Livv
Décisions

Cass. com., 10 mai 2011, n° 10-14.881

COUR DE CASSATION

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Expedia Inc. (Sté)

Défendeur :

Autorité de la concurrence, Ministre de l'Economie, de l'Industrie et de l'Emploi, SNCF (Sté), Voyages-SNCF.com (Sté), Agence Voyages-SNCF.com (Sté), VFE Commerce (Sté), IDTGV (SAS)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Favre

Rapporteur :

Mme Michel-Amsellem

Avocat général :

M. Mollard

Avocats :

SCP Piwnica, Molinié, SCP Baraduc, Duhamel, SCP Hémery, Thomas-Raquin

Cass. com. n° 10-14.881

10 mai 2011

LA COUR : - Sur le troisième moyen, pris en sa troisième branche : - Vu les articles 19, paragraphe 3, sous b, du traité sur l'Union européenne et 267 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ; - Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 23 février 2010), que dans le dessein de développer la vente de billets et de voyages sur Internet, la Société nationale des chemins de fer (la SNCF) a conclu, en septembre 2001, plusieurs accords avec la société de droit américain Expedia Inc. (la société Expédia), spécialisée dans la vente de voyages sur Internet, et créé avec elle une filiale commune dénommée la société GL Expedia ; que le site Internet Voyages-SNCF.com, jusqu'alors dédié à l'information, la réservation et la vente de billets de train sur Internet, a hébergé l'activité de la société GL Expedia et s'est transformé pour offrir, outre ses prestations initiales, une activité d'agence de voyage en ligne ; qu'en 2004, la filiale commune a changé de dénomination devenant l'Agence de voyages SNCF.com (l'Agence VSC) ; qu'à la suite d'une plainte de sociétés concurrentes, le Conseil de la concurrence (le Conseil), devenu l'Autorité de la concurrence (l'Autorité), a décidé, notamment, que la SNCF et la société Expedia avaient mis en œuvre des pratiques d'entente prohibées par les articles L. 420-1 du Code de commerce et 81 CE (devenu 101 du TFUE) et leur a infligé des sanctions pécuniaires ;

Attendu que l'article 3-2 du règlement n° 1-2003 énonce que l'application du droit national de la concurrence ne peut pas entraîner l'interdiction d'ententes susceptibles d'affecter le commerce entre États membres mais qui n'ont pas pour effet de restreindre la concurrence au sens de l'article 81 du traité (devenu 101 du TFUE) ou qui satisfont aux conditions d'une exemption ;

Attendu que l'article L. 420-1 du Code de commerce prohibe, en droit français, lorsqu'elles ont pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou coalitions lorsqu'elles tendent à : 1° Limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la concurrence par d'autres entreprises ; 2° Faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ; 3° Limiter ou contrôler la production, les débouchés, les investissements ou le progrès technique ; 4° Répartir les marchés ou les sources d'approvisionnement ;

Attendu que l'article L. 464-6-1 du même Code, reprenant les dispositions de la communication du 22 décembre 2001 de la Commission européenne concernant les accords d'importance mineure qui ne restreignent pas sensiblement le jeu de la concurrence au sens de l'article 81 § 1, du traité instituant la Communauté européenne (de minimis) (JOCE C 368-13), dispose que l'Autorité de la concurrence peut décider qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la procédure lorsque les pratiques mentionnées à l'article L. 420-1 ne visent pas des contrats passés en application du Code des marchés publics et que la part de marché cumulée détenue par les entreprises ou organismes parties à l'accord ou à la pratique en cause ne dépasse pas, soit 10 % sur l'un des marchés affectés par l'accord ou la pratique lorsqu'il s'agit d'un accord ou d'une pratique entre des entreprises ou organismes qui sont des concurrents, existants ou potentiels, sur l'un des marchés en cause, soit 15 % sur l'un des marchés affectés par l'accord ou la pratique lorsqu'il s'agit d'un accord ou d'une pratique entre des entreprises ou organismes qui ne sont pas concurrents existants ou potentiels sur l'un des marchés en cause ;

Attendu que pour rejeter le moyen par lequel la société Expedia soutenait que ces dernières dispositions, ainsi que celles de la communication de minimis devaient être appliquées, le Conseil a relevé que les sociétés Expédia et SNCF étaient concurrentes sur le marché affecté des services en ligne d'agences de voyages de loisirs, qu'elles détenaient plus de 10 % des parts de ce marché et que les dispositions ainsi invoquées ne trouvaient pas à s'appliquer ;

Attendu que la société Expedia a, devant la cour d'appel, reproché au Conseil d'avoir écarté le caractère minime de la pratique d'entente alléguée en surestimant les parts de marché de L'Agence VSC sur le marché affecté ; que la cour d'appel n'a pas répondu directement à ce moyen mais énoncé, d'une part, qu'en tout état de cause, le Conseil a, au regard du libellé de l'article L. 464-6-1 du Code de commerce, la possibilité de poursuivre les pratiques mises en œuvre par des entreprises dont les parts de marché se trouvent en deçà des seuils fixés par ce texte et par la communication de minimis, d'autre part, que l'article 3.2 du Règlement 1-2003 n'interdit pas aux Autorités nationales de la concurrence de poursuivre des pratiques ayant pour objet ou pour effet de restreindre la concurrence au sens de l'article 81 § 1 du Traité et de l'article L. 420-1 du Code de commerce, quand bien même les entreprises auteurs de ces pratiques rempliraient les critères susceptibles d'autoriser une exemption de poursuite ;

Attendu que la société Expédia critique cette motivation en faisant valoir, notamment, qu'il résulte de l'article 3.2 du Règlement 1-2003 que l'application du droit national de la concurrence ne peut pas entraîner l'interdiction d'ententes susceptibles d'affecter le commerce entre Etats membres mais qui n'ont pas pour effet de restreindre la concurrence au sens de l'article 101 § 1 du traité ou qui satisfont aux conditions d'une exemption, et qu'en décidant qu'une Autorité nationale de concurrence pouvait librement décider de sanctionner une entente sur le double fondement du droit français et du droit communautaire, sans tenir compte des seuils de sensibilité existants en droit européen, ou encore lorsque les conditions d'une exemption sont réunies, la cour d'appel a violé les articles 101 du TFUE, 3-2 du règlement communautaire n° 1-2003, L. 420-1 et L. 464-4-6-1 du Code de commerce ;

Attendu que la communication de la Commission européenne du 22 décembre 2001, dite de minimis rappelle au point 1er que l'article 81 § 1, du traité interdit les accords entre entreprises qui sont susceptibles d'affecter le commerce entre États membres et qui ont pour objet ou pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence à l'intérieur du marché commun et que "la Cour de justice des Communautés européennes a établi que cette disposition n'était pas applicable aussi longtemps que l'incidence de l'accord sur les échanges intracommunautaires ou sur la concurrence n'était pas sensible" ; que quantifiant, au moyen de seuils de parts de marché, ce qui ne constitue pas une restriction sensible de la concurrence au sens de l'article 81 § 1, la Commission énonce, au point 4, qu'elle "n'engagera pas de procédure sur demande ou d'office dans les cas qui sont couverts par la présente communication" et que "lorsque des entreprises estiment de bonne foi qu'un accord est couvert par la présente communication, la Commission n'infligera pas d'amende" ; qu'elle énonce au point 7 pour l'application de ce principe, qu'elle considère que les accords entre entreprises qui affectent le commerce entre États membres ne restreignent pas sensiblement la concurrence au sens de l'article 81 § 1, du traité, si la part de marché cumulée détenue par les parties à l'accord ne dépasse 10 % sur aucun des marchés en cause affectés par ledit accord, lorsque l'accord est passé entre des entreprises qui sont des concurrents existants ou potentiels sur l'un quelconque de ces marchés (accords entre concurrents), ou si la part de marché détenue par chacune des parties à l'accord ne dépasse 15 % sur aucun des marchés en cause affectés par l'accord, lorsque l'accord est passé entre des entreprises qui ne sont des concurrents existants ou potentiels sur aucun de ces marchés (accords entre non concurrents) ; qu'elle précise néanmoins, au point 4, que "bien que dépourvue de force contraignante à leur égard, la présente communication entend aussi donner des indications aux juridictions et autorités des États membres pour l'application de l'article 81 du traité" et, au point 6, qu'elle "ne préjuge pas l'interprétation de l'article 81 du traité qui pourrait être donnée par la Cour de justice ou le Tribunal de première instance des Communautés européennes" ;

Attendu que l'énoncé selon lequel la Cour de justice des Communautés européennes a établi que cette disposition n'était pas applicable aussi longtemps que l'incidence de l'accord sur les échanges intracommunautaires ou sur la concurrence n'était pas sensible semble contredit par la jurisprudence de la cour selon laquelle "il découle du texte même de l'article 81 § 1, CE que les accords entre entreprises sont interdits, indépendamment de tout effet, lorsqu'ils ont un objet anticoncurrentiel" (arrêts du 8 juillet 1999, Commission/Anic Partecipazioni, C-49-92 P, Rec. p. I-4125, point 99 ; du 15 octobre 2002, Limburgse Vinyl Maatschappij e.a./Commission, C-238-99 P, C-244-99 P, C-245-99 P, C-247-99 P, C-250-99 P à C-252-99 P et C-254-99 P, Rec. p. I-8375, point 491, du 21 septembre 2006, Nederlandse Federatieve Vereniging voor de Groothandel op Elektrotechnisch Gebied/Commission, C-105-04 P, Rec. p. I-8725, point 136, et du 25 janvier 2007, Dalmine/Commission, C-407-04 P, Rec. p. I-829, point 84 et TPI 8 juillet 2004, JFE Engineering. corp. et a. c/ Commission, T-67-00, T-68-00, T-71-00 et T-78-00, points 380 et 381) ; que cette apparente contradiction introduit une interrogation sur le point de savoir si, en présence de la mise en œuvre d'une entente ayant un objet anticoncurrentiel par des entreprises ne dépassant pas les seuils de parts de marché(s) concerné(s) par l'accord, définis au point 7 de la communication, la Commission poursuivrait néanmoins ces entreprises ; que la réponse à cette interrogation est importante en l'espèce, puisque le Conseil de la concurrence a retenu, sans être contesté, que la pratique avait eu un objet anticoncurrentiel ;

Attendu, en outre, que l'affirmation expresse de ce que les accords mis en œuvre par des entreprises ne dépassant pas les seuils de parts de marché(s) concerné(s) par l'accord, définis par le point 7, n'ont pas d'effet sensible au sens de l'article 81 § 1, et l'énoncé selon lequel la Commission ne poursuivra pas les entreprises qui concluraient de tels accords, suivis de l'affirmation selon laquelle la Communication est dépourvue de force contraignante à l'égard des juridictions et autorités des États membres pour l'application de l'article 81 du traité et ne préjuge pas l'interprétation de ce texte qui pourrait être donnée par la Cour de justice ou le Tribunal de première instance des Communautés européennes, introduit un doute pour les autorités de concurrence et les juridictions nationales sur le point de savoir si les seuils de part de marché institués par cette communication constituent, ou non, une présomption irréfragable d'absence d'effet sensible sur la concurrence au sens de l'article 81 § 1 ; que ce doute est renforcé par le constat que si la communication énonce, au point 2, que le dépassement des seuils ne signifie pas que la pratique a un effet sensible sur la concurrence elle ne précise nullement, à l'inverse, que des pratiques mises en œuvre par des entreprises dont la part du ou des marchés affectés par celles-ci serait inférieure aux seuils définis au point 7, pourraient, dans certains cas d'espèce, produire un effet sensible sur la concurrence au sens de l'article 81 § 1 ; que ce doute est encore accru par le constat que le point 11 de la communication, énonce des cas d'infractions dans lesquels les seuils de part de marché sont indifférents et pour lesquels la communication ne s'applique pas ;

Attendu que la réponse à la question ainsi posée est fondamentale pour permettre aux autorités de concurrence et juridictions nationales de ne pas se trouver en infraction avec l'article 3, paragraphe 2, du règlement n° 1-2003, précité ;

Par ces motifs : Renvoie à la Cour de justice de l'Union européenne aux fins de répondre à la question suivante : L'article 101 § 1, du TFUE et l'article 3-2, du règlement n° 1-2003 doivent-ils être interprétés en ce sens qu'ils s'opposent à ce qu'une pratique d'accords, de décisions d'associations d'entreprises, ou de concertation qui est susceptible d'affecter le commerce entre États membres, mais qui n'atteint pas les seuils fixés par la Commission européenne dans sa communication du 22 décembre 2001 concernant les accords d'importance mineure qui ne restreignent pas sensiblement le jeu de la concurrence au sens de l'article 81 paragraphe 1 du traité instituant la Communauté européenne (de minimis) (JOCE C 368-13), soit poursuivie et sanctionnée par une Autorité nationale de concurrence sur le double fondement de l'article 101 § 1, du TFUE et du droit national de la concurrence ? Sursoit à statuer sur le pourvoi jusqu'à la décision de la Cour de justice de l'Union européenne.