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Décisions

CA Nîmes, 2e ch. B, 18 avril 2013, n° 12-00705

NÎMES

Arrêt

PARTIES

Demandeur :

Laboratoires de Biologie Végétale Yves Rocher (SA)

Défendeur :

Beney (ès qual.), Torelli (ès qual.), Institut Cap Costières (EURL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Filhouse

Conseillers :

MM. Bertrand, Gagnaux

Avocats :

SCP Monceaux Favre de Thierrens Barnouin Thevenot Vrig Naud, SCP Reinhard-Delran, Associés, Mes Peignard, Sebellini

T. com. Nîmes, du 12 janv. 2012

12 janvier 2012

EXPOSÉ

Vu l'appel interjeté le 13 février 2012 et rectifié le même jour par la SA "Laboratoire de Biologie Végétale Yves Rocher" (ci-après désignée "LBV Yves Rocher") à l'encontre du jugement prononcé le 12 janvier 2012 par le Tribunal de commerce de Nîmes dans l'instance n° 2006J446).

Vu les dernières conclusions déposées le 22 août 2012 par l'appelante et le bordereau de pièces qui y est annexé.

Vu les conclusions déposées le 25 juin 2012 par l'EURL "Institut Cap Costières", intimée, et le bordereau de pièces qui y est annexé.

Vu les dernières conclusions déposées le 24 août 2012 par Maître Frédéric Torelli, ès qualités de liquidateur à la liquidation judiciaire de l'EURL "Institut Cap Costières", intimé, et le bordereau de pièces qui y est annexé.

Vu la communication de la procédure au Ministère public qui l'a visée le 5 décembre 2012.

Vu l'ordonnance de clôture de la procédure à effet différé au 7 février 2013.

Suivant acte sous seing privé des 11 et 15 avril 2003, la SA "LBV Yves Rocher" a donné en gérance libre (avec mise à disposition de son savoir-faire et de son assistance) à l'EURL "Institut Cap Costières" alors en cours de constitution (pour avoir été immatriculée le 8 juillet 2003) et prise en la personne d'Isabelle Beney épouse Paronneau sa fondatrice et future gérante, un fonds de commerce exploité sous l'enseigne "Institut de Beauté Yves Rocher" au sein du centre commercial "Cap Costières" à Nîmes, contrat conclu pour une durée de trois années avec tacite reconduction par périodes successives de six mois à défaut de dénonciation par lettre recommandée avec avis de réception trois mois avant son terme, la gérante étant tenue de s'approvisionner exclusivement auprès de la SA "LBV Yves Rocher" ;

Par jugement du 16 décembre 2005, le Tribunal de commerce de Nîmes a ouvert la liquidation judiciaire de l'EURL "Institut Cap Costières" et a désigné Maître Frédéric Torelli, en qualité de liquidateur à la liquidation judiciaire.

Par exploits des 20 et 22 septembre 2006, Maître Frédéric Torelli, ès qualités, a fait assigner Isabelle Beney épouse Paronneau, ès qualités d'administratrice ad hoc de l'EURL "Institut Cap Costières", et la SA "LBV Yves Rocher" en annulation du contrat de gérance libre devant le Tribunal de commerce de Nîmes, qui était désignée, par arrêt de cette cour statuant sur contredit le 5 mars 2009, comme étant la juridiction territorialement compétente pour connaître de l'action, la clause attributive de compétence insérée au contrat ayant été déclarée non écrite par ledit arrêt.

Selon jugement du 12 janvier 2012, le Tribunal de commerce de Nîmes a, au visa des articles 1108, 1109, 1116, 1134 du Code civil, L. 330-3 du Code de commerce :

prononcé la nullité du contrat de gérance libre ;

condamné la SA "LBV Yves Rocher" à rembourser le montant des redevances payées par l'EURL "Institut Cap Costières" s'élevant à 126 566,35 euros hors taxes, outre les intérêts de la somme au taux légal à compter de l'assignation ;

condamné la SA "LBV Yves Rocher" à payer à Maître Frédéric Torelli, ès qualités, 10 000 euros de dommages et intérêts ;

dit n'y avoir lieu à exécution provisoire,

déclaré la décision commune et opposable à Isabelle Beney épouse Paronneau, ès qualités de mandataire ad hoc de l'EURL "Institut Cap Costières" ;

débouté cette dernière de ses demandes ;

condamné la SA "LBV Yves Rocher" aux dépens et à payer à Maître Frédéric Torelli, ès qualités, 5 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

La SA "LBV Yves Rocher" a relevé appel de ce jugement pour voir :

débouter Maître Frédéric Torelli, ès qualités, de ses demandes, aux constats de l'absence de démonstration d'un manquement à son obligation précontractuelle, ni de l'existence d'un dol ayant pu vicier le consentement d'Isabelle Beney épouse Paronneau, dont la gestion de la société serait à l'origine des difficultés de cette dernière ;

constater subsidiairement que sa créance est de 142 091,03 euros et dire qu'elle se compensera avec celle qui serait reconnue à Maître Frédéric Torelli, ès qualités ;

condamner reconventionnellement Maître Frédéric Torelli, ès qualités, conjointement avec Isabelle Beney épouse Paronneau, à lui payer 15 000 euros de dommages et intérêts ;

les condamner conjointement aux dépens et à lui payer 5 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Maître Frédéric Torelli, ès qualités, conclut à la confirmation du jugement, au débouté des demandes de la SA "LBV Yves Rocher" et à la condamnation de cette dernière aux dépens et à lui payer 8 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

L'EURL "Institut Cap Costières" qui déclare s'associer à l'argumentation développée par Maître Frédéric Torelli, ès qualités, conclut au débouté des demandes de la SA "LBV Yves Rocher" et à la condamnation de celle-ci aux dépens et à lui payer 5 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile.

Pour un plus ample exposé il convient de se référer à la décision déférée et aux conclusions visées supra.

DISCUSSION

Attendu qu'il ne ressort pas des pièces de la procédure de moyen d'irrecevabilité de l'appel que la cour devrait relever d'office, et les parties n'élèvent aucune discussion sur ce point ;

Attendu que le contrat de location-gérance, conclu dans l'intérêt commun des deux parties, comporte un engagement d'exclusivité souscrit par l'EURL "Institut Cap Costières" au profit de la SA "LBV Yves Rocher", et corrélativement la mise à disposition de la locataire de la marque et de l'enseigne de la bailleresse, de sorte que les dispositions des articles L. 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce, invoquées par les demandeurs à l'appui de leurs prétentions, s'imposaient bien à la SA "LBV Yves Rocher" ;

Attendu qu'il ressort des pièces produites que le contrat litigieux a été signé au cours du stage de "développement des compétences", qu'effectuait Isabelle Beney épouse Paronneau entre le 7 et le 30 avril 2003 et que les seuls documents mis à la disposition de cette dernière préalablement à sa signature ont été :

un compte d'exploitation prévisionnel en date du 7 février 2003,

la copie du bail commercial,

le contrat de gérance libre et ses annexes (redevance et liste du personnel),

un acte de cautionnement avec sa fiche de renseignement,

un contrat de sonorisation "Mood Média" en deux exemplaires ;

Attendu qu'il s'ensuit que la SA "LBV Yves Rocher" a enfreint les dispositions précitées en ne remettant pas à Isabelle Beney épouse Paronneau, préalablement à la signature du contrat, le document contenant les informations prévues par le deuxième de ces textes ;

Attendu que si la SA "LBV Yves Rocher" objecte à bon droit que la nullité de la convention ne serait pour autant encourue qu'à la condition que le défaut d'information préalable ait été à l'origine d'un vice du consentement de l'EURL "Institut Cap Costières" ;

Attendu que pour l'appréciation de ce vice du consentement, il n'y a pas lieu de s'arrêter au fait qu'Isabelle Beney épouse Paronneau a obtenu des documents dans le cadre du stage de développement des performances auquel elle a participé, dès lors que, d'une part, il ne ressort d'aucun élément qu'elle en aurait eu possession avant la signature du contrat, et que, d'autre part, il n'est fourni aucune indication sur le contenu de ces documents afférents à ce stage qui n'était pas destiné a priori à l'information du distributeur sur les éléments prévus à l'article R. 330-1 du Code de commerce ;

Attendu que la SA "LBV Yves Rocher" fait par ailleurs valoir que si elle n'a pas fourni de document précontractuel formalisé, elle a fait bénéficier Isabelle Beney épouse Paronneau, dès le 27 février 2003 d'un compte d'exploitation prévisionnel, en même temps qu'elle lui adressait le contrat et ses annexes, de sorte qu'elle aurait eu les moyens de s'engager en connaissance de cause, dès lors qu'elle avait une expérience commerciale et que, travaillant antérieurement à Alès (qualifiée par le moyen de grande banlieue de Nîmes) depuis l'année 2002, elle connaissait la région ;

Mais attendu que ce compte d'exploitation prévisionnel, établi par référence à d'autres boutiques de vente de la marque, n'a pas pris en considération les spécificités du fonds de commerce donné en location-gérance, et notamment une surface de vente plus grande que la moyenne, disposant de deux entrées non protégées par des portiques antivol, de sorte que le cocontractant était trompé par le taux de marge déclaré, dès lors que, sauf à engager des dépenses d'investissement complémentaires pour lutter contre la démarque, la gérante était conduite à embaucher du personnel supplémentaire ;

Attendu qu'il s'ensuit que loin d'éclairer utilement le candidat à la location-gérance, ce compte prévisionnel participait à lui donner une idée fausse de la rentabilité de l'affaire, dès lors que cette embauche, non prévue par le compte prévisionnel, emportait augmentation des charges fixes et abaissement de la marge ;

Et attendu que le fait qu'Isabelle Beney épouse Paronneau avait précédemment travaillé sur Alès, ville qui relève d'un bassin commercial nettement distinct de celui de Nîmes, ne permet pas d'en déduire qu'elle avait connaissance de l'état local du marché Nîmois, ni des perspectives de développement du fonds de commerce, compte tenu notamment des entreprises dépendant du réseau de distribution des produits de la SA "LBV Yves Rocher" dans la zone d'influence du fonds donné en location-gérance, et plus particulièrement de l'impact de la concurrence directement exercée par l'institut "Yves Rocher" implanté en centre-ville de Nîmes dont la gérante devait lui succéder après l'ouverture de la procédure collective ;

Attendu qu'il ne saurait être déduit du redressement obtenu par son ancienne concurrente qui lui a succédé dans la gérance, que les difficultés rencontrées par l'EURL "Institut Cap Costières" seraient imputables à une mauvaise gestion de cette dernière, dès lors que la deuxième en place a bénéficié de l'installation de portiques de sécurité autorisant une réduction du nombre de vendeurs, et dès lors qu'elle ne subissait plus la concurrence de son autre centre dont elle avait conservé la gestion, mais bénéficiait au contraire de sa synergie ;

Or attendu que la SA "LBV Yves Rocher" était la seule à pouvoir apporter à l'EURL "Institut Cap Costières" la pleine connaissance de ces éléments relatifs à cette concurrence locale et aux spécificités structurelles du fonds de commerce, ainsi que sur leur incidence sur les marges qui pouvaient être légitimement attendues par le distributeur de la marque ;

Attendu qu'ainsi, la SA "LBV Yves Rocher" ne faisant pas la démonstration qu'elle lui aurait apporté les informations qu'elle lui devait pour lui permettre de se déterminer en toute connaissance en fonction du réseau de distribution, l'EURL "Institut Cap Costières" est fondée à se prévaloir de l'erreur sur la perception des marges qu'elle pouvait attendre de cette relation d'exclusivité dans le cadre du contrat de location-gérance qui lui était proposé, dès lors :

d'une part, qu'il se déduit de la remise de ce compte prévisionnel, que les parties ont fait de la rentabilité du circuit de distribution, une condition déterminante de leur volonté de s'engager dans leur intérêt commun dans ce rapport d'exclusivité,

d'autre part, que la marge annoncée était exagérément optimiste eu égard aux contraintes fonctionnelles du fonds de commerce mis à la disposition de l'EURL "Institut Cap Costières" ;

Attendu qu'il convient en conséquence de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a fait droit à la demande principale en nullité de la convention et en restitution des redevances payées ;

Attendu que cependant, à l'appui de sa demande de dommages et intérêts complémentaires, Maître Frédéric Torelli, ès qualités, invoque un préjudice qui serait constitué de frais et investissements inutilement engagés pour l'exploitation du commerce, sans qu'il soit justifié de la réalité de l'engagement de dépenses spécifiques, de sorte que le jugement doit être réformé sur ce point et Maître Frédéric Torelli, ès qualités, débouté de ce chef de demande ;

Attendu que subsidiairement, la SA "LBV Yves Rocher" demande la compensation des sommes dues par l'EURL "Institut Cap Costières" au titre des marchandises livrées à cette dernière et non restituées, ni réglées ;

Attendu qu'il est justifié de la déclaration de créance faite entre les mains de Maître Frédéric Torelli, ès qualités, le 31 janvier 2006 ;

Attendu que s'agissant de créances connexes procédant du même contrat, cette demande de compensation est fondée, sous réserve de son admission dans le cadre de la procédure de vérification des créances, aucune des parties ne justifiant de la suite qui a été donnée à cette déclaration ;

Attendu que la SA "LBV Yves Rocher" sollicite par ailleurs la condamnation de Maître Frédéric Torelli, ès qualités, conjointement avec Isabelle Beney épouse Paronneau, à lui payer une indemnité de 15 000 euros pour sanctionner la mauvaise foi de cette dernière, matérialisée notamment par le découvert en compte courant qu'elle se serait autorisée pour un montant de 64 805,53 euros ;

Mais attendu que la prétendue faute commise par Isabelle Beney épouse Paronneau, ne saurait engager la responsabilité de Maître Frédéric Torelli, ès qualités ;

Et attendu que la SA "LBV Yves Rocher" ne justifie pas du préjudice que lui aurait causé le prétendu solde débiteur du compte courant d'associé d'Isabelle Beney épouse Paronneau ;

Attendu qu'il s'ensuit que la SA "LBV Yves Rocher" doit être déboutée de sa demande de dommages et intérêts ;

Attendu que la SA "LBV Yves Rocher" qui succombe en son recours, devra supporter les dépens de l'instance et payer à chacun des intimés une somme complémentaire équitablement arbitrée à 1 000 euros en application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Par ces motifs : LA COUR, statuant par arrêt contradictoire et en dernier ressort, Reçoit l'appel en la forme. Au fond, Confirmant le jugement déféré pour le surplus de ses dispositions, Le réforme en ce qu'il a condamné la SA "LBV Yves Rocher" à payer à Maître Frédéric Torelli, ès qualités, 10 000 euros de dommages et intérêts, Et statuant à nouveau de ce chef, Déboute Maître Frédéric Torelli, ès qualités de liquidateur à la liquidation judiciaire de l'EURL "Institut Cap Costières", de sa demande de dommages et intérêts. Et y ajoutant, Déboute la SA "LBV Yves Rocher" de sa demande de dommages et intérêts. Dit que la créance de restitution de redevances reconnue à la SA "LBV Yves Rocher" se compensera avec la créance déclarée le 31 janvier 2006 au passif de la liquidation judiciaire de l'EURL "Institut Cap Costières", à concurrence de la somme qui sera admise à l'issue de la vérification de cette créance par le juge-commissaire. Dit que la SA "LBV Yves Rocher" supportera les dépens d'appel et payera, par application de l'article 700 du Code de procédure civile, à Maître Frédéric Torelli, ès qualités de liquidateur à la liquidation judiciaire de l'EURL "Institut Cap Costières", une somme complémentaire de 1 000 euros et à Isabelle Beney épouse Paronneau, ès qualités de mandataire ad hoc de l'EURL "Institut Cap Costières", une pareille somme de 1 000 euros. Dit que la SCP d'avocats "Reinhard-Delran & associés" pourra recouvrer directement contre la partie ci-dessus condamnée, ceux des dépens dont elle aura fait l'avance sans en recevoir provision, conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.