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Décisions

CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 19 avril 2013, n° 12-00521

PARIS

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Zimmermann Motorcycles (SARL)

Défendeur :

Honda Motors Co Ltd (Sté)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Aimar

Conseillers :

Mmes Nerot, Renard

Avocats :

Mes Pamart, Junqua Lamarque, de Dampierre, Banchereau

TGI Paris, 3e ch. sect. 4, du 25 nov. 20…

25 novembre 2010

Vu les articles 455 et 954 du Code de procédure civile,

Vu le jugement du 25 novembre 2010 rendu par le Tribunal de grande instance de Paris (3e chambre 4e section),

Vu l'appel interjeté le 9 janvier 2012 par la SARL Zimmermann Motorcycles,

Vu les dernières conclusions de la SARL Zimmermann Motorcycles appelante en date du 20 avril 2012,

Vu les dernières conclusions de la société Honda Giken Kogyo Kabushiki Kaisha, intimée et incidemment appelante en date du 20 février 2013,

Vu l'ordonnance de clôture en date du 21 février 2013,

Sur ce, LA COUR,

Il est expressément renvoyé pour un plus ample exposé des faits de la cause et de la procédure à la décision entreprise et aux écritures des parties,

Il sera simplement rappelé que :

- la société Zimmermann Motorcycles est un revendeur indépendant de véhicules neufs toutes marques situé à Munster dans l'Est de la France, elle importe et commercialise des motos, motos cross, des quads,

- la société Honda Giken Kabushiki Kaisha fabrique et commercialise des véhicules, motos, véhicules tout terrain qu'elle fournit à différentes filiales,

- elle est titulaire de plusieurs marques Honda et notamment de :

* la marque française Honda n° 1 381 758 déposée le 27 novembre 1968, régulièrement renouvelée pour désigner notamment des véhicules, appareils de locomotion par terre dans la classe 12,

* la marque communautaire Honda n° 12 393 déposée le 1er avril 1996 régulièrement renouvelée pour désigner notamment des véhicules, appareils de locomotion par terre dans la classe 12,

Reprochant à la société Zimmermann Motorcycles d'importer et vendre en France des véhicules de marque Honda qui n'étaient pas destinés au marché européen et qui auraient été importés au sein de l'Union européenne sans son accord, la société Honda Giken Kabushiki Kaisha a fait procéder le 7 janvier 2009 en vertu d'une autorisation présidentielle du 22 décembre 2008, à une saisie-contrefaçon dans les locaux de la société Zimmermann et a engagé une procédure devant le Tribunal de grande instance de Paris.

Suivant jugement dont appel, le tribunal a essentiellement, avec exécution provisoire :

- dit que la société Zimmermann Motorcycles a commis des actes de contrefaçon en commercialisant sur le marché européen 50 véhicules de marque Honda sans le consentement de la société titulaire des marques française Honda n° 1 381 758 et communautaire n° 12 393,

- fait interdiction à la société Zimmermann Motorcycles d'importer et de commercialiser en France des produits revêtus de la marque Honda et mis sur le marché européen sans le consentement de la société Honda sous astreinte de 5 000 euros par infraction constatée passé la signification du jugement,

- s'est réservé la liquidation de l'astreinte,

- condamné la société Zimmermann Motorcycles à payer à la société Honda la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

En cause d'appel la SARL Zimmermann Motorcycles demande essentiellement dans ses dernières écritures du 20 avril 2012 de :

- infirmer le jugement déféré,

- débouter la société Honda Giken Kogyo Kabushiki de l'ensemble de ses demandes,

- condamner la société intimée à lui payer la somme de 1 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et celle de 20 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

Elle fait valoir à cet effet que :

- la société Honda ne conteste pas le droit à la société Zimmermann d'acheter et de vendre des véhicules Honda importés au sein de l'Union européenne sans pour autant appartenir au réseau agréé Honda,

- il est manifeste que l'action de la société Honda, sous la pression de sa filiale européenne, vise de manière détournée à empêcher la société Zimmermann de vendre en France des produits licitement mis sur le marché au sein d'un autre pays de l'Union européenne, marché sur lequel la filiale de la société Honda, la société Honda Motor Europe South est directement en concurrence avec la société Zimmermann,

- la société Honda cherche à instaurer une exclusivité d'importation au profit de sa filiale européenne à laquelle les membres du réseau ne sont même pas astreints, pouvant licitement importer ou exporter de pays tiers à l'Union européenne avec l'assentiment de la société Honda,

- elle n'a jamais importé de véhicules en provenance d'un pays n'appartenant pas à l'Union européenne, s'approvisionnant auprès de revendeurs situés en Belgique, en Espagne ou en Allemagne,

- les véhicules litigieux fabriqués par la société Honda sont identiques à ceux commercialisés par sa filiale en Europe et plus spécialement en France et ont la même origine,

- par procès-verbal de constat du 7 janvier 2009, l'huissier instrumentaire a obtenu communication des factures d'achat par la société Zimmermann auprès de ses fournisseurs, situés dans différents pays de l'Union européenne, à savoir :

* la société Tuybens Honda Center N.V, " revendeur officiel Honda ", société de droit belge,

* la société Bike & Price SL, société de droit espagnol

* la société Margarit A Krupko, société de droit allemand

* la société Motorrad Bayer, société de droit allemand

- elle prouve que les modèles vendus figurent dans le catalogue de vente de la filiale européenne de la société Honda Motor Company LTD, ou sur ses sites Internet,

- la technicité des motocycles et les autorisations nationales de mise sur le marché permettent au constructeur d'avoir une traçabilité entière de la fabrication à la revente au consommateur final des véhicules ; de tels produits ne peuvent être importés au sein de l'Union européenne sans documents et certificats fournis par le constructeur ou ses filiales attestant de leur homologation aux normes européennes,

- il est constant qu'un fournisseur de véhicules ne peut faire obstacle aux importations parallèles de véhicules (automobiles ou de motocycles) au prétexte de l'existence au sein de l'Union européenne d'un réseau de distribution sélective et exclusive sous peine de se rendre coupable de pratiques prohibées par les articles 101-1 du TFUE et L. 420-1 du Code du commerce,

- la société Honda ne peut user de ses droits de propriété intellectuelle pour faire obstacle à la libre circulation de ses produits au sein de l'Union européenne comme restreindre a posteriori des importations ou exportations de ses distributeurs qu'elle a contractuellement autorisées,

- le revendeur indépendant ne peut connaître les sources d'approvisionnement de ses propres fournisseurs, alors que les distributeurs officiels ont le droit d'importer ou exporter des véhicules Honda de pays tiers à l'Union européenne (article 3.17 du contrat européen de distribution), à la condition que le véhicule ait été acheté à un membre du réseau et que le véhicule bénéficie d'une homologation européenne,

- aucun de ses fournisseurs européens n'a fait l'objet de poursuites judiciaires,

- l'essentiel de l'argumentation de la société Honda repose sur l'attestation d'un de ses salariés Pascal Delavenne selon laquelle les véhicules relevés par l'huissier sur la base des codes VIN correspondant à ceux des véhicules qui ont été fabriqués hors de l'espace économique européen et qui n'étaient pas destinés à être commercialisés au sein de l'espace économique européen, qui ne peut être retenue, nul ne pouvant se constituer de preuve à soi-même,

- admettre cette attestation porterait atteinte à ses droits fondamentaux à obtenir le droit à un procès équitable et à l'égalité des armes,

- aucun autre élément du dossier ne prouve que les produits vendus étaient destinés à un marché étranger,

- les véhicules n° 26 à 48 (23 véhicules) de l'attestation de M. Delavenne présentent la lettre A dans leur code VIN ce qui indique qu'ils ont été fabriqués pour le marché européen, attestant la volonté explicite de la société Honda de commercialiser ces véhicules en Europe et donc son acceptation au sens de l'article L. 713-4 du Code de la propriété intellectuelle,

- 31 véhicules étaient en spécification européenne et les 3 quads ont tous un certificat de conformité européenne,

- en exigeant la preuve que les véhicules en spécification européenne faisant l'objet d'une diffusion mondiale ne puissent être vendus hors de l'Union européenne, les premiers juges posent une condition qui n'a aucun fondement et qui est impossible à démontrer,

- 13 motocyclettes étaient revêtues de l'étiquette CE, y compris le véhicule 29 omis par M. Delavenne et l'huissier instrumentaire,

- les motocycles n° 26 à 48 sont pourvues de l'étiquette CE alors qu'ils étaient neufs, emballés et encartonnés,

- les véhicules 23 à 25 sont des quads dont l'un a fait l'objet d'un certificat de conformité européen,

- dès lors qu'un modèle a fait l'objet d'une procédure d'homologation européenne il n'est nullement nécessaire de produite pour chaque véhicule un certificat de conformité,

- les motocyclettes n° 1 à 18 ont été importées d'Allemagne auprès de la société Motorrad Bayer et Margarita Krupko et l'ensemble de leurs factures d'achat a été versé aux débats,

- elle a appris de la société Motorrad Bayer que les véhicules litigieux auraient été acquis par cette dernière auprès d'un concessionnaire exclusif Honda aux Etats-Unis lui-même s'approvisionnant directement auprès de la filiale de la société mère Honda Motor Company,

- le consentement de la société Honda à l'exportation des véhicules litigieux des États-Unis ne peut faire aucun doute, car une entité ayant un lien économique avec la société mère a pu donner son consentement à l'importation dans l'EEE,

- des véhicules ont été achetés auprès de la société Tuybens, concessionnaire agréé Honda qui peut acheter et importer des véhicules Honda d'un pays tiers de l'Union européenne sans avoir besoin d'une autorisation expresse mais ne pouvait revendre ses véhicules à un revendeur indépendant sans connaître une résiliation immédiate de son contrat de distributeur, or aucune sanction n'a été édictée à son encontre,

- la société Honda ne justifie d'aucun préjudice et par ailleurs la désorganisation du circuit de distribution ne pourrait être invoquée que par la société Honda Motor Europe South qui n'est pas partie à l'instance.

La société Honda Giken Kabushiki Kaisha, intimée s'oppose aux prétentions de la société appelante, et pour l'essentiel, demande au visa des articles L. 713-2, L. 713-4 et L. 716-1 du Code de la propriété intellectuelle et des articles 9 et 13 du règlement CE n° 40-94 du Conseil du 20 décembre 1993 sur la marque communautaire, selon ses dernières conclusions en date du 20 février 2013 :

- la confirmation du jugement en ce qu'il a dit et jugé que la société Zimmermann a commis des actes de contrefaçon de ses deux marques Honda et lui a fait interdiction, sous astreinte d'importer et de commercialiser en France des véhicules qui reproduisent la marque Honda qui n'ont pas été mis sur le marché au sein de l'Union européenne avec son accord,

- l'infirmer sur le montant de l'indemnisation qui lui a été accordée,

- et statuant à nouveau, condamner la société Zimmermann à lui payer la somme de 100 000 euros à titre de dommages et intérêts, et celle de 40 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- ordonner des mesures de publication de la décision à intervenir.

La société intimée expose à cet effet que :

- la société Zimmermann a importé en France en vue de la vente des véhicules de marque Honda qui n'étaient pas destinés au marché européen et qui ont été importés au sein de l'Union européenne sans son accord,

- lors des opérations de saisie-contrefaçon, l'huissier instrumentaire a noté les codes VIN (vehicle identification number) également appelé NIV (numéro d'identification véhicule) des véhicules disponibles dans les locaux de la société Zimmermann et a procédé à l'inspection de leur documentation,

- l'analyse des codes VIN démontre que ces véhicules n'étaient pas destinés au marché européen,

- elle verse aux débats une attestation de M. Delavenne, représentant de la société Honda Motor Europe South listant expressément les véhicules commercialisés par la société Zimmermann qui n'étaient pas destinés au marché européen et dont les références ont pu être relevées lors des opérations de saisie-contrefaçon,

- la seule circonstance que M. Delavenne est un employé de Honda est insuffisante pour contester cette attestation dès lors que celui-ci indique clairement sa qualité,

- il appartient à l'appelante qui se prévaut de l'épuisement des droits de démontrer que chacun des produits litigieux a été mis dans le commerce de la Communauté européenne sous la marque Honda, avec son consentement,

- il importe peu que les véhicules litigieux aient été acquis auprès de revendeurs situés au sein de l'Union européenne, l'appelante, professionnelle aurait dû s'assurer auprès de ses fournisseurs que les véhicules étaient susceptibles d'être commercialisés au sein de l'Union européenne,

- le fait que des véhicules du même type et modèle soient commercialisés en France ou que certains aient été fabriqués en spécification européenne, ne suffit pas pour établir le consentement du titulaire des droits pour l'importation de tous véhicules du même type,

- il en est de même concernant la présence ou l'absence de certificat d'homologation, et marquage CE,

Aux termes de l'article 7 de la directive communautaire n° 2008-95 du 22 octobre 2008 et 13 du Règlement 107-2009 du 26 février 2009 le droit conféré par la marque ne permet pas à son titulaire d'interdire l'usage de celle-ci pour des produits qui ont été mis dans le commerce dans la Communauté économique européenne ou de l'Espace économique européen sous cette marque par le titulaire ou avec son consentement.

Si la société Zimmermann justifie avoir acquis les véhicules disponibles dans ses locaux portant la marque Honda auprès de fournisseurs situés en Europe, il lui appartient d'établir que chacun de ces véhicules ont été importés au sein de l'Union européenne avec l'accord de la société Honda titulaire de cette marque.

Or, il résulte des opérations de saisie-contrefaçon et notamment des factures d'achat des véhicules litigieux, que ceux-ci n'ont pas été acquis auprès de revendeurs Honda, et que sont apposés sur ces véhicules des codes VIN permettant de connaître l'historique des informations relatives aux véhicules et notamment l'endroit où ils ont été fabriqués et mis sur le marché.

Il ressort de l'attestation de M. Pascal Delavenne, qui s'est précisément identifié comme représentant de la société Honda Motor Europe, qui a de par cette qualité connaissance des significations des codes internes, que les véhicules listés n'étaient pas destinés au marché européen.

La seule circonstance que ce témoignage est issu d'un des salariés du groupe Honda ne commande pas de l'écarter dès lors qu'il indique des éléments de faits que seuls les salariés peuvent connaître et que la société Zimmermann, n'apporte aucun élément probant contraire, tel que des attestations de ses fournisseurs sur l'origine des véhicules importés ou factures.

L'appelante ne peut se retrancher sur le fait que les acquisitions ont été faites auprès de revendeurs situés dans la Communauté européenne, alors qu'en sa qualité de professionnelle il lui appartenait de vérifier la possibilité de revente en Europe des véhicules importés.

Le fait que le catalogue de Honda propose les mêmes modèles à la vente que les véhicules litigieux n'est pas de nature a établir le consentement de la société Honda pour l'importation de tous les véhicules du même type et modèle au sein de l'Union européenne.

Par ailleurs, le fait que certains des véhicules soient fabriqués en spécification européenne ou comportent le marquage CE, n'établit pas de façon certaine qu'ils soient exclusivement commercialisés en Europe dès lors qu'ils peuvent être commercialisés sous ces spécifications dans des pays tiers.

Concernant les quads ceux-ci ont été acquis auprès de la société HM Motos Spa qui est une société indépendante et non une filiale de la société Honda et le certificat d'homologation émanant de la société italienne HM Motos Spa communiqué aux débats, ne comporte pas le code VIN permettant d'établir qu'elle concerne l'un des véhicules listés lors des opérations de saisie-contrefaçon, de sorte que la preuve du consentement de la société Honda n'est pas rapportée.

Il en ressort que l'appelante à qui la preuve incombe ne justifie d'aucune autorisation explicite de la société Honda pour l'importation de chacun des véhicules comportant la marque Honda au sein de la Communauté européenne.

L'atteinte portée aux droits privatifs de la société Honda justifie un droit à réparation justement fixé par le tribunal qu'il convient de confirmer à ce titre.

Il n'est pas justifié que les actes de contrefaçon aient occasionné à la société intimée une perte de vente de ses produits éventuellement subie par sa licenciée française ou désorganisé son circuit de distribution.

C'est donc à bon droit que le tribunal a rejeté sa demande de ce chef.

En revanche en regard de la nature des faits commis la mesure de publication judiciaire, doit être ordonnée à titre de complément de réparation, selon les termes du dispositif.

L'équité commande en revanche d'allouer à la société intimée en sus de la somme allouée au titre des frais irrépétibles en première instance celle de 8 000 euros.

Les dépens resteront à la charge de la société appelante qui succombe et qui seront recouvrés par les avocats de la cause dans les conditions de l'article 699 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : Confirme le jugement ses dispositions, sauf en ce qu'il a rejeté la demande de publication judiciaire, En conséquence, Rejette l'ensemble des demandes de l'appelante, Y ajoutant, Condamne la société appelante à payer à la société intimée la somme de 8 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Ordonne la publication par extrait de la présente décision dans 3 journaux ou périodiques au choix de la société Honda aux frais de la société Zimmermann Motorcycles dans la limite de 4 000 euros TTC par insertion, Rejette le surplus des demandes reconventionnelles de la société intimée, Condamne la société appelante aux entiers dépens qui seront recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.