Cass. com., 16 avril 2013, n° 12-12.900
COUR DE CASSATION
Arrêt
Rejet
PARTIES
Demandeur :
E-Kanopi (SARL)
Défendeur :
Google Ireland Ltd (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Espel
Rapporteur :
Mme Mouillard
Avocat général :
Mme Batut
Avocats :
SCP Defrénois, Lévis, Me Spinosi
LA COUR : - Sur le moyen unique : - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 16 novembre 2011), que la société Google Inc., éditeur du site "www.google.fr", propose aux internautes un service de moteur de recherche qui permet de classer les pages web selon leur degré de pertinence pour l'utilisateur ; que sa filiale, la société Google Ireland Ltd (la société Google) exploite un service de publicité dénommé AdWords qui permet d'afficher des annonces sur le site du moteur de recherche en fonction de mots clés tapés par l'internaute, les annonces sélectionnées s'affichant sous forme de lien promotionnel vers le site de l'annonceur dans la rubrique "liens commerciaux" ; que cette société dispose d'une autre offre commerciale, dénommée AdSense, par laquelle elle rémunère les éditeurs de site qui acceptent la diffusion sur leur propre site des annonces AdWords, le service explorant le contenu des pages du site du cocontractant et proposant ensuite des annonces qui correspondent au public, au contenu du site ou à la recherche faite par l'utilisateur sur le site ; que la société E-Kanopi exploite plusieurs sites dont "météofrance.com", "téléannuaire.fr", "francesociété.com", "prévoirretraite.com" pour la promotion desquels elle a souscrit, le 26 janvier 2010, un compte AdWords ; qu'elle édite également les sites "iadah.com" et "iadah. net" pour lesquels elle a ouvert, le 15 janvier 2007, un compte AdSense ; qu'en mai 2010, la société Google a suspendu ces deux comptes pour non-respect de ses conditions générales ; que la société E-Kanopi a obtenu en référé le rétablissement des comptes, lequel est intervenu en août et en septembre 2010 ; qu'estimant ces suspensions illicites, elle a fait assigner la société Google en indemnisation du préjudice qu'elle prétendait avoir subi, demandant en outre la restitution des sommes facturées pour le mois de juin 2010 ;
Attendu la société E-Kanopi fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'indemnisation du préjudice causé par la perte de marge nette sur les ventes encaissées pendant la période de suspension des comptes postérieure à la période de préavis de huit jours indemnisée au titre de la rupture brutale des contrats AdWords et AdSense, et de rejeter sa demande de remboursement des investissements réalisés au titre des dépenses AdWords ainsi que sa demande d'annulation de la créance AdWords relative au mois de juin 2010, alors, selon le moyen : 1°) que l'exploitation abusive, par une entreprise, d'une position dominante, peut notamment consister en la rupture brutale et sans motifs d'une relation commerciale établie ; qu'en jugeant que l'abus de position dominante de la société Google n'était pas caractérisé après avoir constaté que celle-ci avait décidé unilatéralement, de manière brutale et sans motif légitime de désactiver les comptes Adwords et AdSense de la société E-Kanopi, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et ainsi violé l'article L. 420-2 du Code de commerce ; 2°) qu'au titre de l'abus de position dominante tiré de ce que la société Google avait procédé à des coupures intempestives, sans motif et à répétition, la société E-Kanopi faisait valoir dans ses écritures d'appel que les coupures des 13 et 14 mai 2010 étaient abusives comme étant intervenues sans préavis et sans justification objective ; qu'en jugeant, pour écarter l'abus de position dominante, que l'argumentation tirée de coupures sans motifs et à répétition était dénuée de portée dès lors que les agissements dénoncés par la société E-Kanopi à ce titre étaient postérieurs aux interruptions litigieuses, la cour d'appel a dénaturé les écritures d'appel de la société E-Kanopi et ainsi violé l'article 4 du Code de procédure civile ; 3°) que l'exploitation abusive, par une entreprise, d'une position dominante, peut notamment consister en un manquement à son obligation de mettre en œuvre sa politique commerciale dans des conditions objectives et transparentes, notamment en informant clairement ses partenaires des règles applicables et de leur contenu ; qu'après avoir constaté que les manquements contractuels invoqués par la société Google pour justifier la suspension des comptes de la société E-Kanopi n'étaient pas caractérisés, la cour d'appel a retenu que la société Google pouvait définir des règles évolutives sans commettre d'abus, la circonstance qu'elle n'ait pu justifier que la société E-Kanopi avait eu connaissance de ces règles n'étant pas suffisante à en démontrer le caractère flou ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé l'article L. 420-2 du Code de commerce ; 4°) qu'elle faisait valoir dans ses écritures d'appel que de nombreux sites, dont Increditmail et Gmail, proposant des prestations identiques à celles offertes par les siens (installation d'une barre de recherche, d'un moteur de recherche ou modification de la page d'accueil), bénéficiaient des services AdSense et Adwords ; qu'en énonçant que la société E-Kanopi n'avait ni démontré ni allégué que les sites Increditmail, Gmail, C-Cleaner, étaient en situation de concurrence avec ceux exploités par E-Kanopi, en sorte que la société E-Kanopi n'établissait pas l'effet anti-concurrentiel à son encontre des agissements discriminatoires allégués, la cour d'appel a méconnu l'objet du litige et ainsi violé l'article 4 du Code de procédure civile ; 5°) qu'elle faisait valoir que le comportement de la société Google à son encontre était discriminatoire dès lors qu'après la suspension des comptes de la société E-Kanopi, les contrats de sites concurrents, organisés à l'identique, avaient été maintenus ; qu'en écartant tout agissement discriminatoire de la société Google au motif que les constats d'huissier produits par la société E-Kanopi étaient postérieurs à la suspension de ses comptes, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants et ainsi privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 420-2 du Code de commerce ; 6°) que l'exploitation abusive, par une entreprise, d'une position dominante, peut notamment consister en la captation à son profit de la clientèle d'un concurrent ; que pour écarter l'abus de position dominante résultant de la captation de clientèle opérée par la société Google au détriment de la société E-Kanopi, la cour d'appel a retenu que ce grief était sans portée dès lors que la captation de clientèle alléguée serait postérieure à l'interruption des comptes de la société E-Kanopi ; qu'en statuant par ce motif inopérant sans rechercher si, comme le faisait valoir la société E-Kanopi, les interruptions litigieuses décidées unilatéralement par la société Google s'étaient accompagnées d'une captation de clientèle caractérisant l'abus de position dominante, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 420-2 du Code de commerce ;
Mais attendu que, s'il résulte des dispositions combinées des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce qu'est prohibée l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises d'une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle de celui-ci, c'est à la condition que la pratique dénoncée ait pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché ; que la société E-Kanopi n'ayant nullement prétendu que l'abus allégué pouvait avoir cet objet ou cet effet sur un marché au demeurant non défini, la cour d'appel ne peut se voir reprocher de n'avoir pas retenu l'abus de position dominante invoqué ; que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;
Par ces motifs : Rejette le pourvoi.