CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 18 avril 2013, n° 10-21538
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Barilla France (SAS)
Défendeur :
Pain Jacquet (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
Mmes Michel-Amsellem, Pomonti
Avocats :
Mes Boccon Gibod, Phiquepal, De Candé, Fanet, Delesalle, Delbecq
Faits et procédure
La société Barilla France a repris l'activité de la société Harry's France, dénommée Barilla Harry's France, elle est devenue par la suite la société Barilla France. Elle fabrique et commercialise les produits de panification industrielle préemballés de la marque Harry's, lesquels sont proposés à la vente depuis 40 ans.
La société Pain Jacquet, filiale de la société Jacquet Brossard appartenant au groupe coopératif agricole Limagrain, exerce elle aussi une activité dans le domaine de la panification et intervient sur les marchés des pains pré-emballés. Elle commercialise ses produits, notamment, sous la marque " Jacquet ", mais également sous marques de distributeurs auprès des grandes enseignes de la distribution.
En avril 2004, la société Barilla France a lancé un nouveau produit sur le marché du pain industriel pré-emballé, dont la caractéristique principale est d'être un pain de mie tranché sans croûte sous l'appellation " 100 % mie ".
En février 2009, la société Pain Jacquet a lancé un nouveau produit dénommé " Carrément mie ", lequel est vendu exclusivement au sein d'enseignes de la grande distribution s'agissant d'un produit de grande consommation.
Ces pains " 100 % mie " et " Carrément mie " sont produits selon des techniques différentes. Le premier, par extraction de la croûte après cuisson, le second par cuisson dans un moule au four à micro-ondes.
Le 6 mars 2009, la société Harry's a adressé à la société Pain Jacquet une mise en demeure d'avoir à cesser la distribution de l'emballage ou de tout autre support contenant des indications trompeuses et notamment la mention " sans croûte " figurant sur le produit " Carrément mie ". La société Pain Jacquet a répondu à ce courrier, le 19 mars 2009, en rejetant tout grief de tromperie du consommateur et de concurrence déloyale.
Le 10 juillet 2009, la société Barilla France a saisi le Président du Tribunal de commerce de Paris pour qu'il prononce en référé une mesure d'interdiction à l'encontre de la société Pain Jacquet. Par ordonnance du 17 septembre 2009, le Président de ce tribunal a jugé n'y avoir lieu à référé et a dit que l'appréciation de l'affaire en cause relevait de la compétence du juge du fond.
Par jugement en date du 5 octobre 2010, le Tribunal de commerce de Paris a :
- dit que la mention " sans croûte " imprimée sur l'emballage du pain de mie de la société Pain Jacquet dénommé " Carrément mie " n'est ni mensongère ni trompeuse,
- dit que la société Pain Jacquet, en présentant son pain de mie " Carrément mie " comme étant " sans croûte ", ne s'est pas rendue responsable d'une pratique commerciale déloyale et trompeuse à l'égard des consommateurs et n'a pas commis d'actes de concurrence déloyale et parasitaire au détriment de la société Barilla Harry's France,
- débouté la société Barilla Harry's France de toutes ses demandes formées de ce chef,
- condamné la société Barilla Harry's France à verser à la société Pain Jacquet la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,
- condamné la société Barilla Harry's France à verser à la société Pain Jacquet la somme de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- débouté les parties de leurs demandes plus amples ou contraires aux présentes dispositions.
Vu l'appel interjeté le 4 novembre 2010 par la société Barilla France contre cette décision.
Vu les dernières conclusions signifiées le 5 février 2013 par la société Barilla France par lesquelles il est demandé à la cour de :
- dire et juger recevable et bien fondé l'appel formé par la société Barilla France à l'encontre du jugement du Tribunal de commerce de Paris du 5 octobre 2011.
- réformer purement et simplement le jugement entrepris.
Statuant à nouveau :
- dire et juger qu'en présentant son produit Carrément mie comme étant un pain de mie " sans croûte ", la société Pain Jacquet s'est rendue responsable d'une pratique commerciale déloyale et trompeuse à l'égard des consommateurs et a commis des actes de concurrence déloyale et parasitaire au détriment de la société Barilla France.
En conséquence,
- débouter la société Pain Jacquet de toutes ses demandes, fins et conclusions.
- faire interdiction à la société Pain Jacquet de continuer à fabriquer et à commercialiser, de quelque façon que ce soit, son produit Carrément mie dans un emballage contenant les mentions " sans croûte " ou prétendant qu'il s'agit d'un pain sans croûte, ou composé exclusivement de mie, sous astreinte de 1 500 euros par infraction constatée 8 jours à compter de la signification de l'arrêt à venir.
- ordonner à la société Pain Jacquet de solliciter le retrait et le retour des produits Carrément mie présentés comme étant sans croûte, présents dans les magasins dans un délai de 8 jours à compter de la signification de l'arrêt à intervenir et d'ordonner la destruction sous contrôle d'huissier des emballages et supports litigieux sous astreinte de 800 euros par jour de retard.
- ordonner à la société Pain Jacquet de faire retirer les publicités litigieuses actuellement en place et d'une manière générale de cesser toute publicité qu'elle soit rédactionnelle, radiophonique ou télévisuelle présentant le produit Carrément mie comme étant " sans croûte ", et ce, sous astreinte de 10 000 euros par infraction constatée 8 jours après la signification de l'arrêt à venir.
- se réserver la liquidation des astreintes précitées.
- condamner la société Pain Jacquet à verser à la société Barilla France une somme de 400 000 euros à titre de provision à valoir sur l'indemnisation du préjudice subi du fait des actes de publicité trompeuse et de concurrence déloyale et parasitaire précités.
- nommer tel expert qu'il plaira à la cour de désigner avec pour mission de réunir les parties, de se faire remettre par celles-ci tout document et d'entendre toute personne nécessaire à la détermination du préjudice subi du fait de la mise sur le marché par la société Pain Jacquet du produit Carrément mie dans la présentation adoptée à partir de février 2009 et de faire un rapport à la cour de l'ensemble des opérations.
- ordonner la publication du texte suivant en caractère de police au moins égal à Times New Roman 16 avec reproduction des produits concernés : " Par arrêt du ..., la Cour d'appel de Paris a condamné la société Pain Jacquet pour publicité trompeuse, concurrence déloyale et parasitaire pour avoir commercialisé son produit Carrément mie en le présentant faussement comme étant un pain de mie " sans croûte ", à payer à la société Barilla France, qui commercialise le produit 100 % mie sous la marque Harry's, la somme de ... à titre de provision en réparation du préjudice subi. La Cour a également ordonné le retrait des ventes des produits litigieux et a désigné un expert en vue de fixer le montant des sommes dues à la société Barilla France en réparation de son préjudice." dans des journaux ou revues au choix de la société Barilla France dans la limite de cinq, pour un montant global de 40 000 et aux frais avancés de la société Pain Jacquet.
- condamner la société Pain Jacquet à verser à la société Barilla France la somme de 42 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Barilla France expose que, contrairement à ce qui a été retenu par les premiers juges, la mention " sans croûte " imprimée sur l'emballage du pain de mie " Carrément mie " de la société Pain Jacquet est mensongère et trompeuse. L'appréciation de cette mention devait, selon elle, se faire en considération d'un ensemble de critères qu'elle détaille et ne pas s'effectuer au regard d'un pain de mie traditionnel, mais d'un pain de mie industriel.
Elle critique la motivation des premiers juges qui se sont référés directement aux différents sondages et test produits par les parties, sans rechercher au préalable l'attente présumée d'un consommateur de pain de mie " Carrément mie " de Jacquet, pour seulement ensuite rechercher si le nom " Carrément mie " et l'indication " sans croûte " a pu tromper le consommateur. Elle fait valoir que l'argumentation de Pain Jacquet, développée sur l'analyse des tests et sondages produits est contraire aux principes juridiques applicables à la matière et conclut que la société Pain Jacquet s'est rendue responsable d'une pratique commerciale déloyale et trompeuse à l'égard du consommateur qui a été induit en erreur de manière fautive sur une qualité essentielle du produit ou une de ses propriétés.
Elle soutient ensuite que la pratique mise en œuvre par la société Pain Jacquet est parasitaire à son détriment, car elle utilise un argumentaire de vente déloyal afin de faire croire au consommateur que son produit " Carrément mie " ne comporterait pas de croûte ce qui lui permet de récupérer les retombées des investissements et des efforts qu'elle a consacrés pour la conception et la réalisation d'un produit véritablement sans croûte. Elle fait valoir à ce sujet que la société Pain Jacquet a, grâce à cette pratique déloyale, gagné d'importantes parts de marché.
Enfin, elle soutient que la procédure qu'elle a engagée est parfaitement légitime et qu'elle a agi de bonne foi.
Vu les dernières conclusions, signifiées le 12 février 2013, par la société Pain Jacquet qui demande à la cour de :
A titre principal,
- confirmer le jugement déféré,
- dire et juger que la société Barilla France ne démontre pas la pratique commerciale qu'elle allègue à l'encontre de la société Pain Jacquet,
- constater qu'en présentant son produit " Carrément mie " comme étant un pain de mie sans croûte, la société Pain Jacquet n'a commis aucune pratique commerciale déloyale et trompeuse à l'égard des consommateurs et n'a commis aucun acte de concurrence déloyale et parasitaire au détriment de la société Barilla France,
- constater que la société Barilla France ne démontre pas de faute de concurrence déloyale ou parasitaire par la commercialisation du produit " Carrément mie " nature, la présentation, l'emballage, la publicité du produit à l'égard du produit " 100 % mie " nature de Barilla France,
- en conséquence, rejeter l'ensemble des demandes formulées par la société Barilla France à l'égard de la société Pain Jacquet et confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu le 5 octobre 2010 par le Tribunal de commerce de Paris,
- constater que l'action exercée par la société Barilla France est manifestement diligentée pour faire pression sur la société Pain Jacquet dans le cadre des négociations commerciales avec les enseignes de la grande distribution et la gêner dans le cadre du référencement de son produit,
- constater que l'action de la société Barilla France est manifestement abusive et traduit un acharnement illégitime compte tenu des données et pièces versées aux débats,
A titre subsidiaire,
- constater, dire et juger que la société Barilla France ne démontre pas le préjudice qu'elle invoque,
- constater, dire et juger que la société Barilla France ne démontre pas les investissements qu'elle allègue, ni le détournement d'investissement qu'elle impute à la société Pain Jacquet,
- constater, dire et juger que la société Barilla France ne démontre pas le lien de causalité entre la faute alléguée et le préjudice invoqué,
- en conséquence, rejeter l'ensemble des demandes de la société Barilla France,
A titre infiniment subsidiaire,
- dire n'y avoir lieu à priver la société Pain Jacquet de l'usage de la marque " Carrément mie",
- dire que la cour n'a pas à se substituer à la demanderesse pour préciser ou reformuler ses demandes relatives aux mentions figurant sur l'emballage du produit " Carrément mie ",
- en toutes hypothèses, accorder un délai de 90 jours à la société Pain Jacquet pour faire évoluer, pour l'avenir, l'emballage de son produit " Carrément mie " nature, à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,
- rejeter les autres demandes de la société Barilla France,
Pour le surplus, à titre reconventionnel,
- constater que l'action exercée par la société Barilla France est manifestement diligentée pour faire pression sur la société Pain Jacquet dans le cadre des négociations commerciales avec les enseignes de la grande distribution et la gêner dans le cadre du référencement de son produit,
- constater que l'action de la société Barilla France est manifestement abusive et traduit un acharnement illégitime compte tenu des données et pièces versées aux débats,
- en conséquence, condamner la société Barilla France au versement d'une somme complémentaire de 200 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et pour réparer le préjudice de désorganisation de l'entreprise Pain Jacquet et de la marque " Carrément mie ",
- condamner, si bon semble à la cour, la société Barilla France au paiement d'une amende civile de 3 000 euros en application de l'article 32-1 du Code de procédure civile,
En tout état de cause,
- condamner la société Barilla France au paiement à la société Pain Jacquet de la somme complémentaire de 100 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Pain Jacquet fait valoir que c'est légitimement qu'elle annonce sur l'emballage du produit " Carrément mie " ainsi que dans ses publicités que celui-ci est un pain de mie sans croûte, cette qualification étant exacte, tant du point de vue du consommateur moyen, que sur le plan industriel et scientifique.
Elle rappelle que le caractère trompeur d'une pratique commerciale doit s'apprécier en prenant en considération l'attente présumée du consommateur moyen touché par la pratique commerciale et qu'en l'espèce, les études et sondages présentés par la société Barilla n'apportent pas d'éclairage pertinent et de nature à démontrer la tromperie qu'elle allègue.
Par ailleurs, l'intimée conteste avoir mis en œuvre des pratiques commerciales déloyales ou parasitaires que ce soit par son produit même ou ses publicités, ou encore en commercialisant un pain de mie sans croûte, ou enfin, par risque de confusion.
Elle soutient, enfin, que la société Barilla France a fait preuve d'une légèreté certaine en engageant une action contre elle, alors qu'il est établi qu'elle n'a pas de juste motif à faire valoir et elle estime que la mauvaise foi de cette dernière caractérise un abus du droit d'agir en justice.
LA COUR renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions initiales des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
Motifs
Sur l'existence d'une pratique commerciale trompeuse
La société Barilla soutient que la commercialisation par la société Pain Jacquet de son pain de mie dénommé " Carrément mie " dans un emballage comportant la mention " sans croûte " est mensongère pour le consommateur et déloyale. Elle fait valoir, à l'appui de cette affirmation, que les tranches du pain " Carrément mie " comportent sur leurs bords latéraux une zone durcie qui, sans être colorée, est assimilable à une croûte. Elle ajoute que cette pratique commerciale est relayée par une publicité qui met en exergue l'absence de croûte et que cette publicité est, par voie de conséquence, elle aussi trompeuse. La société Pain Jacquet conteste la qualification invoquée par la société Barilla et fait valoir que la fine pellicule blanche qui entoure les tranches de son pain " Carrément mie ", due à un mode de cuisson particulier, est souple et moelleuse et qu'elle ne s'apparente pas à une croûte.
Il résulte des dispositions des articles L. 120-1 du Code de la consommation, dans sa rédaction issue de la loi du 3 janvier 2008 transposant la directive n° 2005-29-CE du 11 mai 2005 et de la loi 4 août 2008 sur la modernisation de l'économie, qu'une pratique commerciale est déloyale, lorsqu'elle altère, ou est susceptible d'altérer de manière substantielle, le comportement économique du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, à l'égard d'un bien ou d'un service. L'article L. 121-1 du Code de la consommation, dans sa rédaction issue des mêmes lois que le précédent, précise sur ce point qu'une pratique est trompeuse lorsqu'elle repose sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur et portant sur les caractéristiques essentielles du bien ou du service, et particulièrement sur les qualités substantielles ou les propriétés d'un bien ou d'un service.
Ainsi que les parties s'accordent à le préciser, le caractère trompeur des informations doit être déterminé par rapport à l'attente présumée d'un consommateur moyen, normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, que la pratique touche ou auquel elle s'adresse, sans qu'il soit besoin de rechercher l'attente effective des consommateurs au moyen de sondages ou d'expertises. Il résulte en effet de la directive 2005-29 et de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes que le consommateur auquel il est ainsi fait référence est un consommateur fictif typique. Cependant, il n'est pas interdit aux juridictions de prendre en compte des sondages effectués auprès des consommateurs, lorsque ceux-ci sont produits, à la condition bien sûr que les méthodes de sondage puissent aboutir à des réponses objectives et non faussées.
En l'espèce, les éléments invoqués par les parties pour établir ou contester le caractère trompeur du qualificatif " sans croûte " doivent donc être appréciés au regard des attentes présumées du consommateur final de pain de mie industriel préemballé qui, dans les rayons d'une surface commerciale, choisit un pain de mie annoncé comme étant " sans croûte ".
Le fait que ce consommateur choisisse un tel produit plutôt qu'un pain de mie avec croûte, que par commodité l'on qualifiera de classique, montre incontestablement une attente spécifique d'absence de croûte. Il convient à ce stade de prendre en considération que le pain de mie classique industriel comporte, ainsi que le fait observer la société Barilla, une croûte qui se distingue de celle du pain de mie artisanal en ce qu'elle correspond à une zone colorée et résistante à la pression tout en restant relativement molle. Cette croûte du pain de mie industriel se distingue, encore davantage, de celle du pain artisanal laquelle est croustillante et dure. L'attente du consommateur qui achète un pain de mie industriel préemballé avec la mention " sans croûte " correspond donc à une absence totale de croûte, étant observé que celle du pain de mie industriel préemballé se caractérise déjà par une croûte sensoriellement souple. Dès lors, la définition proposée par la société Barilla du pain de mie sans croûte comme étant un pain de mie dans lequel il n'y a que de la mie correspond précisément à l'attente objective d'un consommateur moyen.
Il résulte de la jurisprudence communautaire et nationale établie que, comme le consommateur auquel le produit s'adresse, la tromperie doit faire l'objet d'une appréciation in abstracto au regard des attentes du consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé. En l'espèce le pain " Carrément mie ", commercialisé par la société Pain Jacquet, comporte, sur le pourtour de l'épaisseur des tranches, une fine pellicule due au processus de cuisson que la société Barilla qualifie de " zone durcie qui, sans être colorée, est assimilable à une croûte ". Il convient donc de déterminer si tel est bien le cas.
À titre liminaire, il convient de préciser que la définition littéraire de ce qu'est une croûte est pour le dictionnaire de l'Académie française un " dépôt durci, pellicule dure qui recouvre la surface d'un corps ", pour le Larousse en ligne la " partie extérieure du pain colorée et durcie lors de la cuisson ", pour le Littré, la " partie extérieure du pain, durcie par la cuisson ".
On relèvera, sur le plan technique, qu'il ressort des pièces produites par la société Pain Jacquet, sans que ce point soit contesté par la société Barilla, que la pellicule mentionnée ci-dessus est due à un processus de " gelatinisation de l'amidon en conditions humide ". Ce terme de gelatinisation décrit d'emblée que la pellicule ne peut qu'être molle et souple et non dure, comme le soutient la société Barilla.
Par ailleurs, le test sensoriel auquel la cour a pu se livrer sur les exemplaires de pains apportés, par le regard et le toucher, lui a permis de constater que la pellicule est de la même couleur que la mie et qu'elle ne s'en distingue que par un aspect lisse, légèrement brillant, qu'elle ne présente aucune résistance à la pression et au toucher, la tranche demeurant souple et moelleuse. Au terme de ce test, la cour constate que la seule différence du pain " Carrément mie " avec le pain " 100 % mie " de la société Barilla se trouve dans la texture du bord de la tranche de pain, celle de ce dernier étant totalement identique au reste de la tranche, de nature alvéolée, tandis que celui du pain " Carrément mie " de la société Pain Jacquet est lisse en raison de la gélatinisation de l'amidon, mais sans que cette caractéristique ne rende le tour ou le bord de la tranche ni dur, ni même moins souple. Enfin, la cour constate que ce phénomène chimique se produit sur une épaisseur tellement fine qu'il n'est pas possible de considérer qu'il constitue une croûte.
Enfin, abstraction faite du test que l'on peut faire sur les deux pains, il n'est pas contestable que le pain " Carrément mie " est, comme le pain " 100 % mie ", constitué seulement de mie, ce qui correspond parfaitement à la définition que donne la société Barilla d'un pain de mie sans croûte. Dans ces conditions, elle ne saurait prétendre que seul le pain de mie, dont on a enlevé la croûte, serait un pain de mie sans croûte.
Ainsi, la désignation du pain " Carrément mie " de la société Pain Jacquet comme étant " sans croûte " n'est pas de nature à tromper ou induire en erreur un consommateur normalement informé et raisonnablement attentif et avisé. Il remplit, en outre, tous les critères retenus par la société Barilla pour décrire un pain de mie industriel sans croûte, critères tirés par elle de l'étude Omnibus faite auprès des consommateurs sur le " pain de mie sans croûte " qu'elle produit. Il est en effet, moelleux, carré, ses tranches sont blanches, la mie est blanche et alvéolée, il n'est composé que de la mie du pain, il n'a pas de croûte et, dès lors, il n'a pas été nécessaire d'en retirer la croûte.
Ces constatations sont confirmées par les études produites par la société Pain Jacquet. Sur ce point, il convient d'écarter les deux études Adria Senso de novembre 2009 qui procèdent à une comparaison entre des pains de mie classiques et le pain " Carrément mie " qui apparaissent de nature à fausser l'objectivité des conclusions des consommateurs, lesquels, par comparaison, étaient nécessairement incités à qualifier le pain " Carrément mie " de sans croûte. Abstraction faite de ces deux études, toutes celles produites par la société Pain Jacquet, quels que soient le mode d'interrogation et la formulation des questions posées, ont toutes montré que les consommateurs considéraient, dans une notable majorité, que le pain " Carrément mie " correspondait à ce qu'ils attendaient de l'allégation " sans croûte ".
L'ensemble de ces constatations rend inopérante la comparaison effectuée par la société Barilla avec des produits similaires de deux autres marques, qui présentent leurs propres pains de mie semblables au " Carrément mie " de la société Pain Jacquet comme ayant une " fine croûte blanche " ou une " croûte invisible ", chaque fabriquant étant libre de présenter ses produits selon ce qu'il estime devoir valoriser auprès des consommateurs.
Enfin, et à titre surabondant, la cour relève que les résultats de l'étude Eurofins, produite par la société Barilla ayant pour objectif de " comparer la perception des consommateurs concernant les bords des tranches de pain de mie " 100 % mie ", " Carrément mie " et " Pur'Mie " de Systèm U, ne peuvent être retenus à titre de preuve, dans la mesure où l'attention des consommateurs a été, pour la réalisation de cette étude, appelée à se concentrer sur les bords des tranches des échantillons et que dans ce contexte, ils ont nécessairement été orientés à relever des différences entre les échantillons, dont deux étaient produits de manière identique contre un seul dissemblable.
Il se déduit de ce qui précède que la société Pain Jacquet ne met pas en œuvre une pratique commerciale trompeuse en qualifiant le pain de mie industriel " Carrément mie " de pain sans croûte.
Sur l'existence d'actes parasitaires
La société Barilla admet qu'il est normal que l'arrivée d'un nouveau produit diminue la part de marché du produit qui s'y trouvait antérieurement seul, le mettant alors en position de concurrence. Elle soutient à juste titre que cette situation doit se produire dans des conditions loyales et que le nouveau produit ne doit pas se présenter comme doté de caractéristiques ou de qualités qui ne sont pas les siennes.
Ainsi qu'il a été retenu précédemment, la présentation par la société Pain Jacquet du pain " Carrément mie " comme étant sans croûte ne constitue pas une présentation fallacieuse ou trompeuse. En conséquence, cette présentation ne saurait être retenue comme constitutive d'un comportement déloyal.
La société Barilla fait valoir qu'elle a investi plus de six millions d'euros pour la mise au point des procédés brevetés permettant de retirer la croûte du pain de mie et pour les installations industrielles nécessaires, elle indique avoir investi à concurrence de 42 100 euros en frais de personnels dédiés à la recherche et au développement du projet, et elle ajoute à ces montants, pratiquement huit millions d'euros qu'elle a consacrés à des achats d'espaces et des publicités diverses. Elle précise que pour les années 2008 et 2009, ses investissements se sont élevés à plus de 6 millions d'euros. Elle soutient que la société Pain Jacquet en lançant son produit sur le marché en 2009 a profité de ses investissements, alors même que son produit ne peut revendiquer la qualité sans croûte dont elle se prévaut.
Cependant, ainsi qu'il a été retenu précédemment, ce n'est pas de façon injustifiée que la société Pain Jacquet qualifie son pain " Carrément mie " comme étant sans croûte. Par ailleurs, ce produit à lui aussi fait l'objet d'investissements importants, le fait que le brevet ait été déposé par une filiale du même groupe étant, à ce stade de l'examen, sans portée. En conséquence, le seul lancement d'un pain de mie sans croûte, auquel ont, d'ailleurs, procédé plusieurs autres opérateurs du marché, ne saurait être qualifié d'acte parasitaire constitutif de concurrence déloyale.
La société Barilla soutient encore que la société Pain Jacquet aurait, au fil du temps, adopté un nouvel emballage pour son produit " Carrément mie " qui procèderait de la recherche délibérée d'une confusion avec ses propres produits. Elle invoque à ce titre six éléments particuliers de ressemblance : 1) la représentation de trois tranches de pain empilées, désormais débarrassées du " sourire de confiture " caractéristique de la présentation antérieure, à l'instar de celles représentées sur l'emballage du produit " 100 % mie ", 2) la représentation d'épis de blés dorés, totalement absents de l'emballage initial et semblables à ceux figurant sur le produit " 100 % mie ", 3) l'abandon de la couleur violet caractéristique de l'emballage original " Carrément mie " au profit de la couleur bleu pour le pain de mie nature et marron pour le pain de mie complet, à l'instar de ce qui se fait pour le " 100 % mie ", 4) l'indication en partie supérieure de l'emballage de la marque du fabricant/distributeur Harry/Jacquet dans un logo de couleurs rouge, 5) Le nom du produit " 100 % mie " / " Carrément mie " placé en dessous de la mention précitée, 6) la mention " les natures " apposée juste en dessous de la mention précitée.
Avant de procéder à l'examen des ressemblances ainsi relevées par la société Barilla, il convient de relever que quelle qu'en soit leur réalité, elles n'empêchent pas que l'aspect global des emballages des produits " Carrément mie " et " 100 % mie " soit très différent, les couleurs du second sont plus vives et plus tranchées (rouge, blanc, bleu foncé), tandis que celles du premier sont plus claires et plus fondues, le blanc-beige étant la couleur dominante du sachet.
En outre, la présentation de tranches de pains empilées ne saurait être reprochée alors que le produit vendu est précisément des tranches de pain de mie. S'il existe des ressemblances de présentation dans l'empilement et dans le fait que la première soit légèrement relevée, celle-ci se justifie par l'impression de relative abondance que donne l'image de trois tranches plutôt que d'une seule et par la suggestion de souplesse qu'apporte la présentation relevée de la première tranche permettant, en outre, de mieux présenter la surface du pain. Le fait que le " sourire de confiture " ait été supprimé ne saurait être imputé à un projet d'imitation ou d'alignement sur le produit " 100 % mie ", chaque opérateur ayant le droit de modifier la présentation de ses produits et la société Barilla ne démontrant pas que cet élément ait été une caractéristique ancienne de présentation des pains de la société pain Jacquet. Par ailleurs, celle-ci produit aux débats de multiples exemples de produits similaires représentant sur leur emballage des épis de blé évoquant la céréale et la farine, ingrédient de base pour la production du produit. De plus, l'abandon de la couleur violet ou bleu foncé démontre au contraire un éloignement de l'apparence des emballages caractéristiques des produits de la marque Harry's exploitée par la société Barilla, puisque cette couleur vive a été remplacée, ainsi qu'il a été relevé précédemment, par des couleurs pâles et fondues. En outre, l'apposition en partie supérieure de l'emballage de la marque du fabricant/distributeur Harry/Jacquet dans un logo de couleur rouge n'a rien d'original ni de similaire, les logos des deux marques étant très distincts, un ovale pour la marque Harry's écrite en bleu sur fond blanc et un rectangle rouge pour la marque Jacquet, écrite en blanc. Enfin, la déclinaison verticale de la marque du fabriquant (Harry's/Jacquet), de celle du produit (" 100 % mie " / " Carrément mie ", puis du terme " Les natures " / " Nature ", si elle est effectivement semblable, ne présente aucun caractère d'originalité et n'apparaît pas caractéristique des pains de la marque Harry's, ainsi que le démontrent les photos d'autres produits d'autres fabricants, comme le " spécial mie " " Nature " de la marque Epi d'or ou le pain de mie bio de la marque La Boulangère, ou encore le " spécial mie ", nature de Cora, et le " Pur'Mie " " extra-moelleux " de super U qui reprennent peu ou prou, la même déclinaison. Ainsi l'examen de la présentation des emballages des produits " 100 % mie " et " Carrément mie " ne permet pas de caractériser que la société Pain Jacquet tenterait de faire croire au consommateur que son produit est identique à celui de la société Barilla.
Par ailleurs, la société Barilla dénonce un " encart publicitaire " paru dans le quotidien l'Yonne républicaine le 16 septembre 2009, intitulé " la guerre aux croûtes " qui mentionne les investissements effectués par la société Pain Jacquet pour mettre le produit " Carrément mie " sur le marché et énonce " L'entreprise Jacquet et son principal concurrent, Harry's se sont lancés dans une guerre impitoyable contre la croûte dans le pain de mie, honnie de beaucoup d'enfants. (...) son concurrent s'est contenté de couper les croûtes et de les jeter. Méthode moins compliquée mais moins écologique, font remarquer les représentants de Jacquet ". Elle précise que les déclarations à la presse des " représentants de Jacquet " sont particulièrement démonstratives de la communication agressive de la société Pain Jacquet qui cherche par tous les moyens à se placer dans son sillage.
Il convient de relever que le texte ainsi dénoncé ne constitue ni un communiqué, ni un encart publicitaire, mais qu'il se trouve adjoint à un reportage consacré à l'entreprise Jacquet publié dans la rubrique consacrée à la ville de Sens et de sa périphérie dans un quotidien régional. Il ne peut, dans ces circonstances, avoir touché un lectorat étendu, alors que le pain de mie " 100 % mie " est distribué sur tout le territoire national. Par ailleurs, le texte ne fait qu'énoncer que la société Pain Jacquet a lancé un pain de mie sans croûte ce dont elle pouvait, ainsi qu'il a été retenu précédemment, se prévaloir. La précision que le pain sans croûte est apprécié des enfants relève d'un constat effectué par les entreprises qui se sont orientées dans la fabrication de ce type de pain de mie sans pouvoir constituer un argument publicitaire spécifiquement réservé à la société Barilla. Enfin, aucune mention de ce texte n'induit l'idée que la société Pain Jacquet aurait été la première sur le marché du pain de mie sans croûte. Il ne ressort donc pas des termes du texte ainsi invoqué par la société Barilla que la société Pain Jacquet se serait mise dans son sillage pour bénéficier à son profit des investissements réalisés par elle pour la commercialisation du pain de mie " 100 % mie ".
Sur la demande de dommages-intérêts pour procédure abusive
La société Pain Jacquet soutient que la société Barilla a fait preuve de légèreté en engageant une action, alors qu'il est établi qu'elle n'a pas de justes motifs à faire valoir contre elle. Elle rappelle que lorsque l'appelante lui a écrit le 6 mars 2009 pour lui reprocher un comportement trompeur et déloyal, elle lui a répondu dès le 19 mars en lui proposant de discuter de cela devant l'administration compétente, ainsi que de faire diligenter des analyses et expertises. La société Barilla n'ayant répondu à cette lettre que par une assignation en référé délivrée le 10 juillet pour une audience fixée au mois de septembre suivant, elle l'aurait sciemment mise en difficulté au moment des négociations de ses conditions commerciales avec la grande distribution.
Le simple fait de se méprendre sur l'étendue de ses droits ne constitue pas un abus de procédure, alors qu'il n'est pas démontré que la procédure serait particulièrement mal fondée, téméraire et malveillante. En l'espèce, l'action introduite par la société Barilla si elle n'est pas fondée, a requis un examen approfondi sur le point de savoir si le tour de la tranche des pains " Carrément mie " devait, ou non, être qualifié de croûte. Par ailleurs, contrairement à ce qu'ont retenu les premiers juges, elle n'a pas mis en œuvre son action de manière particulièrement téméraire ou malveillante. En effet, le moment auquel la société Barilla a poursuivi la société Pain Jacquet ne révèle pas particulièrement une intention de lui nuire, dans la mesure où celle-ci ne pouvait maîtriser le calendrier judiciaire, qu'elle n'a pas retardé inutilement la procédure et que les négociations annuelles sur les conditions de vente occupent environ six mois de l'année pendant lesquels on ne saurait interdire, par principe, la mise en œuvre d'actions judiciaires au risque de compromettre à la fois le droit au juge et l'efficacité d'un certain nombre d'actions. Enfin, le fait que la société Barilla n'ait pas répondu à l'invitation de la société Pain Jacquet de faire procéder à des expertises ou de s'adresser à l'administration qui, au demeurant, n'a pas le pouvoir de dire le droit entre des parties en litige, ne peut être constitutif à lui seul d'une faute, chaque partie ayant un droit légitime à agir en justice dès lors qu'elle estime que ses droits ne sont pas respectés. Dans ces circonstances, il n'est pas établi que la société Barilla aurait exercé de manière fautive son droit d'agir. Par ailleurs, et en tout état de cause, la société Pain Jacquet n'apporte aucun élément permettant de constater qu'elle aurait subi un quelconque préjudice du fait de l'action engagée qui ne serait pas réparé au titre des frais irrépétibles, sa demande de dommages-intérêts ne peut qu'être rejetée.
Le jugement sera donc réformé sur ce point.
Par ailleurs et pour les mêmes raisons, l'appel interjeté par la société Barilla n'a pas été diligenté de façon abusive ni malveillante et la demande de dommages-intérêts formée sur ce point ne peut être accueillie.
Plus encore, une condamnation de la société Barilla au paiement d'une amende civile n'est pas justifiée.
Sur les frais irrépétibles
Compte tenu de l'ensemble de ce qui précède, il n'apparaît pas équitable de laisser à la charge de la société Pain Jacquet l'intégralité des sommes exposées pour faire valoir ses droits et la société Barilla sera condamnée à lui verser la somme de 50 000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement rendu entre les parties par le Tribunal de commerce de Paris, le 5 octobre 2010, sauf en ce qu'il a condamné la société Barilla Harry's France à verser à la société Pain Jacquet la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive, Statuant à nouveau de ce chef, Rejette la demande de la société Pain Jacquet au titre de la procédure abusive tant en première instance qu'en cause d'appel ; Dit n'y avoir leu à prononcer une mesure d'amende civile à l'encontre de la société Barilla France Rejette toutes les autres demandes plus amples des parties Condamne la société Barilla France à payer à la société Pain Jacquet la somme de 50 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la société Barilla France aux dépens d'appel, qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.