CA Paris, Pôle 5 ch. 2, 26 avril 2013, n° 11-23268
PARIS
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Cafan (SAS)
Défendeur :
Carrefour Hypermarchés (SAS), Aljoro (SA)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
Mme Aimar
Conseillers :
Mmes Nerot, Renard
Avocats :
Mes Teytaud, Moiroux, Pellerin, Troubat, Lederman
Vu les articles 455 et 954 du Code de procédure civile,
Vu le jugement rendu le 10 novembre 2011 par le Tribunal de grande instance de Paris (3ème chambre 4ème section),
Vu l'appel interjeté le29 décembre 2011 par la SAS Cafan,
Vu les dernières conclusions de la SA Cafan appelante en date du 5 mars 2013,
Vu les dernières conclusions de la société Carrefour Hypermarchés en date du 7 mars 2013,
Vu les dernières conclusions de la SA Aljoro, intimée et incidemment appelante incidente, en date du 14 mars 2013,
Vu l'ordonnance de clôture en date du 20 mars 2013,
Sur ce, la Cour,
Il est expressément renvoyé pour un plus ample exposé des faits de la cause et de la procédure à la décision entreprise et aux écritures des parties,
Il sera simplement rappelé que :
- la SAS Cafan est cessionnaire d'une partie des actifs des sociétés Morgan et Nos Enfants Aussi, suivant jugements du Tribunal de commerce de Nanterre du 24 mars 1999,
- depuis le 25 mars 2009 la SAS Cafan est chargée de la création et de la distribution des articles de prêt-à-porter pour femme de la marque Morgan dans le monde entier,
- dans le cadre de cette activité, elle déclare avoir créé le 17 avril 2009 un modèle de tunique référencé Tizoni, qu'elle a fait fabriquer par la société Karen Gérard, exerçant sous l'enseigne Twiggy pour une commande en date du 19 mai 2009, portant sur 2.362 modèles à confectionner au prix unitaire d'achat de 13,90 euros HT,
- elle avait adressé le 21 avril 2009 à la SA Aljoro une fiche technique d'un modèle de tunique à volants, afin que celle-ci lui propose un tarif de fabrication en série,
- la SA Aljoro, créée en 1986, a pour activités, sous l'enseigne Entrainement, la fabrication, la vente en gros et demi-gros de vêtements, en particulier pour femme et de tous articles servant à l'habillement ; elle met au point pour de grandes enseignes de distributeurs telles que Promod, Carrefour, Camaieu, Les 3 Suisses, de nombreux modèles de vêtements pour femmes,
- à compter du 6 août 2009, le modèle de tunique Tizoni a été commercialisé sous la marque Morgan dans son réseau de boutiques exclusives et de corners dans les Grands magasins, au prix de vente détail de 55 euros TTC et auprès de boutiques multimarques au prix unitaire de 22 euros HT,
- considérant que l'enseigne Carrefour en France commercialisait dans ses magasins une copie servile de sa tunique Tizoni sous les marques Fashion Express et Tex, détenues par les Sociétés du groupe Carrefour, la SAS Cafan a fait procéder à une saisie-contrefaçon le 16 octobre 2009 en vertu d'une autorisation présidentielle du 6 octobre 2009 au sein du magasin Carrefour, situé au centre commercial Evry 2,
- les opérations de saisie-contrefaçon permettaient notamment d'identifier le fournisseur des tuniques litigieuses, la SAS Aljoro à l'enseigne Entrainement,
- c'est dans ces circonstances que la SAS Cafan a fait assigner devant le Tribunal de grande instance de Paris, le 5 novembre 2009, la société Aljoro et la SAS Carrefour Hypermarchés en contrefaçon de droits d'auteur et concurrence déloyale,
Suivant jugement dont appel, le tribunal a, avec exécution provisoire, essentiellement :
- déclaré irrecevables les demandes de la SAS Cafan au titre de la contrefaçon de droit d'auteur,
- débouté la SAS Cafan de ses demandes contre la SAS Carrefour Hypermarchés au titre de la concurrence déloyale,
- condamné la SA Aljoro à verser à la SAS Cafan la somme de 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour concurrence déloyale,
- fait interdiction à la SAS Aljoro, sous astreinte, de commercialiser un modèle quasi-identique à la tunique Tizoni,
- condamné la SAS Cafan à la SA Aljoro payer à la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
- ordonner, sous astreinte à la SAS Cafan à cesser d'utiliser l'encolure référencée 18184,
En cause d'appel la SAS Cafan appelante demande dans ses dernières écritures du 5 mars 2013, essentiellement de :
- dire et juger qu'elle est titulaire du droit d'auteur sur le modèle de tunique Tizoni,
- dire et juger que les sociétés Aljoro et Carrefour Hypermarchés ont commis des actes de contrefaçon de droits d'auteurs, et des actes de concurrence déloyale,
- condamner solidairement les sociétés Aljoro et Carrefour Hypermarchés à lui payer la somme de 250 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la contrefaçon, celle de 100 000 euros au titre de la concurrence déloyale, et celle de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
- faire interdiction aux sociétés intimées, sous astreinte, de poursuivre les actes de contrefaçon et de concurrence déloyale,
- ordonner la confiscation et la destruction de l'ensemble des pièces contrefaisantes aux frais des intimées, et la publication de l'arrêt à intervenir par extraits aux frais des intimées,
- débouter les sociétés intimées de l'ensemble de leurs demandes,
Elle fait valoir à cette fin que :
- les preuves d'exploitation qu'elle a communiquées, comme l'a jugé le tribunal, permettent de fonder la présomption de titularité de ses droits sur le modèle de tunique Tizoni,
- le modèle de tunique Tizoni constitue la combinaison des caractéristiques suivantes :
* l'encolure est soulignée sur le devant par une bande de tissus bleu foncé sur laquelle sont cousues des pièces de métal de couleur bronze,
* cette encolure présente une forme pointue constituée de deux bandes sur le devant, ronde en suivant le cou dans le dos,
* la taille est haute, marquée de plusieurs rangs de smocks dans le dos et sur le devant ; sur le devant, la ligne de smocks est légèrement inclinée en direction de la pointe de l'encolure pour souligner la poitrine,
*le bas de la tunique est constitué d'une double hauteur avec finition bourdon,
* les manches sont longues et fendues sur quelques centimètres au niveau du poignet ; elles ferment par des brides cousues autour du poignet longues d'une vingtaine de centimètres,
* le vêtement est réalisé dans un tissu imprimé en polyester crépon crinkle de couleurs bleues, crème, prune et marron,
auxquelles s'ajoute le choix du tissu,
- ce modèle est la conséquence de choix arbitraire originaux, constituant une création de forme esthétique individualisée,
- le modèle Baija communiqué par la SA Aljoro qui aurait été mis au point en 2005 ne reproduit pas la combinaison des caractéristiques de son modèle,
- la création de l'encolure, même si celle-ci a varié par la suite, ne comportant plus que deux rangées de piécettes au lieu de trois, est de son fait et non celle de la société Aljoro,
- les éléments communiqués pour établir la création de l'encolure par la société Triangle sont dépourvus de pertinence : attestation de complaisance ne comportant aucune date certaine de création, absence de concordance dans les références, alors qu'elle justifie que le galon qui a servi à la confection de la tunique Tizoni a été acheté à un fournisseur marocain de la société Twiggy, la société UFC qui l'a elle-même fabriqué,
- le modèle de tunique Fashion Express/Tex constitue une reproduction quasi servile du modèle de tunique Tizoni et il se dégage de l'impression d'ensemble de ces modèles la même impression,
- la société Aljoro a commis des actes distincts de concurrence déloyale, car elle a copié une création qu'elle avait trouvée dans le commerce et a profité de la relation de confiance entre fournisseur et donneur d'ordre pour détourner à son profit les éléments du dossier de création qu'elle s'était vue remettre dans un cadre confidentiel et s'est appropriée les investissements financiers, intellectuels et promotionnels de la société Cafan,
- elle a même figuré sur ses factures à l'intention de la société Carrefour Hypermarchés ses modèles sous la référence Tizoni,
- la société Carrefour a commis une négligence manifeste en apposant ses marques Fashion Express et Tex sur les produits litigieux, et en diffusant ces copies quasi-serviles dans des grandes surfaces à un prix inférieur du modèle de tunique Tizoni créant un risque de confusion avec son propre modèle,
- elle subit du fait de la contrefaçon un préjudice commercial en terme de perte de clients et de dépréciation de ses investissements, et un préjudice patrimonial du fait de l'atteinte portée à son droit de propriété, qui peut être estimé à 100 000 euros,
- la contrefaçon qui a pour effet de d'avilir son image de marque, de banaliser la marque Morgan et d'affaiblir son pouvoir distinctif, lui a occasionné un préjudice ne saurait être inférieur à 50 000 euros,
- les bénéfices illicites résultant de la contrefaçon en regard des éléments communiqués peuvent être estimés à 100 000 euros,
- le préjudice résultant de la concurrence déloyale qui a généré un trouble commercial doit être estimé à la somme de 100 000 euros,
- la SA Aljoro ne démontre pas qu'elle lui aurait proposé une encolure et qu'elle se serait appropriée,
- elle ne s'était adressé à la SA Aljoro qu'en sa qualité de fabriquant pour une demande de cotation sur la base d'un dossier de création complet et celle-ci à qui elle n'a jamais indiqué qu'elle comptait abandonner l'exploitation de son modèle, ne pouvait s'approprier celui-ci, sans, a minima en informer son donneur d'ordre.
La SA Aljoro intimée, s'oppose dans ses dernières écritures du 14 mars 2013, aux prétentions de l'appelante, et pour l'essentiel, incidemment demande de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a débouté la société Cafan de ses demandes fondées sur le droit d'auteur, dit que la société Cafan a commercialisé son modèle de tunique en utilisant le modèle d'encolure référencé 18184 créé par la société Aljoro et lui a interdit de l'utiliser,
- l'infirmer pour le surplus et statuant à nouveau :
- dire qu'elle n'a pas commis d'actes de concurrence déloyale et débouter la société Cafan de l'ensemble de ses demandes,
- porter l'astreinte en cas de poursuite par la société Cafan de l'utilisation de l'encolure référencée 18184, à la somme de 500 euros par infraction constatée,
- condamner la SAS Cafan à lui payer la somme de 30 000 euros à titre de dommages et intérêts du fait de ses agissements déloyaux et parasitaires et la somme de 25 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,
La SA Aljoro expose à cette fin que :
- la société Cafan ne détient aucun droit sur la physionomie de l'encolure du modèle qu'elle revendique car celle-ci a été créée par la société Aljoro en collaboration avec son partenaire, la société Triangle, en avril 2008, comme cela résulte de l'attestation de la société Triangle avec mention de ses références et les factures de juin 2008 démontrant son exploitation,
- ce modèle d'encolure est antérieur à la demande de prototype faite par la société Cafan auprès de la société Aljoro et différent de celui figurant sur la fiche technique de la société Cafan,
- l'encolure créée par elles est celle qui figure sur le modèle litigieux,
- l'encolure que revendique présentement la société Cafan est celle qu'elle lui avait proposée : deux rangées de métal rondes de couleur bronze et non celle qui était reproduite sur sa fiche technique : encolure de trois rangées de pièces métalliques différentes, une rangée de pièces de métal carrées de couleur bronze, une rangée de pièces de métal de rondes de couleur bronze et une rangée de pièces de métal rondes de couleur argent,
- aucun élément versé aux débats ne permet à la société Cafan ne se prévaloir d'une quelconque présomption de titularité des droits sur cette encolure qui selon elle aurait été créée en mai 2009 par la société Twiggy, encolure commercialisée par la société Triangle dès le 30 juin 2008,
- cette encolure ne présente aucun caractère d'originalité, car la forme pointue sur le devant et arrondie en suivant le cou dans le dos constitue le contour classique d'un vêtement possédant un col en V,
- l'utilisation d'un alignement de pièces de métal de couleur bronze est également sans originalité, d'autant que les sociétés Aljoro et Triangle avaient mis au point celui-ci avant son utilisation par la société Cafan,
- la société Cafan ne détient par ailleurs aucun droit privatif sur le tissu imprimé qui est dénommée imprimé Missoni proposé librement à la vente,
- la forme du modèle de tunique revendiqué ne présente aucune originalité et est parfaitement basique puisque :
* l'encolure se retrouve notamment sur des modèles Gucci de 2007, Jean-Paul Gauthier de 2006, en couverture du magazine Collezioni de 2006, et un modèle Anna Suide 1997,
* la taille haute marquée en dessous de la poitrine par des smocks ou par une bande de tissu se retrouvent sur les modalités précédemment cités, tout comme le fait que la ligne de devant soit légèrement inclinée en direction de la pointe de l'encolure,
* le bas de la tunique à volants avec une finition bourdon constitue deux éléments banals et anciens, son modèle Baija du 11 avril 2005 possédait aussi une finition bourdon, et présentait des brides au niveau des manches,
- les caractéristiques revendiquées même combinées ne traduisent pas un parti pris esthétique empreint de la personnalité de leur auteur,
- le modèle litigieux de la société Aljoro ne contrefait pas le modèle revendiqué car il existe des différences importantes : le modèle Aljoro ne comporte pas deux volants l'un sur l'autre, la ligne marquant la taille sous la poitrine est beaucoup plus inclinée, entre les deux rangées de pièces constituant l'encolure, il n'est pas possible d'apercevoir le tissu 'Missoni'lui conférant une impression d'ensemble différente et les quelques ressemblances consistant en des éléments basiques déjà utilisés dans la mode ne peuvent constituer une contrefaçon,
- la société Cafan ne justifie pas de l'existence d'un réel préjudice, - elle n'a commis aucun acte de concurrence déloyale, et il n'existe aucun acte distinct de ceux invoqués au titre de la contrefaçon,
- elle ignorait que la société Cafan n'avait pas en réalité abandonné son projet de tunique et l'avait fait fabriquer par un autre façonnier,
- elle s'est inspirée de son propre modèle Baija pour concevoir le modèle litigieux,
- la société Cafan de son côté a exploité son modèle d'encolure à son insu et son acte de commercialisation est constitutif à son égard de concurrence déloyale,
- en l'absence d'élément démontrant que la société Aljoro a accepté de garantir la société Carrefour, celle-ci doit être déboutée de sa demande d'appel en garantie.
La SAS Carrefour Hypermarchés intimée demande dans ses dernières conclusions du 7 mars 2013 d'infirmer le jugement et de dire que le modèle de la société Aljoro ne constitue pas la copie servile du modèle Tizoni et de confirmer le surplus du jugement.
A titre subsidiaire, elle sollicite la garantie de la société Aljoro sur le fondement de l'article 1626 du Code civil.
En toute hypothèse, elle demande la condamnation de la société appelante à lui payer la somme de 15 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Elle indique à cet effet que :
- la société Cafan ne rapporte pas la preuve d'une quelconque création du modèle revendiquée,
- le modèle de tunique revendiqué ne peut constituer un modèle protégeable par le droit d'auteur, compte tenu de son absence d'originalité,
- elle ne peut revendiquer l'originalité de l'encolure de la tunique dont elle n'est pas l'auteur, ni le tissu, qui est banal,
- le modèle de tunique s'inscrit dans une ligne de mode, sans être original reprenant des éléments connus dans le domaine de la mode,
- les modèles en présence présentent des différences : encolure plus profonde, présence de volants donnant à ceux-ci une impression d'ensemble différente,
- à titre subsidiaire, le caractère servile de reproduction ne peut lui être imputée car s'agissant de droits revendiqués qui n'ont fait l'objet d'aucun dépôt, elle n'avait pas connaissance du modèle créé par la société Cafan et n'avait aucun moyen de vérifier l'existence de produits similaires
- le fait qu'elle ait apposé sa marque sur le produit litigieux ne peut lui être reproché car il lui appartient conformément aux contrats passés avec ses fournisseurs, qui fabriquent et lui vendent les produits d'y apposer sa marque de distributeur, et la vente à un prix inférieur n'est pas constitutive d'une faute au regard du principe de libre concurrence.
Sur les droits d'auteur de la SAS Cafan sur le modèle de tunique Tizoni :
Aux termes de l'article L. 113-1 du Code de la propriété intellectuelle, la qualité d'auteur appartient, sauf preuve contraire, à celui ou à ceux sous le nom de qui l'œuvre est divulguée.
La société Cafan justifie exploiter le modèle de tunique Tizoni sous son nom par les factures émises à son nom, au titre de ce modèle auprès de ses distributeurs, par les bons de commande adressés à son fournisseur la société Twiggy et les factures émises par celle-ci, et par la vente de ce modèle sous la marque Morgan dont elle est licenciée à titre exclusif.
Ainsi, en l'absence de toute revendication de la part de la ou des personnes physiques ayant réalisé la tunique dont s'agit, les actes de possession de la société Cafan qui l'exploite sous son nom, font présumer, que cette personne est titulaire sur ce modèle, quelle que soit sa qualification du droit de propriété incorporelle, de celui-ci.
En revanche, la société Cafan ne peut se prévaloir de la présomption de la titularité des droits sur l'encolure de son modèle dès lors que celle-ci n'est pas reproduite sur la fiche technique qu'elle avait remise à la société Aljoro et que la société Triangle avec qui cette dernière collabore qui atteste l'avoir créée, justifie de la commercialisation à son nom, en mai 2008, antérieurement à la prétendue création de la société Cafan d'avril 2009 ; celle-ci a été par la suite commercialisée par la société Aljoro sous la référence 18184.
L'article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose que l'auteur d'une œuvre de l'esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous, comportant des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial.
Le droit de l'article susmentionné est conféré selon l'article L. 112-1 du même Code, à l'auteur de toute œuvre de l'esprit, quels qu'en soit le genre, la forme d'expression, le mérite ou la destination.
Il se déduit de ces dispositions le principe de la protection d'une œuvre sans formalité et du seul fait de la création d'une forme originale.
Selon l'article L. 112-2 14° du Code de la propriété intellectuelle sont considérés notamment comme œuvres de l'esprit au sens du présent code les créations des industrie saisonnières de l'habillement et de la parure.
Concernant la tunique Tizoni la société Cafan revendique les caractéristiques suivantes de ce modèle dont elle estime que leur combinaison lui confère un caractère original : l'encolure est soulignée sur le devant par une bande de tissu bleu foncé sur laquelle sont cousues des pièces de métal de couleur bronze, cette encolure présente une forme pointue constituée de deux bandes sur le devant, ronde en suivant le cou dans le dos,
la taille est haute, marquée de plusieurs rangs de smocks dans le dos et sur le devant ; sur le devant, la ligne de smocks est légèrement inclinée en direction de la pointe de l'encolure pour souligner la poitrine,
le bas de la tunique est constitué d'une double hauteur avec finition bourdon,
les manches sont longues et fendues sur quelques centimètres au niveau du poignet ; elles ferment par des brides cousues autour du poignet longues d'une vingtaine de centimètres,
le vêtement est réalisé dans un tissu imprimé en polyester crépon crinkle de couleurs bleues, crème, prune er marron,
Cependant le modèle de tunique Baija mis au point en 2005 par la société Aljoro comprenait la plupart des caractéristiques invoquées une encolure en forme pointue soulignée sur le devant, une taille haute marquée, des manches longues fendues sur quelques centimètres au niveau du poignet, fermées par des brides cousues autour du poignet longue d'une vingtaine de centimètres.
La plupart de ces éléments se retrouvent sur des modèles de robes antérieures : l'encolure se retrouve notamment sur des modèles Gucci de 2007, Jean-Paul Gauthier de 2006, en couverture du magazine Collezioni de 2006, et un modèle Anna Suide 1997,
la taille haute marquée en dessous de la poitrine par des smocks ou par une bande de tissu se retrouvent sur les modèles précédemment cités, tout comme le fait que la ligne de devant soit légèrement inclinée en direction de la pointe de l'encolure.
Il n'est pas communiqué de tunique présentant un bas à volants mais le modèle Baija du 11 avril 2005 possédait aussi une finition bourdon, et présentait des brides au niveau des manches,
et le tissu en vente libre, ne peut, même combiné avec les éléments revendiqués, caractériser une originalité.
L'aspect d'ensemble produit par la combinaison telle que revendiquée ne témoigne donc pas d'un effort créatif portant l'empreinte de la personnalité de son auteur lui conférant une originalité, de sorte que la SAS Cafan n'est pas recevable à revendiquer un quelconque droit d'auteur sur ce modèle de tunique.
Il y a lieu en conséquence de confirmer les dispositions du jugement au titre de l'absence de contrefaçon de droit d'auteur.
Sur la concurrence déloyale :
L'examen comparatif des modèles en cause fait apparaître que le modèle de la société Aljoro reproduit quasi servilement celui de la société Cafan et ne s'en différencie que par l'absence de volants au bas de la tunique et au fait qu'entre les deux rangées de pièces constituant l'encolure, il n'est pas possible d'apercevoir le tissu. Ces différences minimes n'excluent pas le risque de confusion pour le public d'attention moyenne qui n'a pas les deux modèles en cause sous les yeux alors que cette confusion a été renforcée par l'utilisation, en toute connaissance de cause, de façon déloyale, du même tissu qui avait fait l'objet d'une description précise lors de la remise de la fiche technique par la société Cafan à la société Aljoro alors qu'elles étaient dans des relations de confiance entre donneur d'ordre et façonnier.
La société Aljoro s'est approprié les investissements financiers et promotionnels de la société Cafan en vendant tout en reprenant le nom du modèle pour sa commercialisation, à travers un important réseau de distribution, cette copie servile, en se plaçant dans le sillage de la marque connue Morgan.
Ces actes sont constitutifs pour la société Aljoro d'actes de concurrence déloyale.
En revanche il ne peut être reproché à la société Carrefour Hypermarchés d'avoir procédé à la vente de ce modèle litigieux après y a voir apposé ses propres marques et d'avoir commis une négligence coupable dès lors que s'agissant d'un modèle non déposé elle ne pouvait avoir connaissance de l'exploitation du modèle de la société Cafan et ne pouvait vérifier l'existence de droits appartenant à un tiers sur les produits achetés à son fournisseur, alors que l'apposition de ses propres marques constitue l'objet du contrat avec son fournisseur qui fabrique et lui vend les modèles.
Aucune faute ne peut lui être imputée sur le fondement de la concurrence déloyale.
Il convient en conséquence de confirmer le jugement sur ces deux chefs.
Sur la demande reconventionnelle :
La société Aljoro qui justifie comme mentionné précédemment de sa création de l'encolure référencée 18184 reproduite sur le modèle de tunique Tizoni dont la société Cafan a eu connaissance lors des négociations en vue de l'éventuelle fabrication de son propre modèle, c'est à bon droit que le tribunal a considéré qu'elle a commis à l'égard de la société Aljoro des actes de concurrence déloyale et sera confirmé à ce titre.
Sur les mesures réparatrices :
Les modèles litigieux ont été acquis par la société Carrefour Hypermarchés auprès de la société Aljoro en 3 300 modèles bleu et 2 430 modèles marron ont été présentés sur le catalogue Carrefour diffusé en 18 millions d'exemplaires.
Il convient, infirmant le jugement à ce titre, de fixer à la somme de 40 000 euros le montant du préjudice résultant du trouble commercial occasionné à la société Cafan par les actes de concurrence déloyale de la société Aljoro.
L'apposition par la société Cafan, sans autorisation de l'encolure créée par la société Aljoro sur son propre modèle de tunique fabriqué en 2 362 modèles a occasionné à cette dernière un préjudice commercial qu'il convient, réformant le tribunal à ce titre, de fixer à la somme de 10 000 euros.
Les mesures d'interdiction prononcées par le tribunal étant suffisantes à réparer les dommages respectifs, et y mettre fin, il convient de les confirmer et de rejeter les demandes de confiscation, de destruction et de publication formées par la société Cafan.
L'équité commande d'allouer à la société Hypermarchés Carrefour la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile et de rejeter la demande formée à ce titre par les sociétés Cafan et Aljoro.
Les dépens qui comprendront les frais de la mesure de saisie-contrefaçon à hauteur de la somme de 2 745,42 euros seront supportés à proportion de deux tiers par la société Aljoro et d'un tiers par la société Cafan, et seront recouvrés par les avocats de la cause conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Par ces motifs : Infirme le jugement en ce qu'il a condamné la société Aljoro à payer à la société Cafan la somme de 5 000 euros et la société Cafan à payer à la société Aljoro la somme de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts aux titres de la concurrence déloyale, En conséquence, Condamne la SA Aljoro à payer à la SAS Cafan la somme de 40 000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la concurrence déloyale, Condamne la société Cafan à payer à la SA Aljoro la somme de 10 000 euros au titre de la concurrence déloyale, Confirme le jugement pour le surplus, Y ajoutant, Condamne la société Cafan à payer à la société Carrefour Hypermarchés la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile, Rejette le surplus des demandes respectives des parties, Fait masse des dépens qui comprendront les frais des mesures de saisie-contrefaçon à hauteur de la somme de 2 745,42 euros, et dit qu'ils seront supportés à proportion de deux tiers par la société Aljoro et d'un tiers par la société Cafan, et seront recouvrés par les avocats de la cause conformément aux dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.