CA Paris, Pôle 5 ch. 5, 11 avril 2013, n° 10-21428
PARIS
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Montblanc France (SAS)
Défendeur :
Courrier
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Perrin
Conseillers :
Mmes Pomonti, Michel-Amsellem
Avocats :
Mes de Boissieu, Champetier de Ribes, Teytaud, Quilichini
FAITS ET PROCEDURE
La société Montblanc est l'importateur exclusif des produits de luxe Montblanc qu'elle commercialise dans le cadre d'un réseau de distributeurs dans le monde entier.
Monsieur Courrier exploite un commerce de tabac et de cadeaux sous l'enseigne "le Havane" et s'est vu confier la distribution de produits Montblanc depuis le 11 septembre 2002.
Estimant qu'il ne remplissait plus les critères contractuellement prévus en termes de stock, la société Montblanc lui a notifié, par lettre du 14 janvier 2008, la rupture de leurs relations commerciales.
Estimant cette rupture abusive, M. Courrier a fait assigner la société Montblanc devant le Tribunal de commerce de Paris, demandant une somme de 100 000 euros en réparation de son préjudice et la reprise de son stock.
Par un jugement en date du 24 septembre 2010, assorti de l'exécution provisoire, le Tribunal de commerce de Paris a :
- condamné la société Montblanc à payer à M. Courrier, la somme de 9 000 euros à titre de dommages et intérêts, pour perte de marge consécutive à une rupture abusive et fautive des relations commerciales,
- condamné la société Montblanc à payer à M. Courrier la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
- rejeté la demande de reprise des stocks formulée par M. Courrier,
- débouté les parties de leurs demandes autres, plus amples ou contraires.
Vu l'appel interjeté, le 3 novembre 2010, par la société Montblanc contre ce jugement.
Vu les dernières conclusions, signifiées 8 février 2013, par lesquelles la société Montblanc demande à la cour de :
- recevoir la société Montblanc en ses demandes, fins et conclusions et l'y déclarer bien fondée,
En conséquence,
- infirmer le jugement rendu par la 19ème chambre du Tribunal de commerce de Paris le 24 septembre 2010 en ce qu'il a condamné la société Montblanc à payer à M. Courrier, la somme de 9 000 euros à titre de dommages et intérêts, pour perte de marge consécutive à une rupture abusive et fautive des relations commerciales ainsi que la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile,
Statuant à nouveau,
- juger que la résiliation du contrat de distribution sélective en date du 11 septembre 2002 entre la société Montblanc et M. Courrier intervenue le 14 janvier 2008 est motivée et fondée,
En conséquence,
- condamner M. Courrier à restituer à la société Montblanc la somme de 14 000 euros,
Subsidiairement,
- fixer le préjudice de M. Courrier, à hauteur d'un an de marge bénéficiaire nette soit la somme de 4 200 euros et en conséquence,
- condamner M. Courrier, à restituer à la société Montblanc la somme de 9 800 euros,
Dans tous les cas,
- confirmer le jugement de première instance pour le surplus,
- condamner M. Courrier à payer à la société Montblanc la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
La société Montblanc considère que le contrat de distribution sélective peut imposer au distributeur un montant minimal d'achats à effectuer à la première commande, la détention d'un stock d'articles ou encore un minimum annuel d'achats. Il s'agit d'une exigence d'ordre qualitatif qui tend à prévenir une dépréciation du produit dû à un assortiment insuffisant et périmé.
Elle retient également qu'à la lecture des catalogues des produits Montblanc et de leurs prix moyens, il est évident qu'un niveau de commandes de l'ordre de 4 000 euros par an est totalement insuffisant, représentant très peu de produits et caractérise par la même l'absence de rotation suffisante du stock.
Elle considère à cet effet, que si le niveau de commandes minimal n'est pas inscrit dans l'article IV j), la particulière faiblesse du montant des commandes annuelles de M. Courrier illustre parfaitement l'absence de respect de ce contrat et des conditions de la distribution sélective, puisque ce niveau de commandes, de 43 331,80 euros HT pour l'année, représente quelques stylos et accessoires et principalement des recharges.
Elle prétend enfin que la résiliation est parfaitement motivée car cette situation n'est pas conforme avec l'image de luxe, de prestige et de qualité que la marque Montblanc veut véhiculer auprès de sa clientèle ; elle ajoute que M. Courrier a reconnu implicitement ce problème d'insuffisance de représentativité et de rotation de son stock puisqu'il reconnaît ne vendre que de la petite maroquinerie, les stylos premiers prix et principalement des recharges.
Toutefois, elle considère que si la cour devait retenir l'existence d'une résiliation non motivée, il serait nécessaire de diminuer le montant des condamnations en ce que M. Courrier ne justifie en rien du montant exact de son préjudice.
Vu les dernières conclusions, signifiées le 3 juin 2011, par lesquelles M. Courrier demande à la cour de :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a dit la rupture intervenue abusive,
- dire et juger que la société Montblanc a, de pure mauvaise foi, visé dans sa lettre de rupture, la non-distribution de produits qu'elle n'avait pas confiés au concluant,
- dire et juger que celui-ci ne pouvait pas être tenu au-delà des termes du contrat écrit,
- dire et juger qu'en maintenant sa position alors même que le concluant lui avait fait connaître les erreurs qu'elle commettait, la société Montblanc a rompu abusivement le contrat,
- dire et juger qu'en invoquant une faute du concluant alors que la rupture n'avait pour origine qu'une volonté délibérée de la société Montblanc de se débarrasser d'un certain nombre de distributeurs, la société Montblanc a commis une faute et causé un préjudice tant moral que commercial dont elle doit réparation,
- infirmer le jugement entrepris en ce qui concerne le quantum,
- dire et juger qu'à raison du préjudice moral et économique subi par le concluant, notamment par l'interdiction qui lui a été faite de distribuer des produits par elle payés ainsi que par le refus de livraison de consommables rendant impossible toute vente, le préjudice par lui subi est de 60 000 euros, somme tenant compte de la perte d'image liée à l'impossibilité dans laquelle il s'est trouvé de satisfaire des clients anciens, tant sur le service après-vente que sur les consommables,
- condamner de ce chef la société Montblanc au versement d'une somme de 60 000 euros,
- confirmer le jugement en ce qu'il a fait droit en son principe à la demande de reprise de stock,
- dire et juger qu'en rompant abusivement le contrat, la société Montblanc a commis une faute et que le concluant a droit à la réparation intégrale de son préjudice,
- dire et juger que cette réparation intégrale comprend l'obligation pour la société Montblanc de reprendre l'intégralité du stock que le concluant n'a pu vendre alors qu'elle l'avait payé, à la valeur d'achat dudit stock,
- dire et juger que cette reprise de stock, pour les mêmes raisons, se fera aux frais exclusifs de la société Montblanc,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a alloué à la concluante la somme de 5 000 euros au titre des frais irrépétibles exposés devant le premier juge et condamner en outre la société Montblanc au versement d'une somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles exposés devant la cour.
Monsieur Courrier soutient qu'à la lecture du contrat, les parties ont contractuellement défini le périmètre des produits confiés à sa distribution et qu'il n'était pas tenu de distribuer un quelconque autre produit, aucun écrit n'étant venu élargir la gamme visée à l'annexe 1 du contrat.
Il ajoute ensuite que c'est au regard de cette obligation contractuelle qu'il convient d'analyser le motif de rupture invoqué par la société Montblanc.
Il considère que la rupture est abusive et est intervenue en fait pour un faux prétexte car, selon la société Montblanc la gamme de produits détenue par lui n'est pas suffisamment représentative alors que c'est la société Montblanc qui, par contrat écrit, l'a limitée.
Il retient ainsi que la décision de la société Montblanc lui a causé un préjudice commercial important.
La cour renvoie, pour un plus ample exposé des faits et prétentions initiales des parties, à la décision déférée et aux écritures susvisées, par application des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile.
MOTIFS
Sur la rupture des relations commerciales
Considérant que la société Montblanc n'a présenté en appel aucun moyen nouveau de droit ou de fait qui justifie de remettre en cause le jugement attaqué lequel repose sur des motifs pertinents, résultant d'une analyse correcte des éléments de la procédure, notamment des pièces contractuelles et de la juste application de la loi et des principes régissant la matière,
Considérant que la société Montblanc fait valoir qu'un contrat de distribution sélective peut imposer au distributeur un montant minimal d'achats à effectuer à la première commande, la détention d'un stock d'articles ou d'un minimum d'achats annuels et qu'un niveau de commandes de 4 000 euros par an est totalement insuffisant, représentant peu de produits et caractérisant une absence de rotation suffisante du stock ; que cette circonstance n'est pas conforme avec l'image de luxe, de prestige et de qualité véhiculée par la marque ;
Considérant que les parties ont contractuellement défini les produits Montblanc commercialisés par M. Courrier comme étant les instruments d'écriture noblesse et génération, les instruments d'écriture Meierstück, la petite maroquinerie Meisterstück et le papier ;
Que par lettre circulaire du 12 décembre 2007 la société Montblanc a écrit à une centaine de ses distributeurs "il est impératif pour notre marque que les revendeurs membres du réseau de distributeurs agréés détiennent en permanence une gamme de produits suffisamment représentative de la gamme Montblanc. (...) Votre chiffre d'affaires au cours de 12 derniers mois indique que vous ne détenez pas une gamme suffisamment complète de nos produits. (...) Nous sommes contraints de vous mettre en demeure de respecter les dispositions du contrat de distribution".
Considérant que la gamme des produits Montblanc distribués par M. Courrier avait été contractuellement limitée par la société Montblanc à des articles précis ; que cette lettre, de par son caractère vague et général ne permet pas de caractériser le moindre reproche à l'égard de M. Courrier qui ne pouvait être concerné que par certains produits précis et non l'ensemble des produits de la marque telle que figurant dans son catalogue ;
Considérant que M. Courrier a, par lettre du 19 décembre 2007, contesté point par point les reproches faits par la société Montblanc, faisant valoir que son stock avait été en constante progression depuis 2002 et que n'ont pas été prises en compte les dernières commandes; que la société Montblanc n'a jamais répondu mais a procédé à une livraison dans les jours précédant la rupture ;
Considérant qu'il résulte des éléments produits que la société Montblanc avait décidé de réorganiser son réseau de distribution en faisant distribuer l'ensemble de ses produits par des magasins dédiés à sa marque ; que, si, à cette fin, elle pouvait mettre fin à une relation commerciale dont elle ne conteste pas le caractère établi, elle ne pouvait le faire de manière brutale mais elle devait donner à son distributeur un délai lui permettant de se réorganiser.
Qu'ainsi la société Montblanc a rompu, pendant les fêtes de fin d'année, de manière brutale et abusive une relation commerciale établie depuis plusieurs années ;
Sur le préavis
Considérant que la société Montblanc expose que la durée du préavis fixé à 15 mois par les premiers juges au regard de la relation commerciale qui n'a duré que 5 ans ;
Considérant qu'au regard de la durée des relations commerciales et du volant d'affaires entretenu il y a lieu de fixer celui-ci à 10 mois et de réformer le jugement entrepris.
Sur le calcul du préjudice
Considérant que la société Montblanc conteste le montant alloué par les premiers juges faisant valoir que M. Courrier n'a pas produit d'éléments probants pour justifier de son préjudice de sorte que la réalité de son chiffre d'affaires ne serait pas connue ; que toutefois elle ne conteste pas la base des éléments chiffrés retenus par le tribunal mais prétend à des frais de fonctionnement dont il devrait être tenu compte à hauteur de 40 % ;
Considérant que la société Montblanc a écrit le 12 décembre 2007 à M. Courrier lui faisant part de ce que son chiffre d'affaires pour les 12 derniers mois s'est élevé à 5 507 euros, ce que celui-ci n'a pas contesté, indiquant "Il est vrai que pour l'année 2007 mon chiffre d'affaire est plus faible que pour les années précédentes mais cela s'explique par le fait que mon stock était à un niveau anormalement élevé suite à une fin d'année 2006 très moyenne";
Considérant que les pièces produites qui concernent les années 2006 et 2007 mettent en évidence une marge brute à hauteur de 45 % ;
Que s'agissant de la marge brute, il n'est pas démontré que M. Courrier, commerçant individuel ait eu des charges de fonctionnement et d'investissement marketing à l'occasion de la vente des produits Montblanc qui n'étaient qu'accessoire à son activité principale ; qu'il y a lieu de retenir le calcul des premiers juges sauf à le limiter à une période de 10 mois soit 5 830 euros ;
Considérant, de plus, qu'au moment de la rupture, M. Courrier venait d'être livré de sorte que son stock s'élevait à 10 740 euros au 31 décembre 2007 ; qu'en refusant de livrer des consommables à M. Courrier et en lui interdisant de vendre le stock acheté et payé alors que l'on se trouvait en période de fêtes, la société Montblanc a nécessairement empêché celui-ci de réaliser une partie de son chiffre d'affaires ; qu'ainsi le calcul de sa marge brute s'est trouvée minorée ; qu'outre ce préjudice, cette circonstance a généré un préjudice moral en ce que M. Courrier n'a pas pu satisfaire sa clientèle ce qui a nui à son image commerciale ; qu'il y a lieu de lui allouer, du chef de ces préjudices, en réparation une somme de 10 000 euros.
Sur la reprise des stocks
Considérant que la société Montblanc soutient que M. Courrier ne justifie pas de l'existence de son stock ;
Considérant que M. Courrier soutient que la somme de 10 740 euros correspondant à la valeur de son stock doit lui être allouée en réparation de son préjudice ;
Considérant que M. Courrier a écrit le 19 décembre 2007 à la société Montblanc "A ce jour ce stock est revenu à un niveau raisonnable financièrement et je vais pouvoir aborder 2008 dans de bonnes conditions (...) c'est-à-dire avec un stock suffisant de produits Montblanc qui soit proportionné à la taille de mon point de vente et à mes ressources financières" ;
Qu'en conséquence, la société Montblanc qui n'a pas répliqué à ce courrier et qui n'a pas mis en œuvre de procédure pour en vérifier la consistance ne saurait en nier l'existence d'autant qu'elle a interdit à son distributeur de le commercialiser ;
Considérant que l'article XI c stipule que :
"La société se réserve le droit d'exiger du détaillant agréé Montblanc, le retour, à ses frais, de tout ou partie des stocks de produits Montblanc dont ils ne seront pas encore devenu propriétaire" ;
Que cette disposition ne saurait être appliquée dans la mesure où M. Courrier avait réglé la totalité des stocks qu'elle détenait ;
Considérant que l'article XI d stipule que :
"La société peut procéder au rachat, au prix originairement payé par le détaillant agréé Montblanc, de tout ou partie des stocks de produits Montblanc, en parfait état, qui ont été livrés au détaillant Montblanc dans les douze mois avant la fin du présent contrat ; les produits Montblanc toujours de mode et en parfait état qui ont été livrés au détaillant agréé Montblanc, plus de douze mois avant la fin du présent contrat pourront être rachetés par la société à leur prix d'achat originalement payé par la détaillant agrée Montblanc, réduit par 30 % ; les produits Montblanc démodés pourront être rachetés à leur valeur vénale. Le détaillant agrée Montblanc doit remettre à la société un inventaire de ses stocks et lui donner l'opportunité de procéder à l'inspection de ces derniers" ;
Considérant que la société Montblanc n'a pas offert de reprendre le stock de M. Courrier et que, par sa rupture brutale des relations commerciales et par son interdiction donnée à son distributeur de poursuivre la commercialisation de ses produits, elle a commis une faute; que, dès lors, la demande de M. Courrier ne peut se résoudre qu'en termes de dommages-intérêts ; que son préjudice résulte de la détention d'un stock qu'il ne peut plus écouler et ne saurait être inférieur à sa valeur alors même qu'il aurait pu le vendre avec une marge et alors qu'il n'est nullement démontré que des articles de cette marque subiraient une dépréciation dans le temps ; qu'il y a lieu de réformer le jugement entrepris et de condamner la société Montblanc à payer à M. Courrier la somme de 10 740 euros ;
Considérant qu'il y a lieu en conséquence de condamner la société Montblanc à payer à M. Courrier la somme totale de 26 570 euros (5 830 + 10 000 + 10 740).
Sur l'article 700 du Code de procédure civile
Considérant que M. Courrier a dû engager des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser en totalité à sa charge, qu'il y a lieu de faire application des dispositions de l'article 700 dans la mesure qui sera précisée au dispositif.
Par ces motifs : Et, adoptant ceux non contraires des premiers juges, LA COUR, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort, Confirme le jugement déféré en ce qu'il a dit la rupture intervenue abusive et en ce qu'il a condamné la société Montblanc à payer à M. Courrier la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Reforme pour le surplus et statuant à nouveau, Fixe à dix mois la durée du préavis dont aurait dû bénéficier M. Courrier, Condamne la société Montblanc à payer à M. Courrier la somme de 5 830 euros au titre du préavis non exécuté, la société Montblanc à payer à M. Courrier la somme de 20 740 euros à titre de dommages-intérêts, Rejette toute autre demande, Condamne la société Montblanc à payer à M. Courrier la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne la société Montblanc aux dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.