CA Toulouse, 2e ch. sect. 1, 17 avril 2013, n° 11-05331
TOULOUSE
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Dusautoy, Charroin, RSBD (SARL), Vinceneux (ès qual.)
Défendeur :
Auris (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cousteaux
Conseillers :
Mmes Pellarin, Salmeron
Avocats :
SCP Nidecker Prieu Philippot Jeusset, Me de Lamy, Avril, Barruel
Faits et procédure
La SAS Auris commercialise des produits de magnétothérapie par Internet, vente à distance, et par des boutiques "bio" ainsi que par quatre boutiques exercées personnellement à Saint-Etienne, Lille, Lyon et Paris. Elle dispose également d'un partenariat avec un commerçant à Strasbourg.
En 2007, la SAS Auris et M. Romain Dusautoy, alors cadre au service des actifs immobiliers chez Carrefour, sont entrés en relation, en vue d'un projet d'ouverture de boutique à Toulouse.
M. Dusautoy et Mme Joanna Charroin ont créé le 27 janvier 2008 la SARL RSBD qui, de juillet 2008 à septembre 2009, a reçu livraison de marchandises de la SAS Auris et a exercé son activité sous enseigne Auris.
La SARL RSBD a restitué fin 2009 une partie du stock, laissant impayées les factures de marchandises.
Après mises en demeure restées vaines, la SAS Auris a fait assigner en paiement la SARL RSBD le 18 mars 2010 devant le Tribunal de commerce de Toulouse.
M. Dusautoy et Mme Charroin sont intervenus volontairement à l'instance pour obtenir paiement de dommages-intérêts, estimant les parties liées par un contrat de franchise, et faisant valoir que l'absence de toute information pré-contractuelle avait vicié leur consentement.
Par jugement du 28 septembre 2011 assorti de l'exécution provisoire, le tribunal a :
- retenu sa compétence territoriale,
- condamné la SARL RSBD à payer à la SAS Auris la somme de 65 399,70 euro avec intérêts au taux légal à compter du 21 octobre 2009,
- débouté M. Dusautoy et Mme Charroin de leurs demandes,
- condamné solidairement la SARL RSBD, M. Dusautoy et Mme Charroin au paiement de la somme de 5 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
La SARL RSBD, M. Dusautoy et Mme Charroin ont interjeté appel le 10 novembre 2011 de cette décision.
Par ordonnance du 27 septembre 2012, le magistrat chargé de la mise en état a déclaré l'appel de la SARL RSBD recevable, a rejeté la demande de radiation et a ordonné la consignation par M. Dusautoy et Mme Charroin de la somme de 5 000 euro entre les mains du président de la Carpa du barreau de Toulouse.
La SARL RSBD a fait l'objet d'une liquidation judiciaire le 29 novembre 2012 sur assignation de la SAS Auris, qui a déclaré sa créance et a appelé en cause Maître Vinceneux, mandataire judiciaire.
Les appelants et l'intimée ont respectivement déposé leurs dernières écritures les 5 février 2013 et 22 mars 2012.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 5 février 2013.
Prétentions des parties
Il est fait expressément référence, pour plus ample exposé des moyens, aux conclusions précitées.
Maître Vinceneux en qualité de liquidateur de la SARL RSBD, M. Dusautoy et Mme Charroin demandent qu'il soit jugé que la SAS Auris a vicié le consentement de la SARL RSBD en ne respectant pas les dispositions relatives à la loi Doubin (article L. 330-3 du Code de commerce) sur l'information précontractuelle ; ils demandent en conséquence que la SAS Auris soit condamnée à payer, à titre de dommages-intérêts :
- à la SARL RSBD la somme de 127 116,42 euro,
- à M. Dusautoy celle de 68 366,57 euro,
- à Mme Charroin celle de 39 585 euro.
Ils demandent que soit ordonnée la compensation entre les créances réciproques de la SAS Auris et de la SARL RSBD, le solde devant être réglé par la SAS Auris entre les mains de Maître Vinceneux ès qualités, et que leur soit allouée une indemnité de 10 000 euro en application de l'article 700 du Code de procédure civile.
Les appelants font essentiellement valoir :
- que tant la manifestation de volonté des parties que les éléments du dossier témoignent de l'existence d'un contrat de franchise ; au soutien de cette allégation ils se prévalent des éléments suivants :
* envoi par e-mail du 29/08/07 par la SAS Auris des documents relatifs à l'information pré-contractuelle prévue par la loi Doubin,
* attestation du 29/10/07 de la SAS Auris déclarant accorder le droit de franchise à M. Dusautoy et Mme Charroin pour l'ouverture d'une boutique à Toulouse,
* la SARL RSBD avait pour enseigne Auris avec un concept Auris et ne commercialisait que les produits Auris,
* le magasin a été agencé par le décorateur d'Auris, avec validation par les dirigeants d'Auris qui sont venus sur place,
* la formation de Mme Charroin a été assurée par la dirigeante d'Auris et une responsable de magasin,
* la remontée des marges et ratios a été effectuée ;
- que la SAS Auris a manqué à son obligation pré-contractuelle de telle sorte que le consentement du franchisé a été vicié,
- que le préjudice subi par la SARL RSBD consiste dans l'encours du prêt supporté par cette dernière,
- que M. Dusautoy doit être indemnisé à hauteur des investissements pratiqués personnellement, de sa caution des loyers commerciaux,
- que Mme Charroin n'a pas récupéré les salaires escomptés et provisionnés dans le business plan,
- que les factures, jamais réclamées avant octobre 2009, ne sont pas contestées.
La SAS Auris sollicite la confirmation du jugement entrepris, réclame en outre la condamnation solidaire des appelants aux sommes de 5 000 euro à titre de dommages et intérêts et de 5 000 euro en remboursement de ses frais de défense.
L'intimée développe principalement les observations suivantes :
- il n'existe pas de contrat de franchise entre les parties, les éléments constitutifs faisant défaut, les relations commerciales étant fondées sur un partenariat, ce qui résulte des constatations suivantes :
* les statuts de la SARL RSBD ne mentionnent ni enseigne, ni nom commercial Auris,
* il n'a pas été communiqué à M. Dusautoy les informations financières sollicitées, le document transmis ne comportant ni marge, ni ratio,
* aucune redevance de franchise à payer n'est provisionnée dans le compte de résultat prévisionnel établi en octobre 2007, et il n'a jamais été payé de droit d'entrée puis de redevance,
* la boutique de Toulouse n'était pas exclusivement consacrée aux produits Auris, (changement d'enseigne commerciale par la SARL RSBD sans en informer la SAS Auris),
* aucun savoir-faire n'a été transmis, il n'existe pas de preuve contraire,
* l'aménagement de la boutique a été décidé par M. Dusautoy, sans instruction ni demande de la SAS Auris,
* la formation de deux jours concerne les produits et s'adressait aux vendeurs des boutiques et aux clients privilégiés,
* la SAS Auris ne s'est jamais immiscée dans la gestion de la SARL RSBD et M. Dusautoy n'a pas transmis d'information régulière du chiffre d'affaires,
- l'article L. 330-3 du Code de commerce qui impose une information pré-contractuelle n'est pas applicable (aucun engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité), le document du 29 octobre 2007 ayant été fourni en vue de l'obtention d'un financement, alors que les modalités entre parties n'avaient pas été définies,
- les préjudices invoqués par les appelants sont sans lien avec la défaillance d'une éventuelle franchise,
- l'action abusive justifie sa demande en dommages-intérêts.
Motifs de la décision
La décision du tribunal condamnant la SARL RSBD au paiement du solde de factures ne donne lieu à aucune discussion. La créance de la SAS Auris est confirmée en son principe, mais ne peut donner lieu qu'à fixation au passif de la liquidation judiciaire de la SARL RSBD, prononcée entre-temps.
Les appelants invoquant des manquements de la SAS Auris aux obligations pré-contractuelles dues par un franchiseur, et la SAS Auris contestant cette qualité, il convient de rechercher si les parties étaient liées ou non par un contrat de franchise.
Aucun écrit n'a matérialisé les relations contractuelles des parties.
Il n'existe aucune manifestation claire de l'accord de celles-ci sur un contrat de franchise. En effet, si les parties ont eu initialement un tel projet, ce dont témoigne l'e-mail du 29 août 2007, dans lequel Maître Vinceneux, cogérante de la SAS Auris, transmettait à M. Dusautoy des informations qu'elle qualifiait de "pré-contractuelles", relatives notamment à certaines clauses d'un contrat de franchise à débattre, mais non aux informations financières exigées en application de l'article L. 330-3 du Code de commerce, elles n'en ont jamais défini le contenu ni les obligations respectives. Dans un courrier du 29 octobre suivant, sans indication de destinataire, la SAS Auris a certes indiqué avoir accordé le droit de franchise à M. Dusautoy et Mme Charroin pour ouvrir un magasin 13 rue Bouquières à Toulouse. Mais il s'agit d'un document pré-rédigé par M. Dusautoy (cf. Son e-mail du 26 octobre 2007) aux fins de chercher un financement auprès de banques, qui n'est étayé d'aucun autre échange ou justificatif permettant d'attester de la survenance d'un accord des parties sur un tel contrat. Au contraire, le "business plan" établi par M. Dusautoy à la même période ne fait état d'aucune des charges habituellement prévues en cas de franchise (redevance).
Il y a dès lors lieu de vérifier si au travers de l'analyse de la relation entre parties, sont réunis les critères caractérisant le contrat de franchise. Le contrat de franchise est un contrat synallagmatique à exécution successive par lequel une entreprise (franchiseur) confère à une ou plusieurs autres entreprises (franchisées) le droit de réitérer, sous l'enseigne du franchiseur, à l'aide de ses signes de ralliement de la clientèle et de son assistance continue, le système de gestion préalablement expérimenté par le franchiseur et devant, grâce à l'avantage concurrentiel qu'il procure, raisonnablement permettre à un franchisé diligent de faire des affaires profitables. Le contrat suppose par conséquent la réunion de trois éléments à savoir : l'existence d'un savoir-faire identifié, secret et substantiel, pouvant être transmis et permettant de réitérer la réussite du franchiseur en assurant au franchisé un avantage substantiel sur la concurrence ; une assistance tant lors du lancement de l'activité qu'en cours d'exécution du contrat ; une enseigne de nature à attirer une clientèle préexistante. En contrepartie, le franchisé contracte l'obligation de respecter les normes imposées par le franchiseur, est généralement tenu à une clause d'exclusivité et peut le cas échéant devoir une rémunération appelée redevance.
La SARL RSBD a incontestablement bénéficié de certains signes de ralliement de la clientèle que sont l'enseigne Auris, les logos s'y rapportant, ainsi que le bénéfice d'une publicité assurée au travers de catalogues. Toutefois on relève que cette publicité bénéficiait également, dans les mêmes conditions que la SARL RSBD, à la boutique de Strasbourg qui était liée par un simple partenariat.
En revanche, la preuve de la transmission d'un savoir-faire, accompagné d'une assistance continue de la part de la SAS Auris ne ressort pas des pièces du dossier. Certes, les cogérants de la SAS Auris ont donné leur avis sur l'agencement du magasin, cependant, le décorateur M. Rechagneux qui connaissait à la fois M. Dusautoy et la SAS Auris atteste avoir agi sur les instructions de M. Dusautoy, et il n'est nullement établi que la SAS Auris aurait énoncé des contraintes particulières à respecter. Le savoir-faire allégué par les appelants ne peut se résumer aux quelques jours (leur nombre est ignoré) de formation dont a bénéficié Mme Charroin début mars 2008 en se rendant à Saint-Etienne, étant observé que le contenu de cette formation n'est pas décrit. On relève que la SAS Auris ne disposait d'aucun franchisé, et il n'est pas allégué qu'elle aurait fourni une documentation propre à transmettre des connaissances spécifiques.
D'autre part, il n'apparaît pas que la SARL RSBD a été soumise à une quelconque exigence de la SAS Auris :
- il n'y trace au dossier d'aucune exigence en terme d'exclusivité, ni d'un quelconque contrôle sur la boutique de la SARL RSBD,
- sur toute la durée d'exploitation, la SARL RSBD n'a transmis des informations à la SAS Auris sur son chiffre d'affaires qu'à deux reprises, sans que la SAS Auris ne réagisse et n'exerce un contrôle régulier sur la gestion de la boutique,
- il n'a été prévu (cf business plan et bilan de la SARL RSBD) ni réclamé aucun paiement de redevances,
- la SARL RSBD a pu changer d'enseigne, certes en 2010 seulement, sans s'estimer tenue sur ce point à un engagement envers la SAS Auris.
Ainsi, la SARL RSBD n'avait contracté aucune obligation susceptible de constituer la contrepartie de la transmission d'un savoir-faire.
Enfin, on relève que durant toute l'activité du magasin sous enseigne Auris, M. Dusautoy n'a jamais fait référence à l'existence d'un contrat de franchise, pas plus qu'il ne l'a évoqué dans son e-mail du 31 décembre 2009, au cours duquel il faisait référence au "partenariat" noué entre parties "pour le meilleur et pour le pire".
Le jugement est en conséquence confirmé en ce qu'il déboute la SARL RSBD, M. Dusautoy et Mme Charroin de leurs demandes, en l'absence de contrat de franchise.
L'action en justice ne dégénère en abus que si elle est engagée avec une légèreté blâmable, ou empreinte de mauvaise foi, éléments qui ne sont pas caractérisés en l'espèce. La demande en dommages-intérêts de la SAS Auris a été à juste titre rejetée.
Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement déféré sauf en ce qu'il condamne la SARL RSBD au paiement des factures, et statuant à nouveau sur ce point, Fixe la créance de la SAS Auris au passif de la liquidation judiciaire de la SARL RSBD au montant fixé par le jugement, Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile, Condamne in solidum Maître Vinceneux ès qualités, M. Romain Dusautoy et Mme Joanna Charroin au paiement des dépens, qui pour la SARL RSBD seront passés en frais privilégiés de liquidation judiciaire conformément aux dispositions de l'article L. 622-17 du Code de commerce. Dit qu'il pourra être procédé à la distraction des dépens d'appel selon les modalités de l'article 699 du Code de procédure civile.