Cass. crim., 24 avril 2013, n° 12-80.336
COUR DE CASSATION
Arrêt
Cassation
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Louvel
Rapporteur :
Mme Ract-Madoux
Avocat général :
M. Bonnet
Avocats :
SCP Piwnica, Molinié, SCP Baraduc, Duhamel
LA COUR : - Statuant sur le pourvoi formé par X, contre l'ordonnance n° 104 du premier président de la Cour d'appel de Paris, en date du 25 octobre 2011, qui a prononcé sur la régularité des opérations de visite et saisie de documents effectuées par l'Autorité de la concurrence, en vue de rechercher la preuve de pratiques anticoncurrentielles ; - Vu les mémoires en demande, en défense et complémentaires produits ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 450-4 du Code de commerce et 8 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales ;
"en ce que l'ordonnance attaquée a validé l'ensemble des opérations de visite et de saisie effectuées dans les locaux de X ;
"aux motifs que en premier lieu, sur le grief touchant à la saisie d'informations et de documents étrangers à l'objet de l'enquête, qu'il suffit de constater, concernant tout d'abord la procédure judiciaire opposant X à la société Y, qu'alors que X était suspecté d'entente, l'ordonnance d'autorisation fait seulement état, au titre de l'examen des présomptions de pratiques anticoncurrentielles, des étapes des actions judiciaires engagées par X à l'encontre de la société Y devant la juridiction commerciale de Versailles et que les agissements de X ont été examinés à la lumière des comportements des autres acteurs du secteur économique concerné ; que, comme le fait observer l'Autorité dans ses écritures à partir d'une série d'exemples précis - (Scellé 2, cotes 167-170, 185-186, 191-194 ; scellé 4 cote 36,cote 145-149, cote 150-158 (...)) - les documents saisis ne concernaient pas uniquement la procédure judiciaire ; qu'au surplus, il ne peut être reproché à l'Autorité de la concurrence d'avoir procédé à une saisie en bloc des dossiers entiers relatifs à la procédure en cause, qui a duré une dizaine d'années, dès lors, d'une part, que les documents papier contestés se limitent à 270 feuillets formant 58 documents regroupés dans 10 scellés différents et, d'autre part, que, pour la partie informatique, le nombre de fichiers contesté est de 662, chiffre faible au regard des éléments présents sur les deux supports informatiques en cause, alors que chacun d'eux renferme plusieurs dizaines voire plusieurs centaines de milliers de fichiers ; que, dès lors, nonobstant les réserves exprimées par Mlle A, les documents relatifs au "procès Y" n'étant, par nature, ni exclus de l'autorisation judiciaire délivrée par le juge des libertés et de la détention ni exclus du champ d'application des articles L. 420-1 et L. 420-2 du Code de commerce, la procédure de visite et saisie n'est pas entachée d'irrégularité ;
"1°) alors qu'il appartient au juge qui contrôle la régularité des opérations de saisie de vérifier celle-ci concrètement, en se référant au procès-verbal et à l'inventaire des opérations ; qu'il devait dès lors déterminer si chacun des documents saisis entrait ou pas dans le champ d'application de l'autorisation ; qu'en se bornant à considérer que la saisie des documents relatifs à la procédure judiciaire n'était pas par nature étrangère à l'autorisation donnée, le premier président a omis d'exercer le contrôle concret qui lui incombait ;
"2°) alors que les jugements doivent être motivés ; que le premier président ne pouvait donc se borner à des considérations statistiques sur le nombre de documents saisis au regard de la longueur de la procédure judiciaire, sans déterminer concrètement si ces documents entraient ou pas dans le champ de l'autorisation ;
"3°) alors que dans ses écritures d'appel X avait fait valoir que la saisie des documents relatifs à la procédure judiciaire entre lui-même et la société Y portait, en tout état de cause, atteinte aux droits de la défense ; que la cour d'appel ne pouvait juger que la saisie était valable sans répondre à ce moyen ;
"4°) alors que de même, le délégué du premier président a statué par un motif d'ordre général en relevant que, pour ce qui concernait la partie informatique, le nombre des fichiers contestés était de 662, chiffre faible au regard des éléments présents sur les deux supports informatiques en cause" ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles L. 450-4 du Code de commerce, 66-5 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 et 8 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des libertés fondamentales, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'ordonnance attaquée a limité la restitution des correspondances entre l'avocat et son client aux seules pièces que l'Autorité de la concurrence a volontairement accepté de restituer ;
"aux motifs que sur la saisie d'informations et de documents couverts par le secret professionnel protégeant la correspondance entre un avocat et son client, il convient de constater que l'Autorité déclare qu'elle n'était pas opposée à la restitution d'un document papier qui constitue manifestement une correspondance avocat client (mais) que si certaines messageries électroniques saisies contiennent des échanges entre la société Z et ses avocats, force est cependant de constater que cette situation ne procède pas d'une recherche délibérée par les rapporteurs de correspondances étrangères à leur mission, mais constitue seulement le résultat d'une part du caractère composite du contenu des fichiers de messagerie qui comporte chacun une multitude de messages et d'autre part de la nécessité où se trouvaient les rapporteurs en l'état actuel des techniques informatiques après constatation que ces fichiers contenaient bien des éléments entrant dans le champ de l'autorisation judiciaire d'en effectuer une copie en intégralité ; qu'au surplus, l'appelante n'allègue ni que les rapporteurs de l'autorité de la concurrence auraient mis en œuvre des procédés déloyaux pour intercepter ces correspondances à l'occasion de leur investigation ni qu'ils auraient divulgué à des tiers pendant des opérations critiquées ou postérieurement à celle-ci des informations soumises au secret professionnel contenant des fichiers de messagerie étant par surcroît observé que l'ordonnance du juge des libertés rappelait que les occupants des lieux ou leurs représentants pourraient faire appel aux conseils de leur choix sans que cela n'entraîne la suspension des opérations de visite et de saisie ;
"1°) alors qu'en motivant exclusivement sa décision par des motifs relatifs à une autre affaire, concernant la société Z, et totalement étrangère au litige, le premier président a privé sa décision de toute motivation ;
"2°) alors que les correspondances échangées entre un avocat et son client sont par nature insaisissables, ce qui exclut que l'administration puisse en prendre connaissance et les appréhender, quelle qu'en soit la forme ; que dès lors, la cour d'appel ne pouvait valider des saisies de documents composites, tout en constatant que certains de documents appréhendés constituaient des correspondances entre un avocat et son client ;
3°) alors qu'en tout état de cause, le délégué du premier président devait vérifier si, comme il était soutenu, les correspondances saisies n'étaient pas liées à l'exercice des droits de la défense" ;
Les moyens étant réunis ; - Sur le premier moyen, pris en ses première, deuxième et quatrième branches, et sur le second moyen, pris en sa première branche : - Attendu que, le 3 juin 2009, le juge des libertés et de la détention a rendu une ordonnance faisant droit à la requête du rapporteur général de l'Autorité de la concurrence autorisant les agents de ses services à procéder à des visites et saisies dans des locaux de différentes sociétés, en vue de la recherche de preuves de pratiques anticoncurrentielles dans le secteur des produits de construction d'isolation thermique ; que ces visites et saisies se sont déroulées dans les locaux du syndicat X, le 11 juin 2009 ; que le premier président a été saisi d'un recours contre le déroulement de ces opérations ;
Attendu que, pour refuser d'annuler l'ensemble des opérations et notamment la saisie d'informations et documents étrangers à l'objet de l'enquête, l'ordonnance prononce par les motifs repris aux moyens ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, abstraction faite d'un motif relevant d'une erreur matérielle concernant une société étrangère à la procédure, le premier président a justifié sa décision ; d'où il suit que le grief ne saurait être admis ;
Mais sur le premier moyen, pris en sa troisième branche, et sur le second moyen, pris en ses deuxième et troisième branches : - Vu les articles L. 450-4 du Code de commerce et 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 ; - Attendu que le pouvoir, reconnu aux agents de l'Autorité de la concurrence par l'article L. 450-4 du Code de commerce, de saisir des documents et supports informatiques, trouve sa limite dans le principe de la libre défense qui commande de respecter la confidentialité des correspondances échangées entre un avocat et son client et liées à l'exercice des droits de la défense ;
Attendu que, pour refuser d'annuler la saisie des documents relatifs à la procédure judiciaire opposant la société Y au syndicat X ainsi que de correspondances entre avocats et clients, le premier président énonce, d'une part, que ces documents saisis ne concernent pas uniquement la procédure judiciaire, d'autre part, que, si certaines messageries contiennent des échanges entre le syndicat et ses avocats qui sont couverts par le secret professionnel, leur saisie ne relève ni d'une recherche délibérée de correspondances étrangères à la mission des rapporteurs ni de la mise en œuvre de procédés déloyaux ; qu'il en déduit qu'il suffit de constater que l'Autorité de la concurrence a donné son accord pour que ces documents et correspondances soient restitués ;
Mais attendu qu'en statuant ainsi, sans annuler la saisie des pièces et correspondances dont il a constaté qu'elles relevaient de la protection du secret professionnel entre un avocat et son client et des droits de la défense, le premier président a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé ; d'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs : Casse et annule l'ordonnance n° 104 du premier président de la Cour d'appel de Paris, en date du 25 octobre 2011, mais seulement en ce qu'elle a rejeté la demande d'annulation de la saisie des pièces relevant de la protection du secret professionnel entre un avocat et son client et des droits de la défense, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ; Et pour qu'il soit à nouveau statué, dans les limites de la cassation ainsi prononcée, Renvoie la cause et les parties devant la juridiction du premier président de la Cour d'appel de Versailles, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil.