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Décisions

CA Metz, ch. com., 10 mai 2012, n° 10-03059

METZ

Arrêt

Infirmation

PARTIES

Demandeur :

Carrosserie Harter (SARL)

Défendeur :

Renault Trucks Lorraine (SAS), Besse & Aupy (SARL)

COMPOSITION DE LA JURIDICTION

Président :

M. Lebrou

Conseillers :

Mmes Soulard, Knaff

Avocats :

Mes Vanmansart, Bettenfeld, Laporte

TGI Metz, du 1er juin 2010

1 juin 2010

Au mois d'octobre 2002, la SA Artegy a consenti à la SARL Carrosserie Harter un crédit-bail destiné au financement d'un véhicule Renault type Mascott 150 neuf, appelé à être transformé en dépanneuse. Le véhicule a été livré neuf chez le vendeur, la SAS Renault Trucks Lorraine, et conduit en vue de sa transformation dans les locaux de la SARL Besse & Aupy, à la diligence de Renault Trucks Lorraine.

Les travaux d'aménagement du plateau ont été exécutés par la SARL Besse & Aupy et ont fait l'objet d'une attestation par Renault V.I, le 4 avril 2003, autorisant "sans restriction, l'utilisation du véhicule au poids total autorisé en charge de 6 500 kg et au poids total roulant autorisé de 10 000 kg".

Cependant au mois de juillet 2005, des fissures sont apparues au niveau du châssis, constatées selon procès-verbal d'huissier du 27 juillet 2005, et ont donné lieu à une expertise amiable, confiée à M. Chapelain. Celui-ci a conclu que le véhicule avait été livré neuf par Renault Trucks et équipé par Besse & Aupy, et que ce dernier n'avait pas respecté les prescriptions de montage du constructeur, notamment en remplaçant, contrairement à celles-ci ; un rivet par une vis et un écrou. Ensuite du dépôt de ce premier rapport contradictoire du 5 septembre 2005, la SAS Renault Trucks a procédé à la réparation du véhicule et attesté avoir effectué les travaux conformément aux règles de l'art.

Le 31 mai 2006, de nouveaux désordres étant survenus, l'expert a procédé à une nouvelle expertise, constatant que les longerons avaient été ressoudés et renforcés, mais que de nouvelles fissures affectaient désormais l'extrémité du renfort inférieur du longeron et les supports du coffre à outils, enfin que la SARL Besse & Aupy acceptait de remettre le véhicule en état à ses frais.

De nouvelles fissures étant encore apparues, l'expert a organisé une troisième expertise le 14 novembre 2007, rendant son rapport le 14 décembre suivant et concluant que malgré les interventions successives, le camion de dépannage devait être déclaré hors d'usage comme non conforme à l'usage auquel il était destiné, soit le dépannage, sauf à remplacer le châssis par un châssis renforcé.

Enfin il a rendu un rapport complémentaire le 11 janvier 2008 au vu d'une note technique émanant de Renault Trucks et transmise par Besse & Aupy, révélant que les véhicules de ce type sont sujets à cassure des longerons et que le constructeur en étant informé, prévoit de fournir des kits de renfort préventif et curatif. Il s'est donc étonné que les longerons n'aient pas été renforcés préventivement avant la vente du véhicule à la Carrosserie Harter.

A l'issue du contrat de location, le 3 mai 2007, la Carrosserie Harter est devenue propriétaire du véhicule.

Selon actes d'huissier des 24 et 29 janvier 2008, la SARL Carrosserie Harter a alors assigné la SAS Renault Trucks Lorraine et la SARL Besse & Aupy devant la chambre commerciale du Tribunal de Grande Instance de Metz aux fins de voir, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, déclarer les défenderesses responsables in solidum de son préjudice, et les voir condamner au paiement de la somme de 27 151.59 euro TTC (sic), majorée des intérêts à compter de la demande, outre une indemnité de 3 000 euro sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.

La SARL Besse & Aupy, citée à personne, n'a pas constitué avocat.

Par jugement réputé contradictoire du 1er juin 2010, la chambre commerciale du Tribunal de grande instance de Metz a :

Déclaré irrecevable la demande de la SARL Carrosserie Harter comme étant prescrite ;

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Condamné la SARL Carrosserie Harter aux dépens.

Pour statuer ainsi, le tribunal a estimé, au vu des expertises amiables successives du véhicule, réalisées par M. Chapelain, qu'aucune réparation, même effectuée dans les règles de l'art, ne pouvait remédier aux problèmes techniques résultant de l'absence de conformité du véhicule aux prescriptions du vendeur, de sorte que la demanderesse ne pouvait fonder son action que sur les dispositions de l'article 1641 du Code Civil ; mais que l'action n'ayant pas été engagée dans le délai de deux ans prévu par l'article 1648 du même Code, elle devait être déclarée prescrite.

Par déclaration du 2 août 2010, la SARL Carrosserie Harter a interjeté appel de ce jugement et, par conclusions récapitulatives déposées le 27 mai 2011, demande à la cour de :

Dire son appel recevable et bien fondé ;

infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Et statuant à nouveau ;

Déclarer les sociétés Renault Trucks Lorraine et Besse & Aupy responsables in solidum de son préjudice ;

Les condamner in solidum à lui payer la somme de 27 151.59 euro TTC (sic), outre les intérêts au taux légal à compter du jour de la demande ;

Les condamner in solidum aux entiers dépens d'appel comme de première instance, ainsi qu'au paiement d'une somme de 3 000 euro au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par écritures récapitulatives déposées le 7 décembre 2011, la SAS Renault Trucks Lorraine conclut à voir :

A titre principal, confirmer le jugement entrepris ;

A titre subsidiaire, débouter la SARL Carrosserie Harter de l'ensemble de ses demandes ;

A titre infiniment subsidiaire, constater la responsabilité de la SARL Besse & Aupy et la condamner à la garantir de l'ensemble des condamnations à intervenir contre elle, ce en tout état de cause ;

Dire n'y avoir lieu à solidarité ;

condamner la SARL Carrosserie Harter à lui payer la somme de 10 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ;

la condamner aux dépens d'appel et de première instance.

La SARL Besse & Aupy, citée à personne à hauteur d'appel le 16 décembre 2010, n'a pas davantage constitué avocat. Il y a lieu de statuer par arrêt réputé contradictoire conformément aux dispositions de l'article 474 du Code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 16 janvier 2012.

MOTIFS DE LA DECISION

Vu les dernières conclusions déposées le 27 mai 2011 pour l'appelante, celles déposées pour l'intimée le 7 décembre 2011, l'assignation délivrée à la SARL Besse & Aupy le 16 décembre 2010 et les pièces régulièrement produites aux débats, auxquelles la cour se réfère pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties ;

L'action de la Carrosserie Harter est fondée sur le manquement à l'obligation de délivrance d'une chose conforme à la chose commandée résultant de l'article 1604 du Code civil, subsidiairement sur la responsabilité contractuelle prévue par l'article 1147 du même Code pour manquements à l'obligation de réparer le véhicule conformément aux règles de l'art. Très subsidiairement, pour le cas où la cour retiendrait le seul fondement du vice caché, elle conclut à ce que soit écartée la fin de non-recevoir tirée de la prescription, le point de départ de celle-ci devant être fixé au jour auquel elle a pu prendre connaissance de l'ampleur et du caractère rédhibitoire du vice, soit à la date du dépôt du troisième rapport d'expertise.

Il est constant que, entre la Carrosserie Harter et la SARL Besse & Aupy, aucun contrat de vente n'est intervenu.

Il convient de rechercher si, entre la Carrosserie Harter et Renault Trucks, un contrat de vente d'un véhicule équipé en dépanneuse est en définitive intervenu. Il ressort des pièces produites et des rapports d'expertise successifs que, à l'origine la Carrosserie Harter a souscrit auprès de la société Artegy un crédit-bail destiné au financement d'une dépanneuse. Ce n'est que le 3 mai 2007 que, à l'issue de l'exécution du contrat de crédit-bail, elle est devenue propriétaire du véhicule et, par suite, subrogée dans les droits de la société Artegy envers le vendeur de celle-ci. Artegy avait en effet acheté à Renault Trucks un véhicule dit "cabine nu" par contrat transmis à Harter le 25 octobre 2002 selon télécopie versée aux débats. Afin de le faire équiper d'un plateau de dépanneuse, Renault Trucks l'a conduit dans les locaux de la SARL Besse & Aupy, avec laquelle elle a signé un contrat de dépôt pour "travaux d'équipement" le 16 janvier 2003. Le véhicule, après avoir été équipé par Besse & Aupy, a été livré par Renault Trucks à Artegy le 15 avril 2003 selon bon de livraison produit aux débats. Le rappel de cette chronologie des faits suffit à démontrer l'existence de la commande d'une dépanneuse et, par suite, d'un contrat de vente d'un tel véhicule équipé entre la Carrosserie Harter et Renault Trucks, encore confirmée par la circonstance que, à l'issue de la première expertise amiable, Renault Trucks a pris en charge le véhicule litigieux aux fins de le réparer, ce qu'elle n'aurait pas fait si elle n'avait été le vendeur d'un véhicule équipé, la transformation du véhicule non conforme aux prescriptions du constructeur étant d'ailleurs seule à l'origine des fissures.

En effet il ressort clairement du rapport d'expertise établi par M. Chapelain le 14 décembre 2007, lequel récapitule l'ensemble des trois expertises successivement intervenues, que le châssis posé était irrécupérable et inadapté aux conditions d'utilisation en camion de dépannage. L'expert conclut ainsi : "il est patent que ce véhicule, même réparé à nouveau, sauf à remplacer le châssis par un châssis renforcé, ne récupérera pas une fiabilité permettant à son propriétaire de l'utiliser aux fins d'effectuer les travaux pour lesquels il a été conçu et réalisé : dépannage, remorquage, transport de véhicules."

Or l'inaptitude de la chose à l'utilisation contractuellement prévue constitue un manquement à l'obligation de délivrance conforme (1ère Civ., 17 juin 1997). En l'espèce la chronologie des faits sus-rappelée démontre bien que l'utilisation du véhicule contractuellement convenue l'était comme dépanneuse. Par suite, il convient de déclarer le vendeur, qu'était la société Renault Trucks, responsable des conséquences dommageables du manquement à son obligation de délivrance conforme à l'usage auquel était destiné le véhicule.

Selon décompte versé aux débats, la Carrosserie Harter se borne à réclamer paiement du prix du remplacement du châssis par un châssis renforcé conformément à la conclusion de l'expert, de sorte qu'il soit conforme à sa destination contractuellement convenue. Il y a donc lieu de faire droit à sa demande en tant que dirigée contre la SAS Renault Trucks Lorraine. Les intérêts au taux légal courront à compter de la signification de la demande, soit le 29 janvier 2008, conformément aux dispositions de l'article 1153 du Code civil.

En revanche la SARL Besse & Aupy ne saurait être déclarée responsable in solidum envers la Carrosserie Harter avec laquelle elle n'était liée par aucun contrat.

Sur l'appel en garantie de la Carrosserie Harter à l'encontre de la SARL Besse & Aupy

Cependant le 11 janvier 2008, soit un mois après le dépôt du dernier rapport d'expertise, la SARL Besse & Aupy a fait parvenir à l'expert une note technique que lui avait adressée Renault Trucks lorsque celle-ci lui avait confié le véhicule, selon contrat de dépôt du 16 janvier 2003, aux fins de le transformer en dépanneuse, et aux termes de laquelle le constructeur attirait l'attention des "équipementiers" sur la fragilité des longerons lorsque le véhicule concerné possède des équipements spéciaux (porte-voitures notamment) et fournissait aux fins de les renforcer deux kits, l'un préventif, l'autre curatif. Et l'expert de conclure que "les véhicules de ce type sont sujets à cassure des longerons et le constructeur Renault Trucks en est informé, au point de prévoir deux kits de renfort des longerons, kits préventif et curatif. Il est étonnant que les longerons n'aient pas été renforcés préventivement, avant la vente du véhicules aux Ets Harter."

Ainsi la SARL Besse & Aupy, pourtant pleinement informée dès l'origine du risque de fissure des longerons, n'a pas mis en œuvre le kit nécessaire à la prévention d'un tel risque, commettant une faute contractuelle envers la société Renault Trucks, à laquelle elle était liée par un contrat d'entreprise, faute à l'origine du défaut de délivrance conforme reproché à cette dernière.

En conséquence l'appel en garantie de la société Renault Trucks est bien fondé dans son intégralité. Il y sera fait droit.

Sur l'application de l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens

L'issue du litige justifie de condamner la SAS Renault Trucks Lorraine, qui succombe, aux dépens d'appel et de première instance ainsi qu'à payer à la Carrosserie Harter la somme de 2 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.

Par ces motifs : Statuant publiquement et par arrêt réputé contradictoire, Infirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ; Déclare l'action recevable ; Au fond, Condamne la SAS Renault Trucks à payer à la SARL Carrosserie Harter la somme de 27 151.59 euro (sic), majorée des intérêts au taux légal à compter du 29 janvier 2008 ; Condamne la SAS Renault Trucks à payer à la SARL Carrosserie Harter la somme de 2 000 euro en application des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile ; Condamne la SARL Besse & Aupy à garantir la SAS Renault Trucks de l'ensemble des condamnations prononcées contre elle dans le cadre du présent arrêt ; Condamne la SAS Renault Trucks Lorraine aux dépens d'appel et de première instance.