CA Grenoble, 2e ch. civ., 19 février 2013, n° 10-01411
GRENOBLE
Arrêt
Infirmation partielle
PARTIES
Demandeur :
Generali Assurances Iard (Sté)
Défendeur :
Les Combes (SCI), Grisel, Cie d'assurances Maif, Electricité de France, Mutuelles Du Mans Assurances Iard, Compagnie XL WI, XL Insurance Company Limited (Sté)
COMPOSITION DE LA JURIDICTION
Président :
M. Cavelier
Conseillers :
Mmes Blatry, Esparbès
Avocats :
SCP Pougnand Herve-Jean, SCP Grimaud, Mes Ramillon, Deschaseaux, Chapira, Dunner, Carret, Lebovich
La SCI Les Combes est propriétaire d'un bâtiment d'habitation dont une partie est occupée par M. et Mme Grisel. Dans la nuit du 25 au 26 janvier 2002, un incendie s'est déclaré dans la cuisine, au lieu d'installation d'un micro-ondes de marque Brandt.
Reconnaissant l'existence d'une sur-tension par rupture du conducteur neutre le jour du sinistre, EDF a offert de régler le coût de la remise en état des installations et équipements endommagés, mais a refusé de prendre en charge les dommages résultant de l'incendie de la maison.
Une expertise judiciaire a été menée par M. Mertz au contradictoire de la SCI Les Combes, M. et Mme Grisel, EDF, Brandt ainsi que des assureurs de Brandt : les compagnies MMA puis XLWI et Generali. L'expert a déposé son rapport le 4 août 2003.
La Maif a versé à ses assurés M. et Mme Grisel la somme de 57 248,92 euros en réparation de leurs dommages.
Par exploits d'huissier des 28 et 29 septembre 2004, puis 11 avril 2006, M. et Mme Grisel et la Maif subrogée dans les droits de ces derniers ont fait assigner EDF, MMA, puis en leur qualité d'assureurs successifs de la société Brandt en redressement judiciaire : Generali et XLWI.
Par jugement du 11 février 2010, en l'absence de MMA, le Tribunal de grande instance de Grenoble a :
-rejeté la demande de sursis à statuer présentée par Generali,
-mis hors de cause MMA,
-jugé EDF responsable des dommages résultant de la sur-tension,
-donné acte à EDF de son offre de prendre en charge les conséquences de l'endommagement des appareils par l'effet de la sur-tension et au besoin l'a condamnée à verser à la Maif en sa qualité de subrogée de M. et Mme Grisel la somme de 5 651 euros,
-déclaré la société Brandt responsable des dommages résultant de l'incendie,
-condamné in solidum XLWI et Generali à verser à la Maif la somme de 1 597,92 euros en raison de la franchise de la compagnie XLWI de 50 euros opposable au tiers lésé,
-condamné Generali à verser à la Maif le surplus soit la somme de 50 000 euros,
-condamné EDF à payer à M. et Mme Grisel et la SCI Les Combes la somme de 125 euros en réparation de leur préjudice complémentaire,
-condamné Generali à verser à M. et Mme Grisel et la SCI Les Combes la somme de 125 euros en réparation de leur préjudice complémentaire,
-condamné EDF, Generali et XLWI in solidum à payer à M. et Mme Grisel, la SCI Les Combes et la Maif la somme de 1 500 euros en application de l'article 700 du Code procédure civile,
-débouté les parties du surplus de leurs demandes,
-ordonné l'exécution provisoire,
-et condamné EDF, Generali et XLWI aux entiers dépens.
Generali a interjeté appel de la décision le 24 mars 2010.
Par conclusions notifiées le 8 juin 2011, Generali Assurances Iard a demandé :
-l'infirmation du jugement,
-le prononcé de sa mise hors de cause,
-subsidiairement, la condamnation d'EDF à la relever et garantir de toutes condamnations pouvant être prononcées à son encontre,
-l'application de la franchise contractuelle de 15 244 euros,
-la condamnation de tout succombant à lui payer 5 000 euros en application de l'article 700 du Code procédure civile,
-ainsi qu'aux entiers dépens qui seront recouvrés par Me Ramillon conformément à l'article 699 du Code procédure civile.
Par conclusions notifiées le 4 janvier 2011, la SCI Les Combes, M. Lucien et Mme Jeanine Grisel ainsi que leur assureur Maif ont demandé :
-de déclarer non fondé l'appel formulé par Generali,
-de juger EDF responsable du sinistre dont ont été victimes M. et Mme Grisel le 25 janvier 2002,
-de condamner EDF à verser à la Maif en sa qualité de subrogée dans les droits de M. et Mme Grisel, la somme de 57 248,92 euros,
-de condamner EDF à verser à M. et Mme Grisel et à la SCI Les Combes la somme de 2 154,08 euros,
-de juger la société Brandt responsable in solidum avec EDF de l'incendie litigieux,
-en conséquence, de condamner XL Insurance Company Limited et Generali ou qui mieux le devra en fonction du fait générateur retenu, en leur qualité d'assureurs successifs de la société Brandt à payer à M. et Mme Grisel et la Maif la somme de 53 752 euros,
-de débouter XL Insurance Company Limited et Generali de leurs demandes, fins et conclusions,
-de condamner les mêmes au paiement de 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code procédure civile,
-ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Par conclusions notifiées le 9 novembre 2010 fondées sur les articles 1151 du Code civil, l'article L. 221-1 du Code de la consommation, le décret n° 75-848 du 26 août 1975 et les normes NF EN 60335.1 et NF C 92.130, la société Electricité de France SA (EDF) a demandé :
-la confirmation du jugement en toutes ses dispositions,
-pour le surplus, le débouté des appelants de l'ensemble de leurs réclamations dirigées contre elle,
-la condamnation de Generali et de la compagnie XL à lui verser 3 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code procédure civile,
-outre charge des entiers dépens d'appel.
Par conclusions notifiées le 22 février 2011, la compagnie XL Insurance Company Limited (ci-après compagnie XL) a demandé :
-l'infirmation du jugement,
-sa mise hors de cause,
-la condamnation de Generali à garantir seule le sinistre,
-subsidiairement, qu'il soit jugé que la société Brandt fabricant de l'appareil litigieux n'est en aucun cas responsable du sinistre,
-encore plus subsidiairement, la condamnation d'EDF à la relever et garantir de toute condamnation qui serait prononcée à son encontre,
-qu'il soit fait application de la franchise contractuelle de 50 000 euros,
-la condamnation de tout succombant à lui payer 5 000 euros en application de l'article 700 du Code procédure civile,
et aux entiers dépens qui seront recouvrés par la SCP Grimaud conformément à l'article 699 du Code procédure civile.
Assignée par exploit du 21 septembre 2010 délivré à personne habilitée, MMA n'a pas constitué avocat.
La procédure a été clôturée le 29 mars 2012.
Motifs
Sur la mise hors de cause de MMA :
Aucune prétention n'est formée à l'encontre de MMA, qui a été appelée à l'origine de la procédure en tant qu'assureur de la société Brandt : sa mise hors de cause prononcée par le premier juge se voit confirmée.
Sur la responsabilité :
EDF admet sa responsabilité dans l'endommagement des installations et équipements atteints par la surtension confirmée par l'expertise judiciaire, mais elle se défend d'être à l'origine des dommages causés à l'habitation. Les assureurs de la société Brandt réfutent quant à eux toute responsabilité de leur assurée, partant tout défaut du micro-ondes.
Les pièces versées aux débats, notamment le rapport d'expertise judiciaire qui s'est appuyé sur le procès-verbal de constat du 31 janvier 2001 comportant des photographies des lieux et des matériels après sinistre, établissent sans conteste que EDF, tenue de fournir aux usagers un courant électrique d'une tension comprise entre 207 et 244 volts, a manqué à son obligation dès lors que le réseau électrique a connu une surtension de 400 volts, très supérieure aux contraintes que les matériels doivent absorber du fait de leur conception, et qu'elle n'a rien fait pour pallier à ce phénomène fréquent, prévisible et connu des services de maintenance du réseau.
Aux termes de ses constatations, analyses et conclusions, l'expert judiciaire a énoncé "l'hypothèse que le four soit à l'origine du départ de l'incendie est la plus probable, aucune autre n'a pu être envisagée et c'est bien la rupture du conducteur neutre sous la responsabilité d'EDF qui a conduit à la destruction d'un très grand nombre d'équipements de la maison. L'un d'entre eux vraisemblablement le four à micro-ondes a alors propagé l'incendie à toute la maison". Il a confirmé que cette hypothèse a été retenue comme la cause la plus probable "à l'unanimité". La probabilité énoncée s'analyse en une certitude suffisamment causale par rapport aux dommages, dès lors que la conclusion de l'expert est corroborée par d'autres éléments, notamment le rapport d'assurance Maif établi immédiatement après les faits qui confirme, sur attestation de l'électricien, que le point de départ de l'incendie, comme l'a toujours affirmé M. Grisel, est le micro-onde seul appareil électrique branché dans la zone de départ du feu.
Il n'est pas discutable que la surtension a entraîné des dommages importants non seulement aux appareils électriques, mais aussi à l'habitation partiellement incendiée et atteinte par la propagation des suies. EDF ne peut pas discuter que sa responsabilité est entière, dans la survenance de la totalité des dommages, dès lors que la cause de l'incendie est déterminée comme étant une explosion du four contraint par la surtension.
Quant à la responsabilité de Brandt fabriquant du micro-ondes, motivée par le tribunal sur l'obligation de fournir un produit exempt de tout défaut de nature à causer un danger pour les personnes ou les biens, qu'il a dit établie par les conclusions de l'expert judiciaire, elle sera écartée.
Il ressort en effet du rapport d'expertise, en confrontation avec les moyens développés par EDF pour tenter d'échapper à sa responsabilité totale :
-étant observé à titre liminaire que l'article L. 221-1 du Code de la consommation [Les produits et les services doivent dans des conditions normales d'utilisation ou dans d'autres conditions normalement prévisibles par le professionnel, présenter la sécurité à laquelle on peut légitimement s'attendre et ne pas porter atteinte à la santé des personnes] invoqué par EDF n'est pas applicable au litige à défaut de dommage corporel,
-que le four n'a pu être expertisé, n'ayant pas été conservé par M. Grisel ; ce fait, qui n'est pas causal avec les dommages de l'incendie et n'induit aucune responsabilité des assurés, a empêché la détermination d'une défaillance éventuelle du four,
-que la conclusion finale de l'expert (p.9 du rapport) ne vise l'éventuelle responsabilité du fabriquant qu'en lien avec sa carence de fournir les plans du four ; le fabriquant n'a certes pas pu fournir les plans du four litigieux, mais ce fait ne peut pas lui être reproché puisque cette demande de la part de l'expert n'était destinée qu'à pallier la carence des assurés (qui n'ont pas conservé le four), d'autant moins que le fabriquant a fourni les certificats d'essai justifiant la conformité de ce type de four à la norme NF EN 6035,
-qu'en application de la norme NF EN 6035 en son article 19, "les appareils doivent être construits de façon que les risques d'incendie affectant la sécurité ou la protection contre les chocs électriques dus à un fonctionnement anormal ou négligent soient évités autant que possible ; les circuits électriques doivent être conçus et mis en œuvre de sorte qu'aucune condition de défaut ne rende l'appareil non sûr en ce qui concerne les chocs électriques, les risques d'incendie ou un mauvais fonctionnement dangereux", mais il n'est pas imposé de fabriquer un appareil capable de résister à une surtension qui serait, comme en l'espèce, trois fois supérieure à la normale ; l'expert a confirmé cette approche (§1.4 et §1.5) en notant que la tension de 400 volts était "très largement hors norme" et qu'elle a "induit des contraintes dans les matériels bien supérieures aux valeurs pour lesquelles ils ont été conçus, ceci explique que tous les matériels en fonctionnement ou branchés au moment de l'accident ont été détériorés" ; il a encore expliqué que, même si le four litigieux possédait un absorbeur de tension, ce composant l'a protégé de surtensions de très courtes durées, mais que, face à un courant de 400 volts, la "destruction du composant est particulièrement violente et peut s'apparenter à une petite explosion dans laquelle un élément embrasé peut être projeté à l'extérieur de l'appareil" ; l'EDF ne peut donc pas soutenir que, puisque la rupture du neutre est un phénomène normalement prévisible, les niveaux de surtension n'ont pas un caractère irrésistible, et que le fabriquant engage sa responsabilité s'il n'intègre pas les protections adéquates ; en l'espèce, aucune preuve n'est apportée que le four litigieux ne disposait pas des protections nécessaires et suffisantes pour supporter des tensions normales, aucune disposition n'imposant des protections pouvant absorber des tensions de l'importance révélée et non discutée ; le simple fait pour le micro-ondes de n'avoir pas absorbé la surtension de 400 volts n'est pas une démonstration de sa défaillance,
-que les autres réglementations notées par EDF dans ses écritures ne peuvent pas plus être reprochées au fabriquant, à défaut de l'impossibilité de détecter de quelconques défaillances du four,
-que le fait que le four était estampillé CE ou qu'il fonctionnait normalement avant les faits, n'apporte aucun élément utile à la discussion,
-que l'allégation de EDF disant qu'il "est établi que la surtension provenant du réseau public de distribution de l'électricien n'a pu par elle-même générer l'incendie qui s'est déclenché et propagé à partir et à cause du four micro-onde litigieux" est une simple affirmation qui n'est fondé sur aucun élément pertinent ; la localisation du départ du feu ne suffit pas à atteindre la responsabilité du fabriquant du four, alors que la charge de la preuve appartient au fournisseur du produit défectueux (l'électricité),
-qu'il ne peut en être conclu ni que le four litigieux répondait à la norme, ni qu'il n'y répondait pas, l'absence de certitude sur un non-respect des normes excluant toute responsabilité de la société Brandt.
Il est jugé par conséquent que le four n'a pas été la cause certaine des dommages, ne serait-ce que pour partie. La responsabilité d'EDF est ainsi retenue sur le fondement du produit défectueux des articles 1386-1 et suivants du Code civil, étant rappelé que la preuve exigée par l'article 1386-9 [le demandeur doit prouver le dommage, le défaut et le lien de causalité entre le défaut et le dommage] est ici apportée, tandis que n'a été démontré par EDF aucun fait exonératoire tel que visé par l'article 1386-11.
Les entiers dommages étant survenus par suite de la surtension imputable à EDF, seule cette dernière est reconnue responsable, à l'exclusion de Brandt, dont les assureurs sont alors mis hors de cause.
Sur l'indemnisation :
Les chiffres avancés par les époux Grisel, la SCI Les Combes et leur assureur la Maif en indemnisation des dommages liés avec le fait générateur de la responsabilité, ne sont pas discutés, et l'expert judiciaire les a retenus, à hauteur de :
-la somme de 53 752 euros pour les dommages dans l'habitation incendiée,
-et celle de 5 651 euros pour les dommages aux appareils électriques,
-soit un total de 59 403 euros.
La Maif ayant versé aux époux Grisel une indemnité de 57 248,92 euros, montant non discuté et justifié par une quittance subrogative, elle est bien fondée à solliciter la condamnation de EDF à hauteur de ladite somme, tandis que les époux Grisel et la SCI Les Combes sont fondés à solliciter la somme complémentaire de 59 403 - 57 248,92 = 2 154,08 euros.
La condamnation de EDF est prononcée en ces termes, étant constaté qu'une somme de 5 776 euros a déjà été versée en exécution du jugement par un versement Carpa du 1er mars 2010, correspondant aux 5 651 euros alloués à la Maif et aux 125 euros alloués aux assurés.
Sur l'article 700 du Code de procédure civile et les dépens :
Succombant, EDF supportera les entiers dépens incluant le coût de l'expertise judiciaire et aura la charge du paiement d'une indemnité de procédure au bénéfice des époux Grisel, la SCI Les Combes et la Maif, qui ont assuré une défense commune, ainsi qu'à Generali et à la compagnie XL (2 000 euros x 3).
Par ces motifs : LA COUR, statuant publiquement, par arrêt réputé contradictoire, et après en avoir délibéré conformément à la loi, Confirme le jugement du Tribunal de grande instance de Grenoble du 11 février 2010 en ce qu'il a mis MMA hors de cause, L'infirme pour le surplus, Statuant à nouveau, Impute à EDF, non seulement les dommages résultant de la surtension ayant affecté les matériels électriques, mais plutôt l'entière responsabilité de l'ensemble des dommages subis par époux Grisel dans la nuit du 25 au 26 janvier 2002 résultant de la surtension électrique, y compris ceux ayant affecté l'habitation incendiée, Ecarte la responsabilité de la société Brandt fabriquant du micro-ondes, En conséquence, condamne EDF à verser : -à la Maif assureur subrogé dans les droits des époux Grisel et de la SCI Les Combes, la somme de 57 248,92 euros correspondant à l'indemnité versée aux assurés, -aux époux Grisel, la somme de 2 154,08 euros, Met hors de cause les assureurs de la société Brandt : Generali Assurances Iard et XL Insurance Company Limited, Y ajoutant, Condamne EDF à verser une indemnité de procédure de 2 000 euros à chacune des parties : -les époux Grisel, la SCI Les Combes et la Maif, -Generali, -et XL Insurance Company Limited, Dit que les dépens de première instance et d'appel incluant le coût de l'expertise judiciaire sont à la charge de EDF, avec pour les derniers, distraction au profit de Me Ramillon et de la SCP Grimaud.