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Décisions

Commission, 27 octobre 2010, n° 2013-197

COMMISSION EUROPÉENNE

Décision

Concernant l'aide d'État n°C 15-08 (ex N 318-07, N 319-07, N 544-07 et N 70-08) que l'Italie entend mettre à exécution en faveur de l'entreprise Cantiere Navale De Poli

Commission n° 2013-197

27 octobre 2010

LA COMMISSION EUROPÉENNE,

vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, et notamment son article 108, paragraphe 2, premier alinéa,

vu l'accord sur l'Espace économique européen, et notamment son article 62, paragraphe 1, point a),

après avoir invité les parties intéressées à présenter leurs observations conformément aux dispositions susvisées (1) et vu ces observations,

considérant ce qui suit :

I. PROCÉDURE

(1) Par lettres du 6 juin 2007, du 24 septembre 2007 et du 6 février 2008, l'Italie a notifié des demandes de prorogation du délai de trois ans pour la livraison de quatre transporteurs de produits chimiques (C 241, C 242, C 243 et C 244) qui devaient être construits par Cantiere Navale De Poli (ci-après "De Poli" ou "le chantier naval") (2). Pour être plus précis, l'Italie a demandé que le délai de livraison soit prolongé de 8 mois pour le transporteur C 241, de 6 mois pour le transporteur C 242, de 9 mois pour le transporteur C 243 et de 10 mois pour le transporteur C 244.

(2) Les notifications portaient sur des aides accordées par l'Italie à De Poli au titre du régime national d'aide N 59-2004 autorisé par la Commission le 19 mai 2004 (3) sur la base du règlement (CE) n°1177-2002 du Conseil du 27 juin 2002 concernant un mécanisme de défense temporaire en faveur de la construction navale (4), modifié par le règlement (CE) n°502-2004 du Conseil (5) (ci-après respectivement le "régime italien" et le "règlement concernant le mécanisme de défense temporaire").

(3) Par courriers datés du 31 juillet 2007, du 31 août 2007, du 7 septembre 2007, du 12 novembre 2007 et du 25 janvier 2008, l'Italie a fourni à la Commission un complément d'information sur les notifications.

(4) Par lettre du 16 avril 2008, la Commission a informé les autorités italiennes de sa décision d'ouvrir la procédure prévue à l'article 108, paragraphe 2, du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (TFUE) (6) à l'égard des demandes de prorogation qui lui avaient été notifiées. La décision de la Commission portant ouverture de la procédure a été publiée au Journal officiel de l'Union européenne (7). Les parties intéressées ont été invitées à présenter leurs observations à ce sujet.

(5) L'Italie a présenté des observations sur la décision portant ouverture de la procédure dans une lettre datée du 16 juin 2008 et enregistrée le 17 juin 2008. La Commission a reçu les observations de De Poli par courrier, lui aussi daté du 16 juin 2008 et enregistré le 17 juin 2008. L'Italie a communiqué des informations complémentaires par lettres du 30 juin 2008, enregistrée le jour même, et du 29 octobre 2008, enregistrée le 3 novembre 2008.

(6) Par courrier du 15 juillet 2008, enregistré le 22 juillet 2008, l'Italie a demandé une deuxième prorogation du délai de livraison pour deux des transporteurs, soit jusqu'au 30 septembre 2008 pour les transporteurs C 242 et C 244.

(7) Par lettre du 20 janvier 2009, enregistrée le 22 janvier 2009, l'Italie a demandé une troisième prorogation des délais de livraison, soit jusqu'au 31 décembre 2008 pour le transporteur C 242 et jusqu'au 28 février 2009 pour le transporteur C 243. Par courrier du 14 avril 2009, enregistré le 15 avril 2009, elle a demandé une nouvelle prorogation (la quatrième) des délais de livraison, soit jusqu'au 30 juin 2009 pour le transporteur C 242, jusqu'au 30 septembre 2009 pour le transporteur C 243 et jusqu'au 30 novembre 2009 pour le transporteur C 244.

(8) Par lettre du 8 mai 2009 enregistrée le même jour, la Commission a demandé à l'Italie de lui fournir un complément d'information, requête qui a fait l'objet d'un rappel en date du 12 juin 2009. L'Italie a répondu par courrier du 23 septembre 2009 (8) se bornant à informer la Commission que De Poli avait été mis sous concordat préventif (9).

(9) Par lettre du 28 janvier 2010, enregistrée le 1 er février 2010, l'Italie a officiellement retiré les demandes de prorogation présentées pour les transporteurs C 242 et C 243 (10).

(10) Par courriel du 2 mars 2010, la Commission a demandé à l'Italie de clarifier la situation concernant les notifications relatives aux transporteurs C 241 et C 244.

(11) Par courriel du 10 juin 2010 enregistré le 17 juin 2010, l'Italie a fait savoir à la Commission que la construction du transporteur C 241 s'était achevée le 31 août 2008, que la livraison avait eu lieu le 3 novembre suivant et que la notification de la demande de prorogation du délai de livraison de ce navire était maintenue.

(12) Par lettre du 16 juin 2010, enregistrée le 28 juin 2010, l'Italie a officiellement retiré les demandes de prorogation concernant le transporteur C 244.

II. HISTORIQUE

(13) Les faits exposés ci-après ne concernent que le transporteur C 241 puisque l'Italie a retiré les demandes de prorogation qu'elle avait présentées pour les transporteurs C 242, C 243 et C 244.

(14) De Poli est un chantier naval italien situé à Pellestrina (Venise), spécialisé depuis les années 90 dans la construction de transporteurs de produits chimiques et de navires citernes. En 2007, il employait 320 personnes, en comptant les sous-traitants, et réalisait un chiffre d'affaires annuel de 70 millions d'euros. Le 11 février 2010, le juge italien compétent a homologué sa mise sous concordat préventif (11).

(15) Le 28 janvier 2005, Arcotur S.r.l. a confié la construction du transporteur de produits chimiques C 241 à De Poli. En vertu du contrat, le navire devait présenter les caractéristiques techniques suivantes : longueur hors tout de 125 m ; largeur hors membres de 19 m ; port en lourd d'environ 7 300 tonnes et vitesse de 15 noeuds à 85 % de la puissance maximale continue. Le contrat de vente fixait la date de livraison du transporteur C 241 à l'acquéreur, Arcotur S.r.l., au 31 décembre 2007 au plus tard pour un prix total de 30 millions d'euros.

(16) Le 26 mai 2006, le chantier naval a commandé le réducteur pour le bateau auprès d'un de ses fournisseurs (ci- après le "fournisseur"), commande qui, confirmée par ce dernier, devait être exécutée pour le 3 septembre 2007. Selon les informations communiquées par De Poli, le réducteur commandé pour le transporteur C 241 est un modèle spécifique aux caractéristiques uniques qui, sous différents aspects techniques, diffère du modèle standard produit par le même fournisseur.

(17) Le 6 juillet 2006, Arcoin S.p.A. (ex Arcotur S.r.l.) et De Poli ont modifié le contrat signé le 28 janvier 2005 et apporté les modifications suivantes à la commande passée pour le transporteur C 241 : longueur hors tout de 112 m, largeur hors membres de 16,8 m et port en lourd de 5 300 tonnes. Le prix était ramené à 23 millions d'euros.

(18) Le 20 juillet 2006, Arcoin S.p.A. a cédé le contrat pour la construction du transporteur C 241 à Elbana di Navigazione S.p.A.

(19) Le 3 septembre 2007, à l'échéance convenue, le réducteur commandé le 26 mai 2006 n'était pas prêt. Par lettre du 23 octobre 2007, le fournisseur a fait savoir à De Poli qu'en raison d'une pénurie de matières premières sur le marché et du retard de livraison par les sous-traitants qui s'en était suivi, le réducteur ne pouvait être livré à la date prévue. Le 18 janvier 2008, le fournisseur a confirmé que la date de livraison du réducteur était reportée à février 2008, ce qui représentait un retard d'environ six mois par rapport au délai initial.

(20) Les autorités italiennes ont donc demandé que le délai de livraison du transporteur C 241 soit prolongé jusqu'au 31 août 2008, ce qui représentait un report de huit mois de la date de livraison contractuelle du navire (31 décembre 2007).

(21) Se fondant sur les informations qui lui ont été communiquées, la Commission a enfin constaté que le transporteur C 241 avait été livré le 3 novembre 2008 (12).

III. AIDE

(22) Le règlement concernant le mécanisme de défense temporaire (13) définit des mesures exceptionnelles et temporaires visant à aider les chantiers navals de l'Union opérant dans les segments qui, à l'époque, subissaient un préjudice grave du fait de la concurrence déloyale exercée par la Corée (14).

(23) Le règlement concernant le mécanisme de défense temporaire juge compatible avec le marché intérieur l'octroi d'aides directes, à concurrence de 6 % de la valeur avant aide (15), en faveur de contrats de construction de certains types de navires marchands (navires porte-conteneurs, transporteurs de produits pétroliers et de produits chimiques et transporteurs de GNL (16)) pour autant que les conditions suivantes soient réunies : il faut que le contrat ait suscité la concurrence d'un chantier naval coréen offrant un prix moins élevé (17), que le contrat final ait été conclu avant la date d'expiration du règlement (31 mars 2005) (18) et que le navire soit livré dans les trois ans suivant la date de signature du contrat final (19).

(24) L'article 2, paragraphe 4, du règlement concernant le mécanisme de défense temporaire permet à la Commission d'accorder une prorogation du délai ultime de trois ans fixé pour la livraison "lorsque cela se justifie en raison de la complexité technique du projet de construction navale concerné ou de retards résultant de perturbations inattendues, importantes et justifiables du plan de charge d'un chantier en raison de circonstances exceptionnelles, imprévisibles et extérieures à l'entreprise".

(25) En mai 2004, la Commission a autorisé, sur la base du règlement concernant le mécanisme de défense temporaire, le régime italien d'aide aux chantiers navals (20), qui prévoit des conditions correspondant à celles du règlement précité. Pour être plus précis, le régime italien prévoit l'octroi d'aides, à concurrence de 6 % de la valeur contractuelle avant aide, en faveur de la construction de navires livrés dans les trois ans à partir de la date de signature du contrat final, ainsi qu'une prorogation possible du délai ultime de livraison par la Commission dans les seuls cas où "cela se justifie en raison de la complexité technique du projet de construction navale concerné ou de retards résultant de perturbations inattendues, importantes et justifiables du plan de charge d'un chantier en raison de circonstances exceptionnelles, imprévisibles et extérieures à l'entreprise" (point 29 du régime italien).

(26) Le 31 janvier 2005, le chantier De Poli a présenté aux autorités italiennes une demande d'octroi de la contribution, d'un montant de 1,3 million d'euros, prévue par le régime susvisé pour la construction du transporteur C 241.

(27) Le 25 janvier 2008, le chantier naval a demandé que la date de livraison de ce navire soit reportée du 31 décembre 2007 au 31 août 2008.

(28) Les autorités italiennes ont confirmé que l'aide n'avait pas été versée, faisant observer qu'en raison de la décision du 21 octobre 2008 (21) par laquelle la Commission a jugé incompatible l'affectation de 10 millions d'euros supplémentaires au régime italien, elles ne disposent pas, actuellement, de fonds suffisants pour accorder l'aide.

IV. DÉCISION D'OUVRIR LA PROCÉDURE

(29) Dans sa décision d'ouvrir la procédure, la Commission émet des doutes sur le fait que les circonstances invoquées par les autorités italiennes et De Poli pour justifier la livraison tardive du transporteur C 241 (ainsi que des transporteurs C 242, C 243 et C 244 qui ne sont pas couverts par la présente appréciation) puissent être considérées comme des "retards résultant de perturbations inattendues, importantes et justifiables du plan de charge d'un chantier en raison de circonstances exceptionnelles, imprévisibles et extérieures à l'entreprise" au sens du point 29 du régime italien.

(30) Bien que concernant les quatre transporteurs (C 241, C 242, C 243 et C 244), les doutes exprimés dans la décision portant ouverture de la procédure restent d'actualité pour l'appréciation relative au seul transporteur C 241.

(31) Dans la décision, la Commission se demande en premier lieu si les contrats conclus avec Arcoin S.p.A. sont bien les contrats finaux ou s'ils ne constituent pas plutôt un moyen, pour De Poli, de respecter la date limite d'admissibilité au bénéfice des aides avant de chercher, dans un deuxième temps, des acquéreurs définitifs.

(32) En deuxième lieu, la Commission se pose la question de savoir si, en soi, le transfert des contrats de vente entre armateurs n'explique pas en partie le retard de livraison.

(33) En troisième lieu, la Commission émet l'hypothèse que De Poli a accepté des commandes dépassant sa capacité de production effective dans la mesure où sur la période 2005-2008, son plan de charge prévoyait la construction de 18 navires, dont une moitié dans les deux bassins principaux et l'autre dans une structure moins importante.

(34) Enfin, contrairement à ce qu'affirment les autorités italiennes, la Commission doute que les retards présumés dans la livraison de pièces essentielles aient été réellement imprévisibles et pense plutôt qu'ils relèvent des risques commerciaux normaux dont un chantier naval rigoureux devrait tenir compte dans son plan de charge. La Commission estime plus particulièrement que De Poli a pu augmenter le risque de retard en ne commandant pas assez tôt certaines pièces des navires.

Observations de l'état membre et argumentations des parties intéressées

(35) En ce qui concerne le transporteur C 241, les autorités italiennes font valoir, dans les observations faisant suite à la décision du 16 juin 2008 portant ouverture de la procédure, que De Poli disposait de la capacité de production potentielle nécessaire pour livrer les navires dans les 36 mois suivant la date de la conclusion du contrat de vente. Le retard serait uniquement imputable à la livraison tardive du réducteur par le fournisseur, élément que les autorités italiennes qualifient de circonstance grave, exceptionnelle, imprévisible et extérieure à l'entreprise, au sens du point 29 du régime italien.

(36) Dans les observations qu'il a envoyées à la même date, De Poli affirme que le fait que le chantier naval et Arcoin S.p.A. appartiennent à des membres de la famille De Poli ne suffit pas pour mettre en doute l'authenticité du contrat initialement conclu le 28 janvier 2005. Cette argumentation est étayée par les autorités italiennes qui font observer qu'au moment de la conclusion du contrat relatif au transporteur C 241, il n'existait plus aucun lien sous forme de participation directe entre le chantier naval et Arcoin S.p.A. (hormis le fait qu'Arcoin S.p.A. appartenait à des membres de la famille De Poli qui n'étaient pas exactement les mêmes que les actionnaires du chantier naval).

(37) De Poli affirme à ce propos que, dans le milieu des armateurs, il n'est pas rare que des navires soient commandés pour être vendus sur le marché pendant ou après leur construction.

(38) Quant à la planification des travaux relatifs au transporteur C 241, De Poli fait remarquer que, vu la complexité des projets de construction navale, il s'écoule généralement plusieurs mois entre la conclusion des contrats et le début des travaux. Selon lui, il est courant qu'entre le moment de la signature du contrat et le début effectif de la construction, le chantier procède à des activités préparatoires telles que l'établissement du plan d'exécution des travaux et les négociations avec les différents fournisseurs.

(39) Selon le plan de charge initial communiqué par De Poli aux autorités italiennes (22), la construction du transporteur C 241 était censée démarrer au cours du premier trimestre de 2006, la livraison étant prévue pour le deuxième trimestre de 2007. Toutefois, si l'on se base sur le plan de charge modifié, le lancement des travaux de construction était prévu pour le 28 septembre 2006 (dans le bassin sud, un des deux que compte le chantier naval).

(40) Selon De Poli, la livraison du réducteur est une étape essentielle du processus de construction du navire. Elle est suivie de l'assemblage du réducteur et du moteur, de la fixation de l'hélice et de l'achèvement de la coque. Diverses opérations d'assemblage et de préparation/ construction ne seraient possibles qu'une fois le réducteur installé. De Poli affirme qu'en règle générale, les pièces telles que le réducteur ne sont pas commandées à l'avance afin d'éviter des coûts d'entreposage et le paiement d'acomptes. Il souligne enfin que le fournisseur auquel il s'est adressé est une entreprise de premier plan, expérimentée, et que rien ne laissait présager que le réducteur ne serait pas livré à temps.

(41) De Poli affirme avoir toujours eu la capacité de livrer dans les délais les 18 navires qui lui avaient été commandés pour la période 2005-2008 dans la mesure où leur port en lourd s'élevait au total à 10 000 tonnes par an, alors que le chantier disposait d'une capacité historique annuelle supérieure à 12 000 tonnes. Il ajoute que 9 des 18 navires commandés pour la période en question étaient de petite taille (20 mètres de longueur hors tout et 25 tonnes de port en lourd). Seuls les neuf autres étaient de dimensions comparables à celles du transporteur C 241, ce qui démontrerait, selon lui, que le chantier disposait de la capacité nécessaire pour honorer toutes les commandes dans les délais prévus et n'avait pas pris d'engagements supérieurs à sa capacité de production.

(42) De Poli rappelle enfin que, par le passé, la Commission a accepté à plusieurs reprises (y compris en ce qui le concerne) des demandes de prorogation du délai de livraison justifiées par la livraison tardive de pièces essentielles.

VI. APPRÉCIATION

(43) À titre préliminaire, l'Italie ayant officiellement retiré les demandes de prorogation du délai de livraison notifiées pour les transporteurs C 242, C 243 et C 244 et n'ayant effectué aucun versement, la procédure formelle d'examen concernant les demandes présentées par l'Italie pour ces trois navires n'a plus lieu d'être et sera close sans autre évaluation.

(44) Par conséquent, la présente appréciation ne concerne que le transporteur C 241 et ne fera référence aux transporteurs C 242, C 243 et C 244 que si cela s'avère utile aux fins de l'examen.

Existence d'une aide d'État au sens de l'article 107, paragraphe 1, du TFUE

(45) En vertu de l'article 107, paragraphe 1, du TFUE, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions. L'article 107, paragraphe 1, du TFUE énonce donc les conditions cumulatives qu'une mesure nationale doit remplir pour être considérée comme une aide d'État : conférer un avantage sélectif, faire appel à des ressources d'État, entraîner une distorsion de la concurrence et avoir des répercussions négatives sur les échanges entre les États membres.

(46) La mesure que l'Italie envisage de mettre à exécution en faveur de De Poli pour la construction du transporteur C 241 et consistant en une contribution financière à concurrence de 6 % (1,3 million d'euros) de la valeur contractuelle avant aide constitue indiscutablement une aide d'État au sens de l'article 107, paragraphe 1, du TFUE. La mesure est financée par l'État italien. Les fonds, destinés à couvrir des coûts normalement supportés par le chantier naval dans le cadre de la construction du navire, confèrent un avantage à De Poli. La mesure est sélective puisque De Poli en est le seul bénéficiaire et, parce qu'elle favorise la position de ce dernier par rapport à ses concurrents européens, elle est de nature à fausser la concurrence sur le marché européen de la construction navale et à affecter les échanges entre les États membres.

Compatibilité de l'aide avec le TFUE

(47) Le cas d'espèce présente deux aspects qui ont amené la Commission à douter de la compatibilité de l'aide accordée à De Poli avec le marché intérieur. Le régime italien prévoit, d'une part, en son point 29, que les aides peuvent être accordées pour des navires livrés dans les trois ans à compter de la date de signature du contrat final et, d'autre part, en son point 33, que les contrats finaux doivent être conclus avant la date d'expiration du règlement concernant le mécanisme de défense temporaire, soit le 31 mars 2005.

(48) En ce qui concerne ce dernier point, les autorités italiennes ont expliqué que la cession de contrats entre armateurs après l'expiration du règlement concernant le mécanisme de défense temporaire ne pouvait pas être interprétée comme un signe indiquant que le contrat initial, conclu le 28 janvier 2005, pour la construction du transporteur C 241 n'était pas le "contrat final" au sens du point 29 du régime italien.

(49) La Commission admet que la cession d'un contrat à des tiers semble constituer une pratique courante dans la construction navale. Dans une décision antérieure (23) qui portait, elle aussi, sur la prorogation du délai de trois ans pour la livraison de deux navires, la Commission a, par exemple, conclu que, bien que les contrats aient été cédés, le premier contrat pouvait être considéré comme le contrat final, car le type de produit restait identique et le nouveau propriétaire se substituait au précédent et en assumait les droits et obligations. Dans l'affaire précitée, la Commission a donc conclu qu'en soi, le transfert de propriété ne modifiait en rien la nature des contrats et, partant, les conditions d'admissibilité au bénéfice des aides.

(50) Dans le cas d'espèce également, la cession du contrat entre armateurs n'a en rien modifié le type de produit ou la nature du contrat et le nouveau propriétaire s'est pour l'essentiel substitué à la partie contractante initiale en en assumant les droits et obligations. En ce sens, la Commission estime que le contrat initial est le contrat final et qu'il est de ce fait admissible au bénéfice des aides prévues par le régime italien.

(51) Quant aux doutes exprimés à propos des conditions de la prorogation du délai de livraison de trois ans, le régime italien prévoit que la Commission a la faculté d'octroyer une dérogation lorsque cela se justifie en raison de "la complexité technique du projet de construction navale concerné ou de retards résultant de perturbations inattendues, importantes et justifiables du plan de charge d'un chantier en raison de circonstances exceptionnelles, imprévisibles et extérieures à l'entreprise".

(52) La Commission est donc appelée à déterminer si les autorités italiennes ont suffisamment démontré que les retards enregistrés dans la livraison du transporteur C 241 répondent aux conditions de prorogation de délai prévues par le régime italien.

(53) Avant de procéder à l'appréciation des éléments qui lui ont été communiqués par l'Italie, la Commission constate, à titre préliminaire, que, dans l'arrêt Astilleros Zamacona du 16 mars 2000 (24), le Tribunal de l'Union européenne a déclaré que "cette disposition [relative aux circonstances exceptionnelles], qui instaurait un régime dérogatoire par rapport aux principes énoncés au premier alinéa de cette même disposition [le délai de trois ans], devait faire l'objet d'une interprétation restrictive". De l'avis du Tribunal, l'expression "circonstances exceptionnelles" utilisée dans le dispositif sert à indiquer que le législateur communautaire a entendu en réserver l'application à des situations très spécifiques. Le Tribunal a dès lors considéré qu'il appartenait à l'État membre intéressé de démontrer que les circonstances prétendument exceptionnelles avaient entraîné une perturbation de nature à affecter le plan de charge du chantier naval et à retarder la livraison du navire, en établissant un lien de cause à effet entre ces deux événements.

(54) Les autorités italiennes affirment que le retard de livraison du transporteur C 241 est dû au report de livraison du réducteur (six mois) et au retard d'un mois qui s'en est suivi dans les opérations d'assemblage. La Commission constate qu'il s'agit là du seul motif avancé par l'Italie pour justifier le retard. Pour être plus précis, la demande de prorogation n'invoque pas les nouvelles spécifications résultant de la cession du contrat.

(55) Selon la pratique de la Commission (25), la condition selon laquelle les circonstances doivent être "exceptionnelles" exclut les événements communs ou du moins normaux dont le plan de charge du chantier devrait raisonnablement tenir compte. Les retards importants dans la livraison de pièces essentielles peuvent être considérés comme exceptionnels, ce qui, vu la longueur et la complexité potentielles des projets de construction navale, n'est pas nécessairement le cas des retards mineurs. De plus, vu l'interprétation restrictive qu'il y a lieu de donner à cette exception, la Commission examine avec soin la présence d'éventuels éléments indiquant que le chantier naval aurait pu anticiper, éviter ou au moins réduire les retards, en se référant, par exemple, au calendrier des commandes par rapport au plan de charge concerné. La condition selon laquelle l'événement doit être imprévisible exclut en effet tout élément susceptible d'être raisonnablement prévu par les parties.

(56) La Commission reconnaît qu'il est possible qu'il existe un lien de cause à effet entre la livraison tardive de pièces essentielles pour la construction d'un navire et la demande de prorogation du délai de livraison de ce dernier (26). Toutefois, dans les conditions spécifiques de l'espèce, elle met principalement en doute l'existence de prétendues circonstances exceptionnelles et imprévisibles : dans la présente affaire, les éléments requis pour conclure que le retard invoqué répond aux exigences énoncées au point 29 du régime italien ne semblent pas réunis.

(57) Comme déjà mentionné plus haut, la Commission a admis, par le passé, que des retards importants dans la livraison de pièces essentielles pouvaient être considérés comme exceptionnels. Toute demande de prorogation doit toutefois être appréciée au regard des circonstances propres à chaque affaire. Dans la mesure où De Poli a connu le même genre de perturbations à diverses reprises (pas seulement parce qu'il a présenté des demandes de prorogation similaires par le passé (27), mais aussi parce les trois autres contrats signés le même jour que le contrat de construction du transporteur C 241 ont fait l'objet de demandes de prorogation répétées, comme indiqué aux considérants 1, 6 et 7), la Commission conclut que les retards susmentionnés ne peuvent pas être considérés comme réellement exceptionnels. Les perturbations en résultant, qui se produisent de manière récurrente, ne peuvent pas être considérées comme totalement imprévisibles.

(58) C'est précisément au vu de ces dernières perturbations qu'il semble que De Poli n'ait pas fait preuve de rigueur dans la planification de la production.

(59) Selon le plan de charge initial, le transporteur C 241 devait entrer en production au cours du premier trimestre de 2006 et être livré dans le courant du deuxième trimestre de 2007, sa construction devant donc durer entre 15 et 24 mois.

(60) En revanche, selon le plan de charge modifié, la construction ne devait commencer que le 28 septembre 2006, la livraison étant prévue pour le 30 décembre 2007, soit un mois seulement avant la date limite de livraison (28 janvier 2008). Tel que modifié, le plan de charge ne prévoyait que 15 mois au total pour construire le navire selon les termes du contrat. Il ressort des informations fournies par les autorités italiennes que des périodes de 22 et 20 mois avaient respectivement été prévues entre le lancement de la construction, dans le même bassin sud, et la livraison de navires du même type, voire plus petits (C 229 et C 240).

(61) Qui plus est, le fait que la construction du navire ne débute que le 28 septembre 2006 et que sa livraison soit prévue pour le 30 décembre 2007, soit un mois seulement avant la date limite de livraison (28 janvier 2008), ne laissait aucune marge pour faire face à d'éventuels retards dans les travaux, alors que le chantier naval avait déjà enregistré par le passé des retards dus, soit à la livraison de pièces, soit au processus de construction lui- même, comme le montrent les autres prorogations du délai de livraison demandées par De Poli.

(62) Par ailleurs, la période de forte demande (les autorités italiennes ont fourni des éléments attestant qu'entre 2003 et 2005, les commandes de moteurs diesel ont augmenté d'environ 60 %) amène à conclure qu'il aurait été raisonnable de passer les commandes de pièces essentielles telles que le réducteur et de fixer les dates de livraison un peu plus tôt. L'affirmation de De Poli selon laquelle il ne s'agit pas d'une pratique courante ne suffit pas pour conclure que le chantier naval a adopté un comportement défendable en prenant des initiatives raisonnables pour éviter ou réduire les retards, surtout au vu de la vigueur de la demande et des retards déjà enregistrés par le passé.

(63) La Commission constate plutôt que le réducteur a été commandé le 26 mai 2006 en vue d'une livraison en septembre 2007, ce qui ne laissait qu'une marge étroite, voire inexistante, pour d'éventuels retards puisque le délai de livraison du transporteur C 241 expirait le 31 décembre 2007. De Poli fait lui-même remarquer qu'il y a encore beaucoup à faire après la livraison du réducteur (voir le considérant 39), circonstance semblant confirmer que le plan de charge aurait dû prévoir une certaine marge de retard dans la livraison des pièces essentielles des navires.

(64) S'agissant des doutes qu'elle a exprimés dans la décision portant ouverture de la procédure quant au fait que la cession du contrat à un nouveau propriétaire pouvait constituer en soi une cause de retard, la Commission constate notamment qu'Arcoin S.p.A. n'a cédé le contrat à Elbana Navigazione S.p.A. que le 20 juillet 2006, soit plusieurs mois après la date initialement prévue pour le lancement des travaux (premier trimestre de 2006). Il est donc impossible d'exclure, dans le cas présent, que la cession des contrats entre armateurs n'a pas été en soi une cause du retard dans le démarrage de la construction et du report de livraison qui s'en est suivi, d'autant que cette cession a entraîné plusieurs modifications des caractéristiques spécifiques du navire.

(65) En conclusion, vu l'interprétation restrictive qu'il y a lieu de donner aux demandes de prorogation exceptionnelles, les autorités italiennes n'ont pas été en mesure de justifier de manière cohérente en quoi les circonstances invoquées étaient inévitables ou en quoi il était impossible d'en atténuer les répercussions négatives par une planification et une gestion rigoureuses des commandes de la part de De Poli. Sur cette base, la Commission conclut que les circonstances invoquées à l'appui de la demande de prorogation ne peuvent pas être considérées comme exceptionnelles et imprévisibles dans la mesure où le retard de livraison du transporteur C 241 pouvait être prévu et est indéfendable au regard du point 29 du régime italien.

(66) Enfin, les autorités italiennes ont notifié une demande en vue de reporter de huit mois la date de livraison du transporteur C 241, soit du 31 décembre 2007 au 31 août 2008, mais n'ont fourni une justification que pour sept des huit mois en question.

(67) En l'espèce, à la différence des demandes de prorogation précédentes concernant des navires que De Poli devait construire (28), la durée de la prorogation demandée par les autorités italiennes dépasse le retard qu'elles ont invoqué comme unique justification (livraison tardive du réducteur). Il est donc impossible de prétendre qu'un lien de cause à effet a été établi entre le retard à l'origine de la demande de prorogation et la livraison tardive de pièces essentielles.

(68) En effet, De Poli n'a livré le navire que le 3 novembre 2008. En d'autres termes, non seulement le retard a excédé celui qui était imputable aux éléments invoqués comme motif, mais il s'est prolongé au-delà de la prorogation demandée. L'Italie n'a fourni aucune explication pour ce retard supplémentaire de deux mois dans la livraison du transporteur et la Commission n'a reçu aucune demande de prorogation pour les deux mois en question.

(69) Il s'ensuit que, quand bien même le retard initial aurait été justifié et la Commission aurait accordé la prorogation requise, la construction du transporteur C 241 n'aurait pas pu prétendre au bénéfice des aides prévues par le régime italien, car l'ultime prorogation de délai n'aurait pas été respectée elle non plus.

VII. CONCLUSION

(70) En ce qui concerne les transporteurs C 242, C 243 et C 244, l'Italie ayant officiellement retiré les notifications des demandes de prorogation des délais de livraison et n'ayant procédé à aucun versement, la procédure formelle d'examen, désormais sans objet, est close.

(71) Pour ce qui est du transporteur C 241, il résulte de la présente appréciation que les conditions requises pour l'octroi d'une prorogation du délai de trois ans prévu pour la livraison ne sont pas réunies et, qu'en tout état de cause, la livraison du navire est intervenue après l'expiration du délai qui aurait été fixé si la prorogation demandée avait été accordée. La construction du transporteur C 241 n'est donc pas admissible au bénéfice des aides prévues par le régime italien N 59-2004 fondé sur le règlement concernant le mécanisme de défense temporaire.

(72) Les autorités italiennes ayant confirmé que l'aide n'avait pas été versée à De Poli, il n'y a pas lieu de la recouvrer,

A ADOPTÉ LA PRÉSENTE DÉCISION :

Article premier

L'aide d'État que l'Italie envisage de mettre à exécution en faveur de De Poli, soit la prorogation du délai de trois ans pour la livraison du transporteur C 241, conformément au régime d'aides italien N 59-2004, fondé sur le règlement concernant le mécanisme de défense temporaire, est incompatible avec le marché intérieur.

Cette aide ne peut, pour cette raison, être mise à exécution.

Article 2

L'Italie informe la Commission, dans un délai de deux mois à compter de la notification de la présente décision, des mesures prises pour s'y conformer.

Article 3

En ce qui concerne les transporteurs C 242, C 243 et C 244, l'Italie ayant officiellement retiré les notifications des demandes de prorogation des délais de livraison et n'ayant procédé à aucun versement, la procédure formelle d'examen, sans objet, est close.

Article 4

La République italienne est destinataire de la présente décision.

Notes

(1) JO C 208 du 15.8.2008, p. 14.

(2) Ces notifications ont été enregistrées sous les références N 319-07 pour le transporteur C 243 (lettre du 6 juin 2007), N 318-07 pour le transporteur C 244 (lettre du 6 juin 2007), N 544-07 pour le transporteur C 242 (lettre du 24 septembre 2007) et N 70-08 pour le transporteur C 241 (lettre du 6 février 2008).

(3) JO C 100 du 26.4.2005, p. 27.

(4) JO L 172 du 2.7.2002, p. 1.

(5) JO L 81 du 19.3.2004, p. 6.

(6) Avec effet au 1 er décembre 2009, les articles 87 et 88 du traité CE deviennent respectivement les articles 107 et 108 du TFUE. Dans les deux cas, les dispositions sont, en substance, identiques. Aux fins de la présente décision, toute référence aux articles 107 et 108 du TFUE s'entend, le cas échéant, comme faite respectivement aux articles 87 et 88 du traité CE.

(7) Voir la note de bas de page 1 ci-dessus.

(8) Ce courrier n'a été reçu et enregistré par la Commission que le 19 février 2010

(9) En droit italien, le concordat préventif est une procédure d'insolvabilité, régie par le droit des faillites, dans le cadre de laquelle le débiteur cherche un accord avec ses créanciers en leur présentant une proposition de restructuration de la dette. Cette proposition est ensuite examinée par le juge au siège statutaire de l'entreprise. Le juge peut l'homologuer par décret ou la rejeter en prononçant officiellement la faillite du débiteur. En cas d'homologation du concordat préventif, le débiteur garde le contrôle des actifs et des activités de l'entreprise sous la supervision d'un juge-commissaire.

(10) Ce retrait a été reconfirmé par lettre du 13 mai 2010, enregistrée le 15 mai 2010.

(11) L'entreprise avait demandé à être mise sous concordat préventif dès le début de 2009 (voir la note de bas de page 9 pour une brève définition de ce concept).

(12) La date de fin de construction du transporteur C 241, soit le 30 août 2008 selon les autorités italiennes, n'entre pas en ligne de compte puisque le règlement concernant le mécanisme de défense temporaire et, de ce fait, le régime italien ne prennent en considération que la date de livraison.

(13) Voir les notes de bas de page 4 et 5.

(14) Voir le considérant 3 du règlement.

(15) Article 2, paragraphe 3, du règlement.

(16) Conformément à l'article 1 er du règlement.

(17) Article 2, paragraphe 1, du règlement.

(18) Articles 4 et 5 du règlement, modifiés par l'article 1 er du règlement (CE) n°502-2004 du Conseil - voir les notes de bas de page 4 et 5.

(19) Article 2, paragraphe 4, du règlement.

(20) Voir la note de bas de page 3.

(21) Décision de la Commission du 21 octobre 2008 relative à l'aide d'État C 20-08 (ex N 62-08) que l'Italie entend mettre à exécution en modifiant le régime N 59-04 relatif à un mécanisme de défense temporaire en faveur de la construction navale [JO L 17 du 22.1.2010, p. 50, cette décision fait actuellement l'objet de recours (affaires T-584-08 et T-3-09)].

(22) Les autorités italiennes en ont fourni une copie avec le plan de charge modifié, le 25 février 2008, dans le cadre de la notification N 70-08 concernant le transporteur C 241.

(23) Voir l'affaire C-33-2004 dans laquelle, malgré la cession des contrats, la Commission a jugé que le premier contrat constituait le contrat final.

(24) Voir l'affaire T-72-98, Astilleros Zamacona SA/Commission des Communautés européennes, Rec. 2000, p. II-1683. L'arrêt fait référence à un dispositif identique prévu par le règlement précédent, à savoir le règlement (CE) n°1540-98 du Conseil concernant les aides à la construction navale, et repris dans le règlement concernant le mécanisme de défense temporaire.

(25) Voir par exemple, l'affaire Giacalone, N 69-08, considérant 21.

(26) Voir, par exemple, les affaires N 586-03, N 587-03 et N 589-03, ainsi que les affaires N 68-08 et N 69-08

(27) Voir les affaires N 586-03, N 587-2003 et N 589-03.

(28) Voir les affaires N 586-03, N 587-03 et N 589-03.