiaires. De plus, à l'écran, on ne voit pas cette mention, celle-ci n'apparaît qu'à l'impression. Je vais essayer de vous retrouver un élément matériel tendant à montrer qu'Eiffage m'a bien envoyé un cadre de décomposition de prix avec leur mention en bas de page, et ce dans le cadre de la sous-traitance avec le parking Clemenceau ". Il a en outre réaffirmé que " (...) nous avons été consultés par Eiffage dans le cadre de ce marché de reconstruction des miradors pour de la sous-traitance concernant des travaux de démolition. C'est là que j'ai su qu'ils répondaient à l'appel d'offres. Je leur ai certainement remis une offre. Peut-être est-ce à cette occasion-là qu'ils m'ont envoyé leur cadre de décomposition avec la mention "Eiffage Construction Roussillon" " (cotes 1137 à 1141).

47. Ainsi, outre la possibilité d'une transmission d'un cadre de décomposition de prix dans le cadre d'une sous-traitance entre les deux entreprises pour le marché public en cause, le gérant de Vilmor Construction évoque la possibilité d'un cadre de décomposition de prix envoyé par Eiffage Construction Roussillon pour un autre marché, à savoir un lot de démolition dans le cadre du " parking Clémenceau ".

48. Interrogé par les services de l'Autorité, le 5 décembre 2011, le directeur de l'époque de l'établissement Eiffage Construction Roussillon a également avancé cette explication : " j'avais un contrat avec Vilmor sur une autre affaire, celle du parking Clémenceau à Perpignan, via la société Sud Démolition. Dans cette affaire des miradors de Perpignan, j'ai proposé à Sud Démolition d'être mon sous-traitant pour la démolition. J'ai appelé M. V. qui s'est abstenu à ce moment-là de me dire qu'il était mon concurrent. Il m'a répondu et m'a dit de lui envoyer le dossier. Je ne connaissais pas des compétences en génie civil à la société Vilmor donc j'étais à mille lieux de m'imaginer qu'elle se présenterait (pour moi, Vilmor était plutôt spécialisé dans la rénovation de bâtiments historiques). Je suppose que je lui ai envoyé le dossier mais je ne m'en souviens pas clairement. Par contre, il m'a bel et bien remis une offre pour la démolition, mais très chère par rapport à des offres concurrentes. Je ne peux pas vous apporter des éléments matériels d'un envoi du dossier à M. V." (cotes 1113 à 1117).

49. Ainsi, les auteurs de ces déclarations ont évoqué la possibilité d'une transmission de CDPGF dans le cadre de l'appel d'offres portant sur le " parking Clémenceau ", marché remporté par Eiffage Construction Roussillon qui avait confié la sous-traitance sur la partie " démolition " à l'entreprise Sud Démolition, dont le dirigeant est le gérant de Vilmor Construction.

2. SUR LA QUALITÉ DES OFFRES REMISES PAR LES CANDIDATS

50. Selon le maître d'ouvrage, Vilmor Construction n'a pas manifesté un intérêt marqué pour le marché concerné. La qualité du dossier présenté par Vilmor Construction ne serait en rien comparable à celle d'Eiffage Construction Roussillon, qui apparaîtrait nettement meilleure. Lors de son audition, le 25 juillet 2008, le directeur technique adjoint au chef du département patrimoine et équipement de la DRSP a déclaré : " Nous avions des espoirs fondés d'obtenir des offres réellement concurrentes et de bonne tenue. A contrario, pendant toute cette période, la société Vilmor Construction n'a pas manifesté un intérêt très grand et la qualité du dossier présenté n'est pas comparable. A l'ouverture des offres nous étions déçus car nous n'avions plus que deux offres, dont une, celle de Vilmor Construction, comportait de larges zones d'ombre et suscitait des interrogations sur le plan technique. Cette impression à propos de l'offre de Vilmor a été confirmée par la faible qualité des réponses obtenues dans la période d'analyse des offres " (cotes 48 à 51).

51. Auditionné par les services de l'Autorité le 26 octobre 2011, le directeur technique adjoint au chef du département patrimoine et équipement de la DRSP a confirmé ses propos : " (...) lors de la phase d'études, je garde le souvenir que Vilmor ne s'intéressait pas au dossier et ne nous sollicitait pas pour en savoir plus ; la maîtrise d'œuvre avait du mal à obtenir de Vilmor des éléments précis, alors que leur dossier n'était déjà pas très enrichi " (cotes 1023 à 1026).

52. Dans le rapport d'analyse des offres en date du 25 juin 2008 (cotes 274 à 276), l'équipe de la maîtrise d'œuvre en charge de cette opération confirme l'analyse du maître d'ouvrage : " (...) l'entreprise n'a pas fourni de planning précis vis-à-vis de son intervention. Elle précise dans son offre pouvoir se conformer au planning excepté la semaine 52 (société fermée)...le mémoire technique de l'entreprise n'indique pas de spécificité vis-à-vis des accès, des installations de chantier, des matériaux...l'entreprise n'a pas répondu totalement aux demandes formulées ce qui peut prouver un manque de sérieux de son étude (...) " (cote 278). In fine, la maîtrise d'œuvre, selon les critères d'analyse définis, a attribué pour la valeur technique des offres une note de 11-12 à l'offre d'Eiffage Construction Roussillon et de 6-12 à l'offre de Vilmor Construction.

53. Interrogé à ce sujet par les services de l'Autorité, le 7 décembre 2011, le gérant de Vilmor Construction a expliqué que, " sur ce marché de la reconstruction des miradors, nous avons eu énormément de questionnements techniques et de changements demandés par la maîtrise d'œuvre, et finalement, ce dossier s'est avéré assez difficile techniquement et à un moment donné, il a fallu arrêter une offre définitive en termes techniques et en termes de prix parce que nous n'avions plus le temps de répondre aux demandes répétées de la maîtrise d'œuvre. C'est ce qui explique en partie la moindre valeur de notre offre en termes techniques, par rapport à celle d'Eiffage qui a plus les moyens de répondre à ces demandes " (cotes 1137 à 1141).

3. LES CONDITIONS DE LOCATION D'UN TERRAIN PROCHE DU CENTRE PÉNITENTIAIRE

54. Ainsi qu'il a été évoqué ci-avant, le marché en cause présentait une spécificité quant à l'installation du matériel nécessaire à sa réalisation. Le maître d'ouvrage a, dans le CCTP 01 compris dans le DCE, proposé deux solutions, soit la location d'une partie du terrain voisin attenant au centre pénitentiaire (solution A), soit l'installation du chantier sur l'emprise de l'établissement pénitentiaire qui permettrait de s'affranchir de la location mais rendrait le déroulement des travaux plus complexe (solution B).

55. Le CCTP 01 indique clairement que la maîtrise d'ouvrage préférait la solution A, bien que celle-ci ne soit pas imposée. Le CCTP 01 contient par ailleurs la proposition chiffrée du propriétaire du terrain : " la solution A, LOCATION DU TERRAIN VOISIN, implique une location d'une partie du terrain voisin (proposition du propriétaire de 5 500 euros HT de prêt de terrain à réintégrer à la charge de l'entreprise (...) " (cotes 128 à 194).

56. Comme indiqué plus haut, ce montant de 5 500 euros HT résulte d'un accord préalable entre la DRSP de Toulouse et le gérant de Vilmor Construction, ainsi que l'atteste son courriel au directeur technique adjoint au chef du département patrimoine et bâtiment de la DRSP de Toulouse en date du 1er avril 2008 : " l'accès au chantier par notre parcelle a été fixé à 5500 euros HT au cas où une autre entreprise ferait les travaux de Gros OEuvre, et ceci pour la durée du chantier " (cote 374).

57. Les deux entreprises qui ont remis une offre retiennent cette solution. Eiffage Construction Roussillon mentionne dans son CDPGF au poste 1.9.2.5.1 " solution retenue : solution-location du terrain voisin au prix de 5 500 euros ". Pour sa part, Vilmor Construction précise dans son CDPGF au poste 1.9.2.5.1 " Solution location du terrain voisin " sans indiquer de montant.

58. Les conditions financières qui figurent dans l'offre d'Eiffage Construction Roussillon concernant cette location de terrain correspondent à la fois au montant annoncé dans le CCTP 01 transmis par la maîtrise d'ouvrage, à savoir 5 500 euros HT pour une location de 7 mois, à celui qui est évoqué dans le courriel précité, et à celui qui apparaît dans les études d'Eiffage Construction Roussillon à la date du 23 mai et 9 juin 2008, jour de bouclage de l'offre en interne, sous le même Code (cotes 711 et 725).

59. De même, le dirigeant de la société SESO, alors encore intéressé par le marché public en cause, a confirmé, lors de son audition par la DGCCRF, le 4 décembre 2008, que, " sur le point de l'installation et de l'accès au chantier, nous avions retenu dans notre offre l'utilisation du terrain voisin tel que cela était proposé comme solution dans la consultation. J'ai l'occasion de rencontrer le propriétaire du terrain pour me faire confirmer que le montant communiqué par la DRSP pour la location du terrain était bien celui qui serait effectivement appliqué, à savoir de mémoire 5 500 euros comme prévu au CCTP. Nous avions rencontré M. V. qui nous a confirmé ce montant " (cotes 834 et 835).

60. Jusqu'au dépôt des offres, le prix de la location du terrain appartenant à la SCI BCV était fixé à 5 500 euros HT pour une durée de 7 mois de location. Cependant, le contrat sous forme de bail civil conclu entre Eiffage Construction Roussillon, titulaire du lot n°1, et la SCI BCV, propriétaire de ce terrain, fait état d'un loyer forfaitaire de 17 000 euros HT et, pour une occupation au-delà du 30 mai 2009, d'un montant mensuel HT de 1 890 euros (cotes 363 à 373).

61. Il est en effet stipulé dans le bail civil que celui-ci " est consenti pour la durée du chantier soit 9 mois à compter du 1er septembre 2008. Au-delà du délai de 9 mois précité, le bail se poursuivra par tacite reconduction de mois en mois, faute de congé notifié par l'une des parties, un mois franc à l'avance... " et que " la présente location est consentie et acceptée moyennant un loyer forfaitaire de 17 000,00 euros HT (...). Au-delà du 30 mai 2009, le bail se poursuivra par tacite reconduction de mois en mois avec un paiement payable à chaque début de mois et pour un montant mensuel HT de 1 890,00 euros " (cotes 364 à 368).

62. Les travaux ayant duré 7 mois, la location a donc donné lieu au paiement d'un loyer de 17 000 euros HT par Eiffage Construction Roussillon au bénéfice de la SCI BCV, au lieu des 5 500 euros HT initialement prévus, tant par le maître d'ouvrage que par le gérant de Vilmor Construction.

63. Le montant prévisionnel de la SCI BCV communiqué au maître d'ouvrage et initialement à Eiffage Construction Roussillon avant le dépôt de son offre, à savoir 5 500 euros HT pour la location du terrain, a ainsi été multiplié par 3 sans que, a priori, les conditions de la location du terrain aient été modifiées.

64. Sur cette différence de prix entre le montant indiqué dans le CCTP (5 500 euros HT), et le montant du bail civil (17 000 euros HT), le directeur d'Eiffage Construction Roussillon depuis août 2008, a déclaré lors de son audition par les agents de la DGCCRF le 4 décembre 2008 : " je ne peux pas vous renseigner plus sur le sujet mais j'ai noté comme vous le montant prohibitif de la location de terrain à la société Vilmor. Cela est très onéreux ". Le 16 décembre 2008, il a précisé : " Pour compléter ma déclaration du 4 décembre dernier, je confirme que le prix est cher mais dans tous les cas, techniquement nous n'avions pas d'autre solution que de prendre ce terrain " (cotes 544 à 548).

65. Le directeur des travaux au sein de l'établissement Eiffage Construction Roussillon a déclaré lors de son audition par la DGCCRF, le 16 décembre 2008, qu'il avait " (...) découvert le dossier début juillet 2008 et lors d'une réunion à Toulouse chez le maître d'œuvre, le maître d'ouvrage s'est inquiété de savoir si nous avions fait le nécessaire pour mettre en place le bail de location du terrain. A la sortie de la réunion, j'ai demandé à M. C., qui était présent, ce qu'il convenait de faire concernant ce terrain ; il m'a demandé d'établir le bail sur la base de 17 000 euros HT ; ces informations ont ensuite été complétées par un schéma et oralement par M. C. " (cotes 555 à 558).

66. Interrogé sur ce point par la DGCCRF, le 10 décembre 2008, M. G. C. a indiqué : " (...) J'ai pris contact avec M. V. pour lui dire qu'il fallait que je loue ce terrain et pour savoir s'il me confirmait le prix de location qui était mentionné dans le dossier, à savoir 5 500 euros. Il m'a dit que les 5 500 euros, c'était le prix qu'il avait indiqué aux services pénitentiaires mais qu'il n'était pas totalement satisfait de ce montant et qu'il envisageait de nous réclamer un montant supérieur. (...) Ce contact a dû se produire dans la deuxième quinzaine du mois de mai 2008. Il s'agit d'une rencontre qui a eu lieu dans nos bureaux de Perpignan. (...) Donc, lors du contact que nous avons eu à propos du terrain, je lui ai dit que dans ce marché il y avait également du sciage et que je le consulterais, il paraissait intéressé. (...) Cette nouvelle discussion a eu lieu à la fin du mois de juin 2008 ou au début du mois de juillet 2008. (...) A cette occasion, M. V. m'a confirmé ce qu'il m'avait fait savoir auparavant, c'est-à-dire qu'il ne respectait pas le montant de 5 500 euros et qu'il exigeait un montant bien supérieur. Il justifiait ce changement par le fait qu'il n'avait pas obtenu le marché de reconstruction, marché pour lequel il avait eu des frais d'études importants. (...) Nous avons négocié. J'ai fait valoir mon besoin de surface supplémentaire par rapport au marché initial. J'ai également fait valoir que je souhaitais un délai supplémentaire parce que le délai du client me semblait un peu délicat à tenir et enfin j'ai pu obtenir que je lui laisserai le terrain à l'issue du chantier en l'état et non restitué à l'identique. Moyennant cela j'ai dû lui concéder une somme de 17 000 euros pour la location. C'est moi qui ai conduit cette négociation. La surface supplémentaire est de mémoire de 40 à 50 % supérieure à la surface initialement prévue. La location envisagée par le maître d'ouvrage était de 7 mois et nous avions besoin de 9 mois. Si nous avions renoncé à la location de terrain, le coût engendré aurait été disproportionné par rapport au surcoût de loyer réclamé par M. V. " (cotes 788 à 790).

67. Interrogé de nouveau sur ce point par les services de l'Autorité, le 5 décembre 2011, il a confirmé que, " la location de terrain était prévue dans le dossier et valorisée à 5 500 euros. A la lecture du cahier des charges, le prix du loyer n'apparaissait pas comme un engagement ferme parce que ce n'était pas le maître d'ouvrage qui louait. Il s'agissait d'une valeur indicative et on aurait préféré que le client loue ce terrain et le mette à la disposition du titulaire, ce qui n'était pas le cas. (...) Une fois attributaire du marché, j'ai su que M. V. était propriétaire du terrain. (...) Je contacte M. V. qui m'informe alors qu'il était mon concurrent sur le marché de reconstruction des miradors, et me précise qu'il n'est pas du tout d'accord avec les 5500 euros de loyer initialement prévus. J'ai essayé de négocier mais il n'y avait pas de solution alternative raisonnable. Quelque part, nous étions pieds et poings liés. Je ne me souviens pas vraiment d'avoir contacté le maître d'ouvrage pour me plaindre de cette situation (...). Lors de la discussion avec M. V., je me suis fortement plaint du niveau de loyer proposé mais M. V. a été inflexible sur le montrant, qui représente in fine une augmentation de plus de 300 % du loyer initial. Au départ, M. V. m'avait annoncé un chiffre de 20 000 euros et j'ai pu redescendre après d'âpres discussions, à 17 000 euros. En contrepartie, j'ai obtenu des gains sur la durée et sur la surface, cette dernière m'avait paru un peu petite telle qu'elle était présentée dans le cahier des charges (...) " (cotes 1112 à 1117).

68. M. G. C. a expliqué avoir obtenu des compensations, à savoir l'allongement de la durée de la location de 7 à 9 mois, pour anticiper d'éventuels dépassements, l'extension de la surface disponible et enfin la remise en l'état du terrain à la fin du chantier.

69. Interrogé à ce sujet le 4 décembre 2008, le gérant de Vilmor Construction a pour sa part déclaré que, " Eiffage a eu le marché et m'a contacté pour louer la parcelle. Pour la location de terrain, j'avais indiqué une valorisation de 5 500 euros pour son utilisation à M. S., responsable des services pénitentiaires. 5 500 euros correspondait à la location si j'avais le chantier dans mon esprit. Quand Eiffage a eu le marché, son projet d'installation sur mon terrain était beaucoup plus important qu'à l'origine (500m2) " (cotes 840 à 845).

70. Puis, lors de son audition par les services de l'Autorité, le 7 décembre 2011, il a précisé que " (...) le maître d'ouvrage m'a contacté pour me demander si je pouvais prévoir une location pour ce terrain qui m'appartient. Lors de cette discussion nous ne sommes pas tombés d'accord sur un prix de location. Vous me présentez un mail que j'ai adressé à M. S. le 1er avril 2008 où je mentionne un accord sur un prix de 5 500 euros: je ne me souvenais plus, mais effectivement on s'était mis d'accord sur un prix de loyer. Après l'attribution du marché, Eiffage (...) m'a contacté pour conclure le bail : mais Eiffage me demandait le double ou le triple d'espace pour installer le chantier. On a dû à ce moment-là effectuer une vérification de loyer. Quand on a reçu les plans d'Eiffage, on s'est rendus compte que la surface demandée ne correspondait pas à celle prévue dans le cahier des charges, du coup on a augmenté le coût de la location pour tenir compte de cette nouvelle demande. Je ne me souviens plus de l'ampleur de cette augmentation. Vous me dites que le prix est passé à 17 000 euros : cela me paraît beaucoup, mais en même temps j'étais en position de force " (cotes 1137 à 1141).

71. De son côté, le directeur adjoint au chef du département patrimoine et bâtiment de la DRSP de Toulouse, après avoir remis à la DGCCRF, le 5 mars 2009, les copies des plans joints au DCE, a rappelé que " [c]es plans, joints au dossier de consultation des entreprises, ont bien été communiqués aux trois candidats retenus sur le lot n°1 mais aucune indication de surface relative à l'emprise des installations de chantier, ne leur a été précisée. (...) Après s'être vue attribué le lot n°1, la société Eiffage Construction Roussillon a conclu avec la SCI BCV un bail civil qui comporte en annexe n°2 un plan sur lequel l'emprise et la localisation du bien loué sont représentés schématiquement sous teinte hachurée. La comparaison de ce plan avec celui fourni aux candidats fait apparaître une extension de la surface louée qui correspond à la partie hachurée qui se situe au-delà de la limite initialement prévue qui s'arrêtait au parking CVL et aux sanitaires. Sur plan, cette extension représente environ 30% de la surface totale louée. Toutefois, pour avoir traité la mise au point avec M. V. concernant la mise à disposition de ce terrain, je considère que l'emprise transcrite dans le bail civil correspond, en volume, à ce qui avait été convenu au départ et pour laquelle nous avions arrêté avec le propriétaire un loyer de 5 500 euros. Il est vrai que le plan élaboré par la maîtrise d'œuvre et fourni aux candidats est plutôt restrictif par rapport à ce qui avait été convenu. J'ajoute qu'aucune exigence nouvelle de la part de la maîtrise d'ouvrage n'a été formulée, qui justifierait une extension de l'emprise que nous avions initialement prévue ".

72. Il ajoute qu'" [à] aucun moment le locataire du terrain (Eiffage Construction Roussillon) ou le bailleur (SCI BCV, M. V.) n'ont fait part à la DRSP de difficultés liées au respect des accords que nous avions conclus et transcris dans le cahier des charges. J'ai eu connaissance de ce bail et des modifications qu'il faisait apparaître (en particulier sur le montant du loyer) de façon fortuite, à l'occasion d'une réunion avec l'entreprise Eiffage, alors que je me souciais de savoir si les bases de l'accord portant sur le terrain mis à disposition avaient bien été retranscrites dans un bail. A ma question sur les motifs pour lesquels le montant de la location avait été si largement majoré, les techniciens opérationnels d'Eiffage m'ont répondu que ce montant avait été négocié par leur direction et qu'ils en ignoraient les raisons (...) " (cotes 419 à 421).

73. Concernant la durée de la location, il a déclaré : " (...) l'autre modification de l'accord que nous avions passé avec SCI BCV concerne la durée de location qui a été portée à 9 mois alors que la durée totale du chantier telle que prévue au CCTP était de 7 mois (2 semaines de préparation, 6 mois de travaux et 2 semaines de repliement). J'observe que cette opération est sur le point de se terminer et que les comptes-rendus de chantier prévoient que le repliement se fera autour des 23 ou 27 mars 2009 et que la surface sera libérée pour le 1er avril 2009. L'occupation réelle du terrain ayant débuté au 1er septembre 2008 pour s'achever au 1er avril 2009 aura donc été de 7 mois comme initialement prévu dans notre dossier (...) " (cotes 419 à 421).

74. Enfin, lors de son audition par les services de l'Autorité, le 26 octobre 2011, ce responsable a confirmé qu'" Eiffage a joué sur l'agrandissement de surface de 30 % pour justifier l'augmentation : en réalité, cela n'a pas de sens car ils ont in fine disposé de toute la surface du terrain sans limite lors de l'exécution des travaux " (cotes 1023 à 1026). Il conclut qu' " en tous cas, pour moi, rien ne justifie cette importante augmentation de loyer (...) de plus, nous avions proposé 7 mois de travaux alors que le bail finalement conclu concernait 9 mois de location, je les ai interpellés sur ce point et le chantier a été fait en 7 mois comme prévu au départ " (cotes 1023 à 1026). La durée effective des travaux a bien été de 7 mois comme initialement prévu dans le cahier des charges.

E. LE GRIEF NOTIFIÉ

75. Le 30 mars 2012, la rapporteure générale de l'Autorité a notifié le grief suivant :

" Il est fait grief à la SAS Eiffage Construction Languedoc Roussillon, à la SAS Fougerolle, à la SAS Eiffage Construction et à la société Eiffage SA, ainsi qu'à la société EURL Vilmor Construction d'avoir, depuis un temps non couvert par la prescription, échangé avant le 11 juin 2008, date de la réception des offres par le maître d'ouvrage, des informations sur leurs offres en vue de la passation du marché de reconstruction des miradors du centre pénitentiaire de Perpignan par la Direction régionale des Services pénitentiaires de Toulouse, ayant pour conséquence de tromper le maître d'ouvrage sur la réalité et l'étendue de la concurrence sur le marché, pratique contraire aux dispositions de l'article L. 420-1, notamment 2° et 4° du Code de commerce, prohibant les ententes anticoncurrentielles ".

II. Discussion

A. SUR LA PROCÉDURE

76. La société Vilmor Construction considère que la procédure engagée à son encontre est irrégulière pour violation des dispositions des articles L. 463-1 et 2 et L. 622-23 du Code de commerce. Elle reproche à l'Autorité de ne pas avoir notifié à son administrateur judiciaire et à son mandataire judiciaire la notification de griefs et le rapport subséquent. L'irrégularité de la procédure découlerait également du fait que le mandataire judiciaire n'est pas partie à la procédure et du délai insuffisant écoulé entre la date initiale de la séance et son renvoi au 30 janvier 2013, qui n'aurait pas permis à l'administrateur judiciaire de prendre connaissance du dossier.

77. Il résulte toutefois clairement de l'article L. 463-2 du Code de commerce que : " Les entreprises destinataires des griefs signalent sans délai au rapporteur chargé du dossier, à tout moment de la procédure d'investigation, toute modification de leur situation juridique susceptible de modifier les conditions dans lesquelles elles sont représentées ou dans lesquelles les griefs peuvent leur être imputés. Elles sont irrecevables à s'en prévaloir si elles n'ont pas procédé à cette information ".

78. En l'espèce, Vilmor Construction est irrecevable à se prévaloir d'une irrégularité de la procédure à son encontre alors qu'elle n'a à aucun moment informé la rapporteure de sa mise en redressement judiciaire prononcée par le tribunal de commerce de Perpignan le 27 juin 2012, date qui était pourtant antérieure à celle à laquelle la rapporteure lui a adressé son rapport le 18 septembre 2012 (voir, par analogie, arrêt de la cour d'appel de Paris du 11 octobre 2012, Entreprise H. Chevalier Nord e.a., 2011-03298, page 26).

79. Il doit également être souligné que le dirigeant de Vilmor Construction s'était vu expressément rappeler cette obligation légale dans la lettre accompagnant la notification des griefs (cote 1624).

80. Du reste, le représentant de Vilmor Construction reconnaît lui-même, dans ses observations en date du 21 janvier 2013, l'absence de diligence de sa cliente à cet égard dans les termes qui suivent : " Il ne saurait être discuté que la société Vilmor Construction n'a pas informé l'administrateur judiciaire ni, semble-t-il, le mandataire judiciaire désigné par le Tribunal, de l'existence d'une procédure pendante devant l'Autorité de la concurrence " (cote 2547).

B. SUR LE GRIEF

1. LE DROIT APPLICABLE

81. En matière de marchés publics ou privés sur appel d'offres, une concertation entre entreprises concurrentes, contraire à l'article L. 420-1 du Code de commerce, est établie dès lors que la preuve est rapportée, soit qu'elles sont convenues de coordonner leurs offres, soit qu'elles ont échangé des informations antérieurement à la date où le résultat de l'appel d'offres est connu ou peut l'être, et ce afin d'échapper au principe de l'indépendance des offres et fausser le jeu d'une libre concurrence (arrêts de la cour d'appel de Paris du 18 novembre 2003, SAS Signaux Laporte e.a., BOCCRF n° 2004-02 et du 18 décembre 2001, SA Bajus Transports e.a., BOCCRF n° 2002-03).

82. Des échanges d'informations portant sur l'existence de concurrents, leur nom, leur importance, leur disponibilité en personnel ou en matériel, leur intérêt ou leur absence d'intérêt pour le marché considéré, ou les prix qu'ils envisagent de proposer, altèrent ainsi le libre jeu de la concurrence en limitant l'indépendance des offres (voir les décisions du Conseil n° 06-D-08 du 24 mars 2006 relative à des pratiques mises en œuvre dans le cadre de marchés publics de construction de trois collèges dans le département de l'Hérault, n° 08-D-33 du 16 décembre 2008 relative à des pratiques mises en œuvre à l'occasion d'appels d'offres de la ville d'Annecy et du conseil général de Haute-Savoie pour le transport par autocar, et n° 09-D-03 du 21 janvier 2009 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du transport scolaire et interurbain, par autocar dans le département des Pyrénées-Orientales, confirmées par les arrêts de la cour d'appel de Paris du 23 octobre 2007, SNC Eiffage Construction Languedoc, 2006-07494, du 3 novembre 2009, Compagnie française de transport interurbain, 2009-01024 et du 5 janvier 2010, Ponsarty SARL e.a., 2009-02679).

83. La preuve de l'antériorité de la concertation par rapport au dépôt de l'offre peut être déduite, à défaut d'une date certaine apposée sur un document, de l'analyse de son contenu et du rapprochement de celui-ci avec des éléments extrinsèques et notamment avec le résultat des appels d'offres (arrêt de la cour d'appel de Paris du 2 avril 1996, société Pro Gec SA, BOCCRF du 15 mai 1996).

84. Elle peut, plus généralement, résulter d'un faisceau d'indices constitué par le rapprochement de divers éléments, même si chacun d'eux n'a pas, pris isolément, un caractère suffisamment probant (arrêt de la cour d'appel de Paris du 16 septembre 2010, société Raffalli & Cie, SARL, 2009-24813, p. 7). Comme l'a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt du 8 décembre 1992, Etablissements Phibor (n° 1894), " c'est moins la valeur intrinsèque de chaque indice pris isolément qui est déterminante que la force de conviction que fait naître, à l'issue du débat contradictoire, la réunion de tous les indices ".

85. Par ailleurs, un document régulièrement saisi, quel que soit le lieu où il l'a été, est opposable à l'entreprise qui l'a rédigé, à celle qui l'a reçu et à celles qui y sont mentionnées et peut être utilisé comme preuve par le rapprochement avec d'autres indices concordants, d'une concertation ou d'un échange d'informations entre entreprises (arrêt Bajus transports, précité).

2. EN L'ESPÈCE

86. L'examen des pratiques relevées conduira en premier lieu l'Autorité à analyser la teneur des documents échangés dans le cadre de la procédure d'appel d'offres, qui révèle un échange d'informations entre les entreprises en cause antérieur au dépôt des offres (a). Cet échange d'informations est confirmé tant par l'analyse de l'offre de Vilmor Construction, qui constitue une offre de couverture (b), que par un élément extrinsèque, à savoir les conditions de location du terrain nécessaire à la réalisation des travaux au sein du centre pénitentiaire (c).

a) Sur les similitudes entre le CDPGF de Vilmor Construction et celui d'Eiffage Construction Roussillon

87. Les sociétés du groupe Eiffage ne contestent ni les similitudes constatées entre les deux CDPGF remis au maître d'ouvrage ni le fait que ces ressemblances découlent de l'échange d'un document entre les deux entreprises. En revanche, elles soutiennent que ces éléments ne sont pas suffisants pour caractériser un échange d'informations contraire à l'article L. 420-1 du Code de commerce, compte tenu des différences caractérisant les deux CDPGF d'une part, et des explications pouvant, selon elles, justifier la présence du nom de la société Eiffage Construction Roussillon en bas du CDPGF de l'entreprise Vilmor Construction, d'autre part.

88. Ces arguments seront examinés dans le cadre de l'analyse des pratiques relevées, qui portera de manière générale sur les similitudes identifiées entre les CDPGF, puis sur la question spécifique de la mention " Eiffage Construction Roussillon " sur le CDPGF de Vilmor Construction.

Sur les similitudes relevées entre les CDPGF des deux entreprises

89. S'il n'est pas impossible que des offres remises par des entreprises concurrentes dans le cadre d'un marché public puissent, dans une certaine mesure, comporter des éléments typographiques similaires, notamment lorsque le maître d'ouvrage transmet un cadre prédéfini, il n'est, en l'espèce, pas crédible de considérer que cela expliquerait la stricte identité de multiples éléments typographiques, de ponctuation ou de mise en page caractérisant les CDPGF de deux entreprises concurrentes, en particulier lorsque ces similitudes s'écartent du cadre originel transmis par le maître d'ouvrage.

90. Au contraire, le fait que les CDPGF des deux entreprises présentent en de nombreux endroits de telles similitudes, d'une part, et que le CDPGF de Vilmor Construction transmise au maître d'ouvrage comporte en bas de page la mention " Eiffage Construction Roussillon ", d'autre part, accréditent l'idée que Vilmor Construction et Eiffage Construction Roussillon ont échangé, préalablement au dépôt de leurs offres, des informations commerciales sensibles faussant la sincérité de l'appel d'offres, pratique prohibée par l'article L. 420-1 du Code de commerce.

91. Au surplus, contrairement à ce que soutiennent les sociétés du groupe Eiffage, il n'est pas nécessaire que les offres soient strictement identiques en termes de prix pour que l'Autorité puisse retenir l'existence d'une concertation entre elles.

Sur la mention " Eiffage Construction Roussillon " sur le CDPGF de Vilmor Construction

92. Les sociétés du groupe Eiffage mises en cause ont avancé deux explications pour justifier la présence du nom de l'entreprise Eiffage Construction Roussillon en bas du CDPGF de Vilmor Construction, qui découlerait en substance de la seule négligence de Vilmor Construction.

93. Il convient ensuite de relever qu'aucune des explications alternatives avancées par Eiffage Construction Roussillon ne peut être retenue.

94. En premier lieu, l'hypothèse fondée sur la réutilisation par Vilmor Construction d'un fichier qui lui aurait été envoyé par Eiffage Construction Roussillon dans le cadre d'un éventuel projet de sous-traitance n'apparaît pas sérieuse. En effet, si les sociétés Vilmor Construction et Sud Démolition ont été consultées informellement par Eiffage Construction Roussillon au cours de la phase d'étude au sujet d'une sous-traitance, il est démontré, sans qu'Eiffage Construction Roussillon ne rapporte la preuve contraire, que ces deux sociétés n'ont jamais été destinataires, à l'inverse d'autres entreprises consultées, d'un dossier de transfert contenant le CDPGF d'Eiffage Construction Roussillon. En outre, il est établi que le CDPGF adressé aux entreprises consultées pour de la sous-traitance était celui fourni dans sa version originale par le maître d'ouvrage, et non un CDPGF modifié comportant la mention " Eiffage Construction Roussillon ".

95. En tout état de cause, il résulte d'une pratique décisionnelle constante de l'Autorité que, lorsque plusieurs entreprises ont étudié la possibilité d'établir entre elles des liens de donneur d'ordre à sous-traitant à l'occasion d'un marché et qu'elles présentent ensuite des offres distinctes en s'abstenant de mentionner le fait qu'elles ont échangé des informations, de tels comportements sont prohibés par l'article L. 420-1 du Code de commerce dans la mesure où ils faussent le jeu de la concurrence en limitant l'indépendance des opérateurs dans leurs décisions et en tendant à induire en erreur le maître d'ouvrage sur la réalité et l'étendue de ses choix (voir les décisions n° 05-D-17 du 27 avril 2005 relative à la situation de la concurrence dans le secteur des marchés de travaux de voirie en Côte d'Or, paragraphe 62, et n° 07-D-47 du 18 décembre 2007 relative à des pratiques relevées dans le secteur de l'équipement pour la navigation aérienne, paragraphe 197).

96. En l'occurrence, outre le fait que l'existence d'un projet de sous-traitance entre les sociétés mises en cause n'est pas démontrée, les deux entreprises n'ont à aucun moment informé le maître d'ouvrage de l'existence de ces éventuelles discussions ni des échanges d'informations qui en seraient résulté.

97. En second lieu, le dirigeant de Vilmor Construction a évoqué la possibilité d'une négligence de sa secrétaire, qui aurait réutilisé par erreur un cadre de décomposition du prix pour répondre au lot " Démolition " dans le cadre d'un appel d'offres privé lancé en 2007 par la société Icade portant sur la construction du " parking Clémenceau " à Perpignan dont la société Sud Démolition s'était vue confier la sous-traitance par Eiffage Construction Roussillon.

98. Toutefois, cette hypothèse est démentie par l'examen des pièces figurant au dossier. En effet, le CDPGF utilisé par Eiffage Construction Roussillon pour le marché du " parking Clémenceau " diffère du CDPGF utilisé pour le marché des miradors, et ne peut avoir servi de base de travail à l'offre de Vilmor Construction (cotes 1539 et 1540). A cet égard, l'établissement Eiffage Construction Roussillon a transmis aux services de l'Autorité le devis fourni par Sud Démolition dans le cadre de ladite sous-traitance établi à partir du CDPGF en question. Celui-ci n'est pas comparable au cadre de décomposition ultérieurement utilisé pour le marché des miradors (cotes 1541 à 1542).

99. Enfin, il convient de relever que, à supposer même qu'il soit établi que l'une des parties ait agi sans intention de restreindre la concurrence, une telle circonstance n'est pas pertinente aux fins de l'application de l'article L. 420-1 du Code de commerce. En effet, la notion d'accord anticoncurrentiel par objet s'applique indépendamment de la circonstance éventuelle que les parties à la pratique aient eu l'intention, voire seulement la conscience, de violer les règles de concurrence (arrêt de la cour d'appel de Paris du 18 décembre 2007, société Transeuro Desbordes Worldwide Relocations e.a., 2008-02003, page 11, pourvoi non admis par un arrêt de la Cour de cassation du 7 avril 2010, société AGS Paris e.a., pourvoi n° C 09-13.838).

Conclusion

100. Les similitudes relevées entre les CDPGF de Vilmor Construction et d'Eiffage Construction Roussillon, d'une part, et la mention " Eiffage Construction Roussillon " en bas de la page du CDPGF de Vilmor Construction, d'autre part, constituent, en l'espèce, un indice grave d'un échange d'informations anticoncurrentiel intervenu entre ces deux entreprises concurrentes avant le dépôt de leurs offres.

101. La preuve de l'antériorité de la concertation par rapport au dépôt des offres peut également être déduite de l'analyse de leur contenu, ce qui sera discuté ci-après.

b) Sur la moindre qualité de l'offre de Vilmor Construction

102. Les sociétés du groupe Eiffage font valoir que l'entreprise Vilmor Construction n'était pas assez spécialisée dans la reconstruction des miradors, au regard des exigences techniques requises pour un site sécurisé pour obtenir le marché, ce qui expliquerait par ailleurs sa volonté de recourir à de la sous-traitance pour des domaines techniques tel que les coffrages particuliers.

103. Elles allèguent aussi que, même si Vilmor Construction avait choisi de remettre une offre de principe, cela ne constituerait pas, en soi, la preuve d'une concertation avec Eiffage Construction Roussillon.

104. Dans sa décision n° 95-D-17 du 21 février 1995 relative à des pratiques constatées lors de marchés de travaux forestiers et d'aménagement hydraulique dans le département des Bouches-du-Rhône, le Conseil de la concurrence a rappelé que, " si le fait, pour une entreprise, de déposer unilatéralement une offre de principe dite offre "carte de visite" ne constitue pas en soi une pratique anticoncurrentielle, constitue au contraire une telle pratique le fait de se concerter avec une ou plusieurs entreprises concurrentes pour présenter une telle offre " (voir également la décision n° 01-D-67 du 19 octobre 2001 relative à des pratiques relevées à l'occasion de la passation de marchés publics de travaux routiers dans le département des Bouches-du-Rhône).

105. En l'espèce, la société Vilmor Construction était déjà connue du maître d'ouvrage ainsi que l'a reconnu son gérant lors de l'instruction : " cet appel d'offres m'a intéressé parce que j'avais un terrain mitoyen et j'avais des relations antérieures avec les services pénitentiaires " (cotes 1136 à 1141). La société Vilmor Construction n'avait donc pas besoin de faire une offre dite " carte de visite " pour se faire connaître auprès du maître d'ouvrage.

106. Par ailleurs, l'argument avancé par Eiffage Construction Roussillon selon lequel l'entreprise Vilmor Construction n'était pas assez spécialisée pour présenter une offre technique sérieuse est inopérant, une telle appréciation relevant du seul maître d'ouvrage au travers de la procédure de sélection. Au demeurant, le rapport d'analyse des candidatures établi par la DRSP de Toulouse, en date du 11 avril 2008, note que : " conclusion du lot n° 1 : les 3 candidats possèdent les qualifications demandées. Ils possèdent également des références significatives et suffisantes relatives aux sites sécurisés et aux travaux de technicité équivalente (en cours d'obtention pour l'entreprise Vilmor) " (cote 63). Il ne peut donc être considéré qu'il existerait un manque de qualification et d'expertise de Vilmor Construction susceptible d'expliquer la moindre qualité de son offre.

107. De fait, l'existence d'une offre de couverture de Vilmor Construction est la seule interprétation crédible au regard, en particulier, des conditions de location du terrain jouxtant le centre pénitentiaire de Perpignan, qui sont analysées ci-après.

c) Sur les conditions de location du terrain jouxtant le centre pénitentiaire

108. Il est établi que, dans le cadre du marché public en cause, la DRSP de Toulouse a considéré que l'accès et la réalisation des travaux rendaient nécessaire la disposition d'un terrain jouxtant le centre pénitentiaire. A cette fin, un accord de principe a été conclu entre la DRSP de Toulouse et la SCI BCV propriétaire d'un terrain adjacent à l'établissement pénitentiaire. Il n'est pas contesté que les négociations portant sur la location du terrain appartenant à la SCI BCV se sont déroulées par l'entremise du dirigeant de la société Vilmor Construction. En tant que propriétaire du terrain, la SCI BCV était libre de fixer le montant de son choix, en connaissant la nécessité d'y avoir accès pour réaliser les travaux.

109. Un accord de principe a été trouvé entre la DRSP de Toulouse et M. V. sur la base d'un montant forfaitaire de 5 500 euros HT pour la durée du chantier estimée à 7 mois, ainsi que l'atteste le courriel adressé par M. V. au maître d'ouvrage, qui figure au paragraphe 27 ci-dessus. La société Eiffage Construction Roussillon a effectivement retenu ce montant dans son CDPGF (voir le paragraphe 57 ci-dessus).

110. Cependant, le contrat de bail conclu entre la SCI BCV et Eiffage Construction Roussillon, postérieurement à l'attribution du marché, a prévu la location du terrain pour un montant forfaitaire de 17 000 euros HT pour une durée de 9 mois (voir le paragraphe 60 ci-dessus), ce qui, outre la preuve documentaire discutée ci-avant, corrobore l'idée que ces dernières se sont entendues pour laisser le marché des miradors du centre pénitentiaire de Perpignan à Eiffage Construction Roussillon en contrepartie d'une compensation financière versée à la SCI BCV gérée par le dirigeant de Vilmor Construction sous la forme d'une hausse du montant du loyer du terrain adjacent au chantier.

111. Aucun des autres arguments avancés par les mises en cause ne sont de nature à remettre en cause cette appréciation.

112. En premier lieu, les sociétés du groupe Eiffage font valoir que, lorsque le marché a été attribué à la société Eiffage Construction Roussillon, la SCI BCV propriétaire du terrain s'est retrouvée en position de force dans la mesure où le montant initialement proposé au maître d'ouvrage n'avait pas fait l'objet d'un contrat de bail qui l'aurait engagée vis-à-vis d'elle. Cette situation, au demeurant préjudiciable à Eiffage Construction Roussillon, n'aurait été que la conséquence du choix fait par le maître d'ouvrage de laisser la société propriétaire du terrain libre de tout engagement contractuel. A cet égard, la réévaluation du prix de location du terrain après l'attribution d'un marché témoignerait de l'absence de toute entente entre Vilmor Construction et Eiffage Construction Roussillon.

113. En second lieu, la hausse du loyer du terrain s'expliquerait par des circonstances objectives connues du maître d'ouvrage, à savoir l'usage d'un terrain plus grand qu'initialement envisagé sur une période plus longue, ainsi que la restitution du terrain en l'état. Elles rappellent que le propriétaire du terrain, par ailleurs dirigeant de Vilmor Construction, a lui-même expliqué avoir augmenté sa proposition de loyer pour faire face aux frais d'études qu'il avait engagés dans le cadre du marché public en cause. En effet, pour justifier cette hausse du prix de location, Eiffage Construction Roussillon considère qu'elle reflète l'obtention d'une surface plus grande (de l'ordre de 40 % à 50 %) et une extension de 2 mois de la durée de location du terrain. Interrogé au cours de l'enquête, le gérant de Vilmor Construction a fourni la même justification, ainsi que cela ressort de ses propos retranscrits au paragraphe 69 ci-dessus.

114. Cependant, l'Autorité relève que le maître d'ouvrage a considéré, sur la base des deux versions de plans joints au dossier de consultation d'Eiffage Construction Roussillon, que " la comparaison de ce plan avec celui fourni aux candidats fait apparaître une extension de la surface louée (...) cette extension représente environ 30% de la surface totale louée " (cotes 419 à 421). Par ailleurs, interrogé par les services de l'Autorité, le 26 octobre 2011, il a précisé : " Eiffage a joué sur l'agrandissement de surface de 30% pour justifier l'augmentation : en réalité cela n'a pas de sens car ils ont in fine disposé de toute la surface du terrain sans limite lors de l'exécution des travaux " (cotes 1023 à 1026). Il a également confirmé n'avoir jamais été informé par les dirigeants d'Eiffage Construction Roussillon ou par ceux de la SCI BCV de quelconques difficultés liées à l'accord de principe sur la location du terrain tel que figurant dans le cahier des charges.

115. Un opérateur économique avisé n'aurait pas accepté une augmentation de 300 % du loyer pour une augmentation de 30 % de la surface du terrain sans que cette modification sensible des termes du bail civil ne suscite la moindre réaction de la part des responsables de l'entreprise auprès du maître d'ouvrage. Cela est d'autant plus vrai que le surloyer exigé par le gérant de Vilmor Construction auprès d'Eiffage Construction Roussillon équivaut à un surcoût de 11 500 euros, surcoût qui a nécessairement amputé la marge réalisée par Eiffage Construction Roussillon sur cet appel d'offres de 660 000 euros HT (remporté sur la base d'une offre de 628 407 euros HT).

116. Les mises en cause allèguent n'avoir eu d'autre choix que d'accepter cette modification du prix de location du terrain jouxtant le centre pénitentiaire dans la mesure où le gérant de Vilmor Construction aurait lui-même reconnu avoir unilatéralement réévalué ce prix pour couvrir les frais d'études engagés lors de l'élaboration de l'offre de Vilmor Construction.

117. Cependant, aucune pièce versée au dossier ni aucune des déclarations ne viennent appuyer cette argumentation.

118. Dès lors, la hausse très importante du prix de la location du terrain appartenant à la SCI BCV, dont l'un des associés n'est autre que le gérant de Vilmor Construction, apparaît dépourvue de toute justification technique ou économique crédible, et s'analyse comme une compensation financière accordée à la SCI BCV dans le cadre d'une pratique concertée entre Vilmor Construction et Eiffage Construction Roussillon portant sur l'attribution du marché public en cause.

Conclusion

119. Au vu, d'une part, des pièces relatives à la procédure d'attribution du marché, qui constituent, compte tenu des mentions qui y figurent, des indices documentaires particulièrement probants de l'existence d'une pratique anticoncurrentielle entre les entreprises mises en cause et, d'autre part, des éléments relevés ci-dessus à propos du comportement respectif de ces entreprises et du contexte dans lequel est intervenu l'appel d'offres, qui viennent corroborer les preuves matérielles figurant au dossier, il y a lieu de conclure à l'existence d'un faisceau d'indices graves et concordants attestant que les entreprises Eiffage Construction Roussillon et Vilmor Construction ont échangé des informations commerciales sensibles antérieurement à la date limite du dépôt des offres fixée par le maître d'ouvrage, en violation de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

C. SUR L'IMPUTABILITÉ DES PRATIQUES

1. RAPPEL DES PRINCIPES

120. Les règles de concurrence tant internes que de l'Union européenne visent les infractions commises par des entreprises.

121. La notion d'entreprise et les règles d'imputabilité relèvent des règles matérielles du droit de la concurrence. Bien que l'interprétation qu'en donnent les juridictions de l'Union ne s'impose pas à l'autorité nationale de concurrence et aux juridictions internes lorsqu'elles appliquent les articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce, l'Autorité retient cette interprétation afin d'assurer la cohérence de sa pratique décisionnelle en matière d'imputabilité (voir décisions n° 11-D-02 du 26 janvier 2011 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la restauration des monuments historiques, paragraphe 597, et n° 11-D-13 du 5 octobre 2011 relative à des pratiques relevées dans les secteurs des travaux d'électrification et d'installation électrique dans les régions Midi-Pyrénées, Languedoc-Roussillon, Auvergne et limitrophes, paragraphe 352).

122. À cet égard, les juridictions tant internes que de l'Union ont précisé que la notion d'entreprise doit être comprise comme désignant une unité économique, même si, du point de vue juridique, cette unité économique est constituée de plusieurs personnes physiques ou morales (arrêts de la Cour de justice du 10 septembre 2009, Akzo Nobel e.a./Commission, C-97-08 P, Rec. 2009 p. I-8237, point 55, du 29 mars 2011, ArcelorMittal Luxembourg/Commission et Commission/ArcelorMittal Luxembourg e.a., C-201-09 P et C-216-09 P, Rec. 2011 p. I-2239, point 95, du 29 septembre 2011, Elf Aquitaine/Commission, C-521-09 P, non encore publié au Recueil, point 53, du 19 juillet 2012, Alliance One International et Standard Commercial Tobacco/Commission, C-628-10 P et C-14-11 P, non encore publié au Recueil, point 42, et de la cour d'appel de Paris du 29 mars 2012, Lacroix Signalisation e.a., n° 2011-01228, p. 18).

123. C'est cette entité économique qui doit, lorsqu'elle enfreint les règles de concurrence, répondre de cette infraction, conformément au principe de responsabilité personnelle (arrêts Akzo Nobel e.a./Commission, précité, point 56, ArcelorMittal Luxembourg/Commission et Commission/ArcelorMittal Luxembourg e.a., précité, point 95, Elf Aquitaine/Commission, précité, point 53, et Lacroix Signalisation e.a., précité, pp. 18 et 20), sur lequel repose le droit de la concurrence de l'Union (arrêt de la Cour de justice du 20 janvier 2011, General Química e.a./Commission, C-90-09 P, Rec. p. I-1, point 52).

124. Ainsi, au sein d'un groupe de sociétés, le comportement d'une filiale peut être imputé à la société mère notamment lorsque, bien qu'ayant une personnalité juridique distincte, cette filiale ne détermine pas de façon autonome son comportement sur le marché, mais applique pour l'essentiel les instructions qui lui sont données par la société mère, eu égard en particulier aux liens économiques, organisationnels et juridiques qui unissent ces deux entités juridiques (arrêts Akzo Nobel e.a./Commission, précité, point 58, ArcelorMittal Luxembourg/Commission et Commission/ArcelorMital Luxembourg e.a., précité, point 96, Elf Aquitaine/Commission, précité, point 54, et Lacroix Signalisation e.a., précité, pp. 18 et 19).

125. Dans le cas particulier où, comme en l'espèce, une société mère détient, directement ou indirectement par le biais d'une société interposée, la totalité ou la quasi-totalité du capital de sa filiale, il existe une présomption selon laquelle cette société mère exerce une influence déterminante sur le comportement de cette filiale (arrêts Akzo Nobel e.a./Commission, précité, point 60, General Química e.a./Commission, précité, point 42, de la Cour de justice du 29 septembre 2011, Arkema/Commission, C-520-09 P, point 42, et de la cour d'appel de Paris, Lacroix Signalisation e.a., précité, p. 19).

126. Dans cette hypothèse, il suffit pour l'autorité de concurrence de rapporter la preuve de cette détention capitalistique pour imputer le comportement de la filiale auteur des pratiques à la société mère (arrêts Akzo Nobel e.a./Commission, précité, point 61, Elf Aquitaine/Commission, précité, point 57, et Lacroix Signalisation e.a., précité, p. 19).

127. A cet égard, il n'est pas exigé, pour imputer à une société mère les actes commis par sa filiale, de prouver que la société mère ait été directement impliquée dans les pratiques, ou ait eu connaissance des comportements incriminés. Ainsi que le relève le juge de l'Union, " ce n'est pas une relation d'instigation relative à l'infraction entre la société mère et sa filiale ni, à plus forte raison, une implication de la première dans ladite infraction, mais le fait qu'elles constituent une seule entreprise au sens de l'article [101 du TFUE] qui permet (...) d'adresser la décision imposant des amendes à la société mère d'un groupe de sociétés " (arrêts du Tribunal de l'Union européenne du 12 décembre 2007, Akzo Nobel e.a./Commission, T-112-05, Rec. 2007 p. II-5049, point 58, et du 27 octobre 2010, Alliance One International e.a./Commission, T-24-05, Rec. 2010 p. II-5329, point 169).

128. Il est possible à la société mère de renverser cette présomption en apportant des éléments de preuve susceptibles de démontrer que sa filiale détermine de façon autonome sa ligne d'action sur le marché. Si la présomption n'est pas renversée, l'autorité de concurrence sera en mesure de tenir la société mère pour solidairement responsable pour le paiement de la sanction infligée à sa filiale (arrêts Arkema/Commission, précité, points 40 et 41, et Lacroix Signalisation e.a., précité, p. 20).

2. EN L'ESPÈCE

129. Le grief reproché à la SAS Eiffage Construction Languedoc Roussillon a également été notifié aux sociétés SAS Fougerolle, SAS Eiffage Construction et Eiffage SA.

a) Arguments des parties

130. Dans leurs observations, ces sociétés contestent l'imputation qui leur est faite des pratiques mises en œuvre par la SAS Eiffage Construction Languedoc Roussillon au travers de son établissement de Perpignan (Eiffage Construction Roussillon).

131. Elles soutiennent d'abord, en substance, que la SAS Eiffage Construction Languedoc Roussillon définit sa propre stratégie commerciale, financière et technique, si bien qu'au niveau opérationnel son autonomie serait totale.

132. Son autonomie par rapport à ses sociétés-mères découlerait également du rôle et du fonctionnement de chacune de ces trois sociétés.

b) Appréciation de l'Autorité

133. A titre liminaire, l'Autorité relève que la SAS Eiffage Construction Languedoc Roussillon ne conteste pas l'imputabilité qui lui est faite des pratiques mises en œuvre par son établissement secondaire de Perpignan, Eiffage Construction Roussillon.

134. En ce qui concerne l'imputabilité à la société Fougerolle SAS, à la société Eiffage Construction SAS, et ultimement à la société Eiffage SA, laquelle consolide les comptes du groupe Eiffage (cote 1929), du comportement infractionnel de la SAS Eiffage Construction Languedoc Roussillon, il apparaît qu'elle n'est pas utilement remise en cause par les arguments des parties. L'examen de la structure et du comportement concret des parties en l'espèce confirme au contraire qu'elles constituent une unité économique, et partant, forment une seule et même entreprise au sens du droit de la concurrence.

135. Il convient de rappeler qu'est dépourvu de pertinence le point de savoir si la société mère (ultime ou intermédiaire) intervient ou non dans la gestion quotidienne de la filiale ayant mis en œuvre les pratiques anticoncurrentielles ou si celles-ci résultent d'instructions de la société mère ou étaient connues d'elle. En effet, une société mère peut exercer une influence déterminante sur sa filiale sans s'impliquer dans la gestion quotidienne de celle-ci et sans lui donner d'instructions ou de directives sur certains aspects de sa politique commerciale. La jurisprudence de l'Union rappelle de façon itérative que ce n'est nullement une relation d'instigation qui fonde la présomption d'influence déterminante qu'elle reconnaît.

136. Il ressort également de cette jurisprudence qu'il ne suffit pas d'invoquer la nature non opérationnelle d'une société mère pour renverser cette présomption d'influence déterminante. Dans un arrêt du 30 septembre 2009, Arkema/Commission, le Tribunal a jugé en ce sens, qu'" il y a lieu de relever que le fait qu'Elf Aquitaine ne soit qu'une holding non opérationnelle, intervenant très peu dans la gestion de ses filiales, ne saurait suffire pour exclure qu'elle exerce une influence déterminante sur le comportement de la requérante en coordonnant notamment les investissements financiers au sein du groupe Elf Aquitaine. En effet, dans le contexte d'un groupe de sociétés, une société holding qui coordonne notamment les investissements financiers au sein du groupe a vocation à regrouper des participations dans diverses sociétés et a pour fonction d'en assurer l'unité de direction, notamment par le biais de ce contrôle budgétaire " (aff. T-168-05, recueil p. II-180, point 76, confirmé sur pourvoi par un arrêt de la Cour de justice du 29 septembre 2011, Arkema/Commission, C-520-09 P, non encore publié au recueil, point 48).

137. Plus généralement, le Tribunal de l'Union a estimé, dans un arrêt du 24 mars 2011, Legris Industries/Commission, que " rien ne distingue en principe un holding des autres sociétés mères aux fins de l'appréciation d'une telle présomption dans le cadre de l'examen de l'imputabilité à celui-ci du comportement infractionnel de sa filiale. La notion d'entreprise est une notion fonctionnelle, qui englobe également les holdings. En effet, si la notion de holding recouvre des situations variées, elle peut, de manière générale, être définie comme une société qui détient des participations dans une ou plusieurs sociétés en vue de les contrôler. [...] l'application au sein d'un holding d'un modèle d'organisation fondé sur une philosophie de délégation maximale aux filiales ne constitue pas un élément de preuve susceptible de démontrer l'autonomie de ces dernières. Au contraire, l'introduction et l'application d'une telle stratégie ou de toute autre stratégie de management attestent plutôt l'existence d'un pouvoir de contrôle effectif du holding sur ses filiales. En tout état de cause, la délégation de l'autorité à la direction des filiales à 100 % est une pratique fréquemment utilisée et de ce fait ne prouve pas l'autonomie réelle des filiales " (aff. T-376-06, Rec. p. II-61, points 51 et 53).

138. En l'espèce, l'Autorité relève que, dans le cadre de l'appel d'offres restreint de la DRSP de Toulouse, la société SESO, filiale à 100 % d'Eiffage Travaux Publics, elle-même filiale à 100 % d'Eiffage SA (cote 1951), a fait savoir au maître d'ouvrage que " conformément à la règle en vigueur dans le groupe en pareil cas, une seule offre de prix sera remise ", laissant l'appel d'offres à Eiffage Construction Roussillon (cote 208).

139. Interrogé par les services de la DGCCRF, le 4 décembre 2008, le directeur de la société SESO s'est expliqué en ces termes : " [n]ous pensions que nous pourrions répondre en toute concurrence avec l'entité Eiffage construction de Languedoc Roussillon. Techniquement il s'agissait d'un projet qui était à la frontière du bâtiment et du génie civil. Je n'ai plus exactement en mémoire le déroulement des faits. Mais je me souviens que je me suis inquiété auprès d'Eiffage Construction Languedoc Roussillon pour savoir s'ils étudiaient bien cette affaire. A cette occasion, mon interlocuteur m'a indiqué que la règle en vigueur au sein du groupe Eiffage que nous venions de rejoindre était de respecter le critère géographique et que je n'avais pas le droit d'aller sur ce territoire. Par la suite, lors de réunion de la région Sud-ouest j'ai interrogé mes confrères sur l'existence de cette règle interne. Son existence de fait, même si elle n'est pas formalisée, m'a été confirmée " (cote 838).

140. Cet échange confirme qu'il existe bien, au sein du groupe Eiffage, une politique commerciale couvrant les différents pôles d'activités (Construction, Travaux Publics, Energie, Construction métallique, Concessions) d'une part, et que celle-ci est mise en œuvre ou du moins coordonnée au niveau d'Eiffage SA, société mère du groupe, d'autre part. Dans ce contexte, et alors même que la SAS Eiffage Construction Languedoc Roussillon (contrôlée à 100 % par Eiffage Construction SA) et la société SESO (contrôlée à 100 % par Eiffage Travaux Publics SAS) ne relèvent pas du même pôle d'activité et n'ont pas la même société-mère directe, elles se sont effectivement comportées, dans le cadre des pratiques ayant donné lieu à la présente affaire, comme une unité économique unique au sens du droit de la concurrence. Les éléments versés au dossier confirment ainsi que la filiale n'a pas déterminé de façon autonome sa ligne d'action sur le marché, mais a appliqué, pour l'essentiel, les instructions qui lui ont été données par la société-mère du groupe auquel elle appartient.

141. Les sociétés Fougerolle SAS, Eiffage Construction SAS, et Eiffage SA ne sont donc pas fondées à se prévaloir d'une absence d'influence déterminante sur le comportement de leur filiale de nature à renverser la présomption qui pèsent sur elles. Le comportement infractionnel de la SAS Eiffage Construction Languedoc Roussillon leur demeure donc imputable.

III. Sur les sanctions

142. L'article L. 464-2 du Code de commerce habilite l'Autorité à imposer des sanctions pécuniaires aux entreprises et aux organismes qui se livrent à des pratiques anticoncurrentielles interdites par les articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce.

143. Aux termes du quatrième alinéa du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce, la sanction pécuniaire maximum qui peut être imposée à une entreprise est " de 10 % du montant du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre. Si les comptes de l'entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d'affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l'entreprise consolidante ou combinante ".

144. Par ailleurs, le troisième alinéa du I de l'article L. 464-2 du Code de commerce prévoit que " les sanctions pécuniaires sont proportionnées à la gravité des faits reprochés, à l'importance du dommage causé à l'économie, à la situation individuelle de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et à l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le [titre VI du livre IV du Code de commerce]. Elles sont déterminées individuellement pour chaque entreprise ou organisme sanctionné et de façon motivée pour chaque sanction ".

145. En l'espèce, l'Autorité appréciera ces critères légaux selon les modalités pratiques décrites dans son communiqué du 16 mai 2011 relatif à la méthode de détermination des sanctions pécuniaires.

146. Chacune des entreprises en cause dans la présente affaire a été mise en mesure de formuler des observations sur les principaux éléments de droit et de fait du dossier susceptibles, selon les services de l'Autorité, d'influer sur la détermination de la sanction pouvant lui être imposée. La présentation de ces différents éléments par les services de l'Autorité ne préjuge pas de l'appréciation du Collège sur les déterminants de la sanction, qui relève de sa seule délibération.

A. SUR LA DÉTERMINATION DU MONTANT DE BASE

147. La valeur des ventes ne constitue pas un indicateur approprié, tant de l'ampleur économique des pratiques en cause en l'espèce, qui revêtent un caractère instantané mais impactent la structure et le fonctionnement concurrentiel du marché au-delà de leur seule période de commission, que du poids relatif de chaque entreprise ou organisme qui y a pris part.

148. Dans des circonstances comparables de ce point de vue, la cour d'appel de Paris a déjà approuvé l'Autorité d'avoir recouru, dans le cas d'infractions ayant consisté à fausser la concurrence dans le cadre d'appels d'offres publics ou privés, afin de déterminer la sanction, à une assiette constituée par le chiffre d'affaires réalisé par chacune des entreprises mises en cause au cours de l'exercice pendant lequel la pratique a eu lieu (voir les arrêts de la cour d'appel de Paris, Lacroix signalisation précité, page 32 et société Allez et Cie e.a. du 28 mars 2013, 2011-20125, page 34 ; voir également les décisions n° 10-D-39 du 22 décembre 2010 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la signalisation routière verticale, paragraphe 443 et n° 11-D-13 du 5 octobre 2011 relative à des pratiques relevées dans les secteurs des travaux d'électrification et d'installation électrique dans les régiond Midi-Pyrénées, Languedoc-Roussillon, Auvergne et limitrophes, paragraphe 406).

149. Dans ce contexte, le montant de base de la sanction pécuniaire résultera en l'occurrence de l'application d'un coefficient, déterminé en fonction de la gravité des faits et de l'importance du dommage causé à l'économie, appliqué au chiffre d'affaires total réalisé en France par les entreprises en cause pendant l'exercice comptable complet au cours duquel a eu lieu l'infraction.

150. Le coefficient qui sera appliqué à cette assiette tiendra compte du fait que ces pratiques, qui visent à tromper les maîtres d'ouvrage sur l'effectivité même de la procédure d'appel d'offres, se rangent par leur nature même parmi les infractions les plus graves aux règles de concurrence (voir, en ce sens, les arrêts de la cour d'appel de Paris, société Allez et Cie e.a. précité, page 32 et du 28 mars 2013, société des pétroles Shell (SPS) e.a., 2011-18245, page 32) et sont parmi les plus difficiles à détecter en raison de leur caractère secret.

151. Les autres éléments d'individualisation pertinents relatifs à la situation et au comportement de chacune des entreprises en cause seront pris en considération dans un second temps.

1. SUR LA GRAVITÉ DES FAITS

152. Dans un arrêt du 5 janvier 2010, société d'Exploitation de l'entreprise Ponsaty SARL (2009-02679), la cour d'appel de Paris a rappelé que, " les ententes entre entreprises concurrentes sur un même marché commises à l'occasion d'appels d'offres sont parmi les plus graves des pratiques anticoncurrentielles parce qu'elles portent atteinte conjointement aux intérêts de consommateur ou usager et du contribuable " (page 10). Elles le sont également " en ce qu'elles aboutissent à tromper le maître d'ouvrage sur les effets de sa mise en concurrence " (arrêt de la cour d'appel de Paris du 29 juin 2010, société Colas Rail, 2009-19724, page 15 ; voir également les arrêts du 28 octobre 2010, Maquet SA, page 18, et du 11 octobre 2012, Entreprise H. Chevalier Nord, 2011-03298, page 67).

153. En effet, l'objet même de l'appel d'offres sur un marché public est d'assurer une mise en concurrence pleine et entière des entreprises susceptibles d'y répondre au profit de la personne publique. Dès lors, la mise en échec du déroulement normal des procédures d'appel d'offres, en empêchant la fixation des prix par le libre jeu du marché et en trompant la personne publique sur la réalité et l'étendue de la concurrence qui s'exerce entre les entreprises soumissionnaires, perturbe le secteur où a lieu une telle pratique et porte une atteinte grave à l'ordre public économique.

154. La cour d'appel de Paris a également jugé qu' " il ne peut être sérieusement contesté que de telles pratiques sont particulièrement graves par nature, puisqu'elles limitent l'intensité de la pression concurrentielle à laquelle auraient été soumises les entreprises, si elles s'étaient déterminées de manière indépendante, le fondement même des appels à la concurrence résidant dans le secret dont s'entourent les entreprises intéressées pour élaborer leurs offres, chacune d'entre elles devant se trouver dans l'ignorance de la qualité de ses compétiteurs, de leurs capacités financières à proposer la meilleure prestation ou fourniture possible au prix le plus bas " (arrêt du 28 mars 2013, société Allez et Cie e.a. précité, page 32).

155. Elle rappelle à cet égard que " les échanges d'informations entre entreprises antérieurs à la remise des plis, sont intrinsèquement graves en ce qu'elles libèrent les compétiteurs de l'incertitude de la compétition et leur permettent d'élaborer des offres ne prenant plus en compte seulement leurs données économiques propres, mais celles, normalement confidentielles, de leurs concurrents " (voir, également, la décision n° 10-D-04 du 26 janvier 2010 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des tables d'opération, paragraphe 167, confirmée par l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 28 octobre 2010, Maquet SA précité).

156. En outre, de telles pratiques anticoncurrentielles " sont répréhensibles du seul fait de leur existence, peu important que leur auteur ait, en définitive, obtenu ou non le marché ou que le prix d'attribution du marché ait été inférieur à l'estimation de la collectivité, car elles ont abouti à fausser le jeu de la concurrence que les règles des marchés publics ont pour objet même d'assurer " (décision n° 03-D-07 du 4 février 2003 relative à des pratiques relevées lors de la passation de marchés d'achat de panneaux de signalisation routière verticale par des collectivités locales, paragraphe 112, confirmée par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 18 novembre 2003, SAS Signaux Laporte, BOCCRF n° 2004-02).

157. Enfin, il convient de rappeler que, dans le cas d'un marché instantané, la durée de l'infraction n'est pas celle du déroulement de l'appel d'offres lui-même mais celle de son exécution. Le caractère ponctuel de la concertation n'est donc pas un élément venant atténuer la gravité de la pratique (arrêt de la cour d'appel de Paris, société Allez et Cie e.a. précité, p. 32 et décisions n° 10-D-22 du 22 juillet 2010 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des transports sanitaires en Seine-Maritime, paragraphe 114, et n° 11-D-07 du 24 février 2011 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur des travaux de peinture d'infrastructures métalliques, paragraphe 151).

158. En l'espèce, l'entente entre Vilmor Construction et Eiffage Construction Roussillon, en vue de l'obtention du marché portant sur la rénovation des miradors du centre pénitentiaire de Perpignan, a, par nature, abouti à tromper le maître d'ouvrage quant à l'existence ou à l'intensité de la concurrence entre les opérateurs. La gravité concrète de cette concertation doit tenir compte du fait qu'elle a porté sur un seul marché public, ainsi que de ses modalités qui, en l'espèce, ont consisté en l'attribution du marché à Eiffage Construction Roussillon en échange d'une compensation financière à Vilmor Construction par l'intermédiaire d'une société propriétaire du terrain jouxtant le lieu des travaux en partie détenue par le dirigeant de Vilmor Construction.

159. Ni la dimension locale du marché, ni son montant relativement modeste, ni enfin le caractère ponctuel de l'entente ne sont de nature à remettre en cause la gravité de cette pratique au regard de la jurisprudence de la cour d'appel de Paris et de la pratique décisionnelle de l'Autorité rappelée aux paragraphes 152 à 157 ci-dessus. Dans son arrêt Allez et Cie e.a. précité, la cour d'appel de Paris a ainsi rappelé que " contrairement à ce qu'affirment les requérantes pour tenter de minimiser la gravité des pratiques et sans préjudice de l'appréciation du dommage causé à l'économie, ni la dimension locale des marchés litigieux, ni leur montant relativement peu élevé, ni l'existence d'un pouvoir de marché susceptible d'être exercé par les clients (...), ne peuvent justifier une pratique d'entente dans le cadre d'appels d'offres, ni remettre en question la gravité avérée des pratiques retenues " (page 32). Les deux premiers de ces éléments seront toutefois pris en considération dans le cadre de l'appréciation de l'importance du dommage causé à l'économie par l'entente.

2. SUR L'IMPORTANCE DU DOMMAGE CAUSÉ À L'ÉCONOMIE

160. Dans leurs observations les sociétés du groupe Eiffage soulignent notamment que le marché ne s'élève qu'à 600 000 euros HT et qu'il s'agit d'une pratique ponctuelle mise en œuvre par une entreprise d'envergure locale.

161. Elles reprochent aussi aux services de l'Autorité de n'avoir pas procédé à une évaluation du dommage causé à l'économie en comparant les prix pratiqués durant la période qui a suivi la pratique et ceux pratiqués antérieurement.

162. Il est de jurisprudence constante que l'importance du dommage causé à l'économie s'apprécie de façon globale pour les pratiques en cause, c'est-à-dire au regard de l'action cumulée de tous les participants, sans qu'il soit besoin d'identifier la part imputable à chacun d'entre eux pris séparément (arrêts de la Cour de cassation du 18 février 2004, CERP e.a., n° 02-11754, et de la cour d'appel de Paris du 17 septembre 2008, Coopérative Agricole l'Ardéchoise, n° 2007-10371, p. 6).

163. Ce critère légal ne se confond pas avec le préjudice qu'ont pu subir les victimes des pratiques en cause, mais s'apprécie en fonction de la perturbation générale qu'elles sont de nature à engendrer pour l'économie (voir, par exemple, arrêt de la cour d'appel de Paris du 8 octobre 2008, SNEF, n° 2007-18040, p. 4).

164. L'Autorité, qui n'est pas tenue de chiffrer précisément le dommage causé à l'économie, doit procéder à une appréciation de son existence et de son importance, en se fondant sur une analyse aussi complète que possible des éléments du dossier et en recherchant les différents aspects de la perturbation générale du fonctionnement normal de l'économie engendrée par les pratiques en cause (arrêts de la cour d'appel de Paris du 30 juin 2011, Orange France, n° 2010-12049, p. 5, confirmé sur pourvoi par arrêt de la Cour de cassation du 30 mai 2012, précité, et du 26 janvier 2012, Beauté Prestige International e.a., n° 2012-23945, p. 89). L'existence du dommage à l'économie ne saurait donc être présumée (arrêt de la Cour de cassation du 7 avril 2010, Orange France e.a., n° 09-12984, 09-13163 et 09-65940).

165. En se fondant sur une jurisprudence établie, l'Autorité tient notamment compte, pour apprécier l'incidence économique de la pratique en cause, de l'ampleur de l'infraction, telle que caractérisée entre autres par sa couverture géographique ou par la part de marché cumulée des parties sur le secteur concerné, de sa durée, des conséquences conjoncturelles ou structurelles, ainsi que des caractéristiques économiques pertinentes du secteur concerné (voir, par exemple, l'arrêt de la cour d'appel du 30 juin 2011, Orange France précité, et du 11 octobre 2012, Entreprise H. Chevalier Nord précité, page 70). Les effets tant avérés que potentiels de la pratique peuvent être pris en considération à ce titre (voir, en ce sens, arrêt de la Cour de cassation du 28 juin 2005, Novartis Pharma, pourvoi n° C 04-13.910).

166. En premier lieu, dans les cas d'ententes portant sur des marchés d'appels d'offres, le montant des marchés affectés constitue un des éléments d'appréciation de l'importance du dommage causé à l'économie, ainsi que l'a rappelé le Conseil dans la décision n° 09-D-03 du 21 janvier 2009 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du transport scolaire et interurbain par autocar dans le département des Pyrénées-Orientales (paragraphe 119), même si celui-ci ne se limite pas à ce montant.

167. En second lieu, l'Autorité tient également compte de la mise en œuvre effective ou non des pratiques retenues, de leur durée, de la taille et de la position des entreprises concernées sur le secteur (voir, notamment, les décisions n° 08-D-15 du 2 juillet 2008 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de rénovation de chaufferies en Saône-et-Loire et n° 09-D-10 du 27 février 2009 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur du transport maritime entre la Corse et le continent ; et l'arrêt de la cour d'appel de Paris, société Allez et Cie e.a. précité, page 33).

168. A cet égard, la cour d'appel de Paris a précisé dans son arrêt Entreprise H. Chevalier Nord précité, qu' " il importe peu que (...) l'offre retenue par le maître d'ouvrage soit d'un montant inférieur à l'estimation de l'administration, seul le fonctionnement normal de la concurrence et l'incertitude sur le montant des offres proposées par les concurrents étant en effet de nature à garantir l'obtention du juste prix " (page 69, voir également l'arrêt société Allez et Cie e.a. précité, page 33).

169. Au cas d'espèce, le comportement d'Eiffage Construction Roussillon, de par son appartenance au groupe Eiffage, familier des procédures d'appels d'offres, est de nature à induire un risque de banalisation et d'entraînement à l'égard d'entreprises de moindre importance, notamment des petites et moyennes entreprises locales (PME) agissant souvent dans le cadre de contrats de sous-traitance avec des entreprises plus importantes.

170. Par ailleurs, si le dommage causé à l'économie par l'entente entre Vilmor Construction et Eiffage Construction Roussillon a dépassé le seul montant du marché, celui-ci est resté modeste s'agissant d'un marché de dimension locale s'élevant à 660 000 euros HT.

171. Eu égard aux éléments qui précèdent, il y a lieu de conclure que la pratique en cause a causé un dommage à l'économie certain mais d'une importance modérée.

3. CONCLUSION SUR LE MONTANT DE BASE

172. Eu égard à la gravité particulière des faits, d'une part, et à l'importance modérée du dommage causé à l'économie, d'autre part, un coefficient de 1% sera appliqué au chiffre d'affaires réalisé en France par chacune des entreprises ayant mis en œuvre les pratiques pendant l'exercice comptable au cours duquel a eu lieu l'infraction.

173. Le montant de base des sanctions pécuniaires qui en résulte est le suivant :

Entreprises / Chiffre d'affaires réalisé en France en 2008 (en euros) / Coefficient multiplicateur (en %) / Montant de base (en euros)

Eiffage Construction Languedoc Roussillon / 64 756 849 / 1 % / 647 568

Vilmor Construction / 6 544 526 / 1 % / 65 445

B. SUR LA PRISE EN COMPTE DES CIRCONSTANCES PROPRES À CHAQUE ENTREPRISE

1. RAPPEL DES PRINCIPES

174. L'Autorité s'est engagée à adapter le montant de base des sanctions au regard du critère légal tenant à la situation individuelle de chacune des parties en cause, qu'il s'agisse d'organismes ou d'entreprises, appartenant le cas échéant à des groupes plus larges.

175. A cette fin, et en fonction des éléments propres à chaque cas d'espèce, elle peut prendre en considération différentes circonstances atténuantes ou aggravantes caractérisant le comportement des intéressés dans le cadre de leur participation à l'infraction, ainsi que tout autre élément objectif pertinent relatif à sa situation individuelle. Cette prise en considération peut, selon les cas, conduire à ajuster la sanction tant à la hausse qu'à la baisse.

176. Au cas présent, les éléments du dossier ne font pas ressortir d'éléments de nature à caractériser l'existence de circonstances aggravantes ou atténuantes propres à telle ou telle des parties.

177. En revanche, il convient de rappeler que l'appréciation de la situation individuelle d'une entreprise peut notamment conduire à prendre en considération, non seulement sa taille et ses ressources, au-delà de celles issues des produits ou services visés par l'infraction, mais aussi son appartenance à un groupe disposant lui-même d'une taille, d'une puissance économique et de ressources globales plus importantes (voir, en ce sens, arrêts de la Cour de cassation du 28 avril 2004, Colas Midi-Méditerranée e.a., n° 02-15203, et de la cour d'appel de Paris, Entreprise H. Chevalier Nord e.a. précité, p. 71, société Allez et Cie e.a. précité, p. 34, et société des pétroles Shell (SPS) e.a. précité, p. 35).

178. De fait, la circonstance qu'une entreprise, au-delà des seuls produits ou services en relation avec l'infraction, bénéficie d'un périmètre d'activités significatif, ou bien dispose d'une puissance financière importante, peut justifier que la sanction qui lui est infligée en considération d'une infraction donnée soit plus élevée que si tel n'était pas le cas, afin d'assurer le caractère à la fois dissuasif et proportionné de la sanction pécuniaire (arrêt de la cour d'appel de Paris, Entreprise H. Chevalier Nord e.a. précité, p. 71). A cet égard, la Cour de cassation a déjà eu l'occasion de préciser que l'efficacité de la lutte contre les pratiques anticoncurrentielles requiert que la sanction pécuniaire soit effectivement dissuasive, au regard de la situation financière de chaque entreprise au moment où elle est sanctionnée (arrêt de la Cour de cassation du 18 septembre 2012, Séphora e.a., n° 12-14401, 12-14584, 12-14595, 12-14597, 12-14598, 12-14624, 12-14625 et 12-14632 et 12-14648).

179. La jurisprudence constante de l'Union va dans le même sens. Elle énonce ainsi, en se fondant sur l'objectif non seulement répressif mais aussi dissuasif des amendes attachées à la violation des règles de concurrence de l'Union que la Commission européenne ou le Tribunal est fondé à estimer qu'un chiffre d'affaires global significatif par rapport à celui des autres participants à une entente justifie une augmentation de l'amende (arrêt de la Cour de justice du 26 juin 2006, Showa Denko/Commission, C-289-04 P, Rec. p. I-5859, point 18). Cet objectif est également mis en exergue, s'agissant des sanctions pouvant être imposées en cas de violation de règles nationales de concurrence, par l'arrêt de la Cour européenne des droits de l'Homme du 27 septembre 2011, Menarini Diagnostics/Italie (Req. n° 43509-08, point 41).

2. EN L'ESPÈCE

180. L'Autorité tiendra compte en l'occurrence de la taille, de la puissance économique et des ressources globales importantes du groupe Eiffage, auquel appartient Eiffage Construction Languedoc Roussillon SAS.

181. Le chiffre d'affaires consolidé du groupe Eiffage réalisé au niveau mondial en 2008 se monte à 13,226 milliards d'euros (cote 1988), à comparer avec le chiffre d'affaires de moins de 65 millions d'euros réalisé en France par Eiffage Construction Languedoc au cours de l'année 2008.

182. Eu égard à l'ensemble des circonstances de l'espèce, le montant de base de la sanction pécuniaire d'Eiffage Construction Languedoc Roussillon SAS sera augmenté de 15 % et porté à 744 703 euros.

C. SUR LA RÉITÉRATION

183. La réitération, qui est visée de façon autonome par le I de l'article L. 464-2 du Code de commerce, constitue une circonstance aggravante que l'Autorité peut prendre en compte en augmentant le montant de la sanction de manière à lui permettre d'apporter une réponse proportionnée, en termes de répression et de dissuasion, à la propension de l'entreprise ou de l'organisme concerné de s'affranchir des règles de concurrence (voir, en ce sens, la décision n° 07-D-33 du Conseil du 15 octobre 2007 relative à des pratiques mises en œuvre par la société France Télécom dans le secteur de l'accès à Internet à haut débit, paragraphe 112). La jurisprudence de l'Union va dans le même sens (arrêt de la Cour de justice du 8 février 2007, Groupe Danone/Commission, C-3-06 P, Rec. p. I-1331, point 47).

184. Il est possible de retenir la réitération lorsque quatre conditions sont réunies :

- une précédente infraction aux règles de concurrence doit avoir été constatée avant la fin de la commission des nouvelles pratiques ;

- ces dernières doivent être identiques ou similaires, par leur objet ou leur effet, à celles ayant donné lieu au précédent constat d'infraction ;

- ce dernier doit être devenu définitif à la date à laquelle l'Autorité statue sur les nouvelles pratiques ;

- le délai écoulé entre le précédent constat d'infraction et le début des nouvelles pratiques doit être pris en compte pour appeler une réponse proportionnée à la propension de l'entreprise à s'affranchir des règles de concurrence (voir, en ce sens, arrêt de la Cour de cassation du 29 mars 2011, Manpower France e.a., n° 10-12913 et 10-13686 ; voir également pour le rappel des quatre conditions la décision n° 07-D-33, précitée, paragraphes 116 à 126).

Sur l'existence d'un constat antérieur d'infraction

185. Eiffage Construction SAS a déjà fait l'objet de deux constats d'infraction, dans le cadre :

- de la décision n° 05-D-19 du Conseil de la concurrence du 12 mai 2005 relative à des pratiques mises en œuvre dans le cadre des marchés de construction des ouvrages d'art pour la réalisation de l'autoroute A84 dite "Route des estuaires" dans le département de la Manche, qui a constaté la participation d'Eiffage Construction SAS à une concertation générale entre concurrents consistant en des échanges d'informations, le dépôt d'offres de couverture et l'abstention de candidature en vue de répartir les marchés liés à la construction de cet ouvrage d'art ;

- de la décision n° 07-D-15 du Conseil de la concurrence du 9 mai 2007 relative à des pratiques mises en œuvre dans les marchés publics relatifs aux lycées d'Ile-de-France, qui a constaté la participation d'Eiffage Construction SAS à une entente anticoncurrentielle de répartition des marchés de travaux publics lancés par le Conseil régional d'Ile-de-France entre 1990 et 1997.

186. Ces deux décisions sont antérieures à la date à laquelle Eiffage Construction Languedoc Roussillon, filiale à 100% d'Eiffage Construction SAS, a participé à la concertation anticoncurrentielle visant l'appel d'offres portant sur la reconstruction des miradors du centre pénitentiaire de Perpignan.

187. En l'espèce, la question se pose de savoir si les pratiques anticoncurrentielles d'Eiffage Construction SAS précédemment constatées par le Conseil de la concurrence peuvent constituer le premier terme d'une situation de réitération retenue à son encontre du fait de pratiques ultérieures mises en œuvre par sa filiale Eiffage Construction Languedoc Roussillon SAS.

188. A cet égard, la cour d'appel de Paris a précisé, dans l'arrêt Lacroix Signalisation précité, qu'il " importe peu, au regard de la réitération, que les pratiques ne portent pas sur la même catégorie de produits ; qu'en outre, la société Aximum n'est pas fondée à invoquer une absence d'identité du "contrevenant" alors même que, sanctionnée par la décision n° 05-D-67, elle est également sanctionnée par la Décision, peu important à cet égard qu'elle le soit en tant que société mère d'une filiale dépourvue d'autonomie à son égard " (page 34).

189. Le juge de l'Union suit une approche similaire, en retenant, dans un arrêt du 30 septembre 2009, Hoechst/Commission (T-161-05, Rec. p. II-3555), que la récidive jouait au sein de l'unité économique constituée entre la maison-mère et ses filiales :

" Hoechst ayant été sanctionnée dans les décisions matières colorantes et PVC II pour violation de l'article 81 CE, il s'agit bien de la même entreprise qui, dans la décision attaquée, a été condamnée pour le même type d'infraction pour avoir participé à l'entente sur le marché de l'AMCA, en dépit du fait que les infractions en cause concernent des filiales (voir, en ce sens, arrêt Michelin/Commission, précité, point 290) ou des marchés différents (voir, en ce sens, arrêt du Tribunal du 12 décembre 2007, BASF/Commission, T-101-05 et T-111-05, Rec. p. II-4949, point 64). En effet, en dépit du constat d'une infraction au droit communautaire de la concurrence, l'entreprise, au sens de l'article 81 CE, a continué à violer ladite disposition " (point 147 de l'arrêt).

190. En l'espèce, il a été relevé aux paragraphes 133 à 141 ci-dessus qu'Eiffage Construction SAS et Eiffage Construction Languedoc Roussillon SAS forment une seule et même entité économique.

191. Il est par ailleurs indifférent, au regard de la prise en compte de la réitération, que dans les décisions 05-D-19 et 07-D-15 précitées, Eiffage Construction SAS ait été condamnée, après être venue aux droits de la société Boris SAE dans la première décision, et des sociétés SAEP, SAE, Quillery et Cie SAS dans la seconde décision. Il convient en effet de rappeler qu'aux termes de la jurisprudence des juridictions de contrôle : " les sanctions prévues à l'article L. 464-2 du Code de commerce sont applicables aux entreprises auteurs des pratiques anticoncurrentielles prohibées [...], lorsque la personne qui exploitait l'entreprise a cessé d'exister juridiquement avant d'être appelée à en répondre, les pratiques sont imputées à la personne morale à laquelle l'entreprise a été juridiquement transmise, et, à défaut d'une telle transmission, à celle qui assure en fait sa continuité économique et fonctionnelle " (voir arrêts de la cour d'appel de Paris du 14 janvier 2009, Eurelec Midi-Pyrénées SA, 2008-01095, et Cour de cassation du 20 novembre 2001, société Bec Frères, pourvois n° 99-16776 et 99-18253).

Sur l'identité ou la similitude des pratiques

192. La réitération a pour objet d'appréhender les cas dans lesquels un organisme ou une entreprise précédemment sanctionnée pour avoir enfreint les règles de concurrence viole de nouveau ces règles. Pour qu'elle puisse être prise en compte, il suffit que les pratiques en cause soient identiques ou similaires par leur objet ou en raison de leurs effets (voir, en ce sens, arrêt Lacroix Signalisation précité, page 34).

193. Il n'est donc pas nécessaire de procéder à une analyse des circonstances factuelles précises caractérisant les différentes pratiques en cause (voir, en ce sens, arrêt de la cour d'appel de Paris du 26 janvier 2010, Adecco France e.a., n° 2009-03532, p. 20, pourvoi rejeté par l'arrêt de la Cour de cassation du 29 mars 2011, précité ; voir, également, décision n° 07-D-33 précitée, paragraphe 122).

194. En l'espèce, les décisions du Conseil n° 05-D-19 et n° 07-D-15 précitées ont sanctionné des pratiques qui avaient pour objet et pour effets de fausser le jeu de la concurrence et de tromper le maître d'ouvrage quant à la réalité de la concurrence entre les soumissionnaires lors de procédures d'appels d'offres. Elles ont donc bien le même objet (et de surcroît les mêmes effets) que celles en cause dans la présente décision.

Sur le caractère définitif, à la date de la présente décision, du constat d'infraction

195. Les décisions précitées sont devenues définitives :

- la décision n° 05-D-19 a été confirmée, s'agissant des pratiques reprochées à Eiffage Construction SAS, par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 7 mars 2006, INEO SA, et les pourvois formés contre cet arrêt ont été rejetés par un arrêt de la Cour de cassation du 6 mars 2007, Demathieu et Bard (pourvois n° Z 06-13.501, K 06-13.534, P 06-13.583, Q 06-13.584, E 06-13.598, Q 06-13.607, R 06-13.608, S 06-13.609, T 06-13.610) ;

- la décision n° 07-D-15 a été confirmée, s'agissant des pratiques reprochées à Eiffage Construction SAS, par un arrêt de la cour d'appel de Paris du 3 juillet 2008, Eiffage Construction SAS, la société Eiffage Construction s'étant au demeurant désistée avant cet arrêt.

Conclusions sur la réitération

196. Au regard des éléments qui précèdent et du délai très court écoulé entre le précédent constat d'infraction et les pratiques en cause, il y a lieu de considérer que la société Eiffage Construction SAS se trouve dans une situation de réitération justifiant une majoration de 30 % de sa sanction. Cette majoration, qui sera en conséquence imposée à Eiffage Construction SAS seule, se montera à 223 411 euros.

D. SUR LA VÉRIFICATION DU MAXIMUM LÉGAL APPLICABLE

197. Conformément au I de l'article L. 464-2 du Code de commerce, lorsque le contrevenant est une entreprise, le montant maximum de la sanction pécuniaire est de 10 % du chiffre d'affaires mondial hors taxes le plus élevé réalisé au cours d'un des exercices clos depuis l'exercice précédant celui au cours duquel les pratiques ont été mises en œuvre. Si les comptes de l'entreprise concernée ont été consolidés ou combinés en vertu des textes applicables à sa forme sociale, le chiffre d'affaires pris en compte est celui figurant dans les comptes consolidés ou combinés de l'entreprise consolidante ou combinante.

198. Le chiffre d'affaires mondial consolidé hors taxe le plus élevé connu réalisé par le groupe Eiffage, qui consolide le chiffre d'affaires de la société Eiffage Construction Languedoc Roussillon SAS était de 13,732 milliards d'euros au 31 décembre 2011. Le montant maximum de la sanction s'élève à 1,373 milliard d'euros en ce qui la concerne.

199. Le montant de la sanction pécuniaire infligée à Eiffage Construction Languedoc Roussillon SAS n'excède pas ce dernier chiffre.

200. Le chiffre d'affaires mondial hors taxe le plus élevé connu réalisé par Vilmor Construction était de 9 041 432 euros au 30 septembre 2011. Le montant maximum de la sanction s'élève à 904 143 euros en ce qui la concerne.

201. Le montant de la sanction pécuniaire infligée à Vilmor Construction n'excède pas ce dernier chiffre.

E. SUR LA CAPACITÉ CONTRIBUTIVE DE VILMOR CONSTRUCTION

202. La société Vilmor Construction a signalé qu'elle avait fait l'objet d'une mise en redressement judiciaire prononcée par un jugement du tribunal de commerce de Perpignan en date du 27 juin 2012. Ce même tribunal a autorisé la poursuite de la période d'observation jusqu'au 27 décembre 2012 puis, par un jugement en date du 12 décembre 2012, a renouvelé cette phase d'observation jusqu'au 27 juin 2013.

203. Vilmor Construction a également fait état d'éléments comptables et financiers attestant de difficultés financières particulières affectant sa capacité contributive, dont il sera tenu compte en ramenant le montant de sa sanction pécuniaire à 5 000 euros.

F. SUR LE MONTANT FINAL DES SANCTIONS

204. Eu égard à l'ensemble des éléments décrits plus haut, il y a lieu d'imposer les sanctions pécuniaires suivantes à chacune des entreprises en cause :

Entreprise / Sanction finale

Eiffage Construction Languedoc Roussillon SAS, Fougerolle SAS, Eiffage Construction SAS et Eiffage SA conjointement et solidairement / 740 00 euros

Eiffage Construction SAS / 220 000 euros

Vilmor Construction / 5 000 euros

DÉCISION

Article 1er : Il est établi que la société EURL Vilmor Construction, d'une part, et les sociétés Eiffage Construction Languedoc Roussillon SAS, Fougerolle SAS, Eiffage Construction SAS et Eiffage SA, d'autre part, ont enfreint les dispositions de l'article L. 420-1 du Code de commerce.

Article 2 : Pour l'infraction visée à l'article 1er, sont infligées les sanctions pécuniaires suivantes :

• 5 000 euros à la société EURL Vilmor Construction ;

• 960 000 euros aux sociétés Eiffage Construction Languedoc Roussillon SAS, Fougerolle SAS, Eiffage Construction SAS et SA Eiffage, se répartissant comme suit : 740 000 euros infligés conjointement et solidairement aux quatre sociétés susvisées et 220 000 euros à la société Eiffage Construction SAS.

Note :

1 L'entreprise attributaire devant notamment respecter des engagements précis sur les délais d'exécution ainsi que des règles de procédures strictes en matière d'habilitation et d'accès.