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Décisions

Cass. crim., 13 mars 2013, n° 12-81.161

COUR DE CASSATION

Arrêt

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Louvel

Rapporteur :

M. Soulard

Avocat général :

M. Gauthier

Avocats :

SCP Célice, Blancpain, Soltner, SCP Baraduc, Duhamel

Grenoble, prés., du 11 janv. 2012

11 janvier 2012

LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par la société X, contre l'ordonnance du premier président de la Cour d'appel de Grenoble, en date du 11 janvier 2012, qui a prononcé sur la régularité des opérations de visite et saisie effectuées par le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles ; - Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles L. 450-4 du Code de commerce, 6 § 1 de la Convention européenne des Droits de l'Homme, 593 du Code de procédure pénale, contradiction et insuffisance de motifs, défaut de base légale ;

"en ce que le premier président de la Cour de Grenoble a rejeté le recours de la société X et a déclaré régulières les opérations de visite et saisie menées dans les locaux de ladite société ;

"aux motifs que, par ordonnance du 15 avril 2011, le juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Grenoble a autorisé l'Autorité de la concurrence à faire procéder à des visites et saisies notamment dans les locaux de la société X situés à Saint-Fons ; que le juge a donné commission rogatoire au juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Lyon afin de désigner les chefs de service de police ou de gendarmerie territorialement compétents pour nommer les officiers de police judiciaire qui assisteront aux opérations de visite et de saisie ; que le juge des libertés et de la détention de Lyon a effectué cette désignation par ordonnance du 19 avril 2011 ; que les opérations de visites et saisies ont été effectuées le 28 avril 2011 ; que le 9 mai 2011 la société X a interjeté appel de l'ordonnance du juge des libertés et de la détention de Grenoble du 15 avril et a formé recours contre le déroulement des opérations de visite et saisie ; que les affaires enrôlées sous les n° 11-02305 et 11-02306 ont été fixées à la même date pour y être plaidées ; qu'elles ont été mises en délibéré à la même date ; que s'agissant de recours à l'encontre de l'ordonnance d'autorisation et des mesures subséquentes, le sursis à statuer ne s'impose pas ; que l'ordonnance rendue par le juge des libertés et de la détention de Grenoble le 15 avril 2011 a été confirmée par ordonnance de ce jour ; que la société X soutient que l'Autorité de la concurrence a failli à son obligation de loyauté dans la recherche des preuves ; que selon l'article L. 450-4, alinéa 5, du Code de commerce, l'ordonnance du juge des libertés et de la détention doit être notifiée verbalement et sur place au moment de la visite à l'occupant des lieux ou à son représentant ; que l'ordonnance doit comporter la mention de la faculté pour l'occupant des lieux ou son représentant de faire appel à un conseil de son choix ; que l'ordonnance critiquée mentionne dans son dispositif, que les occupants des lieux ou leurs représentants peuvent faire appel à un conseil de leur choix ; qu'il résulte du procès-verbal dressé le 28 avril 2011 à 9 h 30 que l'ordonnance du juge des libertés et de la détention de Grenoble et celle du juge des libertés et de la détention de Lyon ont été notifiées à M. Y, responsable de l'établissement de Saint-Fons ; que le même jour, de 10 h à 14 h 15, les rapporteurs des services d'instruction de l'Autorité de la concurrence ont procédé, en présence constante de M. Y, à la visite des locaux situés <adresse 1>, où des documents ont été saisis, puis de ceux situés <adresse 2>, où aucun document n'a été saisi ; que M. Y, avant la clôture du procès-verbal de visite et saisie, a demandé que soit précisé " que la procédure... s'est déroulée sans que l'on ne [lui] laisse la liberté de prévenir immédiatement [sa] hiérarchie régionale du déroulement de celle-ci " ; que la recherche des preuves de pratiques anticoncurrentielles impose que les investigations, pour être efficaces, soient menées de façon confidentielle, ce qui ne serait pas le cas si dès l'intervention des agents de l'Autorité de la concurrence, M. Y avait informé sa hiérarchie régionale ; qu'il ne ressort pas des observations de M. Y qu'il ait été privé, une fois les ordonnances notifiées, de la possibilité de joindre téléphoniquement sa hiérarchie régionale pendant tout le cours des opérations qui se sont terminées à 14 h 15 ; qu'en outre, il n'est pas établi que M. Y ait souhaité user de la possibilité de faire appel à un conseil ; que la société X ne démontre pas que les agents de l'Autorité de la concurrence ont exercé des contraintes sur le représentant de la société pour l'empêcher de téléphoner ; que la société X ne peut se prévaloir de règles internes - dont elle ne justifie pas - pour prétendre que l'Autorité de la concurrence aurait méconnu le principe de loyauté dans la recherche de preuves ; que la société X, pour solliciter l'annulation de la saisie des pièces du scellé n° 1 et du scellé n° 2, et la restitution de ces pièces, soutient qu'elles concernent les appels d'offres lancés par le conseil général de l'Isère le 4 août 2010 ou le 21 janvier 2011 pour les lots n'ayant pas été attribués dans le cadre des deux précédents appels d'offres ; qu'il y a lieu de rechercher si les pièces saisies dont la restitution est demandée concernaient, même partiellement, les pratiques anticoncurrentielles présumées ; que l'Autorité de la concurrence a été saisie par le conseil général de l'Isère le 1er avril 2010 de pratiques anticoncurrentielles mises en œuvre dans le cadre d'un appel public à la concurrence pour le renouvellement d'un marché de services publics réguliers non-urbains de transport de voyageurs divisé en 16 lots ; que cette saisine a été complétée par lettre du 5 octobre 2010 ; que le 4 novembre 2009, le conseil général a publié un avis d'appel public à la concurrence ; que le 29 décembre 2009, il a fait paraître un nouvel appel public portant sur les lots infructueux sous la forme d'une procédure négociée ; que la phase de négociation a pu aboutir à une solution acceptable pour les lots n° 7, 8, 10, 11, 12 et 13 ; que le conseil général a dû déclarer la procédure concernant 6 lots sans suite ; que pour les lots n'ayant pas été attribués dans le cadre de ces ceux appels d'offre, le conseil général a lancé deux nouveaux appels d'offre le 4 août 2010 et le 21 janvier 2011 concernant ce marché de transport public de voyageurs ; qu'en raison des liens existants entre ces quatre appels d'offres, les deux derniers étant la conséquence de la non-attribution de lots, les enquêteurs de l'Autorité de la concurrence pouvaient saisir les pièces dont la restitution est demandée ; que les opérations de visite seront déclarées régulières ; que les demandes formées par la société X seront rejetées ;

"1) alors que la possibilité d'avoir un contact avec l'extérieur, notamment pour le choix d'un avocat, fait partie des garanties fondamentales du justiciable dès que commence une visite domiciliaire qui correspond au début de la procédure d'enquête ; qu'en l'espèce l'occupant des lieux a fait inscrire dans le procès-verbal qu'il avait été privé de la liberté de prévenir sa hiérarchie, ce que confirme le premier président de la cour d'appel en énonçant que cette solution aurait été nécessaire pour assurer " l'efficacité " des investigations ; que dès lors viole ensemble l'article 450-4, alinéa 12, du Code de commerce et 6 § 1 de la Convention européenne des Droits de l'Homme le juge qui - instituant un partage de la liberté susvisée - refuse de censurer le déroulement de la visite domiciliaire au motif qu'il ne serait pas prouvé que la contrainte exercée par les enquêteurs ait duré "pendant tout le cours des opérations qui se sont terminées à 14 h 15" ;

"2) alors que viole l'article 593 du Code de procédure pénale le premier président qui laisse dépourvu de réponse le chef péremptoire des conclusions de la société exposante faisant valoir que, si les enquêteurs avaient correctement appliqué l'ordonnance d'autorisation qui prévoyait une " visite simultanée " de tous les locaux où les investigations avaient été autorisées, de façon à éviter la disparition ou la dissimulation d'éléments matériels, ils n'auraient eu nul besoin, pour garantir l'efficacité des opérations, d'interdire à M. Y d'informer téléphoniquement sa hiérarchie au début de la visite des locaux situés <adresse> à Saint-Fons ;

"3) alors que si l'Autorité de la concurrence est effectivement saisie " in rem ", le champ de l'autorisation nécessaire pour effectuer des visites domiciliaires relève de la compétence exclusive du juge qui délivre l'autorisation exigée par l'article L. 450-4 du Code de commerce ; que celle-ci ayant été octroyée le 15 avril 2011 à la vue de documents et d'informations concernant des irrégularités prétendument commises dans le cadre des premiers appels d'offres ne pouvait couvrir les appels d'offres ultérieurs, ainsi que le faisait valoir la société X ; qu'en validant cependant, au prétexte d'un " lien entre les quatre appels d'offres " la saisie de pièces énumérées dans les conclusions de l'exposante qui étaient étrangères aux présomptions visées dans l'ordonnance d'autorisation du juge des libertés et de la détention, le premier président a révisé le sens et la portée de cet acte judiciaire, excédant ainsi ses pouvoirs limités lorsqu'il statue dans le cadre de l'article L. 450-4, alinéa 12 ;

"4) alors que l'appréciation portée sur la régularité d'une mesure d'exécution n'est pas indépendante de l'interprétation de la décision qui a autorisé ladite mesure ; qu'en confiant à la même juridiction le soin de se prononcer sur l'ordonnance qui a autorisé la visite ainsi que sur les actes accomplis par les enquêteurs en exécution de cette ordonnance, l'article L. 450-4, dans ses alinéas 6 et 12, laisse supposer que cette juridiction est habitée par un préjugé lorsqu'elle doit se prononcer sur la conformité des mesures d'exécution avec l'autorisation délivrée ; que le texte susvisé ne correspond donc pas à la condition d'impartialité requise par l'article 6 § 1 de la Convention européenne des Droits de l'Homme ; qu'en rejetant la demande de sursis à statuer et en se référant directement à la confirmation de l'ordonnance d'autorisation redue par lui-même le même jour pour se prononcer sur la validité et l'étendue des saisies opérées en exécution de cette autorisation, le premier président a violé le texte susvisé" ;

Sur le moyen, pris en sa quatrième branche : - Attendu qu'en prévoyant que le recours intenté contre les opérations de visite est porté devant le même juge que l'appel contre l'ordonnance autorisant la visite, l'article L. 450-4 du Code de commerce ne porte pas atteinte au principe du procès équitable ; d'où il suit que le grief doit être écarté ;

Sur le moyen pris en ses trois premières branches : - Attendu que, le 28 avril 2011, les enquêteurs de l'Autorité de la concurrence, agissant en vertu d'une ordonnance du juge des libertés et de la détention du Tribunal de grande instance de Grenoble, en date du 15 avril 2011, ont effectué des opérations de visite et de saisie dans les locaux de la société X, à Saint-Fons et à Caluire, en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles ;

Attendu que, pour rejeter le recours de la société X tendant à obtenir l'annulation de ces opérations, l'ordonnance attaquée prononce par les motifs repris au moyen ;

Attendu qu'en l'état de ces énonciations, exemptes d'insuffisance comme de contradiction, le juge a justifié sa décision sans méconnaître les dispositions conventionnelles invoquées ; d'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l'ordonnance est régulière en la forme ;

Rejette le pourvoi.