CA Paris, Pôle 5 ch. 4, 10 avril 2013, n° 12-19944
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Laboratoires Polymédic (SARL), Laboratoires Escarius (SAS)
Défendeur :
Oxypharm (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Cocchiello
Conseillers :
Mme Luc, M. Picque
Avocats :
Mes Olivier, Deschryver, Herscovici, Rose
Vu le jugement rendu le 4 septembre 2012 par lequel le Tribunal de commerce de Lille a, sous le régime de l'exécution provisoire, condamné la société Oxypharm à payer à la société Laboratoires Polymédic la somme de 15 304 euro avec intérêts au taux légal à compter du 3 juillet 2012, avec capitalisation des intérêts et à la société Laboratoires Escarius la somme de 27 498 euro avec intérêts au taux légal à compter du 3 juillet 2012, ainsi que la somme de 2 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile à chacune des deux sociétés et débouté les parties de leurs plus amples demandes ;
Vu l'appel interjeté par les sociétés Laboratoires Polymédic et Laboratoires Escarius le 7 novembre 2012 et leurs conclusions signifiées le 17 décembre 2012 afin que le jugement entrepris soit confirmé en toutes ses dispositions favorables aux appelantes, et infirmé dans les autres, que la société Oxypharm soit condamnée à payer à la société Polymédic la somme de 293 132 euro et à la société Escarius la somme de 510 446 euro en réparation du préjudice subi, outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation et capitalisation des intérêts échus, et que la société Oxypharm soit condamnée au paiement d'une somme de 10 000 euro à chacune des sociétés au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
Vu les conclusions signifiées par la société Oxypharm le 15 février 2013 afin, à titre principal, que les sociétés Laboratoires Polymédic et Laboratoires Escarius soient déboutées de l'ensemble de leurs demandes, et, à titre subsidiaire, qu'elles soient condamnées, in solidum, à payer à la société Oxypharm la somme de 524 628 euro, outre intérêts à taux légal à compter du 6 juin 2012, que soit ordonnée, le cas échéant, une compensation entre créances réciproques, et que, dans les mêmes conditions, elles soient condamnées à payer à la société Oxypharm la somme de 20 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;
SUR CE
Considérant qu'il résulte de l'instruction les faits suivants :
La société Escarius, créée en 1981, a pour activité la fabrication et le négoce de matériel médical et paramédical. Elle est le fournisseur exclusif de la société Laboratoires Polymédic et par ailleurs vend directement ses produits dans les circuits autres que les officines (les revendeurs de matériel médical).
La société Laboratoires Polymédic, créée en 1984 par les associés de la société Escarius, a pour activité la distribution de matériel médical auprès des pharmacies. Elle s'approvisionne auprès de la société Escarius et n'a pour seul client que la société Oxypharm. Si la société Escarius prépare les commandes, c'est la société Polymédic qui facture et encaisse le prix des matériels médicaux.
Ces deux sociétés ont, depuis 2005, comme unique actionnaire, la société holding Financiere Quatro, SAS immatriculée au Registre du Commerce et des sociétés de Roubaix-Tourcoing, son adresse étant identique à celle du siège social de la société Escarius.
La société Oxypharm, constituée le 26 mai 1986, est un répartiteur pharmaceutique, qui a pour activité la fourniture de matériel médical aux pharmaciens propriétaires d'une officine.
Dès 1986, la société Oxypharm a distribué des produits fabriqués par la société Escarius (matelas, coussins médicaux), facturés par la société Laboratoires Polymédic.
En 2007, après 20 ans de relations paisibles, une baisse de commande a entrainé un recul du chiffre d'affaires des sociétés Polymédic et Oxypharm, de l'ordre de 40 %, ce chiffre se stabilisant les années suivantes sur cette base réduite par rapport aux années antérieures à 2007. Au cours d'une réunion du 16 février 2011, la société Laboratoires Polymédic s'est vue confirmer la rupture des relations avec Oxypharm, sans préavis. Suite à des négociations par courriers, la société Oxypharm a accepté, par courrier du 30 mars 2011, de reprendre un courant d'affaires jusqu'au 30 septembre 2011. Dans ce courrier, elle alléguait des problèmes de prise de commandes, de délais de livraison, et de qualité des produits et reconnaissait avoir réduit ses commandes avant de cesser toute relation commerciale à terme. Le 15 avril 2011, le conseil de la société Laboratoires Polymédic a indiqué à la société Oxypharm que le délai du 30 septembre était insuffisant, eu égard à l'état de dépendance de sa cliente, les produits étant livrés sous marque de distributeur. Le 9 mai 2011, la société Oxypharm a accepté de prolonger ses approvisionnements jusqu'au 31 décembre 2011. Le 8 juin 2011, le conseil de la société Laboratoires Polymédic a indiqué, entre autres arguments, que le délai prolongé était insuffisant au regard de l'ancienneté des relations entre les parties et a constaté la baisse importante des commandes pendant le préavis (aucune commande en février, mars et avril et seulement 12 matelas commandés en mai). Le 6 juillet 2011, la société Oxypharm a maintenu sa position et a expliqué la baisse des commandes par des difficultés à écouler "les stocks de matelas Visco (souhaits de la clientèle de matelas compressés)".
La relation commerciale s'est interrompue le 1er février 2012. Le 24 mai 2012, le président du Tribunal de commerce de Lille a signé une ordonnance autorisant les demanderesses à assigner à bref délai la société Oxypharm à l'audience du 12 juin 2012. Par acte introductif d'instance délivré le 25 mai 2012, les sociétés Laboratoires Polymédic et Escarius ont assigné la société Oxypharm devant le Tribunal de commerce de Lille. Par le jugement susvisé, le tribunal a partiellement fait droit aux demandes des requérantes, a estimé la résiliation brutale aux torts de la société Oxypharm, a écarté la demande de doublement du délai de préavis pour vente sous marque de distributeur, et a estimé que la durée d'un an du préavis était suffisante. Il a constaté la notification officielle de la rupture par lettre recommandée avec accusé de réception du 30 mars 2011 et dit que le préavis s'étendait jusqu'au 31 mars 2012.
C'est dans ces conditions de fait et de droit qu'est née la présente instance.
Sur la rupture des relations commerciales
Considérant que les sociétés Polymédic et Escarius, appelantes, sont toutes deux en relations commerciales avec la société Oxypharm, l'une facturant les commandes et les encaissant, l'autre les exécutant et recevant les réclamations des clients ; que leur responsabilité peut donc être engagée sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce ;
Considérant qu'aux termes des dispositions de l'article 442-6-I-5° : "Engage la responsabilité de son auteur et l'oblige à réparer le préjudice causé le fait, par tout producteur, commerçant, industriel ou personne immatriculée au répertoire des métiers : De rompre brutalement, même partiellement, une relation commerciale établie, sans préavis écrit tenant compte de la durée de la relation commerciale et respectant la durée minimale de préavis déterminée, en référence aux usages du commerce, par des accords interprofessionnels. Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur. (...). Les dispositions qui précèdent ne font pas obstacle à la faculté de résiliation sans préavis, en cas d'inexécution par l'autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure. (...)" ;
Considérant que les parties ne contestent pas l'existence de relations établies entre elles, leur rupture brutale impliquant l'application de l'article L. 442-6-I-5° du Code de commerce et la nécessité, prévue par cet article, de respecter un préavis ; qu'elles sont, en revanche, opposées sur son point de départ et sa durée ;
Les relations de 2007
Considérant que la baisse des chiffres d'affaires des deux sociétés, en 2007, est insuffisante en soi pour imputer à la société Oxypharm une cessation partielle des relations commerciales établies à cette date ; que les sociétés appelantes se contentent de verser aux débats un extrait des comptes du groupe Astera, maison-mère d'Oxypharm, faisant état des ventes en 2010, qui n'est pas probant pour l'année 2007, en cause dans le présente litige ; qu'au surplus, les parties ne s'étaient pas engagées sur un volume minimal d'affaires ; qu'il n'y a eu aucun déréférencement brutal en 2007, tous les produits ayant été maintenus dans les catalogues Oxypharm ; que le chiffre d'affaires de la société Escarius a fortement baissé en 2007, pour des raisons étrangères à ses ventes à Oxypharm ; que les demandes des appelantes pour rupture partielle des relations commerciales en 2007 seront donc rejetées et le jugement entrepris confirmé sur ce point ;
La rupture en 2011
Considérant que s'agissant de la rupture des relations commerciales en 2011, il n'est pas contesté que la société Oxypharm a décidé de déréférencer les produits de la sociétés Escarius ; que les parties diffèrent sur le point de départ du préavis et sur sa durée ; que si la société Oxypharm considère que la rupture est intervenue à partir du 1er février 2011, date à laquelle le préavis à commencé à courir, il convient de retenir, comme l'a fait le tribunal, la date du 31 mars 2011, date de la lettre recommandée avec accusé de réception par laquelle la société Oxypharm notifie clairement l'arrêt des relations commerciales ; que la société a acheté des produits jusqu'au 31 janvier 2012 ; que le préavis consenti a donc duré 10 mois ;
Considérant que la dépendance alléguée entre les partenaires n'existe pas entre Oxypharm et Escarius, 20 % de l'activité de cette société lui étant imputable, mais existe, par nature, entre les sociétés Polymédic et Oxypharm, Polymédic étant une société de facturation des seules livraisons effectuées par la société Escarius à Oxypharm ; qu'au regard de la durée des relations commerciales (24 ans), et de l'intensité de ces relations, un préavis de 24 mois était de rigueur ; que le jugement entrepris sera donc infirmé sur la longueur du préavis ;
Considérant que les appelantes demandent le doublement du préavis selon les dispositions de l'article L. 442-6 qui prévoient que "Lorsque la relation commerciale porte sur la fourniture de produits sous marque de distributeur, la durée minimale de préavis est double de celle qui serait applicable si le produit n'était pas fourni sous marque de distributeur" ;
Mais considérant que la preuve n'est pas rapportée que la société Oxypharm aurait défini le produit ou ses caractéristiques ; que les produits vendus par Polymédic ne sont donc pas des marques de distributeur et la demande sera rejetée ;
Sur le montant des dommages-intérêts sollicités
Considérant que les appelantes produisent les preuves comptables permettant d'établir leur préjudice (attestation d'expert-comptable, bilan) ; que si la société Polymédic est une société fictive, dont le rôle est limité à la facturation et à l'encaissement, elle constitue une personne morale distincte qui a subi une perte de marge propre, à la suite de la résiliation brutale ; que 10 mois de préavis ayant été effectués, il reste 14 mois à indemniser ;
Considérant que le préjudice qui découle d'une rupture brutale de relations commerciales établies est constitué de la perte subie ou du gain dont la victime a été privée ; que l'indemnité qui tend à réparer ce type de préjudice correspond à la perte de marge brute sur le chiffre d'affaires qui aurait dû être perçue si un préavis conforme aux usages du commerce avait été consenti ; qu'il convient d'allouer à la société Polymédic la marge brute qu'elle aurait perçue pendant 14 mois, qui sera calculée sur la base de la moyenne de la marge brute au titre des trois derniers exercices clos, soit 100 471 (545 152 euros X 18,43 %) par an, 100 471 étant la moyenne du chiffre d'affaires : (570 591 + 566 628 + 498 247)/3), et équivaut à la somme de 117 216 euros pour 14 mois ; qu'il convient d'allouer à la société Escarius la marge brute qu'elle aurait perçue pendant 14 mois, qui sera calculée sur la base de la moyenne de la marge brute au titre des trois derniers exercices clos, soit 184 416 (480 000 euros X 38,42 %) par an, 184 416 étant la moyenne du chiffre d'affaires : (516 803 + 494 471 + 429 437) / 3), et équivaut à la somme de 215 152 euros pour 14 mois ; qu'il y a lieu de condamner la société Oxypharm à payer à la société Laboratoires Polymédic la somme de 117 216 euros et à la société Laboratoires Escarius la somme de 215 152 euros, lesdites sommes étant assorties des intérêts au taux légal à compter du 3 juillet 2012 et ces intérêts échus étant capitalisés ; que le jugement déféré sera donc infirmé sur le quantum des condamnations mises à la charge de la société Oxypharm ;
Sur la demande reconventionnelle de la société Oxypharm
Considérant que si la société Oxypharm prétend avoir subi un préjudice du fait du caractère fictif de la société Polymédic, qui aurait entrainé à son encontre une surfacturation préjudiciable, elle ne démontre pas avoir été tenue dans l'ignorance de cet état de fait, car elle payait les marchandises à Polymédic et était livrée par Escarius ; que, par ailleurs, elle ne démontre pas avoir été la seule entreprise à être contrainte de passer par cette société intermédiaire pour acheter les produits de la société Escarius ; qu'elle ne rapporte donc pas la preuve d'une pratique de concurrence déloyale ou discriminatoire ; qu'au surplus, le surcoût allégué de 20 % n'est pas démontré ; que le jugement entrepris sera donc également confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande ;
Par ces motifs : Confirme le jugement entrepris, sauf sur la durée du préavis et le quantum des condamnations, L'infirme sur ces points, Et, statuant à nouveau, Condamne la société Oxypharm à payer à la société Laboratoires Polymédic la somme de 117 216 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du 3 juillet 2012, lesdits intérêts échus capitalisés, Condamne la société Oxypharm à payer à la société Laboratoires Escarius la somme de 215 152 euros, majorée des intérêts au taux légal à compter du 3 juillet 2012, lesdits intérêts échus capitalisés, Déboute les parties du surplus de leurs demandes, Condamne la société Oxypharm aux dépens de l'instance d'appel qui seront recouvrés selon les dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile, Condamne la société Oxypharm à payer à chacune des sociétés Laboratoires Polymédic et Laboratoires Escarius la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.