CA Paris, Pôle 5 ch. 11, 12 avril 2013, n° 11-01161
PARIS
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Axa France (GIE)
Défendeur :
La Pièce Automobile (SARL)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Chandelon
Conseillers :
Mmes Saint-Schroeder, Lion
Avocats :
Mes Bettan, Galistin, de la Taille, de Lacharrière, Latscha
La société "la pièce automobile" (LPA), exerçant une activité de récupération et de vente de pièces détachées pour automobiles ainsi que de négoce de véhicules d'occasion accidentés, a conclu le 29 juillet 2003 avec le groupe Axa une convention "récupérateur automobile" ayant pour objet l'enlèvement, la gestion et le traitement des véhicules endommagés à la suite d'un sinistre.
Par courrier recommandé du 21 juin 2006, la société Axa France a résilié cette convention avec effet au 1er juillet 2007, appliquant une réduction progressive des volumes de véhicules confiés échelonnée entre le 1er octobre 2006 et le 1er juillet 2007. Suite aux contestations de LPA, Axa a renoncé à appliquer la réduction partielle des volumes le 1er octobre 2006 et a confirmé, par courrier du 22 décembre 2006, qu'elle appliquerait un préavis total de 18 mois, portant l'effet de la résiliation au 1er janvier 2008, reportant au 1er février 2007 la date du début de la réduction progressive des volumes confiés.
Par acte du 29 octobre 2007, LPA a assigné Axa aux fins d'obtenir sa condamnation à lui payer la somme de 100 000 euro à titre de dommages-intérêts pour rupture brutale des relations commerciales devant le Tribunal de commerce de Paris qui, par jugement du 15 décembre 2010 assorti de l'exécution provisoire, a dit la SARL LPA bien fondée à faire grief à Axa d'une rupture brutale des relations commerciales du fait d'un préavis insuffisant dont il a fixé la durée à 18 mois à compter de la première lettre de résiliation du 21 juin 2006, condamné Axa à lui payer la somme de 50 000 euro correspondant à 6 mois de marge brute et celle de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par déclaration du 20 janvier 2011, la société Axa a interjeté appel de cette décision. Dans ses dernières conclusions au sens de l'article 954 du Code de procédure civile, déposées le 19 décembre 2012, Axa demande à la cour, au visa des articles L. 442-6 I 5° du Code de commerce, 32-1 du Code de procédure civile et 1382 du Code civil, de réformer le jugement, de dire et juger à titre principal que ses relations avec la société LPA ne présentent pas un caractère établi, que la rupture des relations n'a pas été brutale, qu'elle s'est loyalement acquittée de l'ensemble de ses obligations légales et contractuelles envers LPA, à titre subsidiaire que LPA n'a subi aucun préjudice, en tout état de cause de débouter la société LPA de l'ensemble de ses demandes et de la condamner à lui payer les sommes de 20 000 euro pour procédure abusive et de 10 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions au sens de l'article 954 du Code de procédure civile, déposées le 16 janvier 2013, la société LPA conclut à la confirmation du jugement en ce qu'il a dit qu'elle était fondée à faire grief à Axa d'une rupture brutale des relations du fait d'un préavis insuffisant et à son infirmation sur le point de départ du préavis. Elle demande à la cour à titre principal de dire et juger que le préavis doit courir à compter de la deuxième lettre de résiliation du 22 décembre 2006 et de condamner Axa à lui payer la somme de 133 333 euro correspondant à 16,5 mois de perte de marge brute, à titre subsidiaire de dire et juger que le point de départ du préavis court à compter de la première lettre de résiliation du 21 juin 2006 et de condamner Axa à lui payer la somme de 91 666 euro correspondant à 11 mois de perte de marge brute, en tout état de cause de débouter Axa de sa demande de dommages et intérêts sur le fondement de l'article 32-1 du Code de procédure civile et de l'article 1382 du Code civil, de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile et de condamner Axa à lui payer la somme de 10 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Sur ce
Sur le caractère établi des relations contractuelles
Considérant que la société Axa indique que le contrat du 29 juillet 2003 a formalisé des relations ponctuelles qui avaient commencé fin 1993 avec la société LPA, en leur rendant une régularité plus soutenue ; qu'elle expose que soucieuse de permettre à la société LPA de revoir sa stratégie commerciale et de réorienter ses activités, elle lui a ménagé, avant son désengagement total, un délai de préavis de 12 mois, largement supérieur à celui de 3 mois prévu contractuellement et qu'elle n'a pas hésité par la suite à prolonger ce délai de 6 mois supplémentaires à la demande de son cocontractant ;
Qu'elle fait valoir que l'article L. 442-6 paragraphe I 5° du Code de commerce n'a pas vocation à s'appliquer en l'espèce, faute de caractère établi des relations commerciales, soutenant que durant la période de 1993 à 2003, des contrats indépendants avaient ponctuellement été conclus avec la société LPA, dont l'activité est de nature précaire, sans qu'aucun contrat-cadre ne soit signé et qu'à partir de 2003 la convention prévoyant une durée d'un an non tacitement reconductible, sans clause d'exclusivité de nature à mettre la société LPA dans une situation de dépendance économique à son égard, ne peut permettre de caractériser des relations établies ;
Considérant que la société LPA soutient qu'elle travaillait avec le groupe Axa depuis 1993 et qualifie ses relations contractuelles avec la compagnie d'assurance de continues et établies dans le cadre d'un contrat de fait qui lui assurait d'être appelée à intervenir pour récupérer les véhicules accidentés assurés par Axa dans la région parisienne, avec une permanence et une stabilité dans le nombre de véhicules dépannés ;
Considérant, cela exposé, qu'aux termes de l'article L. 442-6 I 5° du Code de commerce, engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers, de rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels ;
Considérant que cet article ne fait pas de distinction entre les relations commerciales contractuellement établies et les autres ; que son application n'est pas subordonnée à un état de dépendance économique de la société victime de la rupture ;
Que la qualification de relations commerciales établies au sens de cet article n'est pas conditionnée par l'existence d'un échange permanent et continu entre les parties, une succession de contrats ponctuels pouvant être suffisante pourvu qu'elle fasse ressortir la régularité, le caractère significatif et la stabilité de la relation commerciale ;
Considérant en l'espèce qu'il est constant que les relations commerciales entre Axa et LPA ont débuté en 1992 ;
Que les premiers juges ont relevé à bon droit qu'Axa, qui conteste le caractère établi des relations commerciales antérieures à la convention de 2003, a toutefois spontanément décidé d'allonger le délai de préavis de 3 mois contractuellement prévu, reconnaissant implicitement son caractère insuffisant au regard des relations commerciales qui préexistaient avec LPA ;
Considérant qu'ainsi que l'ont encore souligné les premiers juges, la société LPA a versé aux débats des certificats de cession de véhicules et copies de cartes grises annulées montrant qu'existaient depuis 1992 des relations suffisamment régulières et nombreuses pour être qualifiées d'établies ;
Sur la durée du préavis et son point de départ
Considérant que la société LPA soutient qu'eu égard à la durée des relations contractuelles, le préavis aurait dû être de 18 mois sans aucune réduction des commandes et que le point de départ de ce délai auquel Axa a finalement consenti dans son courrier du 22 décembre 2006 devait être la date du courrier lui-même et non celle du premier courrier de résiliation, selon elle caduc ;
Considérant que la durée totale des relations contractuelles établies étant de 14 années, les magistrats consulaires ont parfaitement justifié la nécessité, pour la société Axa, de respecter le délai de préavis de 18 mois revendiqué par l'intimée ;
Considérant que c'est encore à bon droit que les premiers juges ont considéré que la société LPA avait été utilement informée, dès le 21 juin 2006, de l'intention d'Axa de résilier le contrat et avait ainsi été mise en mesure de prendre des dispositions pour le futur dès cette date ; que le point de départ du délai de 18 mois est donc la première lettre de résiliation du 21 juin 2006 ;
Sur le préjudice de la société LPA
Considérant qu'Axa fait valoir à titre subsidiaire que LPA n'a subi aucun préjudice du fait d'un préavis prétendument insuffisant, son chiffre d'affaires n'ayant pas baissé après la cessation de ses relations avec elle ;
Considérant que LPA soutient que la réduction progressive des volumes a consisté en réalité en une suppression de la quasi-totalité des secteurs qui lui étaient confiés dès le 1er février 2007, ce qui a eu pour effet de faire chuter son chiffre d'affaires de 50 % entre 2006 et 2007, passant de 609 véhicules traités en 2006 à 344 en 2007 ;
Considérant que le préjudice doit être apprécié au regard de la marge bénéficiaire que la société aurait été en droit d'escompter en l'absence de rupture des relations commerciales durant le préavis ;
Considérant que LPA produit des relevés comptables validés par une attestation de son expert-comptable montrant qu'elle a réalisé, par la vente de véhicules cédés par Axa, un chiffre d'affaires de 912 770 euro en 2006, soit 25 % de son chiffre d'affaire total de 3 667 190 euro ;
Considérant que les premiers juges ont parfaitement estimé que la réduction progressive des volumes imposée par Axa, ayant consisté à maintenir 100 % des cessions du 21 juin 2006 au 1er février 2007, puis à la réduire à 66 % du 1er février 2007 au 1er juillet 2007 soit pendant 5 mois et enfin à la porter à 33 % pendant 6 mois jusqu'au 1er janvier 2008 équivalait, en pratique, à un préavis moyen de 12 mois environ, soit six mois de préavis manquants ; que le jugement ayant fixé l'indemnité due par Axa à 50 000 euro correspondant à six mois de perte de marge brute calculée à 25 % du bénéfice d'exploitation de 400 000 euro de la société LPA sera donc confirmé ;
Sur la demande de dommages-intérêts formulée par Axa pour procédure abusive
Considérant que le sens du présent arrêt conduit à débouter la société Axa de sa demande sur le fondement de l'article 32-1 du Code de procédure civile et 1382 du Code civil ;
Et considérant qu'il y a lieu d'allouer à la société LPA une indemnité supplémentaire sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, la demande formulée de ce chef par la société Axa étant rejetée ;
Par ces motifs : Confirme le jugement, Statuant à nouveau, Condamne le GIE Axa France à payer à la SARL La Pièce automobile la somme complémentaire de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens d'appel qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.