CA Grenoble, ch. com., 10 novembre 2011, n° 11-00250
GRENOBLE
Arrêt
PARTIES
Demandeur :
Caterpillar France (SAS), Caterpillar (Sté)
Défendeur :
Administrateurs judiciaires partenaires (Selarl), Compagnie de maintenance industrielle (SAS), Serrano (ès qual.)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Bernaud
Conseillers :
Mmes Pages, Isola
Avoués :
SCP Calas, Selarl Dauphin & Mihajlovic
Avocats :
Mes Gallizia, Tay Pamart, Putigny
La société CMI et la SAS Caterpillar France concluent un contrat cadre en date du 7 novembre 2000 portant sur des trains de roulements et des composants. La SAS Caterpillar France ne s'engage à aucun volume de commande minimum et ne consent aucune exclusivité.
La société de droit suisse Caterpillar conclut avec la société CMI un contrat cadre en date du 28 février 2005 portant sur la peinture, l'assemblage et la logistique de composants.
La société CMI diligente une procédure devant le Tribunal de commerce de Grenoble à l'encontre de la SAS Caterpillar France et la société de droit suisse Caterpillar par laquelle elle sollicite leur condamnation à des dommages et intérêts sur le fondement de l'article L. 442-6 du Code de commerce, soit compte tenu d'une rupture abusive des relations commerciales.
Par jugement en date du 21 septembre 2010 un plan de sauvegarde est arrêté au profit de la société CMI.
Par jugement avant dire droit en date du 4 octobre 2010 du Tribunal de commerce de Grenoble, Monsieur Régis Van Lefland est désigné en qualité d'expert.
Par déclaration en date du 5 janvier 2011, la société SAS Caterpillar France et la société de droit suisse Caterpillar interjettent appel à l'encontre de la décision susvisée suite à l'autorisation du Premier Président par ordonnance du 8 décembre 2010.
Elles font valoir la nullité du jugement compte tenu de la mission d'expertise qui constitue une véritable délégation de pouvoir juridictionnel.
Par arrêt en date du 19 mai 2011, le jugement du Tribunal de commerce de Grenoble du 4 octobre 2010 ordonnant une expertise est infirmé et les parties invitées à conclure au fond.
Au vu de ses dernières conclusions en date du 19 septembre 2011, la société CMI, la Selarl AJP et Maître Serrano Philippe en qualité de mandataire judiciaire à la procédure de sauvegarde de la société CMI demandent de constater l'existence de relations commerciales établies entre Caterpillar France et Caterpillar Genève d'une part et la société CMI d'autre part et depuis plus de 25 ans et que ces relations commerciales ont été rompues brutalement suite à une baisse significative des commandes.
Ils demandent de constater l'état de dépendance économique de CMI et que Caterpillar France et Caterpillar Genève ont abusé de cette dépendance économique.
Ils demandent par conséquent la condamnation de la société Caterpillar France à payer la société CMI la somme de 4 389 368 euros au titre de sa perte de bénéfice subie au titre du contrat du 7 novembre 2000, ainsi que la somme de 300 000 euros au titre de l'indemnité immobilière du site de Froges avec intérêts au taux légal à compter de l'envoi de la facture du 5 novembre 2008, ainsi que la somme de 2 160 000 euros au titre des investissements réalisés pour le compte exclusif de l'activité trains de roulements et composants.
Ils sollicitent la condamnation de Caterpillar Genève à payer à la société CMI la somme de 12 708 130 euros au titre de la perte de bénéfice subie par la société CMI au titre du contrat du 28 février 2005, celle de 2 150 000 euros au titre des investissements réalisés pour le compte de l'activité achat peinture.
Ils demandent la condamnation solidaire des sociétés Caterpillar Genève et Caterpillar France à payer à la société CMI la somme de 1 065 959 euros à la société CMI en réparation du coût des licenciements et celle de 300 000 euros en indemnisation des dépenses engagées pour la requalification des bâtiments, celle de 350 000 euros en réparation du préjudice moral, celle de 200 000 euros en réparation du préjudice de réputation subi par cette dernière.
Ils concluent au rejet de la demande reconventionnelle de Caterpillar France.
À titre subsidiaire, ils sollicitent une expertise avec mission de déterminer les préjudices subis par la société CMI suite aux fautes commises par Carterpillar France et Genève et une provision de 2 000 000 euros à valoir.
En tout état de cause, ils demandent la condamnation solidaire des sociétés Caterpillar France et Caterpillar Genève à payer à la société CIM la somme de 50 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, la publication du dispositif de cet arrêt à intervenir aux frais des défenderesses par insertion dans les quotidiens "les échos", "la Tribune", "le Figaro" et "le Dauphiné Libéré" et aux entiers dépens.
Au vu de ses dernières conclusions en date du 27 septembre 2011, la société SAS Caterpillar société de droit suisse demande le débouté de l'ensemble des demandes de la société CMI et sa condamnation à lui payer la somme de 50 000 euros pour procédure abusive, ainsi que celle de 50 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle fait valoir qu'il ne peut en l'espèce exister une quelconque rupture abusive de sa part n'ayant pas pris l'initiative de la rupture.
Elle précise que le contrat en cause a été résilié dans le cadre de la procédure de sauvegarde de CMI et par son administrateur judiciaire.
Elle ajoute que CMI ne peut par conséquent demander l'indemnisation du préjudice consécutif à la rupture.
Elle conteste l'existence de la moindre faute quant à l'exécution du contrat en cause.
Elle conteste l'existence d'une rupture brutale même partielle des relations commerciales.
Elle explique que les baisses de commandes sont la conséquence de la crise économique.
À titre subsidiaire, seule une indemnité de préavis pourrait être allouée.
Elle conteste l'abus de dépendance économique.
Elle ajoute que les préjudices allégués ne sont pas justifiés.
Au vu de ses dernières conclusions en date du 27 septembre 2011, la société Caterpillar France conclut au débouté de l'ensemble des demandes de CMI à son encontre.
À titre subsidiaire, elle demande une expertise de façon à chiffrer le préjudice de CMI, soit consécutif à l'absence de préavis dont la durée devra être fixée par la cour.
Elle demande la condamnation de la société CMI à lui payer la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et celle de 15 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle conteste l'existence de la moindre faute à son encontre en exécution du contrat conclu entre les parties.
Elle explique sa baisse de commandes en cause et non contestée est consécutive à la crise économique sans précédent.
Elle fait valoir que le contrat en cause a été rompu à l'initiative de la société CMI dans le cadre de la procédure de sauvegarde.
Elle explique que les conséquences préjudiciables pour CMI sont la conséquence de son choix de n'avoir qu'un seul client.
Elle précise qu'aucun des préjudices allégués par CMI ne saurait lui être imputable.
À titre subsidiaire, elle ajoute que le seul préjudice qui pourrait être allégué est le non-respect du délai de préavis.
L'affaire est clôturée par ordonnance en date du 28 septembre 2011.
Motifs de l'arrêt :
Il est justifié de relations commerciales entre la société CMI et la SAS Caterpillar France depuis 1985 par les factures produites.
Ces relations commerciales ont ensuite été formalisées par un contrat cadre conclu entre les parties en date du 7 novembre 2000 portant sur des trains de roulements et des composants.
La société de droit suisse Caterpillar conclut également avec la société CMI un contrat cadre en date du 28 février 2005 portant sur la peinture, l'assemblage et la logistique de composants.
Il est constant que les seuls clients de la société CMI sont la SAS Caterpillar France et la société Caterpillar Genève.
Les contrats cadres conclus entre les parties n'exigent pas une telle situation, aucune exclusivité n'est mentionnée dans aucun des deux contrats cadres conclus à la fois entre CMI et la SAS Caterpillar France ou la société Caterpillar Genève.
En effet, le contrat conclu entre CMI et Caterpillar France prévoit en son article 4 que le sous-traitant ne prend aucun engagement d'exclusivité vis à vis de Caterpillar France et pourra réaliser des travaux similaires ou identiques pour d'autres entreprises et dans ses propres locaux.
CMI ne justifie pas de l'impossibilité de nouer des relations contractuelles avec d'autres clients et en particulier à compter de l'année 2008, date à compter de laquelle les commandes de la part des deux sociétés Caterpillar ont effectivement nettement diminué.
Caterpillar démontre au contraire que CMI avait avant cette date au moins un autre client soit la société Pinguely Haulotte par la production d'une décision de justice qui fait état de l'existence d'une relation commerciale entre CMI et cette dernière.
Les investissements et adaptations importants réalisés par CMI et dont elle justifie de nature à répondre aux besoins de son donneur d'ordres ne démontrent pas qu'elle ne pouvait pas avoir d'autres clients bien au contraire, d'autres investissements auraient pu permettre de satisfaire des commandes d'autres clients puisque les dispositions contractuelles applicables entre les parties ne l'interdisaient pas. Il n'est pas non plus démontré que Caterpillar aurait fait obstacle à une telle évolution de CMI.
Par conséquent, le fait que CMI n'ait que ces deux sociétés comme client ne peut résulter que de son propre choix, puisqu'il n'est nullement démontré que cette situation lui aurait été imposée par un de ses deux cocontractants d'une quelconque façon.
CMI explique que par ailleurs, cette situation lui a été largement profitable, ayant ainsi profité de la prospérité de Caterpillar, situation de nature à expliquer l'opportunité de son choix quant aux deux seuls clients.
Elle ne peut par conséquent reprocher à Caterpillar, la situation de dépendance économique dans laquelle elle s'est volontairement mise, ni les éventuelles conséquences pour elle préjudiciables puisque non imputables à Caterpillar.
La société CMI explique qu'elle n'a pas finalisé avec Caterpillar un projet tendant à lui confier une nouvelle activité peinture et pour la prise en charge de laquelle elle avait procédé à des investissements en particulier l'achat du site de Froges qu'elle a ensuite revendu.
Ce projet de contrat n'ayant effectivement pas été conclu, Caterpillar n'avait par conséquent à ce titre aucune obligation envers CMI.
Si cette dernière n'a pu utiliser le site en cause et être dans l'obligation de le revendre, le préjudice éventuel consécutif ne peut être imputable à Caterpillar en l'absence d'une quelconque faute établie à son encontre.
La baisse de commandes de la part des sociétés Caterpillar auprès de CMI, significative à compter de 2008 et maintenue en 2009 et non contestée par les parties ne peut constituer un quelconque manquement contractuel, ces dernières ne s'étant pas engagées par les contrats cadre de 2000et 2005 conclus entre les parties à aucun volume de commandes minimum, au contraire le contrat cadre conclu entre CMI et Caterpillar France prévoit en son article 2 que Caterpillar ne donne aucune garantie en ce qui concerne le niveau de ses besoins, dont CMI devra supporter les aléas sans que la société Caterpillar ait à s'en justifier.
Aucune faute contractuelle n'est par conséquent établie à l'encontre de Caterpillar France ou Caterpillar Genève.
La responsabilité de ces deux sociétés sur le fondement contractuel ne pourra être retenue et la demande d'indemnisation à ce titre ne pourra être retenue.
Par ailleurs, l'article L. 442.6.I.5° du Code de commerce énonce que la rupture brutale d'une relation commerciale établie même partielle sans préavis constitue une faute.
Il est en l'espèce justifié et non contesté de l'existence d'une relation commerciale établie entre la société CMI et Caterpillar France et ce, depuis 1985, relation commerciale par la suite formalisée par un contrat cadre en 2000 mais préexistante.
Par contre, il n'est pas justifié de l'existence d'une relation commerciale établie entre la société CMI et Caterpillar Genève préalablement à la conclusion du contrat cadre de 2005.
Le seul lien entre Caterpillar Genève et Caterpillar France et l'existence d'une relation commerciale entre CMI et Caterpillar établie depuis 1985 ne peut justifier de l'existence d'une relation commerciale entre CMI et Caterpillar Genève, Caterpillar France et Caterpillar Genève étant des entités juridiques distinctes.
Il est par ailleurs constant que les commandes de la part à la fois de la société Caterpillar France et Caterpillar Genève auprès de CMI ont fortement chuté à compter de l'année 2008.
La baisse des commandes à compter de cette date de la part de ces dernières n'est pas la conséquence du recours à un autre sous-traitant ou la conséquence d'une réorganisation interne qui permettrait de se passer de son sous-traitant tout en maintenant son activité, elle n'est donc pas consécutive à un choix imputable à Caterpillar mais s'explique par la diminution des propres commandes de ces dernières, elles justifient une diminution de leur activité de 70 % entre 2007 et 2008.
Les sociétés Caterpillar France et Genève justifient de la forte baisse de leurs propres commandes consécutives à la crise économique et financière de 2008 qui a eu de fortes répercussions sur les secteurs de la construction et des travaux publics entraînant l'effondrement des commandes d'engins de construction, situation concomitante à une augmentation de la concurrence dans le secteur d'activité de cette dernière.
Le juge commissaire constate dans son ordonnance du 11 mai 2009 la caractère sinistré de l'activité de Caterpillar depuis plusieurs mois établi par les courriers, plannings de production et pièces versées aux débats.
Le caractère économique d'un des licenciements auxquels la SAS Caterpillar France a dû procéder était judiciairement confirmé, soit par un arrêt de la Cour d'appel de Grenoble en date du 14 septembre 2011.
Il ne peut par conséquent ainsi être démontré l'existence d'une quelconque rupture de la relation commerciale établie entre CMI et chacune des sociétés Caterpillar et imputable à ces dernières, celles-ci ayant certes de façon significative diminué leur volume de commandes auprès de leur sous-traitant mais compte tenu de la diminution de leurs propres commandes et donc de façon non délibérée, situation certes préjudiciable pour leur sous-traitant et d'autant plus que ce dernier comme préalablement rappelé s'est volontairement mis en situation de dépendance économique mais aussi pour elles-mêmes.
Il résulte du rapport de Maître Sapin, désigné en qualité de conciliateur entre les parties que la tentative de conciliation a entre autre échoué compte tenu du souhait des sociétés Caterpillar de maintenir leur relation commerciale avec CMI.
De la même façon, l'ordonnance du juge commissaire en date du 11 mais 2009 précise que Caterpillar devra faire face à une situation économique catastrophique dans l'hypothèse où CMI cesserait toutes prestations pour elles ne pouvant pas honorer une centaine de commandes, démontrant ainsi que les sociétés Caterpillar souhaitaient le maintien des relations commerciales avec leur sous-traitant.
Dans cette même décision, le juge commissaire justifie la résiliation des deux contrats cadre en cause à la demande de l'administrateur non seulement contre le souhait de Caterpillar car non conforme à son intérêt mais par contre conformément à l'intérêt de CMI car nécessaire à sa sauvegarde.
Si cette résiliation des contrats cadres a ainsi été prononcée par le juge commissaire contre le souhait des deux sociétés Caterpillar il n'est pas non plus démontré qu'elle répondait à une nécessité économique, qu'il n'était pas économiquement viable suite à la réduction des commandes mais du maintien de l'activité à la date de la rupture et que par exemple une réduction des charges de CMI aurait pu permettre le maintien de ces contrats.
Ainsi il n'est justifié d'aucune rupture partielle dans un premier temps ou total dans un second de la relation commerciale établie entre CMI et les deux sociétés Caterpillar imputable à ces dernières.
L'ensemble des demandes de CMI à l'encontre de Caterpillar France SAS et Caterpillar de droit suisse seront par conséquent rejetées.
La SAS Caterpillar France et la société Caterpillar de droit suisse ne justifient d'aucun préjudice imputable à une faute de la société CMI quant à l'exercice de la présente procédure. Leur demande en dommages et intérêts sur ce fondement sera rejetée.
Aucune considération d'équité ne commande de faire application de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de quiconque.
Par ces motifs : LA COUR, Statuant par arrêt contradictoire, par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile et après en avoir délibéré conformément à la loi, Rejette la totalité des demandes de la société CMI à la fois à l'encontre de la SAS Caterpillar France et la société Caterpillar de droit suisse. Rejette les demandes de dommages et intérêts de la SAS Caterpillar France et de la société Caterpillar de droit suisse à l'encontre de la société CMI. Dit n'y avoir lieu à l'application de l'article 700 du Code de procédure civile au profit de quiconque. Condamne la société CMI aux entiers dépens de première instance et d'appel.