CA Rouen, ch. corr., 7 mars 2013, n° 12-00514
ROUEN
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Ministère public, UFC Que Choisir, Direction Départementale de la protection des populations de Seine-Maritime
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Aubry
Conseillers :
Mme Martin, M. Schricke
Avocats :
Mes Gacouin, Kersual
RAPPEL DE LA PROCÉDURE:
La SAS X (enseigne Y) a été citée le 16 février 2012 par le procureur de la République à comparaître devant le Tribunal correctionnel de Rouen le 30 mai 2012.
Elle était prévenue aux fins de s'entendre déclarer responsable pénalement de l'infraction commise pour son compte par son organe ou représentant à Rouen, courant 2010, notamment les 24 septembre et 14 octobre 2010, en tous cas sur le territoire national et depuis temps non prescrit,
infraction consistant s'être rendue coupable de pratiques commerciales trompeuses reposant sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur, portant sur le prix le mode de calcul du prix, le caractère promotionnel du prix, et la portée des engagements pris par l'annonceur,
en l'espèce en annonçant sur les emballages de produits mis en vente la gratuité d'une quantité déterminée de produits alors que :
- soit il n'existe aucun prix de référence la justifiant,
- soit le prix de vente est plus élevé que ce qu'il devrait être compte tenu de l'offre.
Liste des produits relevée en page 5 à 11 du procès-verbal 2011/022 de la Direction Départementale de Protection des Populations de Seine-Maritime en date du 14 janvier 2011 dont copie jointe ci-après :
Faits prévus et réprimés par les articles L. 121-1, L. 121-1-1, L. 121-4, L. 121-5, L. 121-6 et L. 213-1, 213-6 du Code de la consommation, 121-2 et 131-37 à 131-39-1 du Code pénal.
<EMPLACEMENT LISTE>
LE JUGEMENT :
Par jugement contradictoire en date du 27 avril 2012, après mise en délibéré, le tribunal correctionnel de Rouen a :
- sur l'action publique, déclaré la SAS X coupable des faits reprochés et l'a condamnée à une peine d'amende délictuelle d'un montant de 10 000 euros, ainsi qu'à la publication du jugement par extrait dans le journal Paris Normandie (édition Rouen) aux frais de la société condamnée ;
- sur l'action civile, déclaré recevable la constitution de partie civile de l'association UFC Que Choisir et condamné la SA X à lui verser les sommes de 500 euros à titre de dommages et intérêts, 300 euros sur le fondement de l'article 475-1 du Code de procédure pénale et a rejeté la demande d'affichage du jugement aux portes du magasin.
LES APPELS :
La SAS X a interjeté appel principal des dispositions pénales et civiles de ce jugement le 3 mai 2012 par déclaration au greffe du Tribunal de grande instance de Rouen, par l'intermédiaire de son conseil.
Le Procureur de la République a formé appel incident le 3 mai 2012 sur les dispositions pénales du même jugement, par déclaration au greffe du Tribunal de grande instance de Rouen.
L'association UFC Que Choisir a interjeté appel incident sur les dispositions civiles du jugement, par déclaration au greffe du Tribunal de grande instance de Rouen le 7 mai 2012,
LA DÉCISION :
Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,
En la forme :
La SAS X, citée le 25 juillet 2012 en la personne de son représentant, à comparaître devant la cour siégeant le 24 janvier 2013, est représentée par son conseil.
La partie civile, citée le 20 juillet 2012 en la personne de son représentant, est représentée par son conseil.
La Direction Départementale de la Protection des Populations de la Seine-Maritime, partie jointe a été citée le 23 juillet 2012 à personne habilitée à recevoir l'acte et elle est légalement représentée.
Il sera donc statué par arrêt contradictoire à l'égard du prévenu, de la partie civile et de la partie jointe.
Au vu des énonciations qui précèdent et des pièces de la procédure, l'appel principal interjeté par le prévenu et les appels incidents formés par le Procureur de la République et la partie civile, dans les formes et les délais des articles 496 et suivants du Code de procédure pénale, sont réguliers et recevables.
Au fond :
I- Les faits :
La Direction Départementale de la Protection des Populations de la Seine Maritime a procédé le 24 septembre 2010, au magasin à l'enseigne Y exploité par la SAS X au centre commercial Saint-Sever de Rouen, à un contrôle ayant pour objet le caractère licite des annonces promotionnelles présentées sur les emballages de différents produits (alimentaires ou non), concernant l'offre d'une quantité gratuite. Un échantillonnage de trente-six produits de grande consommation, alimentaires ou non, a été contrôlé parmi ceux pour lesquels était annoncée une quantité gratuite supplémentaire ou une remise de prix (après exclusion de ceux qui étaient inclus dans un catalogue promotionnel impliquant la fixation du prix de vente par un fournisseur).
Les agents contrôleurs ont vérifié notamment l'existence, préalablement à la vente promotionnelle, des produits dits "références", c'est-à-dire de la vente préalable d'un même produit de même marque en quantité comparable sans promotion dans ce magasin, seule la comparaison avec une telle référence permettant de vérifier l'exactitude de la gratuité ou de la remise de prix annoncées.
La Direction Départementale de la Protection des Populations a constaté les anomalies suivantes :
* Dans dix cas, aucun produit de référence, avec conditionnement identique ou approchant, n'a pu être découvert. (Dont huit cas où le produit n'avait même jamais été commercialisé dans le magasin).
* Parmi les cas où ont pu être relevées des références approchantes ou identiques :
* Pour huit produits la quantité gratuite réelle était supérieure à celle annoncée. Cependant un seul d'entre eux concernait une référence correcte (conditionnement comparable), alors que la comparaison avec des références seulement approchantes est nécessairement favorable au distributeur.
* Dans trois cas la quantité gratuite était égale à celle annoncée (dans ces trois cas la référence était correcte).
* Dans cinq cas il y avait en réalité surcoût pour l'acheteur et dans deux cas, il n'y avait en réalité aucune quantité gratuite.
Dans huit cas enfin la quantité gratuite était en réalité inférieure à celle annoncée.
II- Prétentions des parties :
La partie civile a sollicité la condamnation de la SAS X au paiement de la somme de 20 000 euros au titre de l'indemnisation du préjudice collectif des consommateurs ainsi que 3 000 euros au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
La Direction Départementale de la Protection des Populations de Seine-Maritime, partie jointe, a conclu à la confirmation du jugement.
Le Ministère public a requis la confirmation du jugement déféré, sauf à préciser les modalités de la publication de l'arrêt.
La SAS X a fait plaider la relaxe.
Sur ce :
Sur l'action publique :
En vertu de l'article L. 121-1-2° du Code de la consommation, est réprimée par les sanctions prévues à l'article L. 213-1 toute "allégation fausse ou de nature à induire en erreur, portant sur le prix, le mode de calcul du prix ou son caractère promotionnel, la portée des engagements de l'annonceur".
La SAS X fait valoir que sa responsabilité pénale ne serait pas en cause dès lors d'une part que les annonces promotionnelles ainsi que le montant des prix résultant de ces annonces seraient imposés par les fabricants ou fournisseurs des produits litigieux, et d'autre part qu'il serait matériellement impossible, pour le distributeur, de vérifier de manière fiable, à l'occasion de ces annonces, l'existence et les modalités de commercialisation antérieure de produits de référence. Elle affirme alors n'avoir commis aucun manquement à ses obligations professionnelles, ni n'avoir commis aucun acte de tromperie, absence de fraude qui se manifesterait notamment au travers des cas où la gratuité serait supérieure à celle annoncée. Elle a en outre invoqué le fait que les annonces critiquées n'auraient en réalité pas d'incidence suffisante sur le comportement des consommateurs pour entrer dans le champ de la répression.
Le manquement illicite à l'obligation du distributeur de veiller à l'exactitude des annonces promotionnelles concernant les produits qu'il met en vente est en l'espèce établi par les constatations effectuées lors du contrôle :
Le caractère fictif de la gratuité a été constaté pour une très nette majorité des produits contrôlés. Pour une partie importante supplémentaire, l'annonce de gratuité ne peut pas être considérée comme sincère ou loyale puisque sa réalité est impossible à vérifier, même par le distributeur, en l'absence de produit de référence.
Certes, la nature des relations entre les fabricants et les fournisseurs et le distributeur, notamment quant à la manière dont les promotions sont décidées et annoncées sans que ce dernier puisse s'y opposer, ne peut être niée. Les annonces promotionnelles litigieuses étaient inscrites sur l'emballage pour l'ensemble des produits contrôlés. Cependant, sa position dans le cadre des relations contractuelles avec les fournisseurs ne peut en aucun cas constituer pour le distributeur une cause exonératoire de responsabilité pénale ou civile. Il appartenait à la SAS X d'une part de prendre toutes dispositions dans le cadre de ses relations contractuelles avec ses fournisseurs pour que les promotions décidées par ceux-ci puissent correspondre à des produits de référence fiables, et, d'autre part, d'intervenir en magasin sur le montant du prix de vente ou sur le mode de présentation du produit pour que seules y soient annoncées les promotions correspondant à une réalité quant au montant de l'avantage de prix et quant au produit de référence.
Il est vrai que doivent être prises en compte les difficultés matérielles d'organisation, en magasins d'un système de vérification des références de produit à l'occasion des annonces promotionnelles. Elles ne sont toutefois pas insurmontables même si elles nécessitent une définition stricte des démarches à accomplir au sein du magasin.
Par ailleurs l'infraction poursuivie est constituée même en l'absence d'intention frauduleuse, c'est-à-dire même en l'absence de volonté de tromper ou de causer un préjudice, dès lors qu'est relevé un manquement effectif à l'obligation de veiller à l'exactitude des annonces, manquement de nature à induire le consommateur en erreur.
La constatation, dans un nombre de cas non négligeable, d'une gratuité supérieure à celle annoncée est d'ailleurs en réalité liée d'une part justement à l'absence de vérification des références de produit au moment des promotions, et d'autre part au fait que pour la quasi totalité de ces situations le calcul de la gratuité réelle a été faussé - en faveur du distributeur - en l'absence de produit de référence fiable, par une comparaison effectuée avec des produits conditionnés en quantités moindres et donc en principe vendus plus chers à l'unité.
L'argument selon lequel les annonces promotionnelles de gratuité d'une proportion du produit ou d'une réduction du prix n'auraient pas d'incidence suffisante pour entrer dans le champ de la répression est totalement inopérant, cette incidence significative étant notoire, chiffrable par les professionnels du commerce et fondant leur pratique régulière des promotions.
Les éléments constitutifs de l'infraction étant réunis, le jugement déféré sera confirmé sur la culpabilité de la SAS X.
Par ailleurs, le tribunal a fait une juste appréciation de la nature et de la gravité des faits en prononçant à l'encontre de la SAS X une amende d'un montant de 10 000 euros et la publication de la décision par extraits, et le jugement déféré sera également confirmé sur ces points, sous réserve que les modalités de la publication soient précisées dans le dispositif du présent arrêt.
Sur l'action civile :
Au vu de la nature de l'infraction et des faits reprochés, du nombre de produits pour lesquels l'infraction est constituée, le jugement sera infirmé quant aux intérêts civils et la somme de 1 000 euros sera allouée à titre de dommages et intérêts à la partie civile, outre celle de 800 euros au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale.
Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, En la forme, Déclare recevables l'appel principal du prévenu et les appels incidents du Ministère Public et de la partie civile. Au fond, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions pénales, Y ajoutant, dit que la publication du jugement par extrait dans le journal "Paris Normandie" (édition de Rouen) se fera conformément à l'article 131-35 du Code pénal aux frais de la SAS X dans la limite du montant de l'amende encourue, selon les modalités suivantes : L'extrait suivant sera diffusé dans ce journal à trois reprises avant l'expiration d'un délai de deux mois a compter du présent arrêt : "Par arrêt rendu le 7 mars 2013, la Cour d'appel de Rouen a partiellement confirmé le jugement du Tribunal Correctionnel de Rouen en date du 27 avril 2012 qui avait condamné la SAS X (Magasin enseigne Y à Rouen Saint-Sever) à la peine d'amende de dix mille euros et à la publication du jugement pour avoir à Rouen, courant 2010, notamment les 24 septembre et 14 octobre 2010, fait sur l'étiquetage de produits mis en vente, des allégations fausses sur une quantité gratuite. Infirmant partiellement le jugement sur ses dispositions civiles, - Déclare recevable la constitution de partie civile de l'association UFC Que Choisir, Déclare la SAS X responsable du préjudice subi par cette association, Condamne la SAS X à verser à l'Association UFC Que Choisir la somme de mille euros (1 000 euros) à titre de dommages et intérêts, Condamne la SAS X à verser à l'Association UFC Que Choisir la somme de huit cents euros (800 euros) au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale. La présente procédure est assujettie à un droit fixe de 120 euros dont est redevable la SAS X. Le président, en application de l'article 707-3 du Code de procédure pénale, rappelle que si les montants du droit fixe de procédure et de l'amende sont acquittés dans un délai d'un mois à compter du prononcé de l'arrêt ou de sa signification, ces montants sont diminues de 20 %, sans que la diminution du montant de l'amende puisse excéder 1 500 euros, et que le paiement volontaire du droit fixe et de l'amende ne fait pas obstacle à l'exercice des voies de recours.