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Décisions

Commission, 25 juillet 2012, n° 2013-199

COMMISSION EUROPÉENNE

Décision

Concernant l'aide d'État SA.29064 (11-C, ex 11-NN) - Taux d'imposition différenciés appliqués par l'Irlande au transport aérien

Commission n° 2013-199

25 juillet 2012

LA COMMISSION EUROPÉENNE,

vu le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, et notamment son article 108, paragraphe 2, premier alinéa,

vu l'accord sur l'Espace économique européen, et notamment son article 62, paragraphe 1, point a),

Après avoir invité les parties intéressées à présenter leurs observations conformément aux articles précités (1), et vu ces observations,

considérant ce qui suit :

1. PROCÉDURE

(1) En 2009, la Commission a reçu d'un exploitant de ligne aérienne (ci-après le "plaignant") une plainte relative à une aide d'État concernant plusieurs aspects de la taxe sur le transport aérien appliquée par l'Irlande, notamment les taux d'imposition différenciés applicables aux vols dont les destinations sont situées dans un rayon de 300 kilomètres maximum autour de l'aéroport de Dublin, qui ont prétendument favorisé Aer Arann.

(2) Par lettre du 13 juillet 2011, la Commission a informé l'Irlande de sa décision d'ouvrir la procédure prévue à l'article 108, paragraphe 2, du traité à l'encontre des taux d'imposition différenciés appliqués dans le cadre de la taxe irlandaise sur le transport aérien. La Commission a demandé aux autorités irlandaises de transmettre une copie de la décision aux bénéficiaires.

(3) Les 9 août et 5 septembre 2011, l'exploitant de ligne aérienne Ryanair Ltd. (ci-après "Ryanair") a adressé à la Commission des lettres concernant sa décision d'ouvrir la procédure, auxquelles elle a répondu le 5 octobre 2011. Ryanair a adressé une nouvelle lettre à la Commission, le 17 octobre 2011.

(4) Le délai de réponse ayant été prolongé, les autorités irlandaises ont présenté leurs observations concernant la décision de la Commission le 15 septembre 2011.

(5) La décision de la Commission d'ouvrir la procédure a été publiée au Journal officiel de l'Union européenne le 18 octobre 2011 (2). La Commission a invité les parties intéressées à présenter leurs observations sur la mesure en cause.

(6) Le 17 novembre 2011, Ryanair a répondu à cette invitation. Par lettre du 28 novembre 2011, la Commission a demandé à Ryanair si, dans les informations adressées par l'exploitant, un élément, quel qu'il soit, était confidentiel et ne pouvait pas être divulgué aux autorités irlandaises. Par lettre du 30 novembre 2011, Ryanair a confirmé que les informations communiquées le 17 novembre pouvaient être transmises aux autorités irlandaises.

(7) Par lettre du 12 décembre 2011, la Commission a transmis les observations de Ryanair aux autorités irlandaises, qui y ont réagi en présentant des observations le 13 janvier 2012.

2. DESCRIPTION DE LA MESURE

(8) Le 30 mars 2009, les autorités irlandaises ont introduit un droit d'accise sur le transport aérien de passagers. La base juridique nationale sur laquelle repose cette taxe est le point 55 du Finance (No. 2) Act (deuxième loi de finances) de 2008, qui introduit un droit d'accise appelé "taxe sur le transport aérien", dont les exploitants de lignes aériennes sont redevables pour "tout passager voyageant sur un avion au départ d'un aéroport" situé en Irlande (3). La taxe est exigible au moment où un passager quitte un aéroport dans un avion capable de transporter plus de 20 passagers et non utilisé pour les besoins de l'État ou à des fins militaires. Si, in fine, la taxe est censée être répercutée sur le prix du billet des passagers, ce sont les exploitants de lignes aériennes qui en sont redevables et qui doivent s'en acquitter (4).

(9) Au moment de son introduction, la taxe était perçue sur la base de la distance entre l'aéroport de départ et l'aéroport d'arrivée, au taux de i) 2 euros dans le cas d'un vol au départ d'un aéroport vers une destination située au maximum à 300 km de l'aéroport de Dublin et de ii) 10 euros dans les autres cas.

(10) À l'issue d'une enquête de la Commission concernant une éventuelle infraction au règlement (CE) n° 1008-2008 du Parlement européen et du Conseil du 24 septembre 2008 établissant des règles communes pour l'exploitation de services aériens dans la Communauté (5) et à l'article 56 du traité relatif à la libre prestation de services, les taux ont été modifiés au 1 er mars 2011 afin qu'un taux unique de 3 euros puisse être appliqué à tous les départs, quelle que soit la distance parcourue (6).

3. RAISONS QUI ONT MOTIVÉ L'OUVERTURE DE LA PROCÉDURE FORMELLE D'EXAMEN

(11) La Commission a ouvert une procédure formelle d'examen à l'encontre du taux d'imposition réduit qui a été appliqué à certaines lignes au cours de la période s'étendant du 30 mars 2009 au 1 er mars 2011, ayant estimé que ce taux semblait constituer une aide d'État et doutant de sa compatibilité avec le marché intérieur.

(12) Dans son appréciation du caractère sélectif de la mesure, conformément à une jurisprudence constante (7), la Commission a d'abord déterminé quel était le système fiscal de référence applicable et a ensuite analysé si la mesure constituait une dérogation à ce système et, si tel était le cas, si l'Irlande avait démontré que la dérogation était conforme à la nature et à la logique du système fiscal.

(13) Elle en a conclu qu'en l'espèce, l'imposition des passagers aériens partant d'un aéroport situé en Irlande constituait le système de référence.

(14) La Commission a constaté que le système d'imposition appliqué au transport aérien prévoyait un taux général ou normal applicable à pratiquement tous les vols et un taux réduit applicable aux vols dont la destination est située au maximum à 300 km de l'aéroport de Dublin. Elle a estimé que le taux normal constituait le système de référence et que le taux réduit, qui était applicable à une catégorie bien délimitée de vols, semblait constituer une exception à ce système.

(15) La Commission doutait que la distance entre le point de départ et la destination finale du vol puisse justifier le taux réduit.

(16) Premièrement, ce taux était appliqué non pas sur la base de la longueur réelle du vol, mais sur celle de la distance entre l'aéroport de Dublin et la destination.

(17) Deuxièmement, la structure et la nature objective de la taxe ne semblaient pas être liées à la distance du vol, mais au lieu de départ, qui est un aéroport irlandais. Les relations avec l'administration fiscale, le fait générateur de la taxe (départ d'un aéroport irlandais) et les conséquences négatives pour la société irlandaise (pollution sonore et atmosphérique) étaient exactement les mêmes pour tous les passagers au départ d'un aéroport irlandais, quelles que soient la destination du vol et la distance parcourue. La situation juridique et factuelle au regard de cet objectif était la même pour tous les exploitants de lignes aériennes concernés.

(18) Troisièmement, le système fiscal ne se caractérisait pas par un taux de taxe différencié en fonction de la distance des vols ; il ne prévoyait que deux taux : le premier pour les vols de très courte distance et le second pour tous les autres vols. Ce critère semblait favoriser les vols à l'intérieur de l'Irlande et vers certaines régions occidentales du Royaume-Uni et établissait donc une distinction entre les vols nationaux et ceux à l'intérieur de l'Union. En l'espèce, les autorités irlandaises ont fait valoir que l'application d'une taxe plus élevée sur les destinations auxquelles était appliqué le taux réduit serait disproportionnée par rapport au prix. La Commission a estimé que le prix des billets pour les destinations intérieures n'était pas nécessairement plus bas que celui de vols à l'intérieur de l'Union. Le taux d'imposition réduit ne semblait donc pas se justifier par la nature et la logique du système fiscal appliqué au transport aérien et, partant, paraissait être une mesure sélective.

(19) Dès lors que toutes les autres conditions prévues à l'article 107, paragraphe 1, du traité semblaient également être remplies, la mesure apparaissait constituer une aide d'État en faveur des exploitants des lignes qui avaient bénéficié du taux réduit.

(20) L'aide ne semblait relever du champ d'application d'aucune des lignes directrices concernant la compatibilité des aides d'État publiées par la Commission. Puisqu'elle paraissait constituer une aide au fonctionnement qui établissait une distinction entre les vols à l'intérieur de l'Union, elle ne pouvait pas être considérée comme compatible avec le marché intérieur au sens de l'article 107, paragraphe 3, point c), du traité. Par ailleurs, l'aide ne relevait d'aucune autre exemption prévue à l'article 107, paragraphes 2 et 3, du traité.

(21) En conséquence, la Commission a émis des doutes quant à la compatibilité de l'aide avec le marché intérieur et, conformément à l'article 4, paragraphe 4, du règlement (CE) n° 659-1999 du 22 mars 1999 portant modalités d'application de l'article 93 du traité CE (8), a décidé d'ouvrir la procédure formelle d'examen, invitant ainsi l'Irlande et d'autres parties intéressées à présenter leurs observations.

4. OBSERVATIONS DE TIERS INTÉRESSÉS

(22) En réponse à l'avis paru au Journal officiel (9), la Commission a reçu des observations des autorités irlandaises et de Ryanair.

4.1. Observations des autorités irlandaises

4.1.1. La taxe est une taxe à la consommation

(23) Les autorités irlandaises indiquent que la taxe qu'elles appliquent au transport aérien est essentiellement une taxe à la consommation. Pour en faciliter l'application, elles ont contraint chaque compagnie aérienne à verser à l'administration fiscale le montant fixé par passager partant d'un aéroport irlandais et transporté par cette compagnie. Les exploitants de lignes aériennes sont néanmoins autorisés à répercuter la taxe sur leurs passagers et à la percevoir auprès d'eux.

(24) Par ailleurs, la taxe appliquée au transport aérien est en principe mentionnée sur le prix du billet et/ou dans les conditions générales des exploitants en tant que taxe ou prélèvement, parallèlement à d'autres commissions et taxes. Elle ne confère donc aucun bénéfice aux exploitants de lignes aériennes puisqu'il s'agit simplement d'un autre prélèvement, taxe ou commission qui est effectivement facturé au consommateur.

4.1.2. Absence de bénéfices pour les exploitants

(25) Les autorités irlandaises font valoir que l'existence d'un bénéfice pour certains exploitants est une condition sine qua non pour que la taxe appliquée au transport aérien relève de la définition prévue à l'article 107, paragraphe 1, du traité. Selon ces autorités, la taxe appliquée au transport aérien étant essentiellement une taxe à la consommation, que son montant s'élève à 10 euros ou à 2 euros, il pourrait être difficile de voir en quoi elle favorise certains exploitants.

(26) Il ne fait aucun doute que tous les exploitants, qu'ils soient tenus de facturer une taxe de 10 euros ou de 2 euros, sont placés sur le même pied. La question qui se pose est de savoir si les exploitants de lignes aériennes qui ne sont tenus d'appliquer que le taux de 2 euros sans exception sont favorisés. Selon les autorités irlandaises, le seul cas réaliste où la taxe appliquée au transport aérien pourrait constituer une aide est celui où les compagnies aériennes exploitant des lignes vers des destinations situées au maximum à 300 km de l'aéroport de Dublin seraient tenues de facturer la taxe de 10 euros, tout en étant autorisées à garder la différence entre le taux de 10 euros et celui de 2 euros. Mais tel n'était pas le cas. À cet égard, il est important de souligner que les autorités irlandaises ne songeaient, au moment où elles ont conçu la taxe en cause, à aucun opérateur ou modèle d'entreprise en particulier.

4.1.3. Aucun avantage pour les exploitants de lignes aériennes irlandais

(27) Il convient avant tout de noter que l'Irlande ne compte plus de compagnie aérienne nationale à proprement parler, l'État ayant cédé les intérêts qu'il détenait dans Aer Lingus, à l'origine la compagnie nationale, pour ne garder qu'une participation minoritaire.

(28) Si la taxe avait produit un effet quelconque sur les exploitants de lignes irlandais, cet effet aurait été très différent pour chacun d'eux. Les autorités irlandaises indiquent que les lignes intra-UE auxquelles était appliqué le taux plus élevé de 10 euros étaient exploitées principalement par les mêmes compagnies irlandaises. Au cours de la période en cause, non seulement les trois exploitants de lignes aériennes détenaient environ [93-97]* (*) % du marché pour les vols auxquels était appliqué le taux réduit, mais ils étaient également des acteurs prédominants du marché du transport aérien intra-UE, comptabilisant [82-87] (*) % de tous les vols à l'intérieur de l'Union soumis à un tel taux.

(29) Les autorités irlandaises font notamment valoir que l'hypothèse invoquée par Ryanair de l'existence d'un désavantage est manifestement indéfendable, dès lors que Ryanair assure le transport d'environ [56-63] (*) % des passagers voyageant sur les lignes auxquelles était appliqué le taux réduit (voir tableau 1).

Tableau 1

Parts de marché des exploitants de lignes aériennes irlandais sur les lignes au départ d'aéroports irlandais.

Parts de marché

Au maximum 300 km / Plus de 300 km (1)

Ryanair / [56-63] (*) % / [42-47] (*) %

Aer Lingus / [16-23] (*) % / [35-40] (*) %

Aer Arann / [10-17] (*) % / [0,5-2,5] (*) %

TOTAL / [93-97] (*) % / [82-85] (*) %

(1) Exclusivement au sein de l'Union.

Source : informations fournies par l'Irlande sur la base des chiffres communiqués par les trois exploitants de lignes aériennes irlandais et données extraites de l'Office central des statistiques.

(*) Une fourchette est utilisée pour cause de secret d'affaires.

(30) Le tableau 1 montre que le seul exploitant qui pourrait éventuellement être qualifié d'exploitant national en raison de la participation minoritaire qu'y détient l'État (Aer Lingus) exploitait une part nettement plus importante de vols soumis au taux plus élevé ([35-40] (*) %) que de vols auxquels était appliqué le taux réduit ([16-23] (*) %). En conséquence, si le taux réduit avait produit un effet quelconque sur les compagnies aériennes, Aer Lingus aurait été fortement désavantagée.

(31) En ce qui concerne Aer Arann qui, aux dires du plaignant, a également bénéficié de l'aide alléguée, les autorités irlandaises indiquent qu'entre 2007 et 2010, la compagnie a connu une importante réduction de son chiffre d'affaires et du nombre de ses passagers. Après l'introduction de la taxe, Aer Arann a fait état de pertes s'élevant à 18 millions d'euros. Il semble donc que la compagnie aérienne ait été la plus rentable avant l'introduction de la taxe. Les autorités irlandaises indiquent également que le plaignant et Aer Arann n'étaient en concurrence que sur une seule ligne intérieure, sur laquelle près de [37-42] % des vols étaient exploités par le plaignant. Pour les vols vers des destinations à l'étranger bénéficiant du taux réduit (partie occidentale du Royaume-Uni), le plaignant exploitait plus de [37-42] (*) % des vols réguliers, tandis que les parts d'Aer Arann et d'Aer Lingus étaient plus petites.

(32) De plus, les exploitants de lignes aériennes non irlandais ont toujours eu la possibilité d'exploiter des vols auxquels était appliqué le taux réduit. L'État ne disposait d'aucune discrétion dans ce domaine. Les autorités irlandaises font valoir que si l'exploitation de vols auxquels était appliqué le taux réduit avait conféré un avantage, des exploitants étrangers (non irlandais) auraient choisi d'exploiter ces vols. Le fait qu'aucune compagnie aérienne étrangère n'exploite de tels vols semble indiquer que le taux réduit ne conférait aucun avantage.

4.1.4. Le taux réduit a été introduit afin d'éviter l'application d'un taux d'imposition disproportionné par rapport au prix du billet

(33) Les autorités irlandaises soulignent que l'objectif poursuivi en fixant des taux différenciés était d'introduire un élément de proportionnalité dans la taxe en fonction de la distance, les prix étant généralement moins élevés pour les destinations plus proches. Bien qu'il soit admis qu'il n'existe pas de corrélation parfaite entre la distance et le prix, il a été estimé que cette corrélation était suffisante pour justifier une répartition de la taxe en deux catégories. Les autorités irlandaises estiment qu'un mécanisme permettant de différencier les taux d'une manière plus précise sur la base de la distance parcourue aurait rendu le système extraordinairement compliqué et lourd sur le plan administratif.

4.1.5. Pas de distorsion de la concurrence

(34) Les autorités irlandaises font valoir que le taux réduit n'a entraîné aucune distorsion de la concurrence et n'a pas eu d'incidence sur les échanges. Premièrement, la taxe n'a eu aucun effet perceptible sur les exploitants de lignes aériennes puisqu'il s'agissait d'une taxe à la consommation. Deuxièmement, les taux différenciés ne distinguaient pas le marché irlandais de celui d'autres États membres. La grande majorité des vols auxquels était appliqué le taux réduit étaient des vols non nationaux (68 % contre 32 % de vols purement nationaux). Troisièmement, les exploitants de lignes aériennes sont présents sur un marché ouvert à la concurrence, ce qui signifie que le marché était ouvert à de nouveaux arrivants auxquels le taux réduit était appliqué aux mêmes conditions que pour les autres exploitants de lignes aériennes. Si le taux réduit avait conféré un avantage à certains exploitants, des compagnies non irlandaises auraient probablement choisi d'exploiter des lignes auxquelles ce taux était appliqué. L'absence de nouveaux arrivants indique que le taux réduit ne conférait aucun avantage à certains exploitants de lignes aériennes.

4.1.6. Toute aide serait une aide de minimis ou aurait un effet négligeable sur les exploitants de lignes aériennes concernés

(35) Les autorités irlandaises soutiennent que, même si le taux réduit devait être considéré comme une aide d'État au sens de l'article 107, paragraphe 1, du traité, celle-ci devrait être déclarée compatible avec le marché intérieur car soit elle serait une aide de minimis soit elle n'aurait qu'un effet négligeable sur les exploitants de lignes aériennes concernés.

4.2. Observations des tiers intéressés

4.2.1. Ryanair

(36) Pour ce qui est de la nature d'aide d'État du taux d'imposition réduit, Ryanair partage l'avis préliminaire exprimé par la Commission dans sa décision du 13 mai 2011, selon lequel le taux réduit a conféré un avantage à certains exploitants de lignes aériennes et constitue dès lors une aide d'État au sens de l'article 107, paragraphe 1, du traité. Toutefois, Ryanair ne souscrit pas au point de vue de la Commission selon lequel 1) il convient de considérer le taux plus élevé de 10 euros comme le taux "normal" et 2) la mesure a conféré un avantage à Ryanair.

(37) En ce qui concerne l'établissement du taux "normal" ou "standard" dans le cadre du système fiscal, Ryanair soutient que l'avis de la Commission selon lequel le taux plus élevé de 10 euros constitue le taux normal et que tous les exploitants auxquels a été appliqué le taux réduit de 2 euros ont obtenu un avantage est arbitraire. Selon Ryanair, il n'existe aucune raison de considérer le taux plus élevé, et non le taux réduit, comme le taux normal. De plus, le taux à deux niveaux ayant été remplacé par un taux unique, il est probable que ce nouveau taux soit un taux mixte résultant des taux initiaux. Celui-ci constituerait dès lors le critère de référence raisonnable pour apprécier tout dommage ou avantage qui pourrait découler du système à deux niveaux.

(38) Ryanair fait en outre valoir que la taxe à deux niveaux appliquée au transport aérien ne lui a conféré aucun avantage. Lorsque la Commission examine une mesure qui peut constituer une aide d'État, elle doit tenir compte de l'ensemble de ses effets sur le bénéficiaire potentiel et, en particulier, déduire tout frais spécifique qui pèse sur l'avantage conféré par l'aide alléguée. Au cours de la période pendant laquelle le système de taxe à deux niveaux était en vigueur, Ryanair s'est acquittée des taxes mentionnées dans le tableau 2.

Tableau 2

Passagers transportés et taxe payée au cours de la période s'étendant du 30 mars 2009 au 1 er mars 2011

Catégorie de destination au départ de l'aéroport de Dublin / Passagers redevables de la taxe / Taxe payée / Part

300 km maximum à l'intérieur de l'État (2 euros) / [...] (*) / [...] (*) EUR / [0,5-2,5] (*) %

300 km maximum à l'extérieur de l'État (2 euros) / [...] (*) / [...] (*) EUR / [1,5-4,5] (*) %

Plus de 300 km à l'intérieur de l'UE / [...] (*) / [...] (*) EUR / [93-98] (*) %

Plus de 300 km à l'extérieur de l'UE / [...] (*) / [...] (*) EUR / [0,3-2,5] (*) %

TOTAL / [...] (*) / [...] (*) EUR / 100 %

(39) Dès lors qu'elle estime qu'il y a lieu de considérer le nouveau taux unique de 3 euros comme le taux normal, Ryanair aurait dû être redevable, au cours de la période s'étendant du 30 mars 2009 au 1 er mars 2011, d'une taxe sur le transport aérien d'un montant de [...] (*) (10) euros, soit [...] (*) euros de moins que le montant dont elle s'est réellement acquittée (voir tableau 2). Ryanair avance donc que le taux réduit ne lui a conféré aucun avantage et qu'elle a, au contraire, subi un préjudice.

4.3. Observations de l'Irlande sur les observations des tiers intéressés.

(40) Le 13 janvier 2012, les autorités irlandaises ont fait part de leur point de vue sur les observations de Ryanair. Premièrement, elles ne partagent pas la description faite par Ryanair de la taxe, dès lors qu'elles estiment qu'il s'agit fondamentalement d'une taxe à la consommation et que le taux réduit n'a pas conféré d'avantage aux exploitants de lignes aériennes. Deuxièmement, elles ne parviennent pas à comprendre comment Ryanair pourrait être la partie la plus directement et la plus négativement touchée par le taux réduit, dès lors notamment que cette compagnie assure le transport de [56-63] (*) % des passagers voyageant sur des vols auxquels est appliqué le taux réduit. Troisièmement, rien ne permet d'affirmer que le taux réduit était destiné à soutenir Aer Arann. Les autorités irlandaises ne songeaient, au moment où elles ont conçu la taxe sur le transport aérien, à aucun opérateur en particulier. Quatrièmement, Ryanair ne se fonde sur aucun argument logique pour affirmer que le taux plus élevé de 10 euros ne doit pas être considéré comme le taux normal de la taxe sur le transport aérien. Dans le cadre du système d'imposition à deux niveaux, le taux plus élevé concernait de 85 à 90 % de tous les départs. Les autorités irlandaises ont rappelé qu'elles avaient prévu une dérogation au taux standard de 10 euros afin d'introduire un élément de proportionnalité dans la taxe en fonction de la distance.

5. APPRÉCIATION

5.1. Existence d'une aide d'État au sens de l'article 107, paragraphe 1, du traité

(41) En vertu de l'article 107, paragraphe 1, du traité, "sont incompatibles avec le marché, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres, les aides accordées par les États ou au moyen de ressources d'État, sous quelque forme que ce soit, qui faussent ou menacent de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions".

Caractère sélectif de la mesure

(42) Pour tomber sous le coup de l'article 107, paragraphe 1, du traité, une mesure doit être sélective (11). Pour établir si une mesure est sélective, la Commission doit apprécier si la mesure favorise "certaines entreprises ou certaines productions" par rapport à d'autres entreprises se trouvant dans une situation factuelle et juridique comparable au regard de l'objectif poursuivi par cette mesure (12). Selon une jurisprudence constante (13), une mesure fiscale est a priori sélective si elle s'écarte de l'application normale du cadre d'imposition général.

(43) Premièrement, la Commission doit donc déterminer le système fiscal de référence. Pour ce qui est de la fiscalité, la Commission note qu'en principe, la définition du système d'imposition relève de la compétence exclusive des États membres. Lorsqu'elles ont conçu leur système d'imposition, les autorités irlandaises ont choisi comme fait générateur de la taxe sur le transport aérien le départ d'un passager à bord d'un avion décollant d'un aéroport situé en Irlande. Le système de référence est donc l'imposition de passagers aériens à bord d'un avion au départ d'un aéroport situé en Irlande. L'objectif de ce système est de percevoir des recettes pour le budget de l'État. Dans leur réponse aux observations du tiers intéressé, les autorités irlandaises ont confirmé la conclusion selon laquelle le système de référence est l'imposition de passagers aériens au départ d'un aéroport situé en Irlande.

(44) Deuxièmement, conformément à une jurisprudence constante (14), la Commission doit déterminer si la mesure fiscale en cause constitue une dérogation au système de référence défini.

(45) Ryanair fait valoir que le taux réduit de 2 euros, ou, à titre subsidiaire, le taux unique de 3 euros introduit le 1 er mars 2011, devrait être considéré comme le taux normal du système d'imposition sur le transport aérien. Toutefois, hormis certaines destinations situées dans la partie occidentale du Royaume-Uni, le taux réduit n'était appliqué qu'à des destinations nationales et, selon les autorités irlandaises, qu'à quelque 10 à 15 % de l'ensemble des vols soumis à la taxe. Il ne saurait dès lors être considéré comme le taux d'imposition normal. Le taux de 3 euros n'était, quant à lui, pas en vigueur à l'époque visée par la présente décision et ne peut donc pas être considéré comme le taux normal du système d'imposition alors appliqué au transport aérien. La Commission estime par conséquent que le taux plus élevé de 10 euros était le taux normal du système de référence, alors que le taux réduit de 2 euros, qui était applicable à une catégorie bien déterminée de vols, constituait une exception au système de référence.

(46) Troisièmement, la Commission doit examiner si ces exceptions se justifient par "la nature ou l'économie du système" (15) en vigueur dans l'État membre. Si tel est le cas, la mesure n'est pas considérée comme conférant un avantage sélectif et ne constitue donc pas une aide d'État au sens de l'article 107, paragraphe 1, du traité. Dans ce contexte, il convient de noter que, selon la jurisprudence (16), ce sont les principes fondateurs et directeurs du système de référence qui sont pertinents, et non ceux de la mesure particulière en cause.

(47) D'après les autorités irlandaises, le taux réduit a été introduit afin d'ajouter un élément de proportionnalité dans la taxe en fonction de la distance du vol. La Commission estime que cette motivation n'est pas liée aux principes fondateurs et directeurs du système fiscal, mais à ceux de la dérogation. La structure et la nature objective de la taxe n'étaient pas liées à la distance du vol, mais au lieu de départ, qui est un aéroport irlandais. Les relations avec l'administration fiscale, le fait générateur de la taxe (départ d'un aéroport irlandais) et les conséquences négatives, pour la société irlandaise, du fait que les passagers décollent d'un aéroport irlandais (par exemple, bruit et pollution) étaient exactement les mêmes, quelles que soient la destination du vol et la distance parcourue. La situation juridique et factuelle au regard de cet objectif était donc la même pour tous les exploitants de lignes aériennes concernés.

(48) Par ailleurs, le système fiscal ne se caractérise pas par un taux d'imposition différencié en fonction de la longueur réelle des vols. Premièrement, le taux n'était pas appliqué sur la base de la longueur réelle du vol, mais sur celle de la distance entre l'aéroport de Dublin et la destination, indépendamment du lieu de départ effectif. Deuxièmement, le système fiscal ne prévoit que deux taux : le premier pour les vols de très courte distance au départ de l'aéroport de Dublin et le second pour tous les autres vols.

(49) De plus, même si le motif de la dérogation s'inscrivait dans la nature et dans la logique des principes du système fiscal appliqué au transport aérien, la Cour a précisé qu'un avantage doit être cohérent non seulement avec les caractéristiques inhérentes au système fiscal en cause, mais aussi en ce qui concerne la mise en œuvre de ce système (17). Comme mentionné au considérant 47, le système fiscal ne garantissait pas de fait des taux proportionnels à la longueur réelle des vols, dès lors que le taux applicable était fixé sur la base de la distance entre l'aéroport de Dublin et la destination, indépendamment du lieu de départ effectif, et que seuls deux taux étaient applicables : un pour les vols de très courte distance au départ de l'aéroport de Dublin et un pour tous les autres vols. Le prix des billets pour les destinations intérieures n'était pas nécessairement plus bas que celui de vols vers d'autres destinations à l'intérieur de l'Union. La mesure ne pouvait, dès lors, pas atteindre son objectif qui était de garantir la proportionnalité de la taxe en fonction de la distance du vol. En l'espèce, ni les autorités irlandaises ni aucun tiers intéressé n'a fait valoir que la dérogation a eu pour effet un niveau d'imposition de fait proportionnel à la distance. Au contraire, les autorités irlandaises reconnaissent l'absence de corrélation parfaite entre la distance et le taux d'imposition.

(50) La Commission ne voit dès lors aucune raison de modifier son avis préliminaire selon lequel le taux réduit ne s'inscrivait pas dans la logique et l'économie du système fiscal appliqué au transport aérien. Elle estime en conséquence que la mesure est sélective et ne se justifie pas par la nature et l'économie du système.

Avantage

(51) Les dépenses fiscales représentent un coût qui est, en principe, supporté par une entreprise.

(52) L'application de la taxe sur le transport aérien peut affecter les recettes des compagnies aériennes tenues de s'acquitter de cette taxe, car elles devront augmenter le prix des billets qu'elles sont en mesure d'offrir à leurs clients ou réduire leur marge sur chaque billet qu'elles vendent si elles décident de ne pas répercuter la taxe sur leurs clients. À cet égard, la Cour a indiqué ce qui suit : "Dès lors, les taxes aéroportuaires affectant directement et de manière mécanique le prix du trajet, une différenciation dans le montant des taxes supportées par les passagers est automatiquement répercutée sur le coût du transport et privilégie, [...], l'accès aux vols intérieurs par rapport à l'accès aux autres vols" (18).

(53) Un taux réduit pour un certain type de vols a donc une incidence moindre que le taux normal appliqué aux exploitants de lignes aériennes proposant ce type de vols. Ces exploitants sont dispensés d'un coût dont ils devraient en principe s'acquitter, ce qui a pour effet de réduire le coût qu'ils doivent répercuter sur leurs clients ou prendre à leur charge.

(54) En conséquence, la Commission estime que le taux réduit a conféré un avantage aux exploitants des lignes auxquelles ce taux était appliqué. Le coût réduit qu'ils ont dû répercuter sur leurs clients ou prendre directement à leur charge représente une ressource financière que ces exploitants ont pu économiser et qui leur a dès lors permis d'améliorer leur situation économique par rapport à leurs concurrents sur le marché du transport aérien. L'avantage correspond à la différence entre le taux réduit de 2 euros et le taux normal de 10 euros au cours de la période s'étendant du 30 mars 2009 au 1 er mars 2011. La Commission note que les vols auxquels était appliqué le taux réduit étaient principalement exploités par des opérateurs entretenant une relation étroite avec l'Irlande (Aer Lingus, Aer Arann et Ryanair ont été fondées en Irlande et y ont toujours leur siège). Le taux réduit a donc conféré de fait un avantage aux exploitants de lignes aériennes irlandais par rapport aux autres exploitants de l'Union.

(55) La Commission ne saurait accepter l'argument de Ryanair selon lequel l'avantage était limité à la différence entre le taux réduit et le taux de 3 euros entré en vigueur le 1 er mars 2001. Ce taux n'était pas appliqué au même moment que le taux réduit et si un avantage est défini dans un système proposant un taux réduit et un taux élevé, l'application d'un taux de référence situé quelque part entre ces deux taux ne couvre pas tout l'avantage qui a été conféré.

(56) Ryanair avance en outre qu'elle a moins bénéficié du taux réduit qu'Aer Arann, par exemple, parce que le taux plus élevé a été appliqué à la majorité de ses vols. Toutefois, l'avantage découlant de l'application du taux réduit de 2 euros consiste en la différence entre ce taux et le taux standard de 10 euros. En appliquant le taux réduit à certains vols, Ryanair a bénéficié, comme toutes les autres compagnies aériennes exploitant des vols auxquels ce taux était appliqué, d'un avantage correspondant à la différence entre les deux taux.

(57) Les autorités irlandaises arguent que la taxe devait être répercutée sur les passagers et qu'elle n'a dès lors conféré aucun avantage aux exploitants de lignes aériennes. Dans ce contexte, la Commission note que la réduction d'une taxe donnée par rapport au taux normal peut conférer un avantage sélectif à l'exploitant de ligne aérienne redevable du taux réduit, y compris dans les situations où il existe une obligation légale de répercuter la taxe en question sur les clients (19). La Commission relève en outre qu'en l'espèce, il n'existait aucun mécanisme garantissant que la taxe était effectivement répercutée et que c'est à l'exploitant de la ligne aérienne qu'il revenait de décider si et comment la taxe serait répercutée sur les passagers. Dans sa plainte, le plaignant a, en fait, fait valoir le contraire, à savoir qu'il ne pouvait pas répercuter le coût de la taxe sur ses passagers car cette mesure aurait eu un effet disproportionné sur les prix des billets. La Commission ne souscrit dès lors pas à la conclusion des autorités irlandaises selon laquelle les exploitants de lignes aériennes n'ont bénéficié d'aucun avantage. Ceux qui ont pu appliquer le taux réduit à certains vols ont dû répercuter un coût moins important que les autres sur leurs clients. Cette approche est également conforme à la pratique de la Commission en matière de mesures d'aide découlant d'un droit d'accise (20), selon laquelle il a été constaté que les exonérations de ces droits conféraient un avantage à l'exploitant de ligne aérienne redevable de la taxe, que celui-ci puisse choisir ou non de répercuter le coût sur ses clients.

(58) En conséquence, la Commission estime que le taux réduit a conféré un avantage à certains exploitants de lignes aériennes. L'avantage correspond à la différence entre le taux réduit de 2 euros et le taux normal de 10 euros au cours de la période s'étendant du 30 mars 2009 au 1 er mars 2011. Les vols auxquels était appliqué le taux réduit étaient essentiellement exploités par des compagnies aériennes entretenant une relation étroite avec l'Irlande (Aer Lingus, Aer Arann et Ryanair). Le taux réduit a donc conféré un avantage aux exploitants de lignes aériennes irlandais par rapport à d'autres exploitants de l'Union.

Ressources d'État et responsabilité

(59) Le fait que les autorités irlandaises aient autorisé l'application d'un taux d'imposition plus bas que le taux normal s'est soldé par une perte de recettes fiscales pour l'État et a donc été financé au moyen de ressources publiques. Ce taux réduit ayant été décidé par les autorités nationales, la mesure est imputable à l'État.

Effet sur la concurrence et les échanges entre États membres

(60) Par rapport à leurs concurrents, les exploitants de lignes aériennes bénéficiant du taux réduit ont été dispensés de coûts qu'ils auraient autrement dû supporter ou répercuter sur leurs clients. Le taux d'imposition réduit appliqué au transport aérien a donc amélioré leur situation économique par rapport à d'autres entreprises concurrentes sur le marché du transport aérien, ce qui a faussé ou risqué de fausser la concurrence.

(61) Lorsqu'une aide accordée par un État membre renforce la position d'une entreprise par rapport à d'autres entreprises concurrentes dans les échanges intra-UE, ces derniers doivent être considérés comme influencés par l'aide (21). Il suffit que le bénéficiaire de l'aide soit en concurrence avec d'autres entreprises sur des marchés ouverts à la concurrence (22). Le secteur du transport aérien se caractérise par une concurrence intense entre les exploitants des différents États membres, notamment depuis l'entrée en vigueur de la troisième phase de la libéralisation du transport aérien ("troisième paquet") le 1 er janvier 1993 [à savoir le règlement du Conseil (CEE) n° 2407-93, du 23 juillet 1992, concernant les licences des transporteurs aériens (23), le règlement du Conseil (CEE) n° 2408-92, du 23 juillet 1992, concernant l'accès des transporteurs aériens communautaires aux liaisons aériennes intracommunautaires (24) et le règlement du Conseil (CEE) n° 2409-92, du 23 juillet 1992, sur les tarifs des passagers et de fret des services aériens (25). Le taux réduit était donc de nature à affecter les échanges entre États membres dès lors qu'il a renforcé la position de certains exploitants de lignes aériennes en concurrence sur un marché pleinement libéralisé au niveau de l'Union.

(62) Étant donné que toutes les conditions prévues à l'article 107, paragraphe 1, du traité sont réunies, la mesure constitue une aide d'État en faveur de tous les exploitants de lignes ayant bénéficié du taux réduit.

5.2. Légalité

(63) En omettant de notifier la mesure avant sa mise en œuvre, les autorités irlandaises ont manqué aux obligations qui leur incombaient en vértu de l'article 108, paragraphe 3, du traité. La mesure d'aide constitue, par conséquent, une aide d'État illégale.

5.3. Compatibilité de l'aide avec le traité

(64) Aux termes de l'article 107, paragraphe 3, point c), du traité, peuvent être considérées comme compatibles avec le marché intérieur les aides destinées à faciliter le développement de certaines activités ou de certaines régions économiques, quand elles n'altèrent pas les conditions des échanges dans une mesure contraire à l'intérêt commun. Étant donné qu'il s'agissait d'une aide au fonctionnement réduisant les dépenses courantes de certains exploitants de lignes aériennes, cette aide est en principe, selon la jurisprudence de la Cour, incompatible avec le marché intérieur (26). L'aide ne relève du champ d'application d'aucune des lignes directrices concernant la compatibilité des aides d'État publiées par la Commission à cet égard. En particulier, elle n'est pas visée par les lignes directrices communautaires sur le financement des aéroports et les aides d'État au démarrage pour les compagnies aériennes au départ d'aéroports régionaux (27), puisqu'elle n'est pas liée au lancement de certaines lignes. Les autorités irlandaises n'ont pas présenté d'arguments ni fourni d'informations pour montrer que l'aide pouvait être considérée comme compatible conformément aux lignes directrices concernant les aides d'État à la protection de l'environnement (28). Au contraire, elles ont clairement indiqué que l'objectif de la taxe était de générer des recettes et non de protéger l'environnement. L'absence de lien clair ou proportionnel entre la taxe en cause et la réduction de la consommation énergétique, de la pollution, des émissions de gaz ou des niveaux de pollution sonore, etc. corrobore ce raisonnement. Aussi la Commission considère-t-elle que l'aide n'est pas compatible avec le marché intérieur au sens de l'article 107, paragraphe 3, point c), du traité.

(65) L'aide en cause ne relève d'aucune autre exemption prévue à l'article 107, paragraphes 2 et 3, du traité.

(66) Par ailleurs, même si l'aide était compatible avec l'une des exceptions prévues à l'article 107, paragraphes 2 et 3 du traité, ce qui n'est pas le cas, la Cour a indiqué que la procédure prévue aux articles 107 et 108 du traité ne doit jamais aboutir à un résultat qui serait contraire aux dispositions spécifiques du traité. La Cour a également précisé que les modalités d'une aide qui contreviendraient à des dispositions particulières du traité, autres que les articles 107 et 108, peuvent être à ce point indissolublement liées à l'objet de l'aide qu'il ne serait pas possible de les apprécier isolément (29). En l'espèce, comme décrit au considérant 10, les taux différentiés ont fait l'objet d'une enquête de la Commission, qui a estimé qu'ils enfreignaient le règlement (CE) n° 1008-2008, ainsi que l'article 56 du traité relatif à la libre prestation de services, dès lors que la différenciation imposait des conditions plus onéreuses à l'exploitation de services aériens intra-UE qu'à celle de services intérieurs. La Cour a explicitement indiqué dans des affaires concernant des taxes aéroportuaires que les dispositions du traité concernant la libre prestation de services s'appliquent également au secteur des transports (30). En l'espèce, l'aide d'État découle de la différenciation des taux d'imposition. La taxe et l'aide constituant les deux éléments indissociables d'une seule et même mesure fiscale (31), l'aide d'État ne peut dès lors pas être accordée sans que le principe de la libre prestation de services ne soit enfreint. En conséquence, l'aide ne peut en aucun cas être déclarée compatible avec le traité parce qu'elle enfreindrait inévitablement les dispositions du règlement (CE) n° 1008-2008 et l'article 56 du traité.

(67) Par conséquent, la Commission conclut que l'aide ne peut être considérée comme compatible avec le traité.

6. CONCLUSION

(68) La Commission estime que le taux d'imposition réduit appliqué au transport aérien pour les vols dont la destination est située au maximum à 300 km de l'aéroport de Dublin, prévu au point 55, paragraphe 2, du Finance (No. 2) Act (deuxième loi de finances) et notamment, son article 2, point b), pour la période s'étendant du 30 mars 2009 au 1 er mars 2011, constitue une aide d'État au sens de l'article 107, paragraphe 1, du traité. L'Irlande a illégalement octroyé cette aide d'État, en violation de l'article 108, paragraphe 3, du traité.

(69) L'aide d'État n'est conforme à aucune des dérogations prévues à l'article 107, paragraphes 2 et 3, du traité. Aucune autre raison ne pouvant être invoquée pour démontrer la compatibilité de la mesure en cause, celle- ci est incompatible avec le marché intérieur.

(70) Le montant de l'aide d'État correspond à la différence entre le taux réduit de la taxe appliquée au transport aérien et le taux standard de 10 euros (soit 8 euros par passager) prélevé sur chaque passager. Cette aide concerne tous les vols assurés par des avions capables de transporter plus de 20 passagers et non utilisés à des fins militaires ou pour les besoins de l'État, au départ d'un aéroport accueillant plus de 10 000 passagers par an vers une destination située au maximum à 300 km de l'aéroport de Dublin. Les bénéficiaires sont Ryanair, Aer Lingus, Aer Arann et d'autres transporteurs aériens dont l'Irlande doit dévoiler le nom.

(71) Conformément à l'article 14, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 659-1999, en cas de décision négative concernant une aide illégale, la Commission doit exiger de l'État membre concerné qu'il prenne toutes les mesures nécessaires pour récupérer l'aide auprès des bénéficiaires. L'Irlande est dès lors invitée à récupérer l'aide incompatible,

A ADOPTÉ LA PRÉSENTE DÉCISION :

Article premier

L'aide d'État qui, en l'espèce, revêt la forme d'un taux d'imposition réduit sur le transport aérien applicable à tous les vols assurés par un avion capable de transporter plus de 20 passagers et non utilisé à des fins militaires ou pour les besoins de l'État, au départ d'un aéroport accueillant plus de 10 000 passagers par an vers une destination située au maximum à 300 km de l'aéroport de Dublin, entre le 30 mars 2009 et le 1 er mars 2011, en application du point 55 du Finance (No. 2) Act de 2008 (deuxième loi de finances), illégalement appliquée par l'Irlande en violation de l'article 108, paragraphe 3, du traité, est incompatible avec le marché intérieur.

Article 2

L'aide individuelle accordée au titre du régime visé à l'article 1 er ne constitue pas une aide si elle remplit les conditions fixées par un règlement adopté en vertu de l'article 2 du règlement (CE) n° 994-98 du Conseil (32).

Article 3

Une aide individuelle octroyée au titre du régime visé à l'article 1 er qui, au moment de son octroi, remplit les conditions fixées par un règlement adopté en vertu de l'article 1 er du règlement (CE) n° 994-98 ou par une décision de la Commission autorisant un régime d'aide est compatible avec le marché intérieur, jusqu'à concurrence des intensités d'aide maximales applicables à ce type d'aide.

Article 4

1. L'Irlande récupère auprès des bénéficiaires l'aide incompatible octroyée au titre du régime visé à l'article 1 er .

2. Les sommes à récupérer produisent des intérêts à partir de la date à laquelle elles ont été mises à la disposition des bénéficiaires, jusqu'à leur récupération effective.

3. Les intérêts sont calculés selon la méthode de l'intérêt composé, conformément au chapitre V du règlement (CE) n° 794-2004 de la Commission (33).

Article 5

1. La récupération des aides octroyées au titre du régime visé à l'article 1 er est immédiate et effective.

2. L'Irlande veille à ce que la présente décision soit appliquée dans un délai de quatre mois à compter du jour où elle lui a été communiquée.

Article 6

1. Dans les deux mois suivant la notification de la présente décision, l'Irlande communique les informations suivantes :

(a) la liste des bénéficiaires qui ont reçu une aide au titre du régime visé à l'article 1 er, ainsi que le montant total reçu par chaque bénéficiaire en vertu de ce régime ;

(b) le montant total (principal et intérêts) à récupérer auprès de chaque bénéficiaire ;

(c) une description détaillée des mesures déjà prises et prévues pour se conformer à la présente décision ;

(d) les documents démontrant que les bénéficiaires ont été mis en demeure de rembourser l'aide.

2. L'Irlande tient la Commission informée de l'avancement des mesures nationales prises pour mettre en œuvre la présente décision jusqu'à la récupération complète de l'aide octroyée au titre du régime visé à l'article 1 er . Si la Commission en fait la demande, l'Irlande lui transmet dans les plus brefs délais tous les renseignements concernant les mesures qui ont déjà été prises ou qui seront prises pour se conformer à la présente décision. Elle fournit aussi des informations détaillées concernant les montants de l'aide et des intérêts déjà récupérés auprès des bénéficiaires.

Article 7

L'Irlande est destinataire de la présente décision.

Notes

(1) JO C 306 du 18.10.2011, p. 10.

(2) Voir la note de bas de page 1.

(3) Les avions capables de transporter moins de 20 passagers et ceux utilisés pour les besoins de l'État ou à des fins militaires sont exclus du champ d'application de la taxe. Il en va de même pour les départs depuis des aéroports accueillant moins de 10 000 passagers par an.

(4) Chaque exploitant de ligne aérienne redevable de la taxe doit être enregistré auprès des autorités fiscales et fournir à ces dernières, dans les vingt jours ou toute autre période que ces autorités peuvent fixer, un relevé des départs de passagers au cours du mois qui précède.

(5) JO L 293 du 31.10.2008, p. 3.

(6) Dans le cadre de la procédure d'infraction, la Commission a estimé, dans sa lettre de mise en demeure du 18 mars 2010, que l'Irlande avait manqué aux obligations qui lui incombent en vertu du règlement (CE) n° 1008-2008 et de l'article 56 du traité en appliquant des taux d'imposition différenciés au transport aérien. Suite à cette lettre, les autorités irlandaises ont modifié ce système d'imposition.

(7) Voir, par exemple, arrêt du 6 septembre 2006 dans l'affaire C-88-2003, Portugal/Commission (Recueil 2006, p. I-7115, point 56), et arrêt du 22 décembre 2008 dans l'affaire C-487-06 P, British Aggregates/Commission (Recueil 2008, p. I-10515, points 81 à 83).

(8) JO L 83 du 27.3.1999, p. 1.

(9) Voir la note de bas de page 1.

(10) 3 euros multipliés par [...] (*) passagers.

(11) Voir arrêt du 15 novembre 2005 dans l'affaire C-66-02, Italie/ Commission (Recueil 2005, p. I-10901, point 94).

(12) Voir, par exemple, arrêt du 8 novembre 2001 dans l'affaire C-143-99, Adria-Wien Pipeline et Wietersdorfer & Peggauer Zementwerke (Recueil 2001, p. I-8365, point 41), arrêt du 29 avril 2004 dans l'affaire C-308-01, GIL Insurance et autres (Recueil 2004, p. I-4777, point 68), arrêt du 3 mars 2005 dans l'affaire C-172-03, Heiser (Recueil 2005, p. I-1627, point 40), arrêt du 6 septembre 2006 dans l'affaire C-88-03, Portugal (Recueil 2006, p. I-7115, point 54) et arrêt du 17 novembre 2009 dans l'affaire C-169-08, Presidente del Consiglio dei Ministri/Regione Sardegna (Recueil 2009, p. I-10821, point 61).

(13) Voir, par exemple, arrêt du 13 septembre 2006 dans l'affaire T-210-02 RENV, British Aggregates Association/Commission (Recueil 2006, p. II-2789, point 107), arrêt du 6 septembre 2006 dans l'affaire C-88-03, Portugal (Recueil 2006, p. I-7115, point 56) et arrêt du 22 décembre 2008 dans l'affaire C-487-06 P, British Aggregates (Recueil 2008, p. I-10515, points 81 à 83).

(14) Voir la note de bas de page 13 ci-dessus.

(15) Voir, par exemple, arrêt du 2 juillet 1974 dans l'affaire C-173-73, Italie/Commission (Recueil 1974, p. 709), ainsi que les points 13 et suivants de la communication de la Commission sur l'application des règles relatives aux aides d'État aux mesures relevant de la fiscalité directe des entreprises, JO C 384 du 10.12.1998, p. 3.

(16) Voir, par exemple, arrêt du 8 septembre 2011 dans les affaires jointes C-78-08 à C-80-08, Amministrazione delle finanze et Agenzia delle Entrate/Paint Graphos scarl, Adige Carni scrl, en liquidation/Ministero dell'Economia et delle Finanze, Agenzia delle Entrate et Ministero delle Finanze/Michele Franchetto (non publié, notamment point 69), ainsi qu'arrêt du 7 mars 2012 dans l'affaire T-210-02 (point 107).

(17) Voir, par exemple, arrêt du 8 septembre 2011 dans les affaires jointes C-78-08 à C-80-08 (point 73).

(18) Voir, par exemple, arrêt du 6 février 2003 dans l'affaire C-92-01, Georgios Stylianakis/Elliniko Dimosio (Recueil 2003, p. I-1291, point 28) et arrêt du 26 juin 2001 dans l'affaire C-70-99, Commission/Portugal (Recueil 2001, p. I-4845, point 20).

(19) Voir, par exemple, arrêt du 8 novembre 2001 dans l'affaire C-143-99, en particulier les points 5, 54 et 55.

(20) Voir décision de la Commission C(2007) 754 concernant l'aide d'État N 892-2006 - FI - Modification du système de taxation différencié de l'énergie, JO C 109 du 15.5.2007, p. 1 ; décision de la Commission C(2007) 2416-2 dans l'affaire N 775-2006 - DE - Taux d'imposition réduits pour l'industrie manufacturière, l'agriculture et la sylviculture, etc., JO C 152 du 6.7.2007, p. 3 ; décision de la Commission C(2005) 1815-3 dans l'affaire N 190-A-2005 - UK - Modification de la taxe sur le changement climatique, JO C 146 du 22.6.2006, p. 8 ; et décision de la Commission C(2009) 8093-2 dans l'affaire N 327-2008 - DK - Réductions de la taxe sur les émissions d'azote accordées aux gros pollueurs et aux entreprises diminuant la pollution et allégements fiscaux pour le biogaz et la biomasse, JO C 166 du 25.6.2010, p. 1.

(21) Voir, en particulier, arrêt du 17 septembre 1980 dans l'affaire 730-79, Philip Morris/Commission (Recueil 1980, p. 2671, point 11) ; arrêt du 22 novembre 2001 dans l'affaire C-53-00, Ferring (Recueil 2001, p. I-9067, point 21) et arrêt du 29 avril 2004 dans l'affaire C-372-97, Italie/Commission (Recueil 2004, p. I-3679, point 44).

(22) Arrêt du 30 avril 1998 dans l'affaire T-214-95, Het Vlaamse Gewest/Commission (Recueil 1998, p. II-717).

(23) JO L 240 du 24.8.1992, p. 1.

(24) JO L 240 du 24.8.1992, p. 8.

(25) JO L 240 du 24.8.1992, p. 15.

(26) Arrêt du 8 juin 1995 dans l'affaire T-459-93, Siemens SA/Commission (Recueil 1995, p. II-1675, point 48). Voir également arrêt du 8 juillet 2010 dans l'affaire T-396-08, Freistaat Sachsen et Land Sachsen-Anhalt/Commission (Recueil 2010, p. II-141, en pourvoi, points 46 à 48) et arrêt du 19 septembre 2000 dans l'affaire C-156-98, Allemagne/Commission (Recueil 1980, p. I-6857, point 30 et la jurisprudence citée).

(27) JO C 312 du 9.12.2005, p. 1.

(28) JO C 82 du 1.4.2008, p. 1.

(29) Voir, par exemple, arrêt du 15 juin 1993 dans l'affaire C-225-91, Matra/Commission (Recueil 1993, p. I-3203, point 41) et arrêt du 31 janvier 2001 dans l'affaire T-156-98, RJB Mining/Commission (Recueil 2001, p. II-337, point 112 et la jurisprudence citée).

(30) Voir arrêt du 6 février 2003 dans l'affaire C-92-01, Georgios Stylianakis/Elliniko Dimosio (point 23) et arrêt du 26 juin 2001 dans l'affaire C-70-99, Commission/Portugal (Recueil 2001, p. I-4845, points 27 et 28), ainsi qu'arrêt du 13 décembre 1989 dans l'affaire C-49-89, Corsica Ferries France/Direction générale des douanes françaises (Recueil 1989, p. 4441, point 10).

(31) Arrêt du 7 septembre 2006 dans l'affaire C-526-04, Laboratoires Boiron/ACOSS (Recueil 2006, p. I-7529, point 45).

(32) JO L 142 du 14.5.1998, p. 1.

(33) JO L 140 du 30.4.2004, p. 1.