Livv
Décisions

CA Rouen, 1re ch. civ., 12 décembre 2012, n° 12-01200

ROUEN

Arrêt

Confirmation

PARTIES

Demandeur :

Azuki (SARL)

Défendeur :

Sofresid Engineering (SA)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

Mme Dos Reis

Conseillers :

Mme Boisselet, M. Gallais

Avocats :

Mes Bart, Tieu, Enault, Bousquet, Arnaud

T. com. Le Havre, du 9 mars 2012

9 mars 2012

La société Butane de France a confié à la société Sofresid (ci-après Sofresid) une mission de maîtrise d'œuvre pour la construction d'un bac de butane liquide sur le site de Gonfreville l'Orcher.

Sofresid a sous-traité la direction du chantier à la société Azuki (ci-après Azuki), représentée par son gérant et unique employé, Antoine Greco, le 2 septembre 2010, moyennant rémunération forfaitaire de 480 000 euro HT non révisable, pour une durée de 2 ans et un mois à compter de la commande, qui a été acceptée par Azuki avec une réserve sur la date de début de la prestation.

A l'issue des réunions de chantier des 15 février et 24 mars 2011, Butane de France a sollicité le remplacement d'Azuki, à qui Sofresid a notifié le 11 avril 2011 la résiliation de son contrat pour convenance aux termes de ses conditions générales d'achat de services, et l'a remplacée le 18 avril 2011.

Par acte du 19 mai 2011, Azuki a assigné Sofresid devant le Tribunal de commerce du Havre en paiement du solde de ses prestations et indemnisation de ses préjudices matériel et moral.

Par jugement du 9 mars 2012, le Tribunal de commerce du Havre a accueilli Azuki en ses demandes et condamné Sofresid à lui payer la somme de 55 385 euro à titre de dommages et intérêts, et celle de 5 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en sus des dépens.

Azuki en a relevé appel le 16 mars 2012.

Azuki, par conclusions du 19 juillet 2012, expose que son préjudice doit être réparé par équivalent en l'absence de réparation en nature possible, soit la somme de 309 585, 85 euro, et à titre subsidiaire, celle de 154 405, 45 euro correspondant à la marge nette diminuée des gains générés par elle sur la période d'exécution du contrat, outre réparation du préjudice moral subi du fait de la brutalité de la rupture en violation de la durée de préavis de 8 jours sans que la qualité de sa prestation soit remise en cause.

Azuki demande en conséquence à la cour de :

- confirmer le jugement en ce que la résiliation a été jugée fautive,

- infirmant sur l'évaluation des préjudices, condamner Sofresid à lui payer la somme de 309 585, 85 euro assortie d'intérêts au taux légal à compter de la résiliation, à titre subsidiaire, celle de 154 405, 45 euro assortie d'intérêts dans les conditions ci-dessus exposées, celle de 30 000 euro en réparation du préjudice moral, et celle de 15 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile en sus des dépens.

Sofresid fait valoir, dans ses conclusions du 27 septembre 2012 que ses conditions générales d'achat de services sont opposables à Azuki comme visées expressément dans la commande et que la date purement indicative de fin de chantier ne permet pas de la qualifier de contrat à durée déterminée, ce qui est incompatible avec la mission confiée dont la durée aléatoire a été acceptée. Elle ajoute que la résiliation fondée sur la défaillance d'Azuki est légitime, en raison de ses manquements répétés et de son incompétence en matière de gestion du chantier, déjà mis en cause près de 2 mois avant la résiliation.

Formant appel incident, elle demande à la cour de :

- infirmant le jugement en ce qu'il a dit la résiliation fautive, dire le contrat à durée indéterminée, et en conséquence la clause de résiliation pour simple convenance régulière,

- constater que la résiliation pour défaillance grave de la société Azuki est intervenue dans un délai raisonnable dans des conditions ne caractérisant pas de faute de Sofresid,

- débouter Azuki de toutes ses demandes,

- subsidiairement, en cas de confirmation sur le caractère fautif de la résiliation, confirmer la réparation du préjudice fixée à la somme de 55 385 euro, en tout cas la limiter à la somme de 72 072 euro et rejeter toute autre demande indemnitaire,

- condamner Azuki à lui verser la somme de 7 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile en sus des dépens.

L'ordonnance de clôture a été rendue le 10 octobre 2012.

SUR QUOI LA COUR :

Pour accueillir sur le principe la réclamation d'Azuki, le tribunal a considéré que le contrat était à durée déterminée, et que la clause 23-1 de ses conditions générales permettant à Sofresid de résilier unilatéralement et pour convenance le contrat sans indemnité, contraire aux dispositions de l'article L. 442-6-1-2° du Code de commerce, était déséquilibrante. Retenant également qu'aucun motif légitime de résiliation n'avait été indiqué par Sofresid dans son courrier de résiliation, cette résiliation a été jugée fautive et justifiant une réparation du préjudice ainsi causé à Azuki.

Sur la régularité de la résiliation :

Il résulte de la lettre du contrat que ce dernier a été souscrit pour une durée comprise entre le 1er septembre 2010 et le 30 octobre 2012. Cette rédaction très précise est en faveur d'une durée déterminée, étant observé qu'Antoine Greco ne s'y est pas trompé puisqu'il a formulé une réserve sur le point de départ, qu'il souhaitait voir fixer au 30 août 2010. Ce contrat avait pour objet selon la 'spécification technique direction de chantier' à laquelle il était fait référence, la responsabilité de l'ensemble des activités du projet sur site, et notamment la coordination des entreprises et les relations avec celles-ci. Sofresid est donc mal fondée à soutenir que le contrat serait à durée indéterminée comme lié aux aléas du chantier, puisque l'objet du contrat n'est constitué que d'une partie de la mission de maîtrise d'œuvre de Sofresid, celle du suivi effectif du chantier sur site, soit une mission d'exécution, qu'elle a expressément rédigé le contrat en sens contraire, et démontré, en procédant au remplacement d'Azuki en quelques jours, qu'un changement en cours de chantier de son responsable pouvait parfaitement être effectué. Le tribunal a donc justement considéré qu'il s'agissait bel et bien d'un contrat à durée déterminée.

Azuki ne peut utilement soutenir que les conditions générales d'achat de Sofresid, expressément visées par le contrat qu'Antoine Greco ne conteste pas avoir signé, en sa page 3, n'ont pas été portées à sa connaissance. En revanche, doit être confirmée l'analyse du tribunal, selon laquelle la clause 21-3, ayant pour effet d'introduire un déséquilibre dans les relations entre les parties, et étant ainsi contraire aux dispositions d'ordre public de l'article L. 441-6-1 2°, doit être réputée non écrite.

En effet, ladite clause, qui prévoit la faculté, pour Sofresid exclusivement, de résilier tout ou partie des prestations objet de la commande à sa convenance et à tout moment après préavis de huit jours, est en premier lieu en contradiction directe avec l'économie générale du contrat, qui prévoit que les prestations seront effectuées pendant une durée précise, et avec les clauses de résiliation qui la précèdent immédiatement, l'article 21-1 prévoyant une faculté de résiliation pour inexécution par le prestataire de ses obligations huit jours après mise en demeure restée infructueuse de les accomplir, et l'article 21-2 sanctionnant le non-respect par le prestataire d'une disposition essentielle de la commande, ou ses manquements répétés à ses obligations ou aux règles de santé, hygiène, sécurité, ou environnement. En second lieu et surtout, elle confère à Sofresid un avantage excessif, déséquilibrant ainsi les obligations respectives des parties, puisqu'aucune faculté de résiliation n'est prévue au profit du prestataire, de sorte que le tribunal a exactement retenu qu'elle était contraire aux dispositions d'ordre public de l'article L. 442-6-1 2° du Code de commerce, notamment en ce qu' il interdit à une partie d'abuser de la relation de dépendance dans laquelle il tient un partenaire en le soumettant à des conditions commerciales injustifiées, étant sur ce point observé que le poids économique de Sofresid, avec ses 451 salariés, est d'une toute autre importance que celui d'Azuki, qui n'est animée que par Antoine Greco.

La cour doit donc examiner le bien-fondé de la résiliation du contrat au regard des seules règles du droit commun applicables, lesquelles ne la permettent, s'agissant d'un contrat à durée déterminée, que si la gravité du comportement d'une partie le justifie.

Or en l'espèce, au regard des dispositions contractuelles qui permettaient à Sofresid de résilier le contrat pour un manquement caractérisé d'Azuki à ses obligations, dans des délais également très brefs, le fait qu'elle ait choisi la résiliation pour convenance laisse penser qu'elle estimait elle-même qu'aucun grief n'était suffisamment caractérisé à l'encontre d'Antoine Greco. Les courriers électroniques qu'elle produit démontrent d'ailleurs bien que les doléances du maître de l'ouvrage à l'égard d'Azuki étaient davantage imputables à une incompatibilité entre différentes conceptions sur la manière de diriger un chantier, puisqu'il était essentiellement reproché à Azuki de gérer les choses "au fil de l'eau" et de se refuser à formaliser un calendrier formel des différentes interventions des entreprises, attitude inconcevable pour le maître d'ouvrage, étant observé qu'aucune des pièces produites ne démontre qu'une demande expresse sur ce point n'a été adressée à Azuki préalablement à la résiliation, et que la mission qui lui était confiée ne le prévoyait pas spécifiquement.

C'est donc à juste titre que le tribunal a retenu que la résiliation du contrat notifiée dans de telles conditions revêtait à l'encontre de Sofresid un caractère fautif, de sorte que la demande de réparation du préjudice en résultant pour Azuki est également fondée en son principe.

Sur les préjudices :

- le préjudice matériel :

La rémunération convenue avait pour objet de rétribuer l'investissement complet de toute la disponibilité d'Azuki pendant la période considérée, de sorte que la réclamation d'Azuki tendant à obtenir, à titre de dédommagement, alors qu'elle-même est déliée de toutes ses obligations et n'a donc plus à assumer sa mission, néanmoins la totalité de la rémunération convenue moins ses charges, n'est pas sérieuse. Ne l'est pas davantage sa demande tendant à une indemnisation sur cette même base, déduction faite de la rémunération obtenue au titre d'une nouvelle mission exercée dans le temps qu'elle aurait dû consacrer au chantier BDH.

En revanche, l'indemnisation du préjudice matériel subi sur la base d'un prorata de trois mois constitue une juste réparation de ce préjudice et sera confirmée.

- le préjudice moral :

Le caractère brutal et injustifié de l'éviction d'Azuki du chantier est incontestablement à l'origine d'un préjudice moral pour cette dernière, ainsi que d'une atteinte à son image sur le plan commercial, et lui sera allouée à ce titre la somme de 5 000 euro.

Sur les autres demandes :

Le principe de la condamnation de Sofresid étant confirmé, cette dernière supportera les dépens d'appel, la charge de ceux de première instance étant confirmée. La somme allouée en première instance au titre de l'article 700 du Code de procédure civile apparaît suffisante pour couvrir également les frais irrépétibles exposés devant la cour, et sera donc purement et simplement confirmée, sans qu'il y ait lieu à complément au titre de l'instance d'appel.

Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement déféré en toutes ses dispositions, sauf en ce que la demande au titre du préjudice moral a été rejetée, Réformant de ce seul chef, Condamne la société Sofresid à payer à la société Azuki la somme de 5 000 euro à ce titre, Y ajoutant, Dit n'y avoir lieu à indemnité de procédure complémentaire au profit de la société Azuki, Condamne la société Sofresid aux dépens d'appel, avec recouvrement direct.