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Décisions

CA Bordeaux, 1re ch. civ. A, 20 mars 2012, n° 07-03403

BORDEAUX

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

VGC Distribution (SA)

Défendeur :

Sofemo (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Lafon

Conseillers :

MM Sabron, Lippmann

TGI Bordeaux, 7e ch., du 6 juin 2007

6 juin 2007

LES DONNEES DU LITIGE

M. G qui était alors âgé de 78 ans a signé le 16 novembre 2002 au magasin de Mérignac de la société VGC Distribution un bon de commande portant sur la livraison et la pose d'une cuisine de marque Vogica au prix de 16 673,54 Euros payable à hauteur de 174,54 Euros à la livraison et, pour le solde, soit la somme de 16 500 Euros, au moyen d'un crédit remboursable en 120 mensualités.

Le 2 décembre 2002 M. G a adressé à la société VGC Distribution une lettre recommandée avec AR lui demandant d'annuler sa commande.

Aucun contrat de crédit n'a été signé en vue du financement de la commande sus visée.

Le 16 décembre 2002 M. G et son épouse, Madame Pierrette G, ont signé un deuxième bon de commande annulant le précédent et portant sur la même cuisine, achetée au mêmes conditions de prix, lequel devait être financé au moyen d'un prêt remboursable en 60 mensualités.

Le même jour ils ont accepté une offre de crédit de la société Sofemo d'un montant de 165 000 Euros, remboursable en 60 mensualités de 390,13 Euros.

Cette offre stipulait toutefois que le prêteur se réservait le droit d'accorder ou de refuser le crédit dans un délai de sept jours à compter de son acceptation.

L'accord de la société Sofemo a été notifié aux époux G par un courrier de la société VGC Distribution du 23 décembre 2002.

En dépit de divers courriers des époux G lui ayant rappelé leur annulation de commande, et en particulier d'un courrier recommandé du 26 décembre 2002 lui rappelant que cette annulation avait été officialisée dans un document signé le 16 décembre à leur domicile, la société VGC Distribution a fait procéder à la livraison de la cuisine le 14 mars 2003.

Les époux G ont signé le bon de livraison et autorisé le déblocage des fonds, ce à la suite de quoi la société VGC Distribution a été payée par l'organisme de crédit.

Les époux G ont refusé de rembourser les mensualités du prêt, de telle sorte qu'après vaine mise en demeure et notification de la déchéance du terme, la société Sofemo les a fait assigner par acte du 14 mars 2003 devant le Tribunal d'instance de Bordeaux en paiement de la somme de 19 410,35 Euros due au titre du contrat de crédit.

Par acte des 17 et 18 août 2004, M. et Madame G ont fait assigner la société VGC Distribution et la société Sofemo devant le Tribunal de grande instances de Bordeaux pour obtenir l'annulation de leur commande et celle du crédit affecté à son financement.

Le Tribunal d'instance de Bordeaux a par jugement du 17 mars 2005 sursis à statuer sur la demande en paiement de la société Sofemo.

Celle-ci a conclu devant le tribunal de grande instance à la validité du bon de commande et de l'offre de crédit et sollicité à l'encontre des époux G le paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Le Tribunal de grande instance de Bordeaux a par jugement du 6 juin 2007 :

- constaté, au visa de l'article L. 311-23 du Code de la consommation, la nullité du bon de commande du 16 novembre 2002 en l'absence de souscription du crédit qui y était prévu ;

- prononcé sur le fondement du dol la nullité du bon de commande du 16 décembre 2002 et, par application des dispositions de l'article L. 311-21 du Code de la consommation, celle du contrat de crédit affecté souscrit par les époux G auprès de la société Sofemo ;

- dit qu'il appartenait à la société VGC Distribution de reprendre possession de la cuisine livrée aux époux G ;

- condamné la société VGC Distribution à payer aux époux G des dommages-intérêts de 2 000 Euros, outre une indemnité de 1 500 Euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;

- rejeté les autres demandes des parties ;

- condamné la société VGC Distribution aux dépens.

La société VGC Distribution a relevé appel de ce jugement par déclaration déposée au greffe le 3 juillet 2007.

Elle a fait signifier le 29 octobre 2007, puis le 28 mai 2008, des conclusions dans lesquelles il était demandé à la cour de dire la vente du 16 décembre 2002 valable, de débouter les époux G et de dire irrecevable, parce que nouvelle, la demande que la société Sofemo dirigeait contre elle.

L'affaire a été plaidée devant la cour qui, par un arrêt du 7 janvier 2010, a rouvert les débats pour permettre aux parties de conclure sur le moyen tiré d'office des dispositions des article L. 311-16 et L. 311-25 du Code de la consommation dont il résultait que le contrat de vente était résolu de plein droit, sans indemnité, à défaut pour le prêteur qui s'était réservé ce droit dans l'offre de crédit d'avoir agréé, dans le délai prévu à l'article L. 311-15, la personne de l'emprunteur qui, dans son courrier du 26 décembre 2002, avait refusé le prêt.

L'affaire a été renvoyée à la mise en état.

Un jugement du Tribunal de commerce d'Evry en date du 29 septembre 2010 a ouvert à l'égard de la société VGC Distribution une procédure de redressement judiciaire.

L'administrateur judiciaire, Maître T, et le représentant des créanciers, Maître H-E, ont été appelés en reprise d'instance par acte du 19 octobre 2010 à la requête de la société Sofemo.

Ces derniers n'ont pas constitué avoué.

Par un second jugement du 9 novembre 2010, le Tribunal de commerce d'Evry a prononcé la liquidation judiciaire de la société VGC Distribution et désigné en qualité de liquidateur judiciaire Maître Pascale H.-E.

A la suite du décès de Madame Pierrette G, la procédure a été régularisée par l'intervention de Madame Patricia M née G qui vient, avec M. Henri G, à la succession de la défunte.

Par un acte du 6 septembre 2010, les consorts G ont fait assigner en reprise d'instance Maître Pascale H-E, prise en sa qualité de mandataire liquidateur de la société VGC Distribution.

Celle-ci n'a pas constitué avocat.

Dans ses dernières conclusions qui ont été signifiées le 22 octobre 2010, la société Sofemo fait valoir :

- que l'offre de prêt du 16 décembre 2002 est parfaitement régulière ;

- que les époux G ont contresigné le certificat de livraison et donné leur accord sur le déblocage des fonds ;

- qu'il n'est pas démontré au regard des pièces versées aux débats que ces derniers qui ont signé un deuxième bon de commande annulant le précédent et ne se sont pas opposés à l'installation de la cuisine aient été victimes d'un dol ;

- que l'argument tiré d'une erreur monétaire ne peut pas non plus être retenu dès lors que les conventions, libellées en Euros, ont été signées deux ans après le remplacement du franc par la monnaie nouvelle ;

- qu'elle-même n'a commis aucune faute comme l'a admis le premier juge qui a débouté les époux G de leur demande de dommages-intérêts dirigée à son encontre ;

- que le moyen soulevé d'office par l'arrêt du 7 janvier 2010 au regard des dispositions des articles L. 311-16 et L. 311-25 du Code de la consommation n'est pas susceptible de faire échec à l'exécution des conventions dés-lors que, s'il est exact que, par lettre recommandée du 26 décembre 2002, les époux G ont indiqué refuser le prêt, ils sont revenus sur leur position en acceptant la livraison et en demandant le déblocage des fonds.

L'organisme de crédit demande en conséquence à la cour :

- de réformer le jugement et de débouter les époux G de leurs demandes en nullité de la vente et du contrat de crédit ;

- à titre subsidiaire, si le jugement était confirmé en ce qu'il a prononcé la nullité de la vente en raison d'un dol commis par le vendeur, de faire application des dispositions de l'article L. 311-22 du Code de la consommation et de condamner :

- la société VGC Distribution, solidairement avec les époux G qui sont tenus de restituer le capital du prêt, à lui verser la somme de 16 500 Euros ;

- la société VGC Distribution, seule, à lui payer à titre de dommages-intérêts la somme de 7 843,20 Euros représentant les intérêts du prêt (coût total du crédit).

La société Sofemo sollicite une indemnité de 1 500 Euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, solidairement contre la société VGC Distribution et les époux G.

M. Henri G et sa fille, Madame Patricia M née G qui vient aux droits de Madame Pierrette G, ont conclu à la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il a prononcé l'annulation de la vente pour dol et, par application des dispositions de l'article L. 311-21 du Code de la consommation, celle du contrat de prêt.

Ils ajoutent au vu de l'arrêt de réouverture des débats du 7 janvier 2010 que, l'organisme de crédit n'ayant pas agréé les emprunteurs dans le délai de sept jours et ces derniers ayant exercé leur faculté de rétractation, le contrat de vente est en toute hypothèse résolu de plein droit, sans indemnité, conformément aux dispositions de l'article L. 311-25 du Code de la consommation.

Enfin, les consorts G opposent à la demande subsidiaire de la société Sofemo tendant à leur condamnation au remboursement du capital du prêt l'exception de demande nouvelle qui résulte de l'article 564 du Code de procédure civile.

Ils sollicitent à l'encontre de la société VGC Distribution une indemnité de 2 000 Euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

LES MOTIFS DE LA DECISION

Les époux G ont manifesté leur volonté de résilier le prêt dans une lettre du 26 décembre 2002 adressée au vendeur, la société VGC Distribution, en réponse au courrier de celle-ci, daté du 23 décembre 2002, qui les avait informés de ce que la société Sofemo avait accepté leur demande de prêt.

Toutefois, l'offre de prêt que leur oppose l'organisme de crédit a été acceptée le 16 décembre 2002, de telle sorte que le délai de rétractation prévu par l'article L. 311-15 du Code de la consommation, d'une durée de sept jours, était expiré lorsque le refus sus-évoqué a été notifié au vendeur, mandataire de l'organisme de crédit.

Par ailleurs, s'il est exact que ledit mandataire n'a notifié aux emprunteurs l'agrément du prêteur que par courrier du 23 novembre 2002, lui-même postérieur à l'expiration de délai visé à l'article précité, on ne peut considérer que cet agrément soit réputé refusé comme le prévoit l'article L. 311-16 et que, par voie de conséquence, le contrat de vente ait été résolu de plein droit en application des dispositions de l'article L. 311-25.

En effet, l'article L. 311-16 du Code de la consommation dispose que l'agrément de l'emprunteur parvenu à sa connaissance après l'expiration de ce délai reste néanmoins valable si celui-ci entend toujours bénéficier du prêt.

Or les époux G, bien qu'ils aient réitéré dans leur courrier du 26 décembre 2002 leur refus de la vente et celui du prêt, ont signé le jour de l'installation de la cuisine, le 14 mars 2003, le certificat de livraison et ils ont expressément déclaré, par une mention manuscrite suivie de leur signature, autoriser le déblocage des fonds.

On ne peut dès lors pas opposer à la société Sofemo le retard de son agrément de la personne des emprunteurs, ni le fait que ces derniers auraient usé de leur faculté de rétractation, comme étant des circonstances susceptibles d'avoir entraîné la résolution de plein droit, sans indemnité, du contrat de vente et du prêt.

En revanche, il est manifeste que la société VGC Distribution a abusé de l'état de faiblesse des époux G, tous deux âgés de plus de 75 ans, pour leur imposer la livraison d'un produit, d'un prix disproportionné par rapport à leur situation économique, qu'ils avaient renoncé à acquérir en annulant le premier bon de commande du 16 novembre 2002.

Le tribunal a relevé à bon droit qu'en toute hypothèse, ce bon de commande ne pouvait pas avoir de suite en l'absence de signature du contrat de crédit à l'aide duquel il avait été stipulé que le prix serait financé.

L'invalidité du premier bon de commande résulte de l'application de l'article L. 311-23 du Code de la consommation, ce que reconnaît d'ailleurs la société Sofemo.

Alors que les époux G avaient fait état de difficultés économiques qui leur interdisaient un tel achat, la société VGC Distribution a obtenu la signature, en leur faisant croire qu'il s'agissait d'un document destiné à confirmer l'annulation de leur précédente commande, d'un deuxième bon de commande aux mêmes conditions de prix et stipulant que la vente serait financée au moyen d'un prêt du même montant mais remboursable en 60 mensualités au lieu des 120 initialement prévues, ce qui alourdissait les mensualités.

La preuve du dol résulte des courriers que les époux G ont adressés à la société VGC Distribution après qu'elle leur ait annoncé l'acceptation de la demande de prêt, courriers dans lesquels ces derniers qui font état de la signature à leur domicile d'un document qu'ils croyaient être une annulation de la commande, rappellent désespérément à chaque indication prévisionnelle de la date de livraison qu'ils ont renoncé à leur achat.

La société VGC Distribution s'est présentée à leur domicile le 14 mars 2003 pour procéder à l'installation de la cuisine alors qu'une nouvelle fois, dans une lettre du 15 janvier 2003, ils avaient exprimé leur refus de la vente.

M. Joël L qui avait accompagné M. G lors de sa première visite au magasin de Mérignac a établi une attestation dans laquelle il confirme que ce dernier lui a expliqué avoir annulé sa commande et qu'un représentant de Vogica s'était déplacé à son domicile pour lui faire signer ce qu'il pensait être une confirmation de cette annulation.

C'est bien par la suite d'une tromperie sur la nature du document que les époux G ont été amenés à signer à leur domicile que la société VGC Distribution qui a obtenu le règlement de sa prestation de l'organisme de crédit a exécuté le contrat que ses clients croyaient avoir annulé.

La signature du bon de livraison et l'autorisation de déblocage des fonds qui ont été obtenus dans de telles circonstances, sous la pression du vendeur qui avait placé les époux G, âgés et isolés, devant le fait accompli, ne sont pas des actes susceptibles de couvrir le vice de leur consentement.

Le jugement doit être confirmé en ce qu'il a prononcé, sur le fondement des dispositions des articles 1110 et 1116 du Code civil, l'annulation de la vente à raison du dol commis par le vendeur, la société VGC Distribution.

Il doit être confirmé, également, en ce qu'il a dit qu'en application des dispositions de l'article L. 311-21 du Code de la consommation, l'annulation judiciaire du contrat de vente entraînait de plein droit celle du contrat de crédit affecté, souscrit le 16 décembre 2002 auprès de la société Sofemo.

La société Sofemo qui a conclu devant le premier juge, uniquement, au débouté de la demande d'annulation de la vente et du prêt, demande à la cour dans le cadre d'un subsidiaire de faire application des dispositions de l'article L. 311-22 du Code de la consommation et, l'annulation du prêt entraînant l'obligation pour les emprunteurs de restituer le capital, de condamner la société VGC Distribution par le fait de laquelle est survenue l'annulation, solidairement avec les consorts G, au remboursement de la somme de 16 500 Euros qui a été encaissée par ladite société.

Elle demande en outre de condamner la société VGC Distribution, seule, à lui payer des dommages-intérêts correspondant au coût du crédit.

Les consorts G, comme l'avait fait la société VGC Distribution avant sa mise en liquidation judiciaire, font valoir que cette demande est irrecevable en application des dispositions de l'article 654 du Code de procédure civile, s'agissant d'une demande nouvelle formée en appel.

La société Sofemo n'a pas formulé d'observations sur ce moyen d'irrecevabilité.

Or, sa demande n'a pas pour objet de faire juger une question née de la survenance d'un fait puisque la nullité du contrat de vente pour dol et celle consécutive du contrat de prêt ont été invoquées devant le premier juge qui a prononcé ces nullités.

En réalité la société Sofemo qui a été attraite devant le tribunal de grande instance par les époux G aux fins d'annulation de la vente et du prêt s'est bornée à contester cette annulation sans former de demande en paiement (autre qu'au titre de l'article 700 du Code de procédure civile).

Elle avait, préalablement à cette procédure, saisi d'une action en remboursement du prêt le Tribunal d'instance de Bordeaux qui a sursis à statuer par jugement du 17 mars 2005 ; ce dernier n'a pas été dessaisi en l'absence de désistement de la société demanderesse qui n'a pas porté son action en paiement devant le tribunal de grande instance dans le cadre d'une demande reconventionnelle.

Il en résulte que ni ce tribunal, ni par conséquent la cour à laquelle son jugement est déféré, n'ont été saisis par la société Sofemo d'une demande en paiement au titre du prêt.

La demande, qualifiée de subsidiaire, en restitution du capital ne peut pas être considérée comme tendant aux mêmes fins que celle soumise au premier juge, ni comme virtuellement comprise dans une demande en remboursement du prêt dont il n'a pas été saisi, ni, par conséquent, comme une demande qui serait l'accessoire, la conséquence ou le complément de la demande initiale.

La question de l'obligation de restitution n'a pas été évoquée devant le premier juge, de telle sorte que la société Sofemo méconnaît le principe du double degré de juridiction en la soulevant devant la cour.

La société Sofemo est irrecevable en sa demande de remboursement du capital du prêt qui est une demande nouvelle formée en appel, demande qu'il lui appartient de poursuivre devant le Tribunal d'instance de Bordeaux qu'elle a saisi d'une action en paiement.

Elle est tout aussi irrecevable en ses demandes dirigées contre la société VGC Distribution qui, postérieurement, a été mise en liquidation judiciaire ; elle n'indique pas avoir déclaré sa créance dans cette procédure.

Il n'y a pas lieu, compte tenu de la situation économique de la société VGC Distribution de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : LA COUR, Confirme en toutes ses dispositions le jugement prononcé le 6 juin 2007 par le Tribunal de grande instance de Bordeaux. Dit que la société Sofemo qui n'a saisi le premier juge d'aucune action en paiement est irrecevable en sa demande de restitution du capital du prêt, formée pour la première fois devant la cour. La dit irrecevable, également, en ses demandes dirigées contre la société VGC Distribution qui a été mise en liquidation judiciaire par jugement du 9 novembre 2010. Dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile. Condamne la société Vogica Distribution aux dépens qui pourront être recouvrés par la SCP P et par Maître D, avocats, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.