CA Caen, ch. corr., 12 janvier 2011, n° 09-01024
CAEN
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Didier
Défendeur :
Établissements A. Terroir (SA), Ministère public, Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Nirdé-Dorail
Conseillers :
MM. Soubise, Locu
RAPPEL DE LA PROCÉDURE :
LE JUGEMENT :
Saisi de poursuites dirigées contre :
A Didier :
"d'avoir à Vire, courant 2005 et 2006 (jusqu'au 11 janvier 2006), en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription :
- par quelque moyen que ce soit, même par l'intermédiaire d'un tiers, étant partie ou non au contrat, trompé ou tenté de tromper ses clients, contractant, notamment sur les qualités substantielles et la composition de la marchandise notamment :
* en incorporant du fuseau dans les andouillettes de Troyes alors que cet ingrédient n'est pas prévu par le Code des usages de la charcuterie et en omettant d'en mentionner la présence sur l'étiquetage des produits,
* en indiquant sur l'étiquetage des andouillettes de Troyes et Barbecue, la présence de chaudin alors que celui-ci n'est pas un ingrédient de la mêlée mais sert seulement d'enveloppe,
* en omettant d'indiquer sur l'étiquetage des andouillettes Barbecue et de Troyes la présence de fuseau,
* en omettant d'indiquer sur l'étiquetage des andouillettes pur porc la présence de rosette et/ou de fuseau,
* en indiquant sur l'étiquetage des andouillettes pur porc la présence de chaudin alors qu'aucune incorporation de chaudin n'a lieu, ni dans les mêlées, ni pour servir d'enveloppe puisque selon la fiche de fabrication l'enveloppe est composée de menu pur porc" ;
Infraction prévue et réprimée par les articles L. 213-1, L. 216-2, L. 216-3 du Code de la consommation ;
- effectué une publicité comportant sous quelque forme que ce soit, des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur notamment :
* en indiquant sur l'étiquetage des andouillettes de Troyes et Barbecue, la présence de chaudin alors que celui-ci n'est pas un ingrédient de la mêlée mais sert seulement d'enveloppe,
* en omettant d'indiquer sur l'étiquetage des andouillettes Barbecue et de Troyes la présence de fuseau,
* en omettant d'indiquer sur l'étiquetage des andouillettes pur porc la présence de rosette et/ou de fuseau,
* en mentionnant sur la plaquette de présentation des produits (andouillettes de Troyes) la présence de chaudin alors que celui-ci n'est pas un ingrédient de la mêlée mais sert seulement d'enveloppe,
* en indiquant sur l'étiquetage des andouillettes pur porc la présence de chaudin alors qu'aucune incorporation de chaudin n'a lieu, ni dans les mêlées, ni pour servir d'enveloppe puisque selon la fiche de fabrication l'enveloppe est composée de menu pur porc ;
* en indiquant sur la plaquette de présentation des produits (andouillettes pur porc) la présence de chaudin alors qu'aucune incorporation de chaudin n'a lieu, ni dans les mêlées, ni pour servir d'enveloppe puisque selon la fiche de fabrication l'enveloppe est composée de menu pur porc ;
Infraction prévue et réprimée par les articles L. 121-1, L. 121-5, L. 121-6 al.1, L. 121-6, L. 121-4, L. 213-1 du Code de la consommation ;
SA ÉTABLISSEMENTS A. Terroir
"d'avoir à Vire, courant 2005 et 2006 (jusqu'au 11 janvier 2006), en tout cas sur le territoire national et depuis temps non couvert par la prescription :
- par quelque moyen que ce soit, même par l'intermédiaire d'un tiers, étant partie ou non au contrat, trompé ou tenté de tromper ses clients, contractant, notamment sur les qualités substantielles et la composition de la marchandise notamment :
* en incorporant du fuseau dans les andouillettes de Troyes alors que cet ingrédient n'est pas prévu par le Code des usages de la charcuterie et en omettant d'en mentionner la présence sur l'étiquetage des produits,
* en indiquant sur l'étiquetage des andouillettes de Troyes et Barbecue, la présence de chaudin alors que celui-ci n'est pas un ingrédient de la mêlée mais sert seulement d'enveloppe,
* en omettant d'indiquer sur l'étiquetage des andouillettes Barbecue et de Troyes la présence de fuseau,
* en omettant d'indiquer sur l'étiquetage des andouillettes pur porc la présence de rosette et/ou de fuseau,
* en indiquant sur l'étiquetage des andouillettes pur porc la présence de chaudin alors qu'aucune incorporation de chaudin n'a lieu, ni dans les mêlées, ni pour servir d'enveloppe puisque selon la fiche de fabrication l'enveloppe est composée de menu pur porc ;
Infraction prévue et réprimée par les articles L. 213-1, L. 213-6 al.1, L. 216-1, L. 216-2, L. 216-3 du Code de la consommation, 121-2, 131-8, 131-39 2° à 9° du Code pénal ;
- effectué une publicité comportant sous quelque forme que ce soit, des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur notamment :
* en indiquant sur l'étiquetage des andouillettes de Troyes et Barbecue, la présence de chaudin alors que celui-ci n'est pas un ingrédient de la mêlée mais sert seulement d'enveloppe,
* en omettant d'indiquer sur l'étiquetage des andouillettes Barbecue et de Troyes la présence de fuseau,
* en omettant d'indiquer sur l'étiquetage des andouillettes pur porc la présence de rosette et/ou de fuseau,
* en mentionnant sur la plaquette de présentation des produits (andouillettes de Troyes) la présence de chaudin alors que celui-ci n'est pas un ingrédient de la mêlée mais sert seulement d'enveloppe,
* en indiquant sur l'étiquetage des andouillettes pur porc la présence de chaudin alors qu'aucune incorporation de chaudin n'a lieu, ni dans les mêlées, ni pour servir d'enveloppe puisque selon la fiche de fabrication l'enveloppe est composée de menu pur porc ;
* en indiquant sur la plaquette de présentation des produits (andouillettes pur porc) la présence de chaudin alors qu'aucune incorporation de chaudin n'a lieu, ni dans les mêlées, ni pour servir d'enveloppe puisque selon la fiche de fabrication l'enveloppe est composée de menu pur porc" ;
Infraction prévue et réprimée par les articles L. 121-1, L. 121-4, L. 121-5, L. 121-6, L. 213-1 al.1, L. 213-6 du Code de la consommation, 121-2, 131-38 et 131-39 2° à 9° du Code pénal ;
Le Tribunal correctionnel de Caen, par jugement contradictoire en date du 3 septembre 2009, a déclaré les prévenus coupables des infractions reprochées et a condamné :
- Didier A au paiement d'amende de 4 000 euro dont 3 000 euro avec sursis,
- la SA Établissements A. Terroir au paiement d'une amende de 16 000 euro dont 8 000 euro avec sursis.
LES APPELS :
Appel a été interjeté par :
- A. Didier, le 14 septembre 2009
- SA Établissements A. Terroir prise en la personne de son représentant légal, le 14 septembre 2009
- M. le Procureur de la République, le 15 septembre 2009 contre A. Didier et la SA Établissements A. Terroir prise en la personne de son représentant légal
DÉROULEMENT DES DÉBATS :
L'affaire a été appelée en audience publique le 8 novembre 2010, en présence des prévenus assistés de leur conseil ;
Madame le président a constaté l'identité de Didier A, a donné lecture de son casier judiciaire, des renseignements le concernant et concernant la SA Établissements A. Terroir prise en la personne de son représentant légal et du dispositif du jugement ;
Mme Nathalie J, enquêteur à la Direction de la consommation, de la concurrence et de la répression des fraudes, témoin, a été invitée à se retirer dans la salle des témoins, conformément à l'article 436 du Code de procédure pénale ;
Ont été entendus :
Madame Nirdé-Dorail, en son rapport ;
Didier A qui a été interrogé ;
Madame Nathalie J, née le 7 juillet 1964 à [...], enquêtrice à la DGCCRF [...] témoin qui a prêté serment de dire la vérité, rien que la vérité, conformément à l'article 446 du Code de procédure pénale ;
Monsieur F, en ses réquisitions ;
Maître B DE S-J,
Didier A qui a eu la parole en dernier.
Puis la cour a mis l'affaire en délibéré et informé les parties présentes qu'elle prononcerait son arrêt à l'audience publique du mercredi 12 janvier 2011 à 8 H 30.
Et ce jour, mercredi 12 janvier 2011 à 8 H 30, la cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu en audience publique l'arrêt suivant : prononcé par Mme Nirdé-Dorail, président, en présence de Mme R, substitut général, assistés de Mlle Feret, Greffier.
MOTIFS :
Sur la procédure :
Sont réguliers et recevables les appels ci-dessus rapportés, interjetés à titre principal par Monsieur Didier A et la SA Établissements A. Terroir (ci-après société A. Terroir) et à titre incident par le ministère public.
L'arrêt sera contradictoire à l'égard de Monsieur Didier A comparant en personne assisté de son avocat, Maître B, et de la personne morale dont il est le représentant légal, assistée du même avocat.
Etait présente Madame J, enquêtrice du service national de la direction générale de la concurrence de la consommation et de la répression des fraudes (ci-après DGCCRF).
A l'audience, le représentant du parquet général requerrait la confirmation de la décision attaquée à la fois sur la culpabilité, considérant que les prévenus avaient bien commis les délits de tromperie sur les qualités substantielles et de publicité mensongère en commercialisant les marchandises visées dans la prévention, et sur les peines d'amende.
L'avocat de la défense plaidait la relaxe pour défaut d'élément moral, en arguant du flou entourant la règlementation applicable aux denrées en cause, législation susceptible d'évoluer prochainement.
Sur le fond :
Les premiers juges ont relaté de manière très complète les faits de la cause. Il sera rappelé ce qui suit :
Agissant dans le cadre d'une enquête nationale sur la valorisation illicite d'abats de porc dans les produits de charcuterie, les agents de la DGCCRF ont procédé les 10 et 11 janvier 2006 au contrôle de la société A. Terroir, entreprise d'envergure nationale, sise à Vire, ayant pour activité principale la fabrication d'andouillettes et d'andouilles.
Par procès-verbal dressé le 24 avril 2006, ils vont relever des infractions reprises par le ministère public dans la prévention, relatives à la composition de trois types de produit et leur étiquetage : l'andouillette de Troyes, l'andouillette pur porc et l'andouillette de barbecue.
- sur l'andouillette de Troyes
Après avoir détaillé les quatre étapes de la fabrication des andouillettes (pré-cuisson ou échaudage, mêlée, mise sous enveloppe et cuisson), les contrôleurs de la DGCCRF ont relevé que la recette de fabrication des andouillettes de Troyes, quel que soit leur présentation, incorporait, dans les deux premières étapes, les deux catégories suivantes d'abats à savoir la panse (ou estomac) et le fuseau, ce dernier remplaçant le chaudin, alors que le Code des usages de la charcuterie n'incorpore que le chaudin et l'estomac dans l'andouillette de Troyes, considérée comme un produit de qualité supérieure.
Aux prévenus qui arguaient d'une définition extensive du chaudin dit entier tirée de l'Encyclopédie de la charcuterie (page 49) comme "l'intégralité du gros intestin et peut même contenir le fuseau", les premiers juges ont, à bon droit, opposé et fait prévaloir les normes plus restrictives du Code des usages de la charcuterie. En effet, ce Code, qui est le résultat de la collaboration des professionnels et l'administration, recense et codifie les usages de la profession afin d'assurer la pérennité des appellations traditionnelles des produits et garantir la loyauté des transactions.
Les prévenus ne pourraient pas davantage tirer argument de la modification du Code des usages de la charcuterie puisque, dans une note datée du 13 décembre 2010, autorisée en délibéré, la DGCCRF indique que la nouvelle version, non définitive, définirait le chaudin complet comme "la partie du tube digestif allant de la sortie de l'intestin grêle (iléon) jusqu'au fuseau, caecum compris soit le caecum (ou sac), le chaudin, le suivant (ou robe) et le fuseau sachant que la rosette ne pas fait partie du chaudin complet".
Ainsi les fabricants d'andouillettes de Troyes seraient tenus d'utiliser chacune des parties du tube digestif comprises entre le caecum et le fuseau, sans pour autant être autorisés à utiliser une partie seule, comme le fuseau.
Les agents de la DGCCRF ont évalué la production annuelle de la société A. Terroir par rapport à la production nationale : 1 000 tonnes sur 6 000 tonnes d'andouilles et 1 322 tonnes sur 16 000 tonnes d'andouillette, étant relevé que cette dernière production, en constante augmentation, était de 1 044 tonnes en 1998.
Observant une différence de prix d'achat au kilo entre le fuseau (0,51 euro) et le chaudin (entre 0,64 et 1,11 euro), les contrôleurs ont calculé, à partir du journal des entrées de matières premières, le profit illicite généré par l'utilisation du fuseau au lieu du chaudin soit 106 051,38 euro en 2005, hypothèse la plus favorable à la société A. Terroir. Il faut aussi souligner que le fuseau est plus rentable avec moins de perte à la cuisson.
Cette donnée économique convainc la cour que ce professionnel de la charcuterie, secteur très concurrentiel, dont le cœur de métier est la production d'andouilles ou d'andouillettes, a eu sciemment recours à une recette de fabrication remplaçant le chaudin par le fuseau, moins coûteux, alors qu'il n'ignorait pas que l'andouillette de Troyes, réputée de qualité supérieure et à forte notoriété, se démarque des andouillettes standard de par sa composition faite d'estomac et de chaudin. La cour considère que le délit de tromperie sur les qualités substantielles est ainsi constitué.
Les contrôleurs ont également relevé que l'étiquetage des andouillettes de Troyes, fabriquées par la société A. Terroir, et leur plaquette de présentation faisaient apparaître la présence de chaudin et de panse, sans aucunement mentionner le fuseau incorporé, ni préciser que le chaudin n'était pas un ingrédient de la mêlée mais avait servi uniquement d'enveloppe. Il est d'autant plus curieux que le fuseau ne soit pas mentionné, alors que Monsieur A. Didier avait indiqué aux enquêteurs que le fuseau était la partie la plus noble du chaudin (au sens large qu'il lui donnait). La cour considère que cette démarche déloyale dans l'information du consommateur est constitutive du délit de publicité mensongère poursuivi.
- sur l'andouillette pur porc et sur l'andouillette barbecue
Il est rappelé que les andouillettes standard de ce type peuvent incorporer l'ensemble du tube digestif du porc et jusqu'à 15 % de rosette.
Toutefois, le consommateur doit être averti de la composition réelle du produit acheté.
Or, les agents de la DGCCRF ont constaté que l'étiquetage ou la plaquette de présentation des andouillettes pur porc ne faisait pas apparaître l'incorporation et/ou de rosette, alors que ce dernier ingrédient considéré comme peu noble, a pu être utilisé ou mentionnait la présence de chaudin alors qu'il n'avait été utilisé ni dans la mêlée, ni pour servir d'enveloppe.
De même l'étiquetage des andouillettes barbecue ne mentionnait pas le fuseau utilisé et, par contre, faisait figurer le chaudin, sans préciser qu'il n'avait servi qu'à la fabrication de l'enveloppe.
Ces démarches, déjà analysées, sont constitutives du délit de tromperie sur les qualités substantielles ou la composition du produit puis du délit de publicité mensongère. Là encore, la cour considère que l'industriel a, ainsi, sciemment valorisé les produits commercialisés en omettant d'indiquer des ingrédients réputés moins nobles ou de préciser le pourcentage réel de parts plus nobles.
Les infractions poursuivies sont donc toutes constituées tant à l'encontre de Monsieur Didier A, président directeur général de la SA Etablissements A. Terroir, mais aussi à l'encontre de la personne morale pour le compte de laquelle il les a commises.
La cour considère que les peines d'amende ordonnées par les premiers juges permettent de sanctionner des procédés industriels déloyaux et trompeurs pour les consommateurs, avec une partie assortie du sursis qui tient compte de l'absence d'antécédents des personnes condamnées.
La cour confirme donc le jugement entrepris en toutes ses dispositions.
Dispositif : LA COUR, Statuant publiquement et par arrêt contradictoire à l'égard de Didier A et de la SA Établissements A. Terroir prise en la personne de son représentant légal ; "Reçoit Didier A, la SA Établissements A. Terroir prise en la personne de son représentant légal et le Ministère public en leur appel respectif ; "Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; "Le président a averti les condamnés que si dans le délai de 5 ans à compter du prononcé de cette peine, ils commettaient à nouveau un crime ou un délit suivi d'une nouvelle condamnation sans sursis, cette dernière condamnation entraînera l'exécution de la présente condamnation avec sursis, sans confusion possible. A l'inverse en l'absence dans le même délai, de nouvelle condamnation de cette nature, la présente condamnation sera réputée non avenue ; "La présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure d'un montant de 120 euro dont est redevable chacun des condamnés ; "Le président avertit les condamnés que, s'ils s'acquittent du montant de l'amende et du droit fixe dans le délai d'un mois dans les conditions posées par l'article 707-2 ou l'article R55-1 du Code de procédure pénale, ce montant sera diminué de 20 % sans que cette diminution puisse excéder 1 500 euros ; "Le président informe les condamnés que le paiement de l'amende ne fait pas obstacle à l'exercice des voies de recours.