CA Bourges, ch. civ., 2 mai 2013, n° 12-00818
BOURGES
Arrêt
Confirmation
PARTIES
Demandeur :
Qualité Service Propreté (SARL)
Défendeur :
France Restauration Rapide (SAS)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Decomble
Conseillers :
MM. Richard, Tallon
Avocats :
Mes Chamboulive, Chazat-Rateau
Exposé de l'affaire
La SARL Qualité Service Propreté (QSP) a fait appel du jugement rendu le 15 mai 2012 par le Tribunal de commerce de Bourges, qui après avoir constaté que la société appelante a violé la clause de non-concurrence figurant au contrat de franchise pour la période du 20 septembre 2008 au 8 juillet 2009 et s'est rendu coupable d'actes de concurrence déloyale, l'a condamnée à payer à la SAS France Restauration Rapide (FRR) une somme de 453 150,39 euros à titre de dommages-intérêts plus celle de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles.
Par des écritures du 13 décembre 2012, auxquelles il est fait référence par application de l'article 455 du Code de procédure civile, la société appelante expose que la clause de non-concurrence litigieuse doit être comprise comme l'interdiction faite à la société appelante de s'affilier à une enseigne de restauration concurrente à celle de la société intimée, ce qui n'est pas le cas en l'espèce son fonds étant exploité de manière parfaitement indépendante, qu'en outre la clause en cause est nulle parce que abusive, la privant de son fonds de clientèle, qui ne la suivra pas à 50 km et ne prévoyant aucune contrepartie financière à l'obligation de non-concurrence, que les prétendus faits de concurrence déloyale sont établis par des attestations de salariés de la SAS FRR, donc sans valeur probante, subsidiairement que cette dernière, qui prétend détenir une créance à son encontre, n'a pas déclaré de créances suite au jugement d'ouverture de la procédure collective du 8 septembre 2009, qu'en conséquence la société intimée est forclose et qu'enfin la clause pénale réclamée est manifestement excessive.
Elle conclut au débouté ou à l'irrecevabilité des demandes présentées par la SAS FRR, à la nullité de la clause de non-concurrence, subsidiairement à la réduction à un montant symbolique des demandes de la société intimée et à sa condamnation à lui payer une somme de 5 000 euros par application de l'article 700 du Code de procédure civile.
La SAS FRR, par des écritures du 4 octobre 2012, auxquelles il est pareillement fait référence, répond que la clause litigieuse ne fait pas uniquement interdiction à la société appelante d'adhérer à un autre réseau mais de s'intéresser directement ou indirectement sous quelque forme que ce soit à l'exploitation de tout établissement de fabrication, de vente de produits alimentaires ou de restauration rapide, l'enseigne étant le signe permettant de signaler l'établissement de commerce à l'intention du public, que cette clause est licite, puisque l'exigence d'une contrepartie financière n'existe que pour le contrat de travail, que les limitations temporelles (une année) et spatiales (50 km) sont raisonnables conformément à une jurisprudence constante, que la SARL QSP a utilisé de manière déloyale à son profit les cartes de fidélité émises par la société intimée ainsi que le nom de "Pat à pain" dans l'annuaire téléphonique 2010 et que les fautes commises sont toutes postérieures à l'ouverture de la procédure collective du 9 septembre 2008.
Elle conclut à la confirmation du jugement entrepris et à la condamnation de la SARL QSP à lui payer une somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles.
Motifs de décision
Attendu que la SARL QSP, constituée en février 1993, a conclu un contrat de franchise avec la SAS FRR, laquelle avait développé un concept de restauration rapide sous l'enseigne "Pat à pain", et que concomitamment un bail commercial a été passé entre ces deux sociétés portant sur des locaux situés à 10 000 Troyes, 32 mail des charmilles, et propriété de la société intimée ;
Attendu qu'en 2004 la SARL QHS a racheté l'intégralité des parts sociales de la société appelante et suite à cette cession et au changement de gérant un nouveau contrat de franchise a été passé le 8 mars 2005 entre la SAS FRR et la SARL QSP prévoyant notamment les clauses suivantes :
"Article II - 21 : Consacrer pendant toute la durée du présent contrat en raison de l'exclusivité, dont il bénéficie dans un rayon de 500 m à vol d'oiseau de son lieu d'exploitation, son activité et son temps à la présente franchise ; ne pas, sauf accord écrit préalable du franchiseur, s'intéresser directement ou indirectement sous quelque forme que ce soit à la conception ou à l'exploitation de tout autre établissement.
De même pendant une durée d'un an après l'expiration du présent contrat, pour quelque cause que ce soit, le franchisé ne pourra s'intéresser directement ou indirectement sous quelque forme que ce soit conception ou à l'exploitation de tout établissement de fabrication, de vente de produits alimentaires ou de restauration rapide d'une enseigne concurrente dans un rayon de 50 km à vol d'oiseau de vente existant de FRR ou de tout autre franchisé du groupe FRR"
Article VI-1 : Clause résolutoire
Aussi il est spécialement convenu à titre de clause résolutoire que le franchiseur pourra à toute époque faire cesser la présente franchise dans les cas ci-dessous :
b) dans les cas d'inobservation de l'une quelconque des clauses contractuelles figurant aux présentes.
Dans les cas visés en a, b et c huit jours après la réception d'une mise en demeure par lettre recommandée avec accusé de réception restée infructueuse. Dans ces mêmes cas le franchisé devra alors payer à France Restauration Rapide à titre de dommages-intérêts une somme égale à 50 % de son chiffre d'affaires global HT réalisé pendant les 12 derniers mois." ;
Attendu que bien que les conditions du contrat de franchise le 8 mars 2005 soient les mêmes que celles du contrat précédent, si bien que l'allégation de l'existence de "conditions commerciales défavorables imposées au franchisé" n'est pas fondée, la SARL QSP a cessé de respecter ses obligations contractuelles, en réalisant des opérations publicitaires ou promotionnelles en s'affranchissant des règles conventionnelles, en n'effectuant pas les inventaires ou les envois de documents de gestion dans les délais, en ne participant pas aux réunions de formation et à compter de mars 2007 en ne réglant pas aux échéances les factures de fournitures de marchandises et de redevances de franchise ;
Attendu que suite à la multiplication et à l'augmentation des impayés malgré des délais amiablement accordés puis une lettre recommandée avec accusé de réception du 8 novembre 2007 réclamant le paiement d'une somme de 31 429,81 euros avec indication de la clause résolutoire précitée, la société intimée a fait assigner la SARL QSP devant le juge des référés du Tribunal de commerce de Bourges en vue de la constatation de l'acquisition de la clause résolutoire du contrat de franchise outre le règlement d'une provision sur les factures impayées ;
Attendu qu'à réception de cette assignation la société appelante a saisi le président du Tribunal de commerce de Troyes aux fins de conciliation, lequel magistrat y a fait droit le 14 décembre 2007, la SAS FRR ne s'y opposant pas ; que par ailleurs la SARL QSP a saisi le juge des référés du Tribunal de commerce de Troyes pour obtenir un délai de quatre mois renouvelables pour solder sa dette à l'égard de la société intimée, laquelle ne s'y est pas opposée pour la durée de la procédure de conciliation ;
Attendu que cette dernière procédure n'a pas abouti, notamment en raison de l'augmentation de la dette de la SARL QSP ainsi qu'en raison de la constatation d'irrégularités comptables, le chiffre d'affaires déclaré en 2006 et en 2007 n'étant pas conforme aux encaissements ;
Attendu que dans ces circonstances le juge des référés du Tribunal de commerce de Bourges n'a pu le 8 juillet 2008 que constater l'acquisition de la clause résolutoire du contrat de franchise, ordonner la restitution sous astreinte du matériel propriété de la SAS FRR et condamner le franchisé à payer une provision de 44 691 euros à valoir sur les factures impayées ; que suite à cette décision la SARL QSP a déclaré son état de cessation des paiements et le 9 septembre 2008 le Tribunal de commerce de Troyes a ouvert une procédure de redressement judiciaire à son bénéfice ;
Attendu que suite à la décision du juge des référés du Tribunal de commerce de Bourges, la SAS FRR a contesté le 18 septembre 2008 la continuation de l'activité de la société appelante dans les locaux lui appartenant pour violation de l'article trois du bail commercial prévoyant que les locaux devaient être exclusivement consacrés à l'exploitation du fonds de restauration rapide sous l'enseigne "Pat à pain" ; que le 15 octobre 2008 la SARL QSP a assigné la société intimée devant le Tribunal de grande instance de Troyes en nullité de cet article trois et reconventionnellement la SAS FRR a demandé la résolution judiciaire du bail commercial ; que cette procédure s'est terminée par un arrêt rendu le 13 septembre 2010 par la Cour d'appel de Reims, qui a confirmé l'irrecevabilité de la demande du preneur en nullité de la clause précitée mais a dit qu'en raison de la régularisation ultérieure des loyers impayés et de ce que le manquement, à savoir la poursuite d'une activité similaire à celle autorisée sous l'enseigne "Aux charmilles", n'est pas suffisamment grave pour justifier la résiliation du bail ;
Attendu que le 18 décembre 2008 la Selarl Philippe Contant, administrateur judiciaire de la société appelante, a décidé de la poursuite du bail commercial ; que par ailleurs le 9 mars 2010 le Tribunal de commerce de Troyes a arrêté le plan de redressement par voie de continuation de la SARL QSP ; Que dans ces circonstances la SAS FRR a assigné la société appelante afin de voir constater la violation de la clause de non-concurrence du contrat de franchise et solliciter conformément à celle-ci la condamnation de la SARL QSP à lui payer une somme de 453 150,39 euros, objet du présent litige ;
Sur l'interprétation de la clause de non-concurrence
Attendu que selon la société appelante cette disposition conventionnelle doit être comprise comme l'interdiction faite au franchisé de s'affilier à l'expiration du contrat à une enseigne de restauration concurrente à celle de "Pat à pain" ; que cette interprétation doit se faire à la lecture de l'ensemble de l'article II-21, le second alinéa de ce texte mentionnant expressément "de même", si bien que cette disposition apparaît alors parfaitement claire, interdisant bien à l'ancien franchisé, sauf accord écrit et préalable du franchiseur, de s'intéresser directement ou indirectement à l'exploitation de toute autre établissement de restauration rapide dans un rayon de 50 km à vol d'oiseau et pendant une durée d'une année ; qu'en effet l'enseigne ne signifie nullement affiliation à un réseau de restauration concurrent de "Pat à pain", l'intitulé "Aux charmilles" étant à l'évidence une enseigne concurrente au sens de ce texte, ce que d'ailleurs la Cour d'appel de Reims avait jugé dans son arrêt du 12 septembre 2010 en indiquant que "QSP exerce la même activité sous une nouvelle enseigne "Aux charmilles", laquelle est donc bien concurrente" ; que ce moyen manque donc de pertinence ;
Sur la licéité de ladite clause
Attendu que la société appelante prétend que la clause litigieuse ne serait pas licite car son périmètre d'application dans le temps ainsi que dans l'espace serait abusif en ne lui permettant pas de se rétablir et la privant de son fonds de commerce ;
Attendu que d'une part la durée d'une année est parfaitement conforme à la jurisprudence habituelle en la matière ainsi qu'à la réglementation européenne (règlement numéro 4087-88-CEE du 30 novembre 1988) ; que d'autre part compte tenu des obligations prises par la SAS FRR dans ses différents contrats de franchise, cette dernière, qui fait bénéficier ses franchisés de son savoir-faire commercial et technique, doit protéger les autres établissements franchisés, notamment celui de 10 800 Saint Julien des Villas, situé dans l'agglomération troyenne ; que la limitation de la clause à 50 km n'est nullement abusive, les clients satisfaits d'un point de restauration effectuent ce trajet pour suivre le déplacement de leur établissement conforme à leur goût dans un même département ; qu'ainsi l'allégation de la privation de clientèle n'est donc pas fondée, d'autant plus qu'en réalité la durée de cette interdiction n'a été effective que du 20 septembre 2008, date de l'ouverture de l'enseigne "Aux charmilles", au 8 juillet 2009, date de la fin de la période d'application de la clause critiquée ;
Attendu que l'absence de contrepartie financière à une clause de non-concurrence ne saurait entraîner la nullité de celle-ci, puisqu'elle concerne en l'espèce une société commerciale et non un salarié ; que cette clause est par ailleurs légitime car elle est indispensable à la protection des intérêts de la SAS FRR, qui, comme cela a été rappelé plus haut, accorde à ses franchisés le bénéfice considérable de sa marque ainsi que de son enseigne "Pat à pain" particulièrement connue, de son assistance ainsi que de son savoir-faire, dont la qualité et l'attractivité financière ne sont pas discutées ; que d'ailleurs la société appelante en a bénéficié de 1992 à 2008 sans jamais critiquer la grande qualité de ces prestations ;
Sur la concurrence déloyale
Attendu que les deux attestations de salariés de la société intimée, dont la qualité ne figure pas sur ces documents et sont très contestées, manquent ainsi de pertinence ; qu'en revanche la cour constate que l'utilisation abusive dans l'annuaire officiel du téléphone (Pages blanches) de l'enseigne "Pat à pain" jusqu'en 2010, alors qu'il existe un autre établissement franchisé dans l'agglomération troyenne, constitue de la part de la SARL QSP un acte de concurrence déloyale ;
Attendu qu'ainsi la violation de la clause conventionnelle de non-concurrence après expiration du contrat de franchise par la société appelante est ainsi parfaitement établie pour la période du 20 septembre 2008 au 8 juillet 2009 ;
Sur l'indemnisation de la SAS FRR
Attendu que la société appelante prétend en premier lieu que la créance de la société intimée serait inopposable à la procédure collective, parce que celle-ci trouve son origine au jour de la résolution du contrat de franchise, à savoir le 8 juillet 2008, soit antérieurement à l'ouverture de redressement judiciaire prononcée par le Tribunal de commerce de Troyes dans son jugement du 9 septembre 2008, le délai de déclaration de créances ayant expiré le 25 novembre 2008 ;
Attendu que contrairement à ces affirmations les fautes commises par cette dernière, qui sont totalement indépendantes de résiliation du contrat de franchise, puisqu'après la rupture de cette convention la SARL QSP pouvait parfaitement transférer son activité dans le rayon de 50 km et la clause de non-rétablissement n'aurait pas pu s'appliquer, ont eu lieu du 20 septembre 2008, date de l'ouverture de l'enseigne "Aux charmilles" à Troyes, au 8 juillet 2009, fin de l'application de la clause précitée, période postérieure à la procédure collective ; que dans ces circonstances la SAS FRR n'avait pas à déclarer sa créance et l'irrecevabilité alléguée ne saurait être retenue ;
Attendu que le montant de la clause pénale, à savoir 50 % du chiffre d'affaire globale hors taxes réalisé pendant les 12 derniers mois (906 301,98 euros : 2), apparaît manifestement excessif notamment en raison d'une durée d'activité illicite de moins de 10 mois ; que les éléments de la cause rapportés plus haut permettent à la cour de fixer la condamnation au titre de cette clause pénale à la somme de 150 000 euros ;
Attendu qu'une somme de 1 500 euros sera allouée en plus de celle accordée en première instance (2 000 euros) au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ; que la société appelante, qui succombe pour l'essentiel, ne saurait prétendre bénéficier de ces dispositions et sera condamnée aux dépens ;
Par ces motifs : LA COUR, Confirme le jugement entrepris, sauf à fixer le montant de la condamnation de la SARL QSP à la somme de 150 000 euros ; Ajoutant, Condamne la société appelante à payer à la SAS FRR une somme de 1 500 euros au titre des frais irrépétibles ; Déboute les parties de leurs autres demandes ; Condamne la SARL QSP aux dépens d'appel.