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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 11 avril 2013, n° 10/21434

PARIS

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Montblanc France (SAS)

Défendeur :

Trouche

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Perrin

Conseillers :

Mmes Pomonti, Michel-Amsellem

Avocats :

Mes de Boissieu, Champetier de Ribes, Teytaud, Quilichini

T. com. Paris, du 24 sept. 2010

24 septembre 2010

Faits et procédure

La société Montblanc est l'importateur exclusif des produits de luxe Montblanc qu'elle commercialise dans le cadre d'un réseau de distributeurs dans le monde entier.

Madame Trouche exploite un commerce de tabac et de cadeaux sous l'enseigne " Tabac La Havane " et s'est vue confier la distribution de produits Montblanc.

Estimant qu'elle ne remplissait plus les critères contractuellement prévus en termes de stock, la société Montblanc lui a notifié, par lettre du 14 janvier 2008, la rupture de leurs relations commerciales ;

Par acte du 30 avril 2008, Mme Trouche a assigné la société Montblanc devant le Tribunal de commerce de Paris afin de faire juger la rupture abusive et d'obtenir la somme de 200 000 euros à titre de dommages et intérêts ainsi que la reprise du stock.

Par jugement en date du 24 septembre 2010, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de commerce de Paris a :

- condamné la société Montblanc à payer à Mme Trouche, la somme de 12 000 euros à titre de dommages et intérêts, pour perte de marge consécutive à une rupture abusive et fautive des relations commerciales,

- condamné la société Montblanc à payer à Mme Trouche la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

- rejeté la demande de reprise des stocks formulée par M. Trouche,

- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires.

Vu l'appel interjeté le 3 novembre 2010 par la société Montblanc contre cette décision.

Vu les dernières conclusions, signifiées 24 février 2011, par lesquelles la société Montblanc demande à la cour de :

- recevoir la société Montblanc en ses demandes, fins et conclusions et l'y déclarer bien fondée,

En conséquence,

- infirmer le jugement rendu par la 19ème chambre du Tribunal de commerce de Paris le 24 septembre 2010 en ce qu'il a condamné la société Montblanc à payer à Mme Trouche, la somme de 12 000 euros à titre de dommages et intérêts, pour perte de marge consécutive à une rupture abusive et fautive des relations commerciales ainsi que la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,

Statuant à nouveau,

- juger que la résiliation des relations commerciales dans le cadre du contrat de distribution sélective entre la société Montblanc et Mme Trouche intervenue le 14 janvier 2008 est motivée et fondée,

En conséquence,

- condamner Mme Trouche à restituer à la société Montblanc la somme de 17 000 euros,

Subsidiairement,

- fixer le préjudice de Mme Trouche, à hauteur d'un an de marge bénéficiaire nette soit la somme de 1 799,82 euros et en conséquence,

- condamner Mme Trouche, à restituer à la société Montblanc la somme de 15 200 euros,

Dans tous les cas,

- confirmer le jugement de première instance pour le surplus,

- condamner Mme Truche à payer à la société Montblanc la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La société Montblanc considère que le contrat de distribution sélective peut imposer au distributeur un montant minimal d'achats à effectuer à la première commande, la détention d'un stock d'articles ou encore un minimum annuel d'achats. Il s'agit d'une exigence d'ordre qualitatif qui tend à prévenir une dépréciation du produit dû à un assortiment insuffisant et périmé.

Elle retient également qu'à la lecture des catalogues des produits Montblanc et de leurs prix moyens, il est évident qu'un niveau de commandes de l'ordre de 2 700 euros par an est totalement insuffisant, représentant très peu de produits et caractérise par la même l'absence de rotation suffisante du stock.

Elle considère à cet effet, que si le niveau de commandes minimal n'est pas inscrit dans l'article IV j), la particulière faiblesse du montant des commandes annuelles de Mme Trouche illustre parfaitement l'absence de respect de ce contrat et des conditions de la distribution sélective, puisque ce niveau de commandes, de 2 727 euros HT pour l'année, représente quelques stylos et accessoires et principalement des recharges.

Elle prétend également que la résiliation est parfaitement motivée car cette situation n'est pas conforme avec l'image de luxe, de prestige et de qualité que la marque Montblanc veut véhiculer auprès de sa clientèle.

Toutefois, elle considère que si la cour devait retenir l'existence d'une résiliation non motivée, il serait nécessaire de diminuer le montant des condamnations en ce que Mme Trouche ne justifie en rien du montant exact de son préjudice.

Vu les dernières conclusions, signifiées le 3 juin 2011, par lesquelles M.me Trouche demande à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit la rupture intervenue abusive,

- dire et juger que la société Montblanc a, de pure mauvaise foi, visé dans sa lettre de rupture, la non-distribution de produits qu'elle n'avait pas confiés au concluant,

- dire et juger que celui-ci ne pouvait pas être tenu au-delà des termes du contrat écrit,

- dire et juger qu'en maintenant sa position alors même que le concluant lui avait fait connaître les erreurs qu'elle commettait, la société Montblanc a rompu abusivement le contrat,

- dire et juger qu'en invoquant une faute du concluant alors que la rupture n'avait pour origine qu'une volonté délibérée de la société Montblanc de se débarrasser d'un certain nombre de distributeurs, la société Montblanc a commis une faute et causé un préjudice tant moral que commercial dont elle doit réparation,

- infirmer le jugement entrepris en ce qui concerne le quantum,

- dire et juger qu'à raison du préjudice moral et économique subi par le concluant, notamment par l'interdiction qui lui a été faite de distribuer des produits par elle payés ainsi que par le refus de livraison de consommables rendant impossible toute vente, le préjudice par lui subit est de 100 000 euros, somme tenant compte de la perte d'image liée à l'impossibilité dans laquelle il s'est trouvé de satisfaire des clients anciens, tant sur le service après-vente que sur les consommables,

- condamner de ce chef la société Montblanc au versement d'une somme de 100 000 euros,

infirmer le jugement en ce qu'il a débouté le concluant de sa demande de reprise de stock,

dire et juger qu'en rompant abusivement le contrat, la société Montblanc a commis une faute et que le concluant a droit à la réparation intégrale de son préjudice,

- dire et juger que cette réparation intégrale comprend l'obligation pour la société Montblanc de reprendre l'intégralité du stock que le concluant n'a pu vendre alors qu'elle l'avait payé, stock s'élevant à la somme de 31 270,65 euros valeur d'achat,

- dire et juger que cette reprise de stock, pour les mêmes raisons, se fera aux frais exclusifs de la société Montblanc,

- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a alloué à la concluante la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés devant le premier juge et condamner en outre la société Montblanc au versement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés devant la Cour.

Madame Trouche soutient qu'au terme du contrat, les parties ont contractuellement défini le périmètre des produits confiés dont elle avait la distribution et qu'elle n'était pas tenue d'élargir cette gamme à un quelconque autre produit, aucun écrit n'étant amender la gamme visée à l'annexe 1 du contrat.

Elle ajoute ensuite que c'est au regard de cette obligation contractuelle qu'il convient d'analyser le motif de rupture invoqué par la société Montblanc.

Par conséquent, elle considère que la rupture est abusive et qu'elle est intervenue en fait pour un faux prétexte ce qui lui a causé un préjudice devant donner lieu à indemnisation.

La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions initiales des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.

Motifs

Sur la résiliation du contrat

Considérant que la société Montblanc n'a présenté en appel aucun moyen nouveau de droit ou de fait qui justifie de remettre en cause le jugement attaqué lequel repose sur des motifs pertinents, résultant d'une analyse correcte des éléments de la procédure, notamment des pièces contractuelles et de la juste application de la loi et des principes régissant la matière,

Considérant que la société Montblanc fait valoir qu'un contrat de distribution sélective peut imposer au distributeur un montant minimal d'achats à effectuer à la première commande, la détention d'un stock d'articles ou d'un minimum d'achats annuels et qu'un niveau de commandes de 2 700 euro est totalement insuffisant, représentant peu de produits et caractérisant une absence de rotation suffisante du stock, non conforme à l'image de luxe, de prestige et de qualité de la marque ;

Considérant que les parties ont contractuellement défini les produits Montblanc commercialisés par Mme Trouche comme étant les instruments d'écriture et accessoires d'écriture, la petite maroquinerie et papiers ;

Que par lettre circulaire du 12 décembre 2007 la société Montblanc a écrit à une centaine de ses distributeurs " il est impératif pour notre marque que les revendeurs membres du réseau de distributeurs agréés détiennent en permanence une gamme de produits suffisamment représentative de la gamme Montblanc. Votre chiffre d'affaires au cours de 12 derniers mois indique que vous ne détenez pas une gamme suffisamment complète de nos produits. Nous sommes contraints de vous mettre en demeure de respecter les dispositions du contrat de distribution ".

Considérant que la gamme des produits Montblanc distribués par Mme Trouche avait été contractuellement limitée par la société Montblanc à des articles précis ; que cette lettre, de par son caractère vague et général ne permet pas de caractériser le moindre reproche à l'égard de Mme Trouche qui ne pouvait être concernée que par certains produits précis et non l'ensemble des produits de la marque ;

Considérant que Mme Trouche a, par lettre du 25 février 2008, contesté point par point les reproches faits par la société Montblanc lui faisant observer que depuis 2002 son stock avait toujours été en progression, qu'il était cinq fois plus élevé que celui retenu et qu'il ne prenait pas en compte les commandes passées au titre des fêtes de fin d'année ; qu'elle a fait observer qu'alors qu'elle avait en un mois reçu des instruments d'écriture d'une valeur de 12 400 euro, la société Montblanc refusait de lui livrer les cartouches correspondantes ;

Considérant que la société Montblanc, qui n'a pas répondu à ces observations, n'avait jusque-là fait aucun reproche à son distributeur sur la composition de son stock ; que bien au contraire elle avait montré sa satisfaction à l'occasion de certaines commandes en lui octroyant des cadeaux, ainsi lors de la commande du 22 janvier 2007, en lui accordant " un bon de réduction " sous forme d'un stylo offert.

Considérant qu'il résulte des éléments produits que la société Montblanc avait décidé de réorganiser son réseau de distribution en faisant distribuer l'ensemble de ses produits par des magasins dédiés à sa marque ; que, si, à cette fin, elle pouvait mettre fin à une relation commerciale dont elle ne conteste pas le caractère établi, elle ne pouvait le faire de manière brutale mais elle devait donner à son distributeur un délai lui permettant de se réorganiser.

Qu'ainsi la société Montblanc a rompu, pendant les fêtes de fin d'année, de manière brutale et abusive une relation commerciale établie depuis plusieurs années ;

Considérant qu'il résulte des pièces produites que ces relations commerciales duraient depuis au moins l'année 1996 ; qu'au regard de cette durée et de la spécificité de produits de luxe comme ceux de la marque Montblanc, c'est à juste titre que les premiers juges ont estimé à 15 mois la durée du préavis raisonnable dont aurait dû bénéficier Mme Trouche afin de se réorganiser ;

Sur le calcul du préjudice

Considérant que la société Montblanc conteste le montant de la marge brute retenu par les premiers juges et soutient que le chiffre d'affaires de Mme Trouche était de 5 726,80 euro par an en moyenne avec un coefficient de 2,1 pour la revente de sorte que sa marge brute annuelle aurait été de seulement 2 999,70 euro par an ;

Considérant qu'il résulte des factures produites par Mme Trouche portant mention du prix de vente conseillé par la société Montblanc que le coefficient allégué par la société Montblanc ne correspond pas au prix conseillé et donc à la marge prévue pour ses produits ;

Considérant que le préjudice résultant du non-respect du préavis s'apprécie en termes de marge brute de l'exploitation et non de revenu net ; qu'il n'est pas démontré l'existence de frais de structure et de frais d'investissements marketing engagés par Mme Trouche pour la commercialisation des produits Montblanc.

Considérant que c'est donc à juste titre au regard des éléments comptables produits que les premiers juges ont retenu que la marge brute de Mme Trouche s'élevait à la moyenne annuelle de 9 000 euro et ont donc condamné la société Montblanc à lui payer la somme de 12 000 euro au titre du préavis non exécuté ;

Considérant, de plus, qu'au moment de la rupture, Mme Trouche venait d'être livrée de sorte que son stock s'élevait à 71 985,80 euro ; qu'en refusant de livrer des consommables à Mme Trouche et en lui interdisant de vendre le stock acheté et payé alors que l'on se trouvait en période de fêtes, la société Montblanc a nécessairement empêché celle-ci de réaliser une partie de son chiffre d'affaires ; qu'ainsi le calcul de sa marge brute s'est trouvée minorée ; qu'outre ce préjudice, cette circonstance a généré un préjudice moral en ce que Mme Trouche n'a pas pu satisfaire sa clientèle ce qui a nui à son image commerciale ; qu'il y a lieu de lui allouer en réparation de ces préjudices une somme de 20 000 euro.

Sur la reprise des stocks

Considérant que la société Montblanc conteste la demande formulée par Mme Trouche, faisant valoir que celle-ci ne lui a pas remis l'inventaire de son stock, contrairement aux dispositions contractuelles liant les parties ;

Considérant que l'article XI c stipule que :

" La société se réserve le droit d'exiger du détaillant agréé Montblanc, le retour, à ses frais, de tout ou partie des stocks de produits Montblanc dont il ne sera pas encore devenu propriétaire " ;

Que cette disposition ne saurait être appliquée dans la mesure où Mme Trouche avait réglé la totalité des stocks qu'elle détenait ;

Considérant que l'article XI d stipule que :

" La société peut procéder au rachat, au prix originairement payé par le détaillant agréé Montblanc, de tout ou partie des stocks de produits Montblanc, en parfait état, qui ont été livrés au détaillant Montblanc dans les douze mois avant la fin du présent contrat ; les produits Montblanc toujours de mode et en parfait état qui ont été livrés au détaillant agréé Montblanc, lus de douze mois avant la fin du présent contrat pourront être rachetés par la société à leur prix d'achat originalement payé par le détaillant agrée Montblanc, réduit par 30 % ; les produits Montblanc démodés pourront être rachetés à leur valeur vénale. Le détaillant agrée Montblanc doit remettre à la société un inventaire de ses stocks et lui donner l'opportunité de procéder à l'inspection de ces derniers " ;

Considérant que Mme Trouche a versé les factures correspondant au stock qu'elle détient pour une valeur de 31 270,65 euro ; qu'elle en a demandé la reprise par la société Montblanc dès l'acte introductif d'instance ; que dès lors, la société Montblanc, auteur de la rupture abusive et qui, au surplus, avait interdit à son distributeur de commercialiser les produits qu'il détenait, ne pouvait sans mauvaise foi ignorer cette demande ; que la société Montblanc qui avait la possibilité d'examiner ce stock pour en contester le cas échéant la valeur n'a pas exprimé une telle demande de sorte qu'elle ne saurait contester devant la cour la valeur du stock résultant des pièces produites et s'élevant au jour du jugement à la somme de 31 270,65 euro ;

Considérant que les dispositions contractuelles ne faisaient pas obligation à la société Montblanc de reprendre les stocks encore détenus par son distributeur ; que la société Montblanc a conclu au rejet de la demande de Mme Trouche alors que la possibilité d'une reprise avait été contractuellement prévue par les parties ; que, de plus, la société Montblanc a, de mauvaise foi accepté la dernière commande de Mme Trouche et l'a livrée pour de manière concomitante lui faire interdiction de vendre ; que, dès lors la demande de Mme Trouche ne peut se résoudre qu'en termes de dommages-intérêts ; que son préjudice résulte de la détention d'un stock qu'elle n'a pas pu écouler du fait de la rupture des relations commerciales assortie d'une interdiction de vendre alors même qu'elle venait d'être livrée et ce à une période propice, s'agissant de la période de fin d'année ; que le préjudice doit donc être apprécié en fonction de la valeur de ce stock qui avait vocation à engendrer une marge ; qu'il y a lieu de réformer le jugement entrepris et de condamner la société Montblanc à payer à Mme Trouche la somme de 31 270,65 euro et de rejeter la demande de celle-ci au titre des frais de reprise ;

Considérant qu'il y a lieu en conséquence de condamner la société Montblanc à payer à Mme Jeanne Trouche épouse Crochet la somme totale de 63 270,65 euro (12 000 + 20 000 + 31 270,65).

Sur l'article 700 du Code de procédure civile

Considérant que Mme Jeanne Trouche épouse Crochet a dû engager des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge, qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 dans la mesure qui sera précisée au dispositif.

Par ces motifs : Et, adoptant ceux non contraires des Premiers Juges, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a dit la rupture intervenue abusive, fixé la durée du préavis à 15 mois et en ce qu'il a condamné la société Montblanc à payer à Madame Jeanne Trouche épouse Crochet la somme de 12 000 euro au titre de son préavis non exécuté et la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Reforme pour le surplus et statuant à nouveau, Condamne la société Montblanc à payer à Madame Jeanne Trouche épouse Crochet la somme de 51 270,65 euro à titre de dommages-intérêts ; Condamne la société Montblanc à payer à Madame Jeanne Trouche épouse Crochet la somme de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Montblanc aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.