CA Rouen, ch. corr., 7 mars 2013, n° 12-00512
ROUEN
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Ministère public, UFC Que Choisir, Direction Départementale de la Protection des Populations de Seine-Maritime
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Aubry
Conseillers :
Mme Martin, M. Schricke
Avocats :
Mes Gacouin, Kersual
RAPPEL DE LA PROCEDURE
La SAS X a été citée le 6 février 2012 par huissier de justice à la demande du Procureur de la République à comparaître à l'audience du Tribunal correctionnel de Rouen du 30 mars 2012.
Cette société était prévenue aux fins de s'entendre déclarer responsable pénalement de l'infraction commise pour son compte par son organe ou représentant, à X, courant 2010, notamment les 14 septembre et 6 octobre 2010, en tous cas sur le territoire national et depuis temps non prescrit, consistant à s'être rendue coupable de pratiques commerciales trompeuses reposant sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur, portant sur le prix, le mode de calcul du prix, le caractère promotionnel du prix, et la portée des engagements pris par l'annonceur,
en l'espèce en annonçant sur les emballages de produits mis en vente la gratuité d'une quantité déterminée de produits alors que :
* soit il n'existe aucun prix de référence la justifiant,
* soit le prix de vente est plus élevé que ce qu'il devrait être compte tenu de l'offre (liste des produits relevée en page 4, 5, 6 et 7 du procès-verbal 2011/040 de la Direction Départementale de la Protection des Populations de Seine-Maritime en date du 14 février 2011 dont copie jointe ci-dessous),
Faits prévus et réprimés par les articles L. 121-1, L. 121-1-1, L. 121-4, L. 121-5, L. 121-6 et L. 213-1, 213-6 du Code de la consommation, 121-2 et 131-37 à 131-39-1 du Code pénal,
<EMPLACEMENT LISTE>
LE JUGEMENT :
Par jugement contradictoire en date du 27 avril 2012 après mise en délibéré, le Tribunal correctionnel de Rouen a :
- sur l'action publique, déclaré la prévenue coupable des faits reprochés et l'a condamnée à une amende de trente mille euros ainsi qu'à la publication du jugement par extraits dans les deux journaux "Paris Normandie (édition de Rouen) et "Le Courrier Cauchois" à ses frais ;
- sur l'action civile, déclaré recevable la constitution de partie civile de l'association UFC Que Choisir et condamne la SAS X à verser à la partie civile la somme de 500 euros à titre de dommages et intérêts ainsi que 300 euros au titre de l'article 475-1 du Code de procédure pénale, la demande d'affichage du jugement ayant été rejetée.
LES APPELS
La SAS X a interjeté appel principal des dispositions pénales et civiles de ce jugement le 7 mai 2012 par déclaration au greffe du Tribunal de grande instance de Rouen, par l'intermédiaire de son conseil,
Le Procureur de la République a formé appel incident le 7 mai 2012 sur les dispositions pénales du même jugement, par déclaration au greffe du Tribunal de grande instance de Rouen.
LA DÉCISION :
Rendue après en avoir délibéré conformément à la loi,
En la forme :
La SAS X a été citée le 12 juillet 2012, à personne habilitée à recevoir l'acte, à comparaitre devant la cour siégeant le 24 janvier 2013. La société est représentée par son conseil,
L'association UFC Que Choisir, citée en la personne de son représentant légal le 20 juillet 2012, est représentée par son conseil.
La direction Départementale de la Protection des populations de la Seine Maritime, citée le juillet 2012 en tant que partie jointe, est présente.
Il sera donc statué par arrêt contradictoire à l'égard du prévenu, de la partie civile et de la partie jointe.
Au vu des énonciations qui précèdent et des pièces du dossier, l'appel principal du prévenu et l'appel incident du Ministère public interjetés dans les formes et délais prévus par les articles 496 et suivants du Code de procédure pénale, sont réguliers et recevables.
Au fond :
I- Les faits :
Les agents de la Direction Départementale de la Protection des Populations de la Seine Maritime ont procédé le 14 septembre 2010, au magasin à l'enseigne Y exploité par la SAS X à Yvetot, à un contrôle ayant pour objet le caractère licite ou pas des annonces promotionnelles présentées sur les emballages de différents produits (alimentaires ou non), concernant l'offre d'une quantité gratuite ou d'une réduction du prix habituel. Il a alors été demandé à la Direction du magasin d'apporter les justificatifs de la réalité des gratuités annoncées, c'est-à-dire des éléments permettant de faire une comparaison utile entre les prix résultant de la promotion et les prix antérieurs des produits de référence.
Afin d'éviter une confusion entre les prix pratiqués par le magasin lui-même et des prix qui seraient fixés par un fournisseur, ont été exclus du contrôle les produits mentionnés dans les catalogues promotionnels en cours, ainsi que des produits de certaines marques dont les prix étaient imposés par l'enseigne Y. Trente produits ont ainsi été sélectionnés pour faire l'objet du contrôle.
La matérialité des constats n'a pas été contestée par la direction du magasin :
* Dans douze cas, les produits de même nature et de même marque déjà commercialisés sans promotion ne constituent pas une référence possible car vendus en nombre d'unités bien moindre que celui faisant l'objet de l'annonce de promotion. Toutefois, l'organisme de contrôle a quand même effectué une comparaison des prix à l'unité dans ces situations.
* Dans deux cas, aucun produit de référence (c'est-à-dire de même nature et de même marque déjà commercialisé sans promotion) n'a pu être trouvé même avec un nombre d'unités sensiblement différent.
* Dans un seul cas, il a été noté une exactitude parfaite entre l'annonce et la réalité de gratuité. Toutefois il s'agit justement d'un produit dont le prix n'est pas fixé par le distributeur (produit de marque repère).
* Dans neuf cas la quantité gratuite, est supérieure à celle annoncée et la situation est donc apparemment favorable au consommateur. Cependant, ce constat doit être fortement relativisé dès lors que dans la quasi-totalité de ces neufs cas, la référence n'est en réalité pas fiable en raison du fait que c'est dans un nombre d'unités bien moindre que le produit a déjà été commercialisé sans promotion.
* Dans dix cas la quantité gratuite est inférieure à celle annoncée même si elle existe.
* Dans sept cas le prix est plus cher par rapport à une même quantité de produit de référence (soit aucune gratuité et surcoût du produit, dans deux cas, soit les mentions offre spéciale, format familial, prix choc, correspondent en réalité à un prix supérieur au produit de référence).
Le caractère fictif de l'annonce de gratuité a ainsi été constaté pour 63,3 % des produits contrôlés. Pour 86,7 % des produits contrôlés, soit l'allégation de gratuité est fictive, soit elle est impossible à vérifier faute de produit de référence fiable déjà commercialisé.
II- Les demandes :
La Direction Départementale de la Protection des Populations de Seine Maritime a conclu au prononcé d'une peine d'amende et de la peine complémentaire de publication du jugement.
La partie civile a sollicité la confirmation du jugement.
Le Ministère public a requis la confirmation du jugement déféré, sous réserve que les modalités de publication du jugement soient précisées.
La SAS X a fait plaider la relaxe.
III- Motifs :
Sur l'action publique :
En vertu de l'article L. 121-1 2° du Code de la consommation, est réprimée par les sanctions prévues à l'article L. 213-1 toute "allégation fausse ou de nature à induire en erreur, portant sur le prix, le mode de calcul du prix ou son caractère promotionnel, la portée des engagements de l'annonceur".
La SAS X fait valoir que sa responsabilité pénale ne serait pas en cause dès lors d'une part que les annonces promotionnelles ainsi que le montant des prix résultant de ces annonces seraient imposés par les fabricants ou fournisseurs des produits litigieux, et d'autre part qu'il serait matériellement impossible, pour le distributeur, de vérifier de manière fiable, à l'occasion de ces annonces, l'existence et les modalités de commercialisation antérieure de produits de référence. Elle affirme alors n'avoir commis aucun manquement à ses obligations professionnelles, ni n'avoir commis aucun acte de tromperie, absence de fraude qui se manifesterait notamment au travers des cas où la gratuité serait supérieure à celle annoncée. Elle a en outre invoqué le fait que les annonces critiquées n'auraient en réalité pas d'incidence suffisante sur le comportement des consommateurs pour entrer dans le champ de la répression.
Le manquement illicite à l'obligation du distributeur de veiller à l'exactitude des annonces promotionnelles concernant les produits qu'il met en vente est en l'espèce établi par les constatations effectuées lors du contrôle :
Le caractère fictif de la gratuité a été constaté pour une très nette majorité des produits contrôlés. Pour une partie importante supplémentaire l'annonce de gratuité ne peut pas être considérée comme sincère ou loyale puisque sa réalité est impossible à vérifier, même par le distributeur, en l'absence de produit de référence.
Certes, la nature des relations entre les fabricants et les fournisseurs et le distributeur, notamment quant à la manière dont les promotions sont décidées et annoncées sans que ce dernier puisse s'y opposer, ne peut être niée. Les annonces promotionnelles litigieuses étaient inscrites sur l'emballage pour l'ensemble des produits contrôlés. Cependant, sa position dans le cadre des relations contractuelles avec les fournisseurs ne peut en aucun cas constituer pour le distributeur une cause exonératoire de responsabilité pénale ou civile : il appartenait à la SAS X d'une part de prendre toutes dispositions dans le cadre de ses relations contractuelles avec ses fournisseurs pour que les promotions décidées par ceux-ci puissent correspondre à des produits de référence fiables, et, d'autre part, d'intervenir en magasin sur le montant du prix de vente ou sur le mode de présentation du produit pour que seules y soient annoncées les promotions conespondant à une réalité quant au montant de l'avantage de prix et quant au produit de référence.
Il est vrai que doivent être prises en compte les difficultés matérielles d'organisation, en magasin, d'un système de vérification des références de produit à l'occasion des annonces promotionnelles Elles ne sont toutefois pas insurmontables et le contrôle à nouveau effectué par la Direction Départementale de la Protection des Populations de Seine Maritime en 2011, après que la SAS X eut mis en place un tel système, a montré que son échec était lié à une mauvaise application des procédures.
Par ailleurs l'infraction poursuivie est constituée même en l'absence d'intention frauduleuse, c'est-à-dire même en l'absence de volonté de tromper ou de causer un préjudice dès lors qu'est relevé un manquement effectif à l'obligation de veiller à l'exactitude des annonces, manquement de nature à induire le consommateur en erreur.
La constatation, dans un nombre de cas non négligeable, d'une gratuité supérieure à celle annoncée est d'ailleurs en réalité liée d'une part justement à l'absence de vérification des références de produit au moment des promotions, et d'autre part au fait que pour la totalité de ces situations le calcul de la gratuité réelle a été faussé - en faveur du distributeur - en l'absence de produit de référence fiable, par une comparaison effectuée avec des produits conditionnés en quantités moindres et donc en principe vendus plus chers à l'unité.
L'argument selon lequel les annonces promotionnelles de gratuité d'une proportion du produit ou d'une réduction du prix n'auraient pas d'incidence suffisante pour entrer dans le champ de la répression est totalement inopérant, cette incidence significative étant notoire, chiffrable par les professionnels du commerce et fondant leur pratique régulière des promotions.
Les éléments constitutifs de l'infraction étant réunis, le jugement déféré sera confirmé sur la culpabilité de la SAS X.
Par ailleurs, le tribunal a fait une juste appréciation de la nature et de la gravité des faits en prononçant à l'encontre de la SAS X une amende d'un montant de 30 000 euros et la publication de la décision par extrait, et le jugement déféré sera également confirmé sur ces points, sous réserve que les modalités de la publication soient précisées dans le dispositif du présent arrêt.
Sur l'action civile :
Le jugement déféré sera confirmé sur les dispositions civiles.
Par ces motifs : LA COUR, Statuant publiquement et par arrêt contradictoire, En la forme, Déclare recevables l'appel principal du prévenu et l'appel incident du Ministère public. Au fond, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions pénales et civiles. Y ajoutant, dit que la publication du jugement par extrait dans les deux journaux "Paris Normandie" (édition de Rouen) et "Le Courrier Cauchois" se fera conformément à l'article 131-35 du Code pénal aux frais de la SAS X dans la limite du montant de l'amende encourue, selon les modalités suivantes : L'extrait suivant sera diffusé dans chacun de ces deux journaux à trois reprises avant l'expiration d'un délai de deux mois a compter du présent arrêt : Par arrêt rendu le 7 mars 2013, la Cour d'appel de Rouen a confirmé le jugement du Tribunal correctionnel de Rouen en date du 27 avril 2012 qui avait condamné la SAS X (Magasin enseigne Y à Yvetot) a la peine d'amende de trente mille euros et à la publication du jugement pour avoir eu à Yvetot, courant 2010 notamment les 14 septembre et 6 octobre 2010, des pratiques commerciales trompeuses reposant sur des allégations, indications ou présentations fausses ou de nature à induire en erreur, portant sur le prix, le mode de calcul du prix, son caractère promotionnel et la portée des engagements pris par l'annonceur ; en l'espèce en annonçant sur les emballages de produits mis en vente la gratuité d'une quantité déterminée de produits alors que, soit il n'existait aucun prix de référence la justifiant, soit le prix de vente était en réalité plus élevé que ce qu'il devait être compte tenu de l'offre". La présente procédure est assujettie à un droit fixe de 120 euros dont est redevable la SAS X. Le Président, en application de l'article 707-3 du Code de procédure pénale, rappelle que si les montants du droit fixe de procédure et de l'amende sont acquittés dans un délai d'un mois à compter du prononcé de l'arrêt ou de sa signification, ces montants sont diminués de 20 %, sans que la diminution du montant de l'amende puisse excéder 1 500 euros, et que le paiement volontaire du droit fixe et de l'amende ne fait pas obstacle à l'exercice des voies de recours.