Cass. crim., 13 mars 2013, n° 12-81.162
COUR DE CASSATION
Arrêt
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Louvel
Rapporteur :
M. Soulard
Avocat général :
M. Gauthier
Avocats :
SCP Célice, Blancpain, Soltner, SCP Baraduc, Duhamel
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par la société X, contre l'ordonnance du premier président de la Cour d'appel de Grenoble, en date du 11 janvier 2012, qui a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention autorisant le rapporteur général de l'autorité de la concurrence à effectuer des opérations de visite et saisie de documents en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles ; - Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 420-1, L. 450-4 du Code de commerce, 101-1 du TFUE, de l'article 1er I du Code des marchés publics, du principe constitutionnel de la liberté d'entreprendre (art. 7 du décret Allarde), 6 et 8 de la Déclaration européenne des Droits de l'Homme, 593 du Code de procédure pénale, contradiction et défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'ordonnance attaquée a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du 15 avril 2011 autorisant une visite domiciliaire dans les locaux de la société X dont les locaux sont situés à Saint-Fons ;
"aux motifs que le juge des libertés et de la détention doit vérifier que la demande est fondée que la demande doit comporter tous les éléments d'information de nature à justifier la visite ; que l'Autorité de la concurrence a annexé à la requête transmise au juge des libertés et de la détention, 17 pièces, qu'elle a notamment communiqué : l'étude du 25 mars 2010 du conseil général de l'Isère sur la concurrence dans les marchés de transport public, le document de présentation du 1er juin 2010, les courriers du président du conseil général des 11 et 18 janvier 2010, le procès-verbal d'enregistrement des candidatures et des offres lors de la commission d'appel d'offres du 16 décembre 2009 (annexe 8), le rapport de la commission (annexe 9), le courrier du cabinet d'avocats du 5 octobre 2010 (annexe 11), le rapport de la commission d'appel d'offres du 30 juin 2010 (annexe 12), le courrier de l'entreprise Y du 29 janvier 2010 (annexe 14), les extraits du site Internet du réseau " Z " (annexe 15), le courrier de la société A du 1er avril 2010 (annexe 16) ; qu'il n'est pas contesté que les pièces présentées à l'appui de la requête ont une origine apparemment licite, qu'elles émanent du plaignant, en l'espèce le conseil général de l'Isère, ainsi que de sites Internet accessibles au public ; que le juge s'est référé aux documents transmis par l'Autorité de la concurrence, qu'il a détaillé le contenu des annexes, par exemple, les documents concernant l'organisation du service public de transport de personnes dans le département de l'Isère, les moyens matériels et financiers consacrés au réseau " B ", les recherches pour diminuer les coûts, les efforts pour stimuler la concurrence entre les transporteurs contenus dans (annexe 6), l'avis d'appel, d'offres, le tableau des réponses faisant apparaître les entreprises soumissionnaires et les offres concurrentes (lorsqu'il y en a), les prix proposés et les dépassements par rapport aux estimations administratives, le résultat de la commission d'appel d'offres, le résultat de la seconde procédure négociée ; que le juge a procédé à l'analyse de l'ensemble des documents transmis ; que le juge a relevé qu'au vu des éléments communiqués, " il peut être constaté une situation de concurrence déficiente lors de ces consultations marquées à la fois, par des présomptions d'échanges d'informations entre soumissionnaires pour favoriser l'un d'eux sur les différents lots en limitant le nombre de soumission et/ou les possibilités de négociation, et par la possibilité d'envisager l'hypothèse d'un rééquilibrage des attributions entre eux sur d'autres marchés du secteur du transport routier de personnes dans la région Rhône-Alpes, notamment dans le département de l'Isère ; que le juge a procédé à l'analyse des offres ; qu'il a relevé par exemple, - que le conseil général, " tirant les leçons de l'échec d'une première consultation... n'a pas hésité à relancer la procédure afin d'attirer de nouvelles entreprises ou de nouvelles offres " ; que l'estimation administrative pour 7 lots était supérieure à 3 millions d'euros ; que pour les lots les plus intéressants financièrement, une entreprise, titulaire sortante sur 2 lots, et seule soumissionnaire, a fait une offre sur chacun des lots supérieure de 71 % et de 139 % à l'estimation administrative ; - que pour le lot n° 2, une autre entreprise, titulaire sortante et seule soumissionnaire, a proposé une offre supérieure de 48 % à l'estimation administrative ; qu'il en était de même pour les lots 3, 4, 7 pour lesquels les offres étaient supérieures de 40 %, 22 % et 20 % ; qu'une autre entreprise a été la seule à proposer une offre pour les lots 8, 11, 12, 13 ; que pour le lot 13, l'offre a été supérieure de 18 % à l'estimation administrative ; que le juge a considéré que les agissements présumés ont eu des effets négatifs sur les prix de certains lots ; qu'il a noté que ces prix sont supérieurs aux estimations administratives des services du département alors que celles-ci, fixées en baisse par rapport aux prix des marchés précédents, n'étaient pas irréalistes d'un point de vue économique puisque les entreprises qui ont emporté les lots ont fini par faire des propositions proches de ces estimations ; qu'il a relevé que les documents transmis par le département à la commission d'appel d'offres que certains candidats (5 entreprises) ne parvenaient pas à justifier, ou justifiaient de manière ambiguë, ou refusaient de justifier certains coûts comme le montant des prix, la valeur des véhicules, l'ampleur des frais d'entretien et de structure, les coûts induits par la qualification des heures de travail des conducteurs (annexe 12) ; que le juge a ajouté que ces attitudes pourraient indiquer que les prix proposés ne sont pas orientés en fonction des coûts réellement supportés et se situeraient à des niveaux supra compétitifs consécutifs à une pratique anticoncurrentielle ; que les documents produits mettent en exergue l'absence totale de concurrence par les prix, et que les indices présentés aboutissent à une présomption paraissant conforter l'hypothèse d'une entente pour annihiler toute velléité de concurrence ; que s'agissant de la pratique prohibée de répartition des marchés, le juge a estimé que le conseil général de l'Isère n'avait pu disposer d'offres concurrentes que pour 5 lots alors que les lots à attribuer étaient au nombre de 16 ; que sur la totalité des lots, les entreprises titulaires ont toutes remis une offre sur les lots qu'elles détenaient, qu'elles ont été les seules à remettre une offre sur 11 lots ; qu'elles n'ont subi une concurrence que sur 5 lors ; qu'en outre, les rares offres concurrentes présentées par les titulaires d'autres lots (C, D, X), en raison de l'écart de prix significatif avec les offres des sortants, pourraient n'être que des " offres de couverture " destinées à tromper le conseil général sur l'existence d'une concurrence, notamment pour les lots n° 4, 5, 10 ; que pour le lot n° 9, le nouveau concurrent non sortant (E) se met dans l'impossibilité d'inquiéter le sortant avec une offre supérieure de 17 % à l'estimation administrative ; que le juge a en outre mentionné qu'un groupement d'entreprises de transport s'est constitué pour présenter une offre sur le lot n° 4, alors que l'entreprise C disposait d'une envergure suffisante pour se porter seule candidate et aurait pu présenter une offre beaucoup plus attractive pour le conseil général ; que la constitution de ce groupement ne paraît pas justifiée par des considérations techniques ou économiques et pourrait conduire à assécher la concurrence ; que le premier juge a justement considéré que les agissements des différentes entreprises paraissent coordonnées, comportements qui laissent présumer l'existence de pratiques concertées au sens de l'article L. 420-1 du Code de commerce ; qu'il convient de rappeler que selon l'article L. 450-4, alinéa 2, dudit Code, " la demande d'autorisation peut ne comporter que les indices permettant de présumer... l'existence des pratiques dont la preuve est recherchée " ; que le grief d'absence de présomptions suffisantes n'est pas fondé " ;
"1) alors qu'en affirmant que le juge des libertés et de la détention s'était livré à un contrôle effectif d'autorisation en se référant à une " analyse détaillée " du milieu de la page 3 jusqu'au début de la page 71 du contenu des annexes transmises par l'Autorité de la concurrence, sans relever que ces passages de l'ordonnance du 15 avril 2011 étaient la copie servile des termes de la requête du 13 avril de l'Autorité de la concurrence, le juge d'appel n'a pas procédé à un contrôle concret de l'autorisation et a lui-même méconnu son office en violation de l'article L. 450-4 du Code de commerce ;
"2) alors que de même en affirmant que le juge des libertés et de la détention aurait procédé à une analyse des offres, en citant "par exemple" les motifs de l'ordonnance du 15 avril 2011 figurant à la page 8 et à la page 9 qui sont de simples extraits issus directement de la requête, le premier président n'a nullement caractérisé une vérification des données invoquées par l'Autorité de la concurrence et a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 450-4 du Code de commerce ;
"3) alors que la notion même de concurrence implique pour l'entrepreneur une liberté absolue de faire le choix de ses investissements et exclut toute contrainte d'avoir à soumissionner sur des marchés, fussent-ils proposés par une collectivité locale, qui ne laissent pas envisager une perspective normale de rentabilité, de sorte qu'en tenant pour valable un " indice " d'entente déduit du fait que, sur les 16 lots réorganisés par le Conseil général, 5 seulement aient donné lieu à une pluralité d'offres, le premier président de la Cour de Grenoble a méconnu ensemble les principes de la libre concurrence, de la liberté du commerce et de l'industrie et violé par fausse application les articles 101-1 du Traité et L. 420-1 du Code de commerce et 1 du Code des marchés publics ;
"4) alors que l'étude établie le 25 mars par le conseil général, telle qu'elle est visée par l'ordonnance attaquée fait ressortir que les estimations administratives correspondaient à une recherche de réduction massive du coût annuel des marchés de transport venant à expiration, lesquels devaient passer de 11 589 millions à 8 876 millions d'euros, soit une baisse de plus de 23 % par rapport aux anciens marchés ; qu'en s'abstenant de s'expliquer sur le caractère anormal de la demande ainsi présentée par le conseil général et en retenant comme un indice valable de " concurrence déficiente " la "rareté des soumissions" et la reprise de plusieurs marchés par le titulaire sortant, dans le cadre d'un second appel d'offre ou de négociations directes, le premier président a entaché sa décision d'une insuffisance de motifs caractérisée ;
"5) alors que la société X avait fait valoir que la hausse moyenne des offres de 41 % par rapport aux estimations administratives devait être considérablement " relativisée " en tenant compte de la " baisse drastique " recherchée par le conseil général et de l'augmentation des dépenses de fonctionnement depuis les marchés précédents, de sorte que la hausse des offres se chiffrait en moyenne à 8 % et à 12 % pour les marchés obtenus par X, ce qui était normal en raison de l'augmentation des dépenses de fonctionnement intervenues depuis les marchés précédents ; qu'en délaissant ce chef péremptoire des conclusions d'appel, le premier président a de plus fort violé les textes susvisés ;
"6) alors que méconnaît la présomption due à chacune des personnes visitées et viole l'article L. 450-4, alinéa 2, le premier président qui décide globalement que le comportement des entreprises " laisse présumer l'existence de pratiques concertées " en se fondant sur un faisceau de prétendus indices sans trancher préalablement les contestations selon lesquelles la société X n'était impliquée dans aucun des " indices " concernant soit le refus de justification des prix proposés, soit la constitution d'un groupement avec d'autres entreprises de transport, soit l'appartenance au réseau Z qui auraient servi à échanger des informations entre certaines entreprises ;
"7) alors que l'entente suppose nécessairement un accord de volontés entre les entreprises concernées et qu'en retenant des "présomptions d'échanges d'informations entre soumissionnaires" sans rechercher, comme il y était invité, s'il existait à l'encontre de X un fait quelconque de nature à accréditer une éventuelle concertation, voire une coordination par un simple échange d'informations, entre les entreprises, le premier président a, de plus fort, privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés" ;
Attendu que, d'une part, les motifs de l'ordonnance sont réputés avoir été établis par le juge qui l'a rendue et signée ;
Attendu que, d'autre part, les énonciations de l'ordonnance attaquée mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que le premier président de la cour d'appel a, sans insuffisance ni contradiction, répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont il était saisi et caractérisé, s'étant référé, en les analysant, aux éléments d'information fournis par l'Administration, l'existence de présomptions de pratiques anticoncurrentielles justifiant la mesure autorisée ; d'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;
Et attendu que l'ordonnance est régulière en la forme ;
Rejette le pourvoi.